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La situation internationale
Durant l'année qui vient de s'écouler, le monde n'a connu ni explosion ni bouleversement d'envergure. La situation internationale, tant au plan politique qu'au plan social ou économique, est dans ses grandes lignes la même qu'elle était l'an passé. Pour l'essentiel, il n'y aurait guère qu'à remplacer quelques noms de chefs d'État, qui ne sont à l'abri des atteintes ni de l'âge ni même des revolvers des terroristes, même dans un monde qui semble, lui, à l'abri des bouleversements, ou à ajouter quelques exemples plus récents pour illustrer les mêmes analyses ou les mêmes descriptions d'une situation globale qui est restée étale.
Si aucune des contradictions inhérentes au monde actuel, toujours dominé davantage par l'hégémonie de l'impérialisme américain, et qui pourraient conduire à des catastrophes économiques, à des affrontements politiques et même des guerres entre les grandes puissances ou à des explosions sociales révolutionnaires, n'a éclaté ni produit de secousse majeure, aucune non plus n'a évidemment disparu. Et si elles semblent un peu estompées ou se poser d'une façon un peu moins aiguë, c'est simplement que ce monde a duré un an de plus sans soubresauts importants et vécu. avec ses contradictions sans qu'elles éclatent.
Les rapports Est-Ouest restent tendus. Ainsi les discussions entre les États-Unis et l'URSS en vue d'un éventuel désarmement, et interrompues il y a deux ans, après des années durant lesquelles elles s'étaient poursuivies sans trop de résultat mais sans discontinuité, n'ont pas repris. Et la course aux armements entre les deux grands se poursuit, sinon s'accélère, éperonnée par un budget militaire américain sans précédent et grandissant chaque année - budget qui a ouvertement pour but non seulement de dispenser les subsides de l'État aux trusts mais aussi d'essouffler l'URSS et de désorganiser son économie - éperonnée aussi par les projets reaganiens de guerre des étoiles, c'est-à-dire la recherche incessante de nouvelles armes plus sophistiquées et aux capacités toujours plus étendues, plus précises et plus destructrices, éperonnée enfin par le déploiement effectif de nouveaux missiles américains en Europe de l'Ouest.
Pourtant, le gouvernement américain, tout en suscitant une atmosphère patriotique et chauvine à l'intérieur du pays, n'a pas été jusqu'ici, jusqu'à déclencher une véritable nouvelle guerre froide. Et si, dans la dernière période, le langage conciliant de Reagan, ses propositions à l'URSS de reprendre les discussions, la réception récente de Gromyko aux États-Unis, n'avaient peut-être pas d'autre but que d'aider la campagne électorale du président sortant, tout cela montre au moins que l'impérialisme américain n'a pas senti le besoin dans l'immédiat d'activer encore un climat anti-soviétique ni de préparer davantage le peuple américain à des affrontements graves. C'est au contraire l'URSS qui a pris l'initiative de l'interruption des négociations sur le désarmement ou encore, interdit à certains de ses vassaux de l'Europe de l'Est de se rendre à l'Ouest.
L'impérialisme américain n'a pas soufflé, ces derniers temps, sur les points chauds où, à travers le monde, les États-Unis ou leurs alliés et clients se heurtent soit directement à l'URSS soit aux peuples ou aux États du tiers monde qui se retrouvent bon gré mal gré et momentanément du côté de l'URSS, et qui pourraient être les foyers d'où partiraient des conflagrations bien plus importantes. Loin d'attiser l'incendie en aggravant les interventions militaires, les États-Unis ont plutôt cherché systématiquement à le circonscrire par des négociations.
Au Liban les troupes américaines, françaises, britanniques et italiennes ont finalement été retirées. Les États-Unis ont choisi de négocier avec la Syrie plutôt que de s'engager militairement plus avant. Et l'attitude d'Israël qui envisage aujourd'hui de retirer complètement ses troupes du Sud-Liban tout en proposant explicitement des négociations à la Syrie vient confirmer la voie cherchée actuellement par l'impérialisme américain. Cela ne veut pas dire que cette région du monde ne demeure pas grosse du danger de voir éclater à tout moment de nouveaux conflits. Aucun des problèmes du Liban n'est résolu, aucune des oppositions qui le déchirent n'a disparu, et, surtout, si Israël est peut-être prêt à évacuer totalement le Liban et à négocier sérieusement avec la Syrie, il n'est certainement pas décidé ni à évacuer les territoires occupés ni à négocier avec les Palestiniens, ce qui laisse intact le problème essentiel qui fait depuis trente ans du Moyen-Orient une poudrière.
De même au Tchad, l'impérialisme français a choisi de limiter au plus près et au plus vite l'aventure militaire engagée il y a deux ans. Il a cherché, et obtenu, plutôt qu'un affrontement, une négociation avec la Lybie qui lui permette de retirer là aussi ses troupes. Ce retrait n'est certainement pas, là non plus, la marque que les questions sont définitivement résolues et que les troupes françaises n'y seront pas renvoyées une fois de plus dans un proche avenir. Elles ne sont d'ailleurs pas retirées d'Afrique où elles demeurent en de nombreuses places prêtes à intervenir ou réintervenir partout dans la partie du continent que la France considère comme sa chasse gardée.
De même encore l'accord passé entre l'Afrique du Sud avec ses voisins du Mozambique et de l'Angola a diminué un risque d'affrontement militaire entre l'URSS et les États-Unis par leurs alliés respectifs interposés. Aujourd'hui les Cubains envisagent même de retirer complètement leurs troupes d'Angola. Cependant si le régime de l'apartheid a pu ainsi marquer des points et asseoir son hégémonie sur cette partie du continent africain, cela n'a pas amoindri les tensions sociales fondamentales de cette région, comme l'ont montré les récentes émeutes des ghettos noirs sud-africains.
La volonté de l'impérialisme américain de ne pas remettre en cause pour l'instant le statu quo qui s'est établi avec le camp soviétique se montre aussi par exemple, dans la sorte de soutien soigneusement mesuré que l'impérialisme apporte aux rebelles afghans. S'il ne fait guère de doute que la CIA leur apporte une certaine aide, notamment en armement, celle-ci semble finalement calculée de façon à ne pas changer la nature de cette guerre et à ne pas obliger les Russes à augmenter leurs efforts militaires dans des proportions qui en changeraient les données et risqueraient d'amener ce conflit à déborder les frontières afghanes. Tout se passe comme si les États-Unis se contentaient de prendre acte pour l'avenir sans s'engager vraiment dans un conflit qui de toute manière a commencé et continue sans eux, et suffit en se poursuivant à garder un abcès au flanc de l'URSS, abcès qui pourrait évidemment être envenimé dans le futur.
Finalement il n'y a guère qu'en Amérique centrale que l'impérialisme américain a adopté une attitude différente et beaucoup plus agressive, en aidant notamment à développer les organisations qui mènent la guérilla contre le régime sandiniste du Nicaragua. Là effectivement, la menace d'une intervention directe de l'armée américaine reste suspendue en permanence. D'ailleurs l'intervention directe de la CIA est déjà un fait avéré et ne cesse pas. Pourtant la spectaculaire ouverture de négociations entre le président Duarte et les rebelles au Salvador, qui n'a pu avoir lieu sans le feu vert de Washington, prouve que même dans cette partie du monde que les États-Unis considèrent comme leur arrière-cour, ils n'ont pas totalement exclu de maintenir, ou récupérer, leur hégémonie par la négociation plutôt que par l'intervention militaire brutale.
Aux États-Unis la reprise économique qui avait commencé au début de 1983 s'est maintenue depuis. Les diminutions importantes des taxes et impôts frappant les entreprises et les capitalistes américains, décidées dans les premiers temps de la présidence Reagan et compensées par des coupes sombres dans le budget social, c'est-à-dire en fait payées par les couches les plus pauvres de la population américaine, ont joué le rôle d'une énorme subvention versée par l'État aux capitalistes. Le gigantesque budget militaire, puisqu'en cinq ans, 1 600 milliards de dollars devraient aller à la Défense, a également joué le rôle de soutien aux trusts de l'armement, c'est-à-dire par un biais ou par un autre, la plupart des trusts. Enfin, l'arrivée aux États-Unis d'un flot de capitaux venant des autres continents, d'Europe mais aussi d'Asie ou d'Amérique latine, à la recherche de placements plus sûrs, a contribué également à cette reprise. Pour cette année seule, on estime à plus de cent milliards de dollars le surplus de capitaux étrangers qui seront entrés aux États-Unis. Et si seule une petite partie s'investit en fait directement dans des entreprises industrielles productives, les deux tiers étant des capitaux placés à court terme sur le marché financier américain, ils ont au moins largement contribué à alimenter une spéculation financière sur le dollar ou les valeurs boursières.
Les raisons discernables de la reprise américaine expliquent les traits particuliers de cette reprise, traits qui peuvent laisser penser qu'elle a de sérieuses limites et qu'elle demeure bien fragile. Tous les observateurs ont noté que si depuis la fin de 1982, six millions d'emplois ont été créés ou recréés - en fait seulement trois ou quatre millions de plus qu'il n'y en avait en 1979 au début de la récession - ceux-ci l'ont été essentiellement dans les services et non dans l'industrie. Un certain nombre de secteurs industriels de base n'ont même pas retrouvé les niveaux de production d'avant la récession : ainsi l'auto et le bâtiment, où pourtant des réductions de taxes ont, semble-t-il, poussé à des investissements spéculatifs préparant d'ailleurs une période de difficultés, sont encore loin de leurs records de production de 1978 ou 1979. Et déjà, après un an et demi, on note un ralentissement de la reprise. Le taux d'accroissement du produit national brut qui avait atteint autour de 8 % dans les six premiers mois de 1984 est retombé maintenant autour de 4 %. Accompagnant cela, le taux de chômage qui, de près de 11 % à la fin de 1982 serait redescendu à 7 % au début de l'été, est légèrement remonté aujourd'hui.
L'un des grands sujets de satisfaction des responsables américains est d'avoir, en cette période de reprise, réduit considérablement l'inflation. Le taux de celle-ci se situera, en effet, aux alentours de 4 % cette année alors qu'elle avait atteint plus de 13 % en 1981. Cette réduction de l'inflation est d'abord la conséquence d'une politique de restriction monétaire, politique commencée sous l'administration Carter, et qui avait été accusée alors par les capitalistes américains eux-mêmes d'être l'une des causes principales de la récession de 1980. Cette politique a entraîné une hausse des taux d'intérêts et ceux-ci ont à leur tour contribué à drainer vers les USA beaucoup de capitaux étrangers et à pousser à la hausse du dollar. Cependant, cette diminution de l'inflation n'est due en rien à un contrôle plus rigoureux du budget de l'État dont le déficit n'a fait au contraire que s'accroître et battre tous les records ces dernières années. Mais au lieu d'avoir recours à la planche à billets pour combler ce déficit, l'État américain a eu recours à l'emprunt, chose qui lui était facilitée par l'abondance des capitaux disponibles, tant américains qu'étrangers, à la recherche de placements. Ainsi l'inflation a bien été ralentie, mais la conséquence en a été un endettement absolument énorme de l'État américain.
Bien que l'endettement des pays pauvres auprès du système financier mondial et le paiement d'intérêts que cela entraîne, représentent une source d'appauvrissement catastrophique pour ces pays, ils ne constituent qu'une part mineure de l'endettement mondial. Les dettes du seul état fédéral américain représentent à peu près le double des dettes de l'ensemble du tiers-monde. Mais le système financier qui prête à des conditions de plus en plus en plus onéreuses aux pays pauvres, lorsque même il prête, recherche en revanche les placements auprès de l'État américain et dans une moindre mesure, et à des degrés variables, auprès des États des principales puissances impérialistes secondaires.
Les grands États impérialistes européens mènent une politique similaire à celle de l'État américain ; tentent de leur côté de réduire leur inflation en substituant au recours à la planche à billets, les emprunts sur le marché international des capitaux. Ils y parviennent avec des bonheurs variables, en fonction du crédit dont ils disposent précisément sur le marché des capitaux. Les taux d'inflation respectifs de l'Allemagne, de la Grande-Bretagne ou de la France, sont en quelque sorte en proportion inverse de la confiance qu'ils inspirent aux banquiers.
La hausse et la surévaluation du dollar par rapport aux autres monnaies entraînent un énorme déficit de la balance commerciale américaine. Il dépassera largement les cent milliards de dollars cette année. Pourtant malgré cet énorme déficit du commerce extérieur, la reprise américaine, en dépit des espoirs mis en elle, n'a pas été capable d'entraîner vraiment une reprise dans le reste du monde ni même seulement dans les autres pays impérialistes. Seul le Japon est parvenu à maintenir une certaine croissance économique, mais l'Europe n'a pas connu de véritable reprise.
La reprise économique américaine ainsi que le fait que l'inflation ait été en partie jugulée cachent donc bien mal les profondes contradictions de l'ensemble du système impérialiste et ses fragilités : fragilité d'une reprise basée davantage sur les spéculations financières et qui ne correspond pas à une véritable reprise de l'appareil productif américain lui-même ; fragilité de tout le système financier qui repose sur un immense accroissement de la dette non seulement des États des pays sous-développés, non seulement des entreprises capitalistes mais des États impérialistes et du plus puissant d'entre eux, lui-même.
Que le dollar baisse à nouveau, que les capitaux étrangers refluent des États-Unis et tout le système financier peut s'écrouler. Or un ralentissement de la reprise peut suffire à entraîner tout cela, ralentissement qui se profile justement à l'horizon. L'impérialisme ne semble donc nullement sorti de la crise dans laquelle il est entré il y a une dizaine d'années, même si depuis deux ans la crise a connu une sorte de répit.
La situation intérieure
En ce qui concerne la situation intérieure, l'événement politique majeur de l'année restera la confirmation du recul électoral de la gauche en général et du Parti Communiste en particulier et le départ du Parti Communiste Français du gouvernement qui s'en est suivi, non pas tant par ses conséquences sur la politique de celui-ci, ou sur la situation française en général, pratiquement nulles, que par le virage auquel le PCF a procédé dans les entreprises, dès la rentrée de septembre, et les conséquences que celui-ci peut avoir pour les militants révolutionnaires au sein de la classe ouvrière.
Sous Fabius comme sous Mauroy, le fond de la politique gouvernementale reste en effet remarquablement constant : permettre à la bourgeoisie de maintenir ses profits malgré la crise, et pour cela imposer de nouveaux sacrifices à la classe ouvrière.
Sur le plan salarial, 1984 sera une année de régression pour quasiment tous les salariés. Avec la bénédiction du gouvernement qui a d'ailleurs donné l'exemple dans la fonction publique et le secteur nationalisé, et au nom de la lutte contre l'inflation, les augmentations de salaires accordées au cours de l'année ont en effet été nettement inférieures au taux d'inflation initialement prévu (les 5 % de Delors), et a fortiori au taux d'inflation réel.
Mais cette diminution des revenus salariés n'est que l'un des aspects de l'appauvrissement global de la classe ouvrière, dont la cause majeure est l'aggravation du chômage et ses conséquences. Malgré tous les artifices comptables (abaissement de l'âge de la retraite, retraites anticipées, stages divers), le nombre officiel de chômeurs a en effet repris sa progression. C'est une conséquence logique des licenciements et des suppressions d'emplois autorisés parle gouvernement au nom de la « restructuration industrielle ».
Cette augmentation du nombre des chômeurs a été de pair avec les modifications dans un sens négatif du système des indemnités, décidées avec la complicité des centrales syndicales. L'augmentation du nombre des chômeurs non secourus, ou réduits aux secours minimum, est à l'origine de ce phénomène des « nouveaux pauvres », des « pauvres de la crise », comme s'est plu à corriger Fabius (encore qu'il aurait été plus juste de parler des « pauvres de la politique du gouvernement socialiste » ), dont tous les moyens d'information ont fait état ces derniers mois, et qui est un symbole de l'évolution de la situation de la classe ouvrière.
Mais autant le gouvernement socialiste applique avec constance sa politique de régression sociale, autant il s'est montré faible et velléitaire face à la droite. L'exemple le plus remarquable de cette attitude a été donné à propos du projet de loi Savary qui essayait, en ne lésant en rien les intérêts de l'enseignement privé et confessionnel, de donner quelques satisfactions aux militants et électeurs socialistes attachés à la laïcité, et qui après avoir été maintes fois édulcoré a fini par être purement et simplement jeté au panier.
La loi sur la presse, vidée d'une grande partie de son contenu par le Conseil constitutionnel, n'a guère connu un sort plus heureux. Le projet de référendum sur les libertés - qui avait il est vrai mis un temps la droite dans une situation inconfortable - a fini aux oubliettes. En fait, malgré la majorité considérable dont ils disposent à l'Assemblée nationale, Mitterrand et le gouvernement socialiste se sont avérés incapables depuis deux ans de faire passer la moindre mesure à laquelle la droite était opposée.
En mettant en oeuvre ouvertement et avec constance une politique de régression sociale, en multipliant les capitulations face à la droite, le gouvernement socialiste continue de s'aliéner la sympathie et le soutien des travailleurs sans pour autant gagner ceux de la petite et moyenne bourgeoisie, qui ne souffrent pourtant guère de la crise, mais qui sont bien plus sensibles à la démagogie de la droite, voire de l'extrême-droite.
Les élections européennes de juin ont largement confirmé les craintes que l'on pouvait nourrir quant à un renforcement de la droite dans ce pays. Le recul du Parti Socialiste, la perte par le Parti Communiste de la moitié de ses électeurs, ne seraient pas en soi des facteurs inquiétants s'ils traduisaient une prise de conscience par une partie de l'électorat ouvrier des véritables intérêts servis par le gouvernement de gauche. Mais le score réalisé par le Front National montre qu'une partie importante de l'électorat s'est reconnu dans les propos xénophobes et racistes de Le Pen.
Pour le moment, ce succès de l'extrême droite ne s'est manifesté que sur le plan électoral. Les ambitions de Le Pen et de ses lieutenants sont peut-être d'ailleurs plus de devenir l'aile la plus extrême de la droite parlementaire, que de travailler à la construction d'un parti fasciste. Et le phénomène Le Pen ne durera peut-être pas plus que le phénomène Poujade en son temps. Mais il n'en reste pas moins que le renforcement de l'extrême droite est le cadeau le plus empoisonné qu'ait légué aux travailleurs trois ans de gouvernement de gauche.
L'effondrement de ses résultats électoraux aux européennes a sans doute joué un rôle déterminant dans la décision du PCF de quitter le gouvernement à l'occasion du changement de Premier ministre en juillet dernier. Les flottements qui ont précédé cette décision, comme le refus de certains membres du Comité central de voter le rapport préparatoire au congrès, attestent que l'appareil du PCF est divisé et qu'il existe en son sein un courant qui aurait été partisan du maintien de la collaboration gouvernementale malgré la diminution de l'influence électorale du parti, la chute manifeste de ses effectifs et de ceux de la CGT.
De l'extérieur, il est bien difficile d'évaluer le rapport des forces entre les partisans de cette ligne « social-démocrate » et ceux qui l'ont finalement emporté, et par voie de conséquence, de prévoir quelles seront les traductions de ces tensions au sein de l'appareil. Mais pour le moment, ce qui l'a emporté, c'est la volonté de ne pas sacrifier la force et l'influence électorale du parti contre une participation presque symbolique au gouvernement.
En mettant ainsi fin à sa participation gouvernementale, le PCF y a sans doute renoncé pour longtemps (sauf cas de montée de la combativité ouvrière qui amènerait la bourgeoisie à le considérer comme un sauveur possible), car non seulement ce pays n'a connu que fort peu de situations où la gauche ait été majoritaire à la Chambre (et si la gauche perd, comme il est probable, les élections de 1986, nul ne peut dire quand pareille opportunité se reproduira) mais le PCF vient une nouvelle fois de faire la preuve aux yeux de la bourgeoisie qu'il n'était pas pour elle un partenaire très fiable, capable de sacrifier ses intérêts de parti à ceux de la classe dominante.
Le PCF n'a certes pas changé fondamentalement. Demain, comme hier, ses seules perspectives possibles de participation gouvernementale dépendent d'un accord avec le Parti Socialiste, voire avec des partis de droite. Le « rassemblement majoritaire large » prôné par sa direction n'est là que pour faire oublier à ses militants son manque de perspective immédiat. Ne serait-ce que pour limiter les dégâts sur le plan électoral, pour obtenir que le mode de scrutin retenu pour 1986 ne le désavantage pas trop, pour obtenir des accords de désistement réciproque, il peut être amené, y compris à court terme, à rechercher des accords électoraux avec le Parti Socialiste. Mais pour le moment, ce qui caractérise la politique du PCF, à travers l'intervention de ses cadres et de ses militants au sein de la CGT, c'est une attitude offensive destinée à reprendre en mains ses militants, et à démontrer au Parti Socialiste, à la bourgeoisie et à son propre public qu'en dépit de son recul électoral, il gardait un poids déterminant au sein de la classe ouvrière.
Cette attitude nouvelle a été en particulier illustrée par les conflits Renault de septembre-octobre et par la grève de la fonction publique du 25 octobre, au cours desquels la CGT a précédé et contribué à développer la combativité ouvrière. Le virage n'a certes pas été pris comme un seul homme, au même moment, dans toutes les entreprises, car le PCF et la CGT avaient à faire à leurs propres militants la démonstration qu'une telle politique était possible, que malgré la désorientation et la démoralisation de la classe ouvrière, liées à trois ans de gouvernement d'Union de la gauche, une partie au moins des travailleurs était susceptible d'entrer en lutte derrière la CGT. Mais toute la politique de l'appareil consiste actuellement à conforter et à mobiliser ses militants les plus tièdes par des exemples de luttes ayant remporté des succès même limités.
Bien évidemment, rien ne permet de dire combien de temps cette nouvelle ligne sera appliquée et jusqu'où elle ira. Mais dans les circonstances présentes, alors que spontanément le niveau de combativité de la classe ouvrière est limité, l'appareil stalinien pourrait aller très loin, sans prendre un bien grand risque devoir la direction des luttes lui échapper. Il le pourrait d'autant plus qu'en dépit de la crise, la situation économique de la bourgeoisie française n'est pas si mauvaise que cela, et qu'elle pourrait éventuellement céder à des revendications économiques de la classe ouvrière, sans que cela soit dramatique pour elle.
Cette nouvelle politique du PCF et de la CGT pose des problèmes nouveaux aux militants révolutionnaires. Précisément parce que l'appareil stalinien précède la combativité ouvrière plus qu'il ne la suit, la lutte pour amener les travailleurs à prendre en mains leur propre sort, pour faire élire des comités de grève qui soient la direction réelle des luttes, se pose en termes encore plus difficiles que dans la période précédente. D'autant que si le PCF et la CGT poussent à la lutte, ils le font en veillant à ce que la direction de celles-ci ne leur échappe pas.
Mais les révolutionnaires peuvent d'autant moins renoncer à la lutte pour mettre en place des comités de grève élus, que le but de l'appareil stalinien est d'utiliser la combativité ouvrière à son profit. Le rôle des révolutionnaires est donc de faire en sorte que dans les conflits qui viennent, non seulement la classe ouvrière y trouve son compte sur le plan revendicatif, mais encore de faire vivre au maximum de travailleurs l'expérience de luttes démocratiquement dirigées et ainsi d'élever leur niveau de conscience et de préparer les luttes futures.
Le mouvement trotskyste
Nous avons toujours insisté sur la nécessité d'agir à l'égard du mouvement trotskyste comme une tendance séparée d'un même futur parti, à l'échelle nationale comme à l'échelle internationale, même si aucune unification organisationnelle n'est envisageable dans un délai prévisible.
C'est cette démarche qui détermine notre attitude à l'égard du mouvement trotskyste en général, et plus particulièrement nos rapports actuels avec le Secrétariat Unifié, ainsi qu'avec sa section française ; la LCR.
Si de tels rapports n'existent pas aujourd'hui avec le PCI, c'est du fait de cette organisation qui a choisi d'adopter une attitude sectaire qui ne permet pas de relations organisationnelles et qui rend extrêmement difficiles les relations politiques. Il en va de même sur le plan international, où par ailleurs le courant constitué par et autour du PCI n'a pas la même importance que le SU.
Nos relations avec la LCR et le SU n'ont pas connu de changement qualitatif déterminant durant l'année écoulée, mais le simple fait qu'elles se soient perpétuées en s'approfondissant constitue en soi un élément positif. Elles ont permis de consolider les liens qui se sont noués entre les militants de nos deux organisations et de faire en sorte que, de part et d'autre, nous ayons une meilleure compréhension de ce que nous avons en commun : une même référence au trotskysme, et de ce qui nous sépare dans la mise en couvre de cette référence commune.
Au plan national, cela s'est traduit par des rencontres régulières entre les directions de la LCR et de LO, mais aussi, et ce n'est pas le moins important, par des réunions à la base qui doivent permettre la confrontation de nos politiques et de nos méthodes de travail, non plus seulement dans le cadre de débats généraux - dont il ne s'agit pas pour nous de nier l'intérêt et que nous désirons poursuivre - mais dans le cadre concret de nos pratiques au jour le jour.
Nous souhaitons que de telles rencontres se continuent et se multiplient, même si dans la plupart des cas, nous ne pensons pas qu'elles puissent déboucher sur des interventions communes, en particulier en ce qui concerne l'intervention dans les entreprises. Car c'est à ce niveau que nos divergences sont, sinon les plus profondes, du moins celles qui justifient le plus des apparitions séparées, tant que nos politiques ne seront pas réellement communes.
Même au niveau propagandiste nous n'avons pas les mêmes pratiques. Ainsi par exemple nous n'avons pas la même conception du rôle et de l'importance des bulletins d'entreprises, ce qui se traduit par des divergences sur leurs objectifs, sur leur contenu, sur la façon d'y associer des travailleurs.
De même, si LO et la LCR sont d'accord sur la nécessité de militer au sein des syndicats, nous n'avons pas la même conception de ce travail. La LCR y privilégie une activité qui vise à la constitution de tendances. Cette orientation se traduit de fait par la priorité accordée au travail au sein de la CFDT - seule centrale où la constitution de telles tendances est encore possible. Ce choix se fait au détriment de l'activité en direction de la classe ouvrière dans son ensemble, et en particulier des travailleurs inorganisés.
Cette divergence recoupe celle, plus fondamentale, qui concerne le rôle des révolutionnaires dans la direction des luttes de la classe ouvrière.
Alors que nous militons et que nous agissons pour que les travailleurs prennent le plus directement possible en charge la direction de leurs luttes, en constituant dans chaque mouvement des comités de grève élus, la LCR, tout en reconnaissant l'utilité de « l'auto-organisation des travailleurs », en limite par avance la portée en subordonnant la création de ces comités de grève à l'adhésion des syndicats. La référence de la LCR à « l'auto-organisation » des luttes prend dès lors, de fait, dans la plupart des luttes, un caractère formel, non essentiel qui réserve ce type d'apparition à des cas aussi exceptionnels que limités.
Toutes ces divergences, auxquelles il faut ajouter, aujourd'hui, celle circonstancielle qui concerne l'appréciation de la situation en France et de la tactique qui en découle aujourd'hui pour les militants révolutionnaires dans les entreprises, font qu'il est difficile d'envisager des interventions communes dans les entreprises.
Dans ce contexte, même la publication de tracts communs dans une entreprise sur un sujet propagandiste où nous pouvons nous trouver d'accord n'a pas grand sens, et peut même être nuisible, si nous ne sommes pas certains de pouvoir agir en commun lors des luttes, même et surtout s'il s'agit de luttes limitées.
Notre rapprochement actuel doit être mis à profit pour tenter de résoudre ce handicap et arriver à rapprocher les camarades de la LCR de notre point de vue et de notre pratique d'intervention dans la classe ouvrière.
Mais dans l'immédiat cela n'interdit pas à nos organisations d'apparaître politiquement côte à côte.
Durant l'année écoulée, nous avons été invités à titre d'observateurs à une réunion des BP européens du SU. Les camarades du SU ont proposé par ailleurs d'avoir des rencontres bilatérales avec les sections du SU, plus spécialement les sections européennes pour des raisons de proximité. Nous sommes favorables à de telles rencontres qui s'inscrivent dans la perspective d'accroître nos relations avec le SU, dans la mesure où ces relations sont possibles sans impliquer une unification préalable avec la LCR.