La situation internationale01/12/19831983Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1983/12/107.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

La situation internationale

La crise

Malgré des signes de reprise aux États-Unis, la situation économique demeure catastrophique à l'échelle du monde. Le nombre de chômeurs continue globalement à s'accroître, les investissements productifs restent au plus bas et, malgré les politiques d'austérité et de restrictions monétaires dans les pays impérialistes, malgré les mesures draconiennes prises à l'encontre des pays sous-développés les plus endettés, la menace d'un krach financier mondial demeure entière.

La crise de l'économie capitaliste qui s'est manifestée successivement ou simultanément sous la forme de crise monétaire, pétrolière, industrielle, commerciale en attendant d'être financière, est entrée à partir de 1979, dans une phase de franc recul de la production, la deuxième en dix ans après celle de 1974-1975. Sur l'ensemble de l'année 1982, la production industrielle a baissé dans tous les grands pays impérialistes, sans parler des autres. Le nombre de chômeurs officiellement recensés dans les pays impérialistes est passé de 25 millions en 1981 à 30 millions en 1982 et malgré un recul du chômage aux États-Unis, les estimations tournent autour de 35 millions de chômeurs pour 1983. Le volume du commerce mondial a reculé en 1982 de 2,5 %, tant en raison de la stagnation des marchés nationaux eux-mêmes qu'en raison d'un protectionnisme croissant.

Au premier semestre de 1983, des signes de reprise se sont cependant manifestés aux États-Unis. La production industrielle a augmenté de 4,5 %, le nombre de chômeurs lui-même a reculé, et le produit national brut, qui avait reculé de 1,7 % en 1982, pourrait augmenter de 3 % en 1983.

Mais en même temps, en France, l'INSEE s'attend à une baisse de la production industrielle de 2 à 3 % sur l'ensemble de l'année 1983, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, la production industrielle est restée stagnante, en Italie elle a reculé, et si l'Allemagne - seule de son espèce en Europe - annonce une progression de sa production industrielle, le chômage y a atteint le premier semestre 1983 un taux record.

Le Japon, le seul à avoir traversé 1982 sans trop de dommage, a vu sa production manufacturière baisser au premier trimestre. c'est donc à la reprise américaine que les augures optimistes accrochent l'espoir sinon de la fin de la crise économique, du moins la fin du net recul de la production.

Aux États-Unis même, les signes de reprise se limitent à certains secteurs, en particulier à ceux qui attirent des capitaux en quête de placement véritable bon de la construction résidentielle par exemple- mais la reprise ne concerne pas le secteur des biens d'équipement. L'accroissement de la production est assuré par un taux d'utilisation un peu plus élevé des capacités de production, très largement sous-employées depuis le début de la crise. Rien n'indique pour l'instant que les capitalistes américains eux-mêmes soient assez confiants dans l'avenir de leur système pour recommencer à accroître leurs investissements productifs.

Il n'est pas du tout certain donc que la reprise économique aux États-Unis soit durable et à plus forte raison, qu'elle entraîne le reste de l'économie mondiale. Pour le moment, elle semble être surtout un sous-produit de la crise mondiale et de la crainte d'une crise financière. Les masses de capitaux flottants qui, à défaut d'être investis dans la production, alimentent depuis des années les circuits financiers internationaux et la spéculation sont de plus en plus attirées vers les États-Unis, la plus grande puissance capitaliste du monde, qui apparaît aux yeux des possédants comme un refuge relatif dans un monde d'incertitude.

Cet afflux de dollars européens et latino-américains qui se placent sur le marché financier américain, dans les emprunts d'État, dans les placements immobiliers, dans les achats d'actions ou obligations des sociétés US, contribue sans doute à relancer les affaires aux États-Unis. Mais parla même occasion, il prive de capitaux le restant du monde, y compris les puissances impérialistes de seconde zone, dont les possédants préfèrent le profit plus élevé et plus assuré du marché financier américain à un espoir aléatoire de profit industriel dans leur propre pays.

L'afflux des capitaux vers les États-Unis, cause principale en même temps que, dans une certaine mesure, conséquence du renforcement du dollar par rapport aux autres monnaies, accroît évidemment les revenus de la plus puissante nation capitaliste du monde. Mais la hausse du dollar rend en même temps les marchandises américaines moins compétitives sur le marché mondial. Il est significatif que la principale puissance impérialiste du monde compte plus, pour se tirer d'affaire, sur son rôle de gardien du coffre-fort du monde capitaliste, sur ses revenus financiers et éventuellement usuriers, que sur le développement de ses capacités productives.

Si les États-Unis veulent tirer un maximum d'avantages d'un dollar fort, malgré les récriminations des puissances impérialistes de seconde zone, il est cependant peu probable qu'ils veuillent en assumer les inconvénients. Les nations capitalistes européennes, japonaise, etc, qui se plaignent de la fuite de leurs capitaux vers les marchés financiers américains mais qui espèrent au moins profiter de la relance des affaires aux États-Unis en développant leurs exportations de marchandises vers ce pays, devront très certainement déchanter. Les pressions en faveur de mesures protectionnistes sont de plus en plus puissantes du côté des capitalistes américains. Sans même prendre d'ailleurs des mesures juridiques de protection l'impérialisme américain est de taille à imposer à ses concurrents et rivaux de limiter eux-mêmes leurs exportations, comme ils l'ont déjà fait dans le passé.

L'accroissement ouvert ou déguisé du protectionnisme des dernières années était pour l'essentiel le fait des puissances impérialistes à l'égard de la production de pays sous-développés ou de l'Est (textile, etc). Les brigands impérialistes eux-mêmes, de connivence face aux pays sous-développés, devront à leur tour subir de plus en plus la loi du plus fort d'entre eux. Si la liberté du commerce international est une nécessité vitale pour l'économie capitaliste, étant donné l'interdépendance des économies nationales dans le déroulement même de la production, cette « liberté du commerce » prend de plus en plus la forme d'une juxtaposition d'accords, reflétant des rapports de forces, entre nations capitalistes, entre grandes sociétés multinationales. Après avoir connu pendant longtemps un taux d'accroissement plus fort que la production elle-même, le commerce international a en tous les cas cessé d'être le moteur, de la croissance économique.

L'endettement considérable de l'économie, l'incapacité d'un nombre croissant d'États de pays sous-développés à payer les intérêts de leurs dettes, les faillites d'entreprises endettées, et, en conséquence de tout cela, la menace d'un effondrement de l'ensemble du système bancaire, sont depuis deux ans, au centre des préoccupations du monde capitaliste.

L'endettement catastrophique d'aujourd'hui est la contrepartie de la reprise artificielle qui a suivi la première chute de la production des années 19741975. La baisse du taux de profit dans l'industrie et dans l'activité productive, avait alors incité les possédants à détourner une part croissante de leurs capitaux de la production vers les circuits financiers quand ce n'était pas vers la simple spéculation monétaire. Le système bancaire avait transformé d'abord les fameux « pétro-dollars », puis une part croissante des capitaux des grandes entreprises elles-mêmes, en crédit facile pour l'emprunteur et surtout en prêts lucratifs pour le prêteur.

Le grand capital en cessant de plus en plus d'être productif pour devenir financier voire usurier, inondait le marché international des capitaux, alimentait l'inflation mondiale, et ses déplacements spéculatifs, entraînant des changements de taux de change entre monnaies, avaient fini par démolir ce qui restait de stabilité au système monétaire international.

La production elle-même avait cependant reçu un coup de fouet provisoire en ouvrant, grâce aux crédits consentis, de nouveaux débouchés dans les pays sous-développés et dans les pays de l'Est, devant quelques sociétés exportatrices. La politique de crédit facile avait permis d'étendre un peu plus la machinerie productive capitaliste occidentale aux zones de la planète où la force de travail est sous-payée. Mais cette croissance n'a pas créé en contrepartie de nouveaux marchés de consommation de masse. La pseudo-industrialisation d'une ou deux dizaines de pays du Tiers-Monde n'a été qu'une vaste entreprise de sous-traitance occidentale. Les filiales des firmes occidentales, les usines « clé en main », les chaînes de montage, les unités de sous-traitance électroniques, les grands travaux d'utilité discutable ont essaimé, de façon disparate, en Amérique Latine, en Asie, au Moyen-Orient ou en Afrique, alors que les populations des mêmes continents se sont globalement appauvries. Cette prétendue croissance économique de certains pays pauvres, entièrement tournée vers l'exportation, a sans doute créé un débouché provisoire pour les industries occidentales de biens d'équipement en un moment où, justement, en Occident même, les capitalistes n'avaient nullement tendance à investir dans les biens d'équipement. Mais cela a encore aggravé, à l'échelle de la planète, la contradiction entre l'extension des capacités productives et le caractère limité de la consommation solvable ; alors même que c'est précisément cette contradiction qui est la raison fondamentale de la crise de l'économie capitaliste.

Le répit relatif dans la crise qu'a connu le monde capitaliste occidental entre 1975 et 1980 a été payé, en dernier ressort, par les pays pauvres et, dans une moindre mesure, les pays de l'Est.

Les pays pauvres payent triplement : par une exploitation plus large de leurs classes laborieuses dans les entreprises de sous-traitance occidentale ; par l'effondrement des prix des matières premières qu'ils produisent et qui sont tombés au plus bas depuis la Deuxième Guerre mondiale (le prix moyen des prix des matières premières alimentaires, café, cacao, sucre, etc., a chuté de 30 % au cours des deux dernières années !) ; et enfin, par les intérêts, colossaux par rapport à leurs recettes, qu'ils doivent verser aux banquiers occidentaux, intérêts qui de surcroît s'accroissent avec la hausse du dollar.

Pressurés, appauvris, les pays sous-développés sont cependant de moins en moins capables d'honorer les notes de plus en plus lourdes présentées par les banquiers occidentaux.

Le système bancaire avait réalisé de confortables bénéfices sur le dos des pays pauvres à l'époque où les annuités rentraient sans accroc. II en réalise encore y compris sur le dos des débiteurs en difficultés, car les banquiers font payer cher le rééchelonnement du paiement des intérêts et des dettes.

Confrontés cependant à la menace que certaines de leurs créances ne puissent plus être honorées, les banquiers crient aujourd'hui au risque d'une banqueroute généralisée, si on ne les aide pas à recouvrer leurs créances. Chantage que les responsables du monde impérialiste prennent d'autant plus en considération que le risque de banqueroute est réel. Une série de banques américaines, petites et moyennes, ont fait faillite l'an passé suite à des créances perdues en Amérique Latine. Plusieurs banques allemandes, parmi les plus grandes, ont été mises en difficulté par les retards de paiement de pays de l'Est.

L'économie capitaliste en crise n'offre cependant que deux méthodes pour garantir les créances des banquiers : d'une part rétrocéder les créances douteuses aux États des pays impérialistes ou à des organismes contrôlés et financés par les États ; d'autre part, imposer aux pays pauvres des mesures d'austérité draconiennes, afin que leurs dirigeants puissent honorer les engagements qu'ils ont contractés auprès du système bancaire international. Sauver les profits des banquiers, consolider le système bancaire et éviter la banqueroute généralisée implique donc d'un côté que l'on impose davantage les classes laborieuses des pays riches, afin de financer le rachat des créances des banquiers, d'un autre côté que l'on aggrave encore les conditions d'exploitation déjà intolérables des masses pauvres des pays sous-développés. Suite a deux vagues de panique en 1982 et 1983 déclenchées par l'incapacité de payer de plusieurs grands débiteurs du Tiers-Monde, les usuriers capitalistes ont entrepris à la fois les deux.

Une bonne partie des prêts accordés par le système bancaire sont déjà des prêts garantis par un ou plusieurs États impérialistes. En cas de défaillance des débiteurs, ce sont déjà les contribuables de ces États qui paieront. Mais le Fonds Monétaire International intervient de plus en plus en guise d'huissier commandité par l'ensemble des banquiers, en même temps d'ailleurs qu'usurier de dernier recours. Pour pouvoir prêter aux États endettés, afin que ceux-ci puissent rembourser leurs dettes auprès des banquiers privés, le FMI vient d'augmenter de près de 50 % la quote-part des États membres. « Pour aider les pays endettés » affirme le cynisme officiel, en réalité pour reprendre les risques des banquiers privés, maintenant qu'ils ont encaissé les bénéfices.

Réduire la consommation intérieure, celle des masses populaires, des pays pauvres, afin qu'une part plus grande des recettes d'exportation puisse être consacrée à verser des intérêts aux banquiers, voilà la mission des huissiers du FMI. Pour payer, les États compressent leurs importations, abaissent les salaires, diminuent et suppriment les subventions aux produits alimentaires, subventions sans lesquelles même les produits alimentaires de base (pain, riz) deviennent hors de prix pour les couches les plus pauvres. Les intérêts continuent à rentrer, mais au prix de la paralysie croissante de l'économie locale, de la famine de la population pauvre et au bout du compte, de l'aggravation de la crise elle-même.

Les usuriers du système bancaire ont déjà cédé la place aux huissiers du FMI. Mais les huissiers eux-mêmes ne suffisent plus. Les troupes US à Grenade et au Liban ou les troupes françaises au Tchad sont là pour rappeler aux masses pauvres des pays pauvres que derrière l'huissier, il y a le gendarme pour assurer les encaissements au profit des capitalistes d'Occident. L'exploitation accrue des masses laborieuses des pays pauvres est une nécessité impérieuse pour le grand capital impérialiste. C'est dans la volonté d'en assurer le déroulement au besoin par la force armée, que réside à l'heure actuelle le principal danger d'un enchaînement guerrier susceptible de déboucher sur une nouvelle guerre mondiale.

La solidarité entre usuriers impérialistes face aux pays pauvres qui a permis de repousser une première fois la menace d'une banqueroute du système bancaire ne résistera cependant pas nécessairement à de nouvelles menaces de faillite, cette fois à l'intérieur des pays impérialistes eux-mêmes.

L'endettement des États du Tiers-Monde ne représente qu'une faible part de l'endettement général. Un nombre croissant de grands trusts de pays riches, dont les emprunts pendant la période faste du crédit avaient alimenté les circuits spéculatifs, sont aujourd'hui en état de cessation de paiement. Ils survivent grâce à l'appui de leurs États. Mais les États des pays occidentaux sont eux-mêmes endettés jusqu'au cou. La seule dette extérieure d'un État comme l'État belge est passé de 8 % de son produit national brut en 1980 à 24 % en 1982. Le Danemark, l'Italie sans parler du Portugal et de l'Espagne, doivent déjà exécuter les consignes d'austérité du FMI, comme n'importe quel pays sous-développé. Les Pays-Bas sont dans une situation critique. Et même l'État français, à l'heure actuelle deuxième emprunteur mondial, commence à s'en rapprocher. Son endettement extérieur a doublé en deux ans, sans compter l'endettement considérable de l'EDF, de la SNCF ou d'autres entreprises nationalisées. La question du rééchelonnement de cette dette commence à se poser. Les États impérialistes eux-mêmes sont menacés de banqueroute.

Même en cas de redémarrage de l'activité économique l'endettement sera difficile à résorber.

Mais les politiques d'austérité, destinées à mettre à la disposition des classes possédantes une part plus grande des revenus nationaux au détriment de la classe ouvrière, réduisent en même temps la capacité de consommation des classes populaires, et donc le marché des biens de consommation. Par ailleurs, le refus persistant des capitalistes à investir dans la production, - refus encouragé encore par le niveau élevé des taux d'intérêts américains qui rend cher le crédit pour ceux qui voudraient emprunter et incite encore plus ceux qui ont de l'argent à le placer plutôt qu'à l'investir - continue à limiter le marché des biens d'équipement. C'est donc sans l'espoir d'une reprise rapide et généralisée que le monde capitaliste devra régler le problème de l'endettement.

Même si les bourgeoisies parvenaient à repousser encore le krach bancaire, donc l'effondrement économique brutal, la part de la classe ouvrière dans une économie stagnante continuera à aller en diminuant.

L'euphorie financière et spéculative de la fin des années soixante-dix avait assuré à une partie de la classe capitaliste des bénéfices spéculatifs importants. Mais ces bénéfices ne sont pas créés par le système financier lui-même, ils sont prélevés sur la masse globale du profit réalisé dans la production par l'exploitation de la classe ouvrière. Puisque la classe possédante ne peut pas augmenter la masse globale du profit par l'extension du marché et de la production, il lui faut continuer à abaisser le prix de la force de travail.

Depuis plus de deux ans, toutes les bourgeoisies du monde, même les plus riches, ont sérieusement entamé la part non directement salariale du prix de la force de travail que sont les assurances sociales, les allocations familiales, les allocations chômage, la retraite, etc., ainsi que cette part de la force de travail qui est, dans une certaine mesure, socialisée dans la plupart des grands pays impérialistes comme l'éducation ou le système hospitalier.

Elles ont commencé à s'attaquer aux salaires eux-mêmes, par des blocages ou de franches réductions unilatéralement ou avec l'aide et la complicité des organisations réformistes de la classe ouvrière elle-même. Cette tendance n'aura pas d'autre limite que la capacité de résistance de la classe ouvrière.

Les rapports entre la bourgeoisie impérialiste et les classes laborieuses des pays pauvres apparaissent déjà ouvertement pour ce qu'ils sont en réalité, des rapports de force purs et simples. Derrière les mécanismes « économiques » de l'échange inégal, apparaissent les canonnières de l'US Navy et les Super Étendard de l'aviation française.

Le prolongement de la crise fera inévitablement apparaître les rapports entre cette même bourgeoisie impérialiste et le prolétariat des pays riches également comme des rapports de force. Pour maintenir l'exploitation dans des pays où le sort du prolétariat était tolérable, voire enviable en comparaison du sort des prolétaires des pays pauvres, il suffisait à la bourgeoisie d'endormir la classe ouvrière par l'intermédiaire des institutions parlementaires et des organisations réformistes. Pour aggraver l'exploitation, il faudra peut-être à la bourgeoisie briser la classe ouvrière. C'est également la condition pour que les bourgeoisies occidentales puissent entraîner, de gré ou de force, leurs travailleurs contre leurs frères de classe des pays pauvres, lorsque les bourgeoisies impérialistes estimeront que leurs « intérêts vitaux » sont menacés par la résistance des pays pauvres à leur étranglement.

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