La gauche dans le moule de la Vème République30/06/19811981Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1981/06/86.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

La gauche dans le moule de la Vème République

 

En un mois et demi, la situation politique en France a changé du tout au tout. Election de Mitterrand à la Présidence de la République, constitution d'un gouvernement socialiste, élection d'une Chambre des députés à majorité absolue socialiste, et enfin, entrée des communistes dans le gouvernement : telles sont les étapes qui, en quelques semaines, ont conduit, presque au pas de charge, d'un bien classique gouvernement de droite appuyé sur une majorité de droite, à ce phénomène rare et même unique dans les pays capitalistes occidentaux, un gouvernement de gauche à participation communiste.

 

Du seul choix de Mitterrand

 

Le plus remarquable de cette nouvelle situation politique c'est que l'entrée de membres du Parti Communiste au gouvernement a dépendu de la seule volonté et du seul choix de Mitterrand. Elle ne lui était en rien imposée ni par la situation politique, ni par la situation sociale. Après deux défaites électorales successives du Parti Communiste, ni Mitterrand sur le plan politique général, ni le gouvernement Mauroy sur le plan parlementaire n'avaient besoin de l'appui du Parti Communiste.

Déjà la Constitution de la Cinquième République remet au seul président le soin de désigner ou de renvoyer le gouvernement. Le Parlement n'intervient pas dans le choix. Il n'a au mieux que la possibilité de renvoyer le gouvernement si une majorité absolue des députés vote une motion de censure. Cela exige que l'opposition ait non seulement la majorité absolue des députés, mais qu'elle soit unie. On peut donc fort bien imaginer un gouvernement appuyé seulement par une minorité de l'Assemblée nationale. Même un Parti Socialiste minoritaire par exemple, aurait pu suffire si le gouvernement n'avait pas eu affaire à une mais à deux oppositions, droite d'un côté, Parti Communiste de l'autre, incapables de s'unir sur une motion de censure commune.

Mais bien plus, les scrutins du 14 et 21 juin ont donné la majorité absolue de l'Assemblée nationale au Parti Socialiste. Le gouvernement socialiste de Mauroy n'avait donc besoin ni de l'appui du Parti Communiste, ni de personne d'autre. Même une conjonction, improbable de toute manière, de la droite et du PCF ne pourrait pas faire passer une motion de censure.

Mitterrand n'était pas davantage poussé à faire appel au Parti Communiste par la situation politique ou sociale dans le pays. Même après les victoires électorales de la gauche, il n'y avait nulle pression d'une partie de l'opinion pour imposer des ministres communistes. Tout au plus la grosse majorité de l'électorat de gauche considère cette participation des communistes au gouvernement comme normale. Mais il n'a pas montré le moindre souci de l'imposer. Il a été sollicité de voter pour Marchais aux élections présidentielles, puis pour les candidats du PCF aux élections législatives, afin d'imposer justement lui a-t-on dit, des ministres communistes. Par deux fois, le quart des électeurs communistes habituels a été, au contraire, voter pour Mitterrand ou les candidats socialistes.

Et, de toute évidence, il n'y a pas davantage d'agitation sociale qui aurait incité à faire appel au Parti Communiste comme un moyen de la calmer ou de la prévenir. C'est au contraire « l'état de grâce » invoqué et prévu par Mitterrand dès avant son élection. Non seulement les électeurs lui ont apporté en masse leurs votes, mais aujourd'hui la classe ouvrière comme l'ensemble des classes populaires manifeste sa confiance à Mitterrand et sa volonté d'attendre sans impatience. Personne ne peut prévoir évidemment l'avenir, ni d'éventuels mouvements sociaux, mais en tout cas, il n'y a pas l'ombre d'une menace aujourd'hui.

 

L'occasion inespérée

 

Quelles peuvent donc être les raisons d'un choix de la part de Mitterrand, choix que dans les numéros précédents de Lutte de Classe nous considérions comme hautement improbable ?

Paradoxalement ce choix a été facilité sans doute par le fait que rien n'obligeait Mitterrand à le faire.

Le PCF, comme tous les Partis Communistes des pays capitalistes occidentaux liés à la bureaucratie russe, est aussi réformiste et pas plus révolutionnaire que les partis sociaux-démocrates. Pourtant deux choses l'empêchent d'être aux yeux de la bourgeoisie, un parti réformiste comme un autre, c'est-à-dire un parti bourgeois ayant une base électorale ouvrière mais admis comme les autres partis bourgeois à participer au jeu politique et à postuler comme eux au gouvernement et au pouvoir. Il s'agit de ses liens avec Moscou d'une part, de sa trop grande sensibilité aux pressions venues de sa base ouvrière d'autre part. Cela fait que la bourgeoisie ne peut pas être entièrement sûre que sur les questions d'importance, internationales ou intérieures, il n'ira pas au-delà des limites qu'elle juge compatible avec ses intérêts.

Telle est la contradiction de ces partis communistes comme le PCF. Ils ne peuvent couper totalement leurs liens avec Moscou, ils ne peuvent prendre le risque de s'opposer ouvertement et résolument à leur base ouvrière, que si la bourgeoisie leur garantit une place à l'égal de n'importe quel autre parti bourgeois. Mais la bourgeoisie n'est prête à les admettre à cette place que si elle est, elle, certaine que leurs liens avec Moscou ne comptent plus et qu'ils sauront quand il faudra s'opposer à leur base ouvrière. Cette intégration complète du PCF dans la société bourgeoise serait bien entendu de l'intérêt de la bourgeoisie qui ne peut souhaiter la conservation d'un corps semi-étranger comme un parti communiste lié à la bureaucratie russe. Mais elle n'entend sans doute pas prendre de risque.

Comment faire le pas décisif qui permettra de sortir de cette contradiction ? Et surtout qui le fera ? Comment terminer l'évolution, commencée il y a des dizaines d'années, et qui conduit le PCF d'un parti révolutionnaire à un parti bourgeois réformiste classique ?

En 1972, avec la signature du Programme commun de gouvernement avec le PCF, Mitterrand et le nouveau Parti Socialiste se proposaient de débloquer la situation. En se proposant ouvertement de gouverner avec le PCF, Mitterrand se donnait pour but de démontrer que le Parti Communiste pouvait enfin être intégré dans le jeu normal des partis bourgeois et qu'il saurait y tenir sa place. C'était de la part de Mitterrand un pari.

Pari d'abord que le PCF était bien prêt à jouer le jeu et à démontrer que si on lui faisait cette place, il saurait la tenir. Mais ce pari-là ne demandait somme toute qu'un peu de réflexion sur la nature, l'histoire et toute l'évolution du PCF.

Pari aussi que la bourgeoisie française, et l'impérialisme américain au-dessus d'elle, étaient alors prêts à tolérer l'expérience que leur proposaient les socialistes français et à juger sur pièce. Ce pari-là était sans doute basé sur le fait que depuis les années soixante, on allait dans le sens d'une détente internationale entre l'impérialisme et le camp russe. Dans ce cadre, les risques encourus par le passage du Parti Communiste au gouvernement étaient négligeables.

Ajoutons que cette politique de réintégration du PCF dans le jeu normal des institutions et de la politique bourgeoise était de plus nécessaire au Parti, Socialiste français s'il voulait lui-même revenir un jour au gouvernement. L'état de la gauche française, divisée entre deux partis sensiblement de même importance, interdisait au seul Parti Socialiste l'espoir de gagner tout seul les élections à la fois contre la droite et le PCF. C'est sans doute la considération qui a amené Mitterrand à proposer cette politique.

Il n'empêche que le parti que faisait Mitterrand était d'autant plus osé que dans les circonstances d'alors les partis socialiste et communiste avaient un poids électoral sensiblement égal. Le Parti Socialiste était même au départ moins important que le Parti Communiste. La victoire de l'Union de la gauche aurait alors signifié l'arrivée au gouvernement d'une coalition dans laquelle le poids du Parti Communiste aurait été très important, décisif même.

Mitterrand se disait prêt à tenter le coup et à prendre le risque. La bourgeoisie aurait-elle laissé faire ? Aurait-elle admis l'expérience que lui proposait Mitterrand ? Ni aux élections législatives de 1973, ni aux élections présidentielles de 1974, ni aux élections législatives de 1978 la gauche n'a remporté la victoire électorale qui l'aurait mise en situation de prendre le gouvernement, et Mitterrand dans celle d'entamer son expérience avec le Parti Communiste. Nous ne saurons donc pas si comme Mitterrand semblait le penser, la bourgeoisie française, comme l'impérialisme, étaient vraiment prêts alors à tenter cette expérience ou s'ils s'y seraient opposés de toutes leurs forces.

On ne peut même pas savoir si Mitterrand une fois élu aurait alors respecté le contrat et gouverné avec le PCF. Son attitude d'aujourd'hui tendrait à démontrer que oui. Par contre l'attitude du PCF rompant l'union en 1977 tend à montrer qu'en tout cas le PCF lui-même n'était pas sûr que Mitterrand respecterait le pacte si le PCF n'avait lui-même les moyens de le contraindre.

Aujourd'hui l'expérience se fait dans des circonstances complètement différentes. Le PCF n'est en rien indispensable à Mitterrand ni au Parti Socialiste pour gouverner. Il ne compte pas. Mitterrand pourrait renvoyer ses ministres comme il les a pris, du jour au lendemain.

Et c'est bien cela qui rend beaucoup plus facile de tenter l'expérience. Puisqu'elle peut être arrêtée quand Mitterrand le voudra sans que le PCF n'ait rien à dire ni ne puisse rien tenter. Puisque le PCF n'aura sur le gouvernement et la politique de Mitterrand que le poids que celui-ci voudra bien lui laisser, l'expérience est aujourd'hui sans danger et sans risque.

Car le seul risque si l'on peut dire, que prend Mitterrand, c'est que le PCF démontre effectivement qu'il est bien un parti capable de gouverner dans l'intérêt des classes possédantes, que c'est celui-ci qu'il sait choisir contre celui de l'URSS ou contre les pressions venues de sa base ouvrière.

C'est donc là presque une expérience en laboratoire comme il est rarement donné d'en faire dans l'histoire et comme la bourgeoisie elle-même ne la rêvait sans doute pas.

Il reste maintenant à savoir si l'expérience sera concluante, si le PCF va se saisir de cette opportunité pour démontrer définitivement à la bourgeoisie qu'il est bien un parti comme un autre aussi digne de confiance pour elle que les sociaux-démocrates. Cela ne pourra se faire sans doute que si l'occasion se présente pour lui d'avoir à choisir entre les intérêts de l'URSS et ceux de la bourgeoisie française, ou encore s'il a l'occasion de montrer qu'il est prêt à prendre le risque de s'opposer aux pressions et aux mouvements de la classe ouvrière jusqu'à sacrifier son audience auprès de celle-ci.

Mais déjà les concessions que le PCF a faites, sur le papier à propos de l'Afghanistan ou de la Pologne, ou encore la promesse de respecter la solidarité gouvernementale y compris dans les entreprises, montrent bien que le PCF est prêt à choisir définitivement le camp de la bourgeoisie si celle-ci lui montre qu'elle est prête à l'y admettre.

Grâce à une situation extraordinaire, et il faut le dire imprévue, Mitterrand vient peut-être de gagner le pari qu'il avait fait il y a dix ans : celui d'être l'homme d'État qui réintégrerait complètement dans la société bourgeoise le corps étranger que demeurait jusque-là, malgré tout, le Parti Communiste Français.

 

Un cadeau empoisonné

 

Bien sûr, ce vaste projet coïncide aussi avec des visées plus tactiques et immédiates qui ont sans doute compté elles aussi dans la décision de Mitterrand.

En choisissant de n'avoir pas d'opposition sur sa gauche - autre que celle des petits groupes d'extrême-gauche que de toute manière il n'était pas en son pouvoir de réduire, mais qui ne lui apparaissent sans doute guère comme un danger dans les circonstances actuelles - , Mitterrand fait peut-être au PCF un cadeau empoisonné.

C'est un cadeau car, à un moment où le PCF aurait pu être rejeté dans le ghetto, défait électoralement, déchiré peut-être même par des discussions sur une tactique qui semblait avoir conduit à la catastrophe, il en fait un parti gouvernemental. Il lui permet aussi de compter dans la vie politique du pays, de bénéficier du prestige et de toutes les retombées matérielles, postes et situations dans l'État et la société que signifie être au gouvernement. En ce sens Mitterrand s'expose aux critiques de la droite et de la bourgeoisie qui peuvent lui reprocher de ne pas avoir saisi la chance éventuelle de laminer le PCF. Après tout, l'éliminer du rang des partis qui comptent dans la vie politique serait une autre façon de résoudre le problème posé par le PCF à la société bourgeoise française. Savoir si cela est vraiment possible est évidemment une autre affaire.

Mais c'est un cadeau empoisonné en ce sens qu'en le liant aujourd'hui à un gouvernement socialiste, après avoir préalablement réduit considérablement son influence électorale, c'est peut-être aussi une manière sinon de la réduire encore, du moins de la geler à son niveau actuel.

Si le PCF et le PS apparaissent avoir exactement la même politique - et comment pourraient-ils apparaître autrement quand ils partagent les responsabilités gouvernementales ? - il y a moins de raisons pour que l'électorat qui s'est porté aujourd'hui sur le PS se tourne, ou retourne, demain, vers le PC. Que la politique du gouvernement de gauche conserve la faveur de l'électorat ou la perde, il y a toutes les raisons alors pour que ces mouvements atteignent également et le PS et le PC, et non pas l'un par rapport à l'autre. Ramener le PCF à une position inférieure par rapport au PS, c'était aussi, fait-il le rappeler, le but de Mitterrand en même temps qu'il se proposait de réintégrer le PCF dans la société politique bourgeoise française. Plus exactement sans doute Mitterrand savait dès le début que cela n'était possible que si le PCF apparaissait subordonné au PS. Dès 1973, au congrès de l'Internationale socialiste à Vienne, devant donc tous les politiciens sociaux-démocrates des pays capitalistes, il déclarait : « Notre objectif fondamental, c'est de refaire un grand parti socialiste sur le terrain occupé par le PCF lui-même afin de faire la démonstration que sur les cinq millions d'électeurs communistes, trois millions peuvent voter socialiste » .

L'entrée des communistes au gouvernement c'est aujourd'hui une manière de poursuivre l'objectif, en partie déjà atteint, réduire l'importance du PCF. Objectif qui est indissolublement lié à celui plus vaste de le domestiquer définitivement, en le ramenant dans le giron de la bourgeoisie.

 

Un De Gaulle de gauche ?

 

L'entrée du PCF au gouvernement est bien symbolique de la situation politique créée par les dernières élections présidentielles et législatives. Elle ne dépendait que de la volonté et du choix de Mitterrand. Telle est aujourd'hui la place qu'il occupe.

Cette situation est certes celle que la Constitution tend à donner au président. Et elle a été voulue par les fondateurs de la Cinquième République, à commencer par De Gaulle lui-même.

Mais sa position, celle d'un De Gaulle de gauche, au-dessus des partis, y compris du sien propre, ne lui vient pas seulement aujourd'hui des pouvoirs que la Constitution confère au président de la République.

Elle vient de la manière dont il a été élu. Rassemblant d'abord sur son nom bien plus de voix que son propre parti n'en rassemblait jusque-là, enlevant une partie de celles qui allaient traditionnellement au PCF, forçant celui-ci, bon gré, mal gré, à l'appuyer, enlevant aussi une partie des voix de la droite, la victoire de Mitterrand est une victoire sur sa droite mais aussi sur sa gauche.

D'autre part c'est sa victoire à lui, Mitterrand, qui a permis la victoire du Parti Socialiste. Pas seulement parce qu'il a dépendu de lui, constitutionnellement, que le Parlement soit dissous. Mais parce que c'est en utilisant l'argument qu'il fallait donner à Mitterrand la majorité dont il avait besoin que le PS a pu acquérir la majorité absolue à la Chambre. Le fait même que les candidats du PS aux législatives aient obtenu davantage de voix que Mitterrand lui-même aux présidentielles, apparaît encore comme l'oeuvre de Mitterrand plus que du Parti Socialiste. Exactement comme les scores faits par le parti gaulliste UNR ou UDR, apparaissaient dûs à De Gaulle bien plus qu'au parti. Du coup cette majorité socialiste à l'Assemblée rend Mitterrand encore plus libre non seulement par rapport à toutes les autres forces politiques, mais même par rapport au Parti Socialiste lui-même. Car c'est le sort du Parti Socialiste qui dépend de Mitterrand bien davantage que le sort de celui-ci du Parti Socialiste.

Ainsi, c'est Mitterrand lui-même qui a imposé l'entrée au gouvernement des communistes alors que les socialistes pouvaient espérer un gouvernement purement socialiste. Delors, paraît-il, pouvait bien être réticent à l'entrée des communistes, comme Jobert pouvait bien exprimer publiquement le voe que les communistes soient d'abord testés en dehors du gouvernement. C'est Mitterrand qui décide. Et Delors comme Jobert restent sans broncher dans le nouveau gouvernement, aux côtés des nouveaux ministres communistes, tel que le veut Mitterrand. Les ministres n'ont d'importance politique que celle qu'il leur donne.

De même, les critiques exprimées par le gouvernement américain à l'encontre de la nomination des ministres communistes renforcent encore la position « bonapartiste » de Mitterrand. Certes, ces critiques sont bien mesurées. Elles prouvent entre autres que, contrairement à ce que nous avions envisagé dans les numéros précédents de Lutte de Classe, le gouvernement américain n'en est certes pas revenu à la période de la guerre froide. Il n'en est pas revenu au point de n'accepter en aucune circonstance la présence de ministres communistes dans les gouvernements des pays alliés occidentaux. Ces protestations sont, sans doute, plus destinées à la consommation intérieure, ou au plus à rappeler que ce que les États-Unis tolèrent pour la France dans les circonstances actuelles ne vaut pas forcément pour tous les pays dans n'importe quelle circonstance. Elles servent en tout cas aujourd'hui l'image de Mitterrand choisissant librement sa politique indépendamment des pressions de droite comme de gauche, intérieures comme extérieures.

De cette situation, Mitterrand va probablement jouer dans l'avenir. En tout cas, il est en position de le faire. Au gré des circonstances on pourra le voir s'appuyer à gauche pour résister à une pression de sa droite ou au contraire s'appuyer à droite pour faire échec à une pression venant sur sa gauche.

La composition du gouvernement telle qu'elle est actuellement n'est sans doute pas définitive. Au cours du septennat, elle peut s'étendre encore sur la droite, ou se restreindre sur la gauche, les ministres communistes disparaître à certains moments, leur nombre ou leurs attributions changer en fonction des circonstances ou des besoins. En fonction, par exemple, de la volonté de Mitterrand de faire faire au PCF le parcours de combattant, et de lui faire démontrer à la bourgeoisie qu'il est bien le parti docile, prêt à remplir toutes les tâches qu'on peut attendre de lui. De même d'ailleurs l'équilibre entre les différentes tendances du Parti Socialiste tel qu'il est réalisé aujourd'hui à l'intérieur du gouvernement peut se modifier. Au sein des rapports de force actuels, c'est Mitterrand qui est le maître du jeu et qui apparaît bien comme tel.

Ainsi, le remaniement imposé au gouvernement un mois après sa formation, n'avait pas seulement pour but d'y introduire des ministres communistes, ce que l'on n'avait pas voulu faire, pour des raisons de pure tactique électorale, avant les élections législatives. C'est aussi le symbole que Mitterrand se réserve de changer le gouvernement quand et aussi souvent qu'il lui plaira.

 

La gauche au gouvernement

 

Aujourd'hui la gauche toute entière partage les responsabilités gouvernementales. En choisissant d'y associer aussi le PCF, Mitterrand a supprimé pour le moment tout adversaire politique important sur la gauche du gouvernement.

Pour bien souligner d'ailleurs ce que la participation au gouvernement indique déjà clairement en elle-même, l'accord signé par le Parti Socialiste et le Parti Communiste les engage à soutenir l'action de Mitterrand, par leurs interventions à tous les niveaux : « Conscients des devoirs que leur dicte la situation, les deux partis se déclarent décidés à promouvoir la politique nouvelle qu'ont choisie les Françaises et les Français en élisant François Mitterrand à la présidence de la République. Ils le feront à l'Assemblée nationale, dans le cadre de la majorité qui vient de se constituer, ils le feront au gouvernement dans une solidarité sans faille, ils le feront dans les collectivités locales et régionales, dans les entreprises en respectant les fonctions propres des institutions et des partis » .

L'action du Parti Communiste comme celle du Parti Socialiste va donc viser pour l'essentiel à soutenir le gouvernement. Cela ne signifie pas qu'il va cesser toute critique contre la société ni n'avancer aucune revendication. Cela signifie qu'il proposera de résoudre les problèmes et d'obtenir les revendications en accord avec ce gouvernement, par les négociations. Cela signifie qu'il pèsera de tout son poids pour que rien d'important ne vienne mettre en cause la paix sociale.

Du coup le gouvernement est aussi assuré de l'appui de tous les syndicats ouvriers y compris de la CGT. Là non plus, cela ne veut pas dire que les syndicats vont cesser d'avancer des revendications, voire d'organiser des démonstrations soigneusement contrôlées, manifestations, grèves et débrayages limités pour appuyer ces revendications.

Ils le feront d'abord parce que, pour être utiles au gouvernement, pour pouvoir engager les travailleurs à accepter celui-ci, ils doivent continuer à jouer le rôle d'organisations représentatives et d'expression de la classe ouvrière.

Ils le feront aussi parce que la rivalité entre les grandes centrales syndicales continue, en particulier entre la GCT et la CFDT. Les premières déclarations de Georges Séguy ou de Henri Krasucki, tout en affirmant leur soutien au gouvernement, ont été pour le rappeler. Ainsi Georges Séguy devant la commission exécutive de la CGT, mercredi 24 juin : « je dirais même que, dans une certaine mesure, une telle situation est propice à la réapparition en force du réformisme et de l'esprit de collaboration de classe. Or, dans ces circonstances nous entendons certes être positifs, constructifs, aller de l'avant, mais y aller en fortifiant dans notre pays le syndicalisme de classe que nous sommes les seuls à pouvoir réellement, authentiquement représenter en France. C'est aussi à cela que nous pensons lorsque nous envisageons de quelle manière révolutionnaire doit s'exercer notre action syndicale dans les conditions actuelles » . Et Krasucki de prévenir devant la même commission exécutive : « nous recherchons les convergences avec la CFDT, comme avec les autres syndicats, mais nous ne voulons pas masquer les divergences. Nous préférons pour ces négociations un constat d'échec, plutôt qu'un accord au rabais ». Et la commission exécutive de conclure que « la mobilisation des travailleurs » reste « indispensable » , « qui doivent faire entendre leur voix dans les entreprises » .

Les déclarations d'André Bergeron et de la direction de Force Ouvrière s'élevant « solennellement » contre la présence des ministres communistes répondent au même souci. Force Ouvrière songe certainement moins à s'opposer au gouvernement - elle ne brillait déjà pas spécialement par son opposition aux gouvernements de droite - que de profiter de l'occasion pour tenter d'attirer tous ceux qu'inquiéterait la présence des communistes au gouvernement... ou tout simplement quelques nouveaux subsides des riches syndicats américains, voire d'une CIA toujours à la recherche de gens susceptibles de faire barrage aux communistes.

Les syndicats vont donc continuer à revendiquer et même à mobiliser les travailleurs dans quelques manifestations ou débrayages limités comme dans le passé. Mais encore plus que dans le passé, c'est par la négociation qu'ils proposeront fondamentalement de résoudre ces revendications. Et surtout ils mettront tout leur poids dans la balance, s'il est nécessaire, pour que les mouvements de la classe ouvrière ne dépassent pas certaines limites, c'est-à-dire ne mettent pas en cause la paix sociale.

L'atmosphère qui s'est créée après la victoire de Mitterrand facilite d'ailleurs pour l'instant la tâche des partis de gauche et des syndicats.

Satisfaite par la victoire de Mitterrand, la classe ouvrière comme les autres classes populaires, attend sans impatience. Elle ne manifeste même pas beaucoup d'appétit revendicatif, peut-être parce qu'elle a peu d'illusions dans ce qui pourrait être obtenu. Et les premiers gestes du septennat, augmenter le SMIC, volonté affichée de remettre en cause certaines lois ou institutions particulièrement anti-démocratiques, comme la loi Peyrefitte ou la Cour de Sûreté de l'État, tout comme l'admission des communistes au gouvernement renforcent l'impression que Mitterrand entend bien respecter les promesses qu'il avait pu faire et aller dans le sens de ce qu'attendent de lui le public de gauche et les classes populaires.

Il faut d'ailleurs s'attendre à ce que la gauche prenne quelques autres mesures qui vont dans le même sens. Le gouvernement se doit de tenter de donner quelques satisfactions et il peut prendre des mesures qui soit ne coûtent rien - ce qui ne veut pas dire qu'elles sont totalement négligeables - soit peuvent être payées par l'État et non par la bourgeoisie. Car c'est là sa limite : la gauche ne fera pas payer, d'une manière importante, les classes possédantes. Mais sans doute les négociations sur la réduction du temps de travail seront poussées plus avant, l'on procédera à un certain nombre de nationalisations ou encore l'âge de la retraite pourra être abaissé.

Ainsi Mitterrand paraît avoir une large marge de manoeuvre devant lui. Celle-ci lui est donnée tant par sa position au dessus des partis, que par l'appui des partis de gauche et des grandes centrales syndicales que par les sentiments favorables des couches populaires.

Les limites bien sûr sont constituées par le fait que Mitterrand ne veut pas et ne peut pas s'attaquer et ne s'attaquera pas à la société et au régime capitalistes ni aux intérêts fondamentaux des riches, des patrons, de la bourgeoisie. Et ainsi, dans une période de crise, rien ne fera que celle-ci ne soit pas finalement payée par les couches populaires, par l'inflation et le chômage par exemple.

Mais quand se heurtera-t-il à ces limites ? Dans combien de temps la classe ouvrière et les couches populaires les découvriront-elles, quand le désenchantement commencera-t-il à se faire jour ? Nul ne peut aujourd'hui le prédire.

 

Et les révolutionnaires ?

 

Le courant révolutionnaire est donc aujourd'hui à contre-courant. Sans doute le restera-t-il un certain temps.

Pourtant d'un autre côté il est maintenant à gauche, la seule opposition au gouvernement. C'est là une situation qui place l'extrême-gauche face à de nouvelles responsabilités, face à des devoirs accrus. Car cette situation, difficile à bien des égards, peut présenter aussi des avantages. Ne serait-ce que parce qu'à la longue les choses peuvent être plus claires aux yeux des travailleurs. A condition que par sa politique ce courant révolutionnaire sache présenter une alternative politique à gauche.

Aujourd'hui, son but doit être que les couches populaires et la classe ouvrière lorsqu'elles commenceront à se détacher de Mitterrand et de la gauche réformiste, PS et PC, n'aient pas que le choix soit d'aller vers la droite parce que celle-ci apparaîtrait comme la seule alternative, soit vers le repliement, le découragement et la démoralisation.

Pour cela il faut que les révolutionnaires sachent faire dès aujourd'hui une critique sans concession de la politique du gouvernement de gauche, sans pourtant montrer d'impatience par rapport aux travailleurs qui croient en ce gouvernement. Et il faut surtout qu'ils sachent montrer que ce courant révolutionnaire existe bien, même s'il est minoritaire, parmi les travailleurs, et en premier lieu dans les entreprises.

Par l'arrivée de la gauche au gouvernement, et en particulier par la participation du Parti Communiste à celui-ci, les révolutionnaires sont aujourd'hui en France dans une situation exceptionnelle. A eux d'être à la hauteur de cette situation.

 

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