La discussion entre Lutte Ouvrière et la LCR à propos de la « nouvelle stratégie du PCF » : Divergences d'analyse ou divergences de pratiques ?01/12/19841984Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1984/12/115.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

La discussion entre Lutte Ouvrière et la LCR à propos de la « nouvelle stratégie du PCF » : Divergences d'analyse ou divergences de pratiques ?

 

Y a-t-il de profondes divergences entre Lutte Ouvrière et la Ligue Communiste Révolutionnaire, quant à l'analyse de la politique que mènent depuis cet été le PCF et la CGT ? A voir la production littéraire qu'a déclenchée dans la presse de la LCR la publication, dans le numéro du 27 octobre de Lutte Ouvrière, de l'article intitulé « Les révolutionnaires confrontés à la nouvelle stratégie du PCF », on pourrait être tenté de le croire. Critique Communiste, la revue mensuelle de la LCR, vient en effet d'entrer à son tour dans le débat, en publiant dans son numéro de décembre un texte sur le sujet, sous le titre : « Quand un tournant du PCF donne le tournis à Lutte Ouvrière » .

 

Quand la LCR réécrit l'histoire des grèves de 1947-48

 

Ce qui ne facilite pas le débat c'est que les camarades de la. LCR ont la mauvaise habitude de discuter d'opinions que nous n'avons jamais exprimées... pour la simple raison que ce ne sont pas les nôtres.

C'est ainsi que le rédacteur de Critique Communiste écrit : « Nos camarades pensent - Roger Girardot le suggère dans l'article que nous avons longuement cité - que le PCF va se retrouver à la tête des luttes ouvrières comme il l'a été après sa sortie forcée du gouvernement en 1947 » . Roger Girardot doit être doué d'un pouvoir de suggestion peu commun, car dans son article, il n'y avait pas le moindre mot consacré aux grèves de 1947, pas la moindre allusion s'y rapportant. Ce qui n'empêche pas le rédacteur de Critique Communiste de nous exhorter « à ne pas plaquer les circonstances d'hier sur celles d'aujourd'hui » et de nous inciter « à la prudence dans le maniement des analogies et des précédents historiques » .

Pour la LCR, convaincre ses lecteurs que nous ne sommes pas en 1947 doit d'ailleurs revêtir une certaine importance, puisque Rouge avait déjà abordé ce thème le 9 novembre, dans un article intitulé : « PCF-CGT : Retour à la lutte des classes ? » . Et soit dit en passant, les camarades de la LCR devraient bien faire preuve de plus de « prudence dans le maniement des analogies et des précédents historiques », car comparer le présent à un passé mythifié n'aide à comprendre ni le présent, ni le passé.

Quand Rouge écrit par exemple, à propos de la politique du PCF, que « l'orientation actuelle n'est pas identifiable à celle de 1947, c'est-à-dire à un retour au vocabulaire « lutte de classes » et au déclenchement d'actions d'envergure », il donne de la politique d'alors du PCF une image bien déformée. Après son départ forcé du gouvernement, en mai 1947, le PCF n'a ni plus ni moins utilisé un vocabulaire « lutte de classes » qu'il ne le fait aujourd'hui, car si, à partir de l'automne 1947 en particulier, il a fait preuve d'un certain radicalisme, il a continué par exemple à se poser en « parti de gouvernement », et en défenseur de « l'intérêt national ».

« Le PCF a changé » écrit Critique Communiste. C'est vrai. « Il s'est profondément intégré à la société bourgeoise ». Mais il l'avait encore été bien plus entre 1944 et 1947. Il a « perdu beaucoup de ses capacités de mobilisation ». Sans doute. Mais est-ce à dire qu'il ne pourrait pas demain se retrouver à la tête « d'actions d'envergure », c'est un autre problème, dont la solution ne dépend d'ailleurs pas que de la volonté du PCF, mais aussi du degré de mobilisation et de combativité de la classe ouvrière.

Que la situation actuelle soit bien différente de celle de 1947-48, par de nombreux traits, c'est l'évidence même. Mais la comparaison qu'établissent les camarades de la Ligue ne prouve absolument rien. Ce n'est qu'une facilité polémique, qui consiste à dire en substance : les camarades de LO pensent que nous sommes de nouveau en 1947, et ils ont tort. Eh bien non, les militants de Lutte Ouvrière ne pensent pas ce que la LCR prétend. Ils savent qu'ils sont en 1984, et qu'à partir de l'été 1984 l'appareil stalinien est entré (pour combien de temps, personne ne pourrait le dire) dans un cours plus combatif, qui n'est pas sans conséquence pour les militants révolutionnaires, s'ils veulent jouer un rôle dans le développement et la direction des luttes.

On entre enfin en plein surréalisme quand Critique Communiste écrit, parlant toujours de 1947 : « Nos camarades de LO semblent obsédés par ce précédent, qui a vu le PCF prendre la tête du mouvement (...) et éliminer durablement toute influence de masse des trotskystes ». Mais où était « l'influence de masse des trotskystes » avant 1947 ? Là où ils avaient une implantation réelle dans la classe ouvrière (les camarades de l'Union Communiste, à Renault, après la grève d'avril-mai 1947) , cette influence n'a pas diminué, bien au contraire, dans les deux années qui ont suivi. Mais malheureusement, dans son ensemble, le mouvement trotskyste n'avait aucune « influence de masse », avant comme après les grèves de 1947-48, en particulier le courant dont est issu la LCR.

 

Un virage que la lcr ne nie pas

 

Il y a bien cependant, pour les camarades de la LCR, une nouvelle politique de l'appareil stalinien dans les entreprises. C'est ainsi que dans un article intitulé « La nouvelle ligne CGT à l'oeuvre », Rouge écrivait le 5 octobre, à propos des grèves Renault : « La CGT a bien été à l'origine du mouvement et en a été l'animatrice, mais (...) quoi de plus normal pour un syndicat que d'impulser la lutte ? L'inverse est anormal et cette anormalité a duré du 10 mai 1981 à juillet 1984, sous les trois gouvernements Mauroy. Dont acte. La CG T se réveille ».

Les camarades de la LCR sont d'ailleurs bien obligés d'être d'accord avec l'analyse que nous avons donnée des raisons de ce virage, et dans l'article déjà cité, intitulé « PCF-CGT : Retour à la lutte de classes ? », Rouge expliquait ainsi le pourquoi de ce cours plus combatif de la CGT : « le PCF espère tirer (...) le bénéfice du mécontentement ouvrier, en critiquant la politique d'austérité représentée par le PS et en ouvrant de manière limitée les vannes de l'action revendicative hier gelée au nom du soutien au gouvernement de gauche ».

Et Critique Communiste ne revient pas sur cette appréciation. On peut y lire que : « À Renault, certes, la CGT a regonflé ses militants et mobilisé de très nombreux travailleurs, quoique de façon inégale ». Et à propos de la grève des fonctionnaires du 25 octobre, « que là encore les militants CGT aient fait le forcing pour mobiliser les travailleurs, nous avons pu le constater, comme LO, dans de nombreux endroits ».

Mais il est vrai que si Lutte Ouvrière et la LCR ont vu l'une et l'autre que les militants staliniens avaient, depuis cet été, dans de nombreux endroits, changé d'attitude par rapport aux luttes, les deux organisations n'ont pas braqué le même éclairage sur ce changement.

Lutte Ouvrière (en particulier dans l'article intitulé « Luttes sociales : Renault, 25 octobre... et la suite : Les révolutionnaires confrontés à la nouvelle stratégie du PCF » ) s'est surtout préoccupée d'attirer l'attention des militants ouvriers révolutionnaires sur la réalité de ce changement, qui n'est pas perceptible dans toutes les entreprises, car tous les militants de la CGT sont encore loin d'appliquer la nouvelle ligne de leur confédération. Pour Lutte Ouvrière, il aurait été dangereux, pour les révolutionnaires, de croire que rien n'avait changé, que la CGT ne pourrait jouer dans les luttes à venir qu'un rôle de frein, analogue à celui qui avait été le sien quand le PCF était au gouvernement.

Les camarades de la LCR se sont au contraire employés à souligner les limites de ce changement. A propos des grèves Renault, Critique Communiste écrit par exemple : « la lutte a été menée usine par usine, sans réelle coordination », faisant écho aux critiques publiées par Rouge le 5 octobre : « la CGT qui voulait bien pousser l'action le plus loin possible se gardait bien de tout débordement en donnant la moindre prise à l'organisation démocratique de la lutte ».

Ce dernier point est incontestable. Mais n'est-ce pas enfoncer une porte ouverte ? Car les lecteurs de Rouge qui pourraient attendre d'un appareil syndical, quel qu'il soit, « l'organisation démocratique de la lutte », et qu'il facilite le moindre « débordement » doivent tout de même être rares. Par contre, écrire que « la lutte a été menée usine par usine, sans réelle coordination » , est plus contestable, car s'il n'y a eu aucune coordination démocratique, la série de grèves Renault de septembre-octobre n'a pas été une coïncidence : il y a eu une coordination de la part de l'appareil, qui s'est servi du succès initial relatif remporté par les grévistes du Mans, pour redonner le moral à ses militants dans les autres usines du groupe, et qui - avec plus ou moins de succès - a essayé de déclencher des mouvements dans toutes.

De la même manière, quand Critique Communiste écrit à propos de la grève des fonctionnaires du 25 octobre que « cette grève était le moins que les fédérations syndicales puissent faire pour ne pas apparaître comme inutiles ou complices de Fabius » , ce n'est pas entièrement juste, car ce ne sont pas « les » fédérations syndicales qui ont pris l'initiative du 25 octobre, mais bel et bien la CGT, qui a plus ou moins entraîné les autres derrière elle. Et ce mouvement qui ne devait initialement concerner que les seuls fonctionnaires, par la volonté de la CGT, a été étendu à d'autres branches, plus ou moins proches de la fonction publique.

Si le raisonnement consistant à dire que « cette grève était le moins que les fédérations syndicales pouvaient faire » était juste, on se demande bien pourquoi il n'aurait pas été valable aussi pour la CFDT, qui ne s'est pas associée à cette journée. Et on attend d'ailleurs le moindre jugement de la LCR concernant cette centrale à cette occasion.

 

Oui, il faut juger sur les faits

 

« Nous ne croyons pas Krasucki sur parole quand il appelle les travailleurs à se battre partout, sur tous les fronts, et jusqu'à maintenant nous pensions que nos camarades de Lutte Ouvrière étaient avant tout soucieux de juger, comme nous, sur les actes » écrit encore Critique Communiste. Nous ne croyons pas non plus Krasucki sur parole, et nous savons ce que valent les déclarations adressées à la presse. Mais quand nous voyons Krasucki et d'autres dirigeants CGT de haut rang multiplier au sein des syndicats, auprès des militants, les discours et les appels à engager la lutte, il ne s'agit plus seulement de paroles, mais bel et bien de faits, et qui se traduisent en actes dans un certain nombre de cas.

Le rédacteur de Critique Communiste écrit pourtant : « Alors, camarades de LO, pour nous convaincre du tournant du PCF et de la CG T, d'un tournant de l'ampleur que vous lui attribuez, il faudrait au moins démontrer qu'un plan de lutte existe, qu'une activité se développe autour de lui » . Eh bien oui, ce plan existe. Et il suffit de regarder ce qui se passe dans les entreprises pour s'en rendre compte. Car d'ailleurs, tout ce que nous avons dit de la nouvelle politique de l'appareil stalinien ne repose pas sur on ne sait quelle analyse, mais sur une constatation.

Bien sûr, il ne s'agit pas d'un plan destiné à remobiliser l'ensemble de la classe ouvrière, à lui faire prendre conscience de ses forces, pour la préparer à une lutte générale destinée à contraindre la bourgeoisie à assumer les frais de la crise. Ce n'est évidemment pas cela le but de l'appareil stalinien. Mais « une activité se développe » bel et bien autour d'un plan destiné à multiplier dans les entreprises les mouvements dirigés par la CGT, à redonner le moral à ses militants, à prouver au patronat, au gouvernement socialiste, et au propre public du PCF - ne serait-ce qu'à ses militants - que celui-ci n'est pas mort, et qu'il faudra compter avec lui. Le nombre de conflits revendicatifs, qui a considérablement cru depuis cet été dans les entreprises, l'atteste.

Mais si les camarades de la LCR reconnaissent qu'il y a bien eu un tournant de la part de l'appareil stalinien, ils nous accusent de n'en voir « qu'un aspect : la face revendicative, d'appel à l'action » . Et Critique Communiste ajoute : « Or l'autre face, celle du « produire français » que l'on a connu les années précédentes, accompagne plus que jamais le cours « radical » actuel » .

Les camarades de la LCR, qui nous conseillent tant de « juger sur les actes, non sur les mots » , attachent d'ailleurs beaucoup plus d'importance à ce que dit le PCF, qu'à ce qu'il fait. Rouge a consacré beaucoup d'espace à dénoncer la nouvelle formule du « rassemblement populaire majoritaire » et le fait que « PCF et CGT mettent toute l'énergie de leur appareil à lier la démarche revendicative aux propositions gestionnaires pour une politique industrielle compétitive » ( Rouge du 9 novembre). Dans ce même numéro, un article d'une pleine page, intitulé « PCF : Pour un capitalisme à visage humain » , était consacré à l'analyse des élucubrations pseudo-théoriques, mais bien réformistes, des Cahiers du communisme.

Critiquer tout cela n'est pas faux. Il est bien vrai que le « rassemblement populaire majoritaire » n'a été inventé que pour masquer l'absence totale de perspectives politiques du PCF. Il est non moins vrai que si la CGT met tant l'accent sur les problèmes de gestion, c'est non seulement pour masquer ce manque de perspectives, mais aussi pour dire à la bourgeoisie qu'elle ne s'oppose pas au capitalisme, qu'elle se propose seulement de l'améliorer.

Mais proclamer que le PCF n'a pas changé de nature, pour être une vérité élémentaire, et même une banalité pour des révolutionnaires, ne suffit pas pour définir sa politique, et déterminer la nôtre.

En fait, quand les camarades de la LCR écrivent sur la politique du PCF et de la CGT, ils semblent s'adresser à d'hypothétiques lecteurs influencés par ces organisations, ou s'employer à armer les militants qui discutent avec des gens influencés par les staliniens. C'est bien sûr une préoccupation qu'on ne saurait leur reprocher.

Mais ils ne s'attachent pas à montrer ce qui, dans les changements de politique de l'appareil stalinien, est important pour les militants ouvriers révolutionnaires, du point de vue de leurs interventions dans les luttes.

Critique Communiste n'a pas tort d'écrire que la nouvelle politique du PCF « a pour but de retisser les liens entre le PC et sa base ouvrière » . C'est au moins l'un des aspects du problème. Mais à quoi sert d'en déduire qu'à « l'inverse de ce que déclare LO (...) il s'agit d'un tournant préservatoire, et non d'un tournant offensif » . On peut certes toujours inventer un mot nouveau quand on est gêné. Mais créer un néologisme n'a jamais dispensé d'une réflexion politique sérieuse. En quoi un tournant « préservatoire », pour reprendre l'expression de la LCR, ne pourrait pas être en même temps un tournant « offensif » ? Le tournant du PCF est « préservatoire » quant à ses causes, mais offensif quant à ses moyens.

Même si, comme l'écrit Critique Communiste, « le PCF et la CGT ne vont pas, dans les actes, au-delà de ce qui est nécessaire pour resserrer les liens avec les secteurs ouvriers qu'ils influencent et organisent » , est-ce que cela n'a pas des conséquences qu'il vaut la peine de souligner pour l'intervention des militants révolutionnaires dans les entreprises ?

Mais tout dépend, bien sûr, de la manière dont on conçoit cette intervention.

 

Des pratiques différentes

 

Car c'est là tout le problème. Il serait faux de ne voir dans les divergences qui sont apparues entre la Ligue Communiste Révolutionnaire et Lutte Ouvrière, quant à l'appréciation du changement de politique de l'appareil stalinien, une simple différence de « sensibilité », pour employer un mot à la mode. Il n'y a pas d'un côté les optimistes, qui se féliciteraient que le verre soit déjà à moitié plein, et de l'autre les pessimistes qui se lamenteraient parce qu'il serait à moitié vide. Car derrière cette différence d'appréciation, il y a manifestement des divergences plus importantes, plus fondamentales, concernant la pratique de l'une et de l'autre organisation, la manière dont elles conçoivent l'intervention dans les luttes ouvrières.

Cette différence ne réside pas dans l'intérêt porté par l'une ou l'autre organisation aux militants et aux sympathisants des grands partis ouvriers traditionnels, aux travailleurs influencés par les confédérations syndicales. Car comme les camarades de la LCR, nous sommes nous aussi convaincus qu'il n'y aura pas de parti révolutionnaire dans ce pays, tant que les révolutionnaires n'auront pas réussi à gagner à eux des milliers de militants et de sympathisants de ces organisations.

Mais tout le problème est de savoir comment gagner aux idées révolutionnaires les travailleurs honnêtes qui, avec ou sans réserves, font aujourd'hui confiance aux différents appareils réformistes. Nous ne croyons pas, nous, à Lutte Ouvrière, qu'il suffise de leur expliquer en quoi la politique de leur parti ou de leur confédération syndicale n'est pas juste, et ce que ce parti ou cette confédération devrait faire, si il ou elle voulait sincèrement défendre les intérêts des travailleurs. Il faut le faire. Mais cela ne suffit pas, sous peine de remplacer l'action par des déclamations.

C'est pourquoi, pour Lutte Ouvrière, il n'y aura pas dans ce pays de parti révolutionnaire tant que les militants révolutionnaires n'auront pas joué un rôle déterminant dans la direction d'un nombre significatif de luttes de la classe ouvrière. Et le devoir de tout militant ouvrier révolutionnaire, quelle que soit par ailleurs son affiliation et ses responsabilités syndicales, c'est dans chacune des luttes auxquelles il a l'occasion de participer, d'essayer de faire en sorte que la direction de ces luttes soit assumée par les travailleurs eux-mêmes au travers de comités de grève démocratiquement élus, au sein desquels peuvent collaborer tous les travailleurs en lutte, qu'ils soient syndiqués ou non.

Mais sur ce sujet des comités de grève, nos incompréhensions, avec la Ligue Communiste Révolutionnaire, sont nombreuses.

Nous n'avons évidemment jamais considéré « qu'une grève n'était significative que si un « organisme exécutif autonome » naissait dans le cours de l'action » ( Rouge du 23 novembre), ni nié que « des luttes sans comité de grève pouvaient être importantes » ( Rouge du 14 décembre). C'est une façon puérile de poser le problème et ce n'est pas nous qui le posons ainsi. Il y a eu bien évidemment, parmi les grèves qui ont eu une importance politique nationale beaucoup plus de mouvements dirigés par les appareils, que de mouvements dirigés par les travailleurs eux-mêmes. Et bien évidemment aussi, la plupart des conflits qui ont vu surgir des comités de grève (et ils ne sont pas très nombreux) n'ont pas à quelques rares exceptions près, dépassé une importance locale.

D'autre part, Critique Communiste fait preuve d'une bien mauvaise connaissance de notre politique, quand elle écrit que pour Lutte Ouvrière « la situation créée par la venue de la gauche au gouvernement n'appelait qu'une seule réponse politique des révolutionnaires : la bataille pour la constitution de comités de grève dans les luttes » . Pour nous, le combat pour la mise en place de comités de grève, dans les luttes de la classe ouvrière, n'est pas un choix circonstanciel, que nous aurions fait pour on ne sait quelles raisons en mai-juin 1981, et abandonné, ou du moins « relativisé » en octobre 1984, en considérant que c'était désormais « un objectif particulièrement difficile à atteindre » ( Rouge du 23 novembre).

Critique Communiste n'a décidément rien compris à notre politique quand elle écrit que « Désarmée face au tournant de la CGT, LO renvoie les comités de grève à un horizon ultérieur (...) et leur substitue un suivisme aussi radical que soudain à l'égard de la CGT » et quand elle ajoute « Et voilà, ô surprise, nos camarades filant le train à la CGT. Mieux : se donnant pour but de prendre la CGT de vitesse ! » . Si pour les camarades de la LCR, « filer le train » aux appareils est synonyme de « prendre de vitesse », cela explique sans doute bien des choses concernant leur politique. Mais pour nous, ces deux expressions signifient exactement le contraire l'une de l'autre. Et autant nous critiquons le suivisme par rapport aux appareils, autant nous revendiquons le fait d'essayer, dans les luttes, de les « prendre de vitesse »... pour leur contester la direction de celles-ci.

 

La prise en charge de leurs luttes par les travailleurs eux-mêmes

 

Pour des militants révolutionnaires, qui se donnent pour but politique ultime la prise du pouvoir par la classe ouvrière, l'exercice du pouvoir par les travailleurs eux-mêmes, au travers de conseils démocratiques, essayer de mettre en place au cours de chaque lutte, fut-elle la plus modeste, à partir du moment où elle mobilise réellement des travailleurs, un comité de grève, est un choix naturel. La direction de leurs propres affaires par les travailleurs eux-mêmes, c'est pour les révolutionnaires le fil d'Ariane qui unit le plus modeste combat de la classe ouvrière à la révolution socialiste.

Bien sûr, cette lutte n'est pas facile, car les appareils bureaucratiques suivent la même logique en sens inverse (souvent d'ailleurs aidés en cela par des militants d'extrême gauche). Pour garder entier leur contrôle sur la classe ouvrière, ces appareils s'opposent, même dans les plus petits conflits, à la prise en charge de leurs luttes par les travailleurs eux-mêmes.

Mais c'est tout de même sur ce terrain-là que les révolutionnaires peuvent le plus facilement contester avec succès les appareils, car si, en général le rapport des forces est de manière écrasante en faveur de ces derniers, localement, il n'en est pas forcément de même, surtout dans les moments où la combativité des travailleurs augmente, lorsque les révolutionnaires peuvent, en exprimant les aspirations de ces travailleurs, s'appuyer sur la force qu'ils représentent, face aux appareils.

La direction démocratique des luttes ne représente pas seulement un apprentissage du pouvoir ouvrier. Même sur le simple terrain revendicatif, elle est le seul moyen de permettre à un mouvement d'aller jusqu'au bout de ses possibilités. Les appareils bureaucratiques ne trahissent évidemment pas toutes les luttes. Mais même dans le meilleur des cas, lorsque les syndicats sont prêts à aller jusqu'au bout des possibilités d'un mouvement, ils ne sont pas les mieux placés pour savoir ce que les travailleurs sont prêts à faire, jusqu'où ils sont prêts à aller. Oh certes, les appareils croient toujours savoir ce que pensent les travailleurs, ce qu'ils veulent, ce qui est bon pour eux, et au besoin d'ailleurs comment faire leur bonheur malgré eux... car c'est toujours comme cela que se justifient les pires trahisons. Mais seule la direction de leurs luttes par les travailleurs eux-mêmes, à travers des comités de grève, leur permet de prendre conscience de leurs forces, de leurs possibilités, et donc d'aller jusqu'au bout de celles-ci. Sans compter que faire participer activement les travailleurs à l'organisation de leur propre lutte devient à son tour un facteur qui augmente leur conscience, leur moral, et leur combativité. Tous les travailleurs qui ont participé à des grèves dirigées par un comité de grève le savent, et s'en souviennent longtemps, « c'est autre chose » !

C'est pourquoi la mise en place d'un comité de grève est un moyen de toucher, d'ébranler, les militants des appareils réformistes, même quand au début ils y sont réticents, voire hostiles, car c'est le moyen de leur montrer que la politique des révolutionnaires peut être plus efficace que celle que préconise leur confédération ou leur parti, y compris sur le terrain des luttes revendicatives, celui sur lequel ils peuvent le plus facilement juger.

Mais encore faut-il qu'il s'agisse d'un comité de grève véritable, non seulement parlement mais aussi exécutif des travailleurs en lutte, qui se donne pour but non seulement de faire décider par les travailleurs tout ce qui concerne leur lutte, mais encore de faire du plus grand nombre possible d'entre eux des militants de leur grève, car il n'y a que comme cela que les travailleurs pourront prendre conscience de leurs possibilités, de la force qu'ils représentent. Et sur cet aspect-là des choses non plus, les camarades de la LCR ne sont manifestement pas non plus sur la même longueur d'onde que nous.

Critique Communiste écrit par exemple : « Il est vrai que des comités de grève ne naîtront pas spontanément. Mais la pratique des assemblées générales unitaires et démocratiques, du débat collectif et des décisions souveraines créent les conditions nécessaires à leur émergence ». Eh bien non, des « assemblées générales démocratiques » dans lesquelles on ne demande aux travailleurs que de voter, les syndicats faisant le reste, ne constituent pas un pas qui mène à la prise en charge de leur propre sort par les travailleurs combatifs eux-mêmes. C'est autre chose. Ce peut même être une politique choisie par les appareils.

Il n'y a pas à « créer les conditions nécessaires à l'émergence des comités de grève » . Il y a à faire en sorte que dans les entreprises les militants révolutionnaires soient convaincus que c'est leur tâche prioritaire en cas de lutte, et qu'ils possèdent suffisamment de poids, de rayonnement personnel, pour entraîner leurs camarades de travail dans cette voie quand le problème se pose.

Si pour nous le changement d'attitude de la CGT, cet été, revêt autant d'importance, c'est qu'il change considérablement les conditions dans lesquelles les militants ouvriers révolutionnaires ont à intervenir, dans les luttes, pour contester la direction de celles-ci aux appareils.

Avant la sortie des ministres PCF du gouvernement, ce qui caractérisait généralement l'attitude de la CGT, c'était l'attentisme. Il n'y avait pas beaucoup de luttes dans les entreprises. Mais lorsque surgissait cependant dans l'une d'elles un climat favorable à la lutte, les conditions étaient relativement favorables pour les révolutionnaires, car l'attentisme des militants staliniens, joint au fait que les travailleurs les plus combatifs étaient par voie de conséquence des travailleurs peu liés à l'appareil stalinien, peu influencés par lui, facilitaient la lutte pour la prise en charge de la grève par les grévistes eux-mêmes.

Mais depuis cet été, si le nombre de mouvements revendicatifs a augmenté, les militants révolutionnaires risquent de voir, dès qu'il y a le moindre climat favorable à la lutte, les militants staliniens se précipiter, se mettre en avant, entourés par les travailleurs qu'ils influencent le plus, et dans ces conditions la lutte pour la mise en place de comités de grève démocratiquement élus risque de se révéler bien plus difficile encore, car bien entendu, si l'appareil stalinien est aujourd'hui plus favorable aux luttes, il tient plus que tout à en conserver le contrôle.

Dans ces conditions, le problème pour les militants ouvriers révolutionnaires, c'est effectivement de ne pas se laisser prendre de vitesse, de ne pas manquer une occasion de se retrouver à la tête d'une lutte (car de telles occasions risquent de ne pas se reproduire de sitôt) et de toute manière, lorsque des luttes démarrent sans eux, de ne pas rester à la traîne, de ne pas se couper des travailleurs les plus combatifs.

 

Comment la LCR conçoit l'intervention

 

Les camarades de la Ligue Communiste Révolutionnaire n'ont pas compris ce raisonnement, parce que la LCR ne conçoit l'intervention dans les luttes que par personne interposée. Il s'agit, pour elle, d'amener les confédérations syndicales à changer de politique. Ce n'est pas un procès d'intention que nous faisons aux camarades de la LCR : cela ressort de toute leur politique.

Le caractère irréaliste d'une telle politique doit d'ailleurs être parfois sensible aux rédacteurs de Rouge eux-mêmes, puisque dans le numéro de ce journal du 5 octobre, sous le titre « Oui, nous pouvons le faire » , l'un d'eux se mettait à rêver : « Imaginons. (...) les radios et les télés pourraient annoncer : les centrales ouvrières appellent à l'action dans l'unité pour les revendications et pour exiger du gouvernement des mesures politiques » . Le rédacteur de Rouge est bien conscient de la vanité de son souhait : « Imaginer cela ne mène cependant pas loin : comment Krasucki, Maire, Bergeron et Pommateau pourraient-ils de leur propre initiative, sortir de leurs petits calculs et de leurs tactiques à la petite semaine ? » écrit-il aussitôt. Mais c'est pour enchaîner en affirmant : « Pourtant, nous n'avons pas tort d'imaginer une mobilisation unitaire, prolongée, pour gagner (...) Et le rôle de ceux qui veulent une telle mobilisation apparaît mieux : débattre partout de sa nécessité, créer les conditions pour que les travailleurs s'expriment, répondent aux hésitants, faire entendre l'exaspération contre « les directions qui là-haut laissent faire » (...) Permettre la réalisation d'une telle mobilisation unitaire, ce n'est pas gagné d'avance ? Non. Mais c'est l'une des rares questions qu'il vaut la peine de discuter partout » .

Le rôle des militants révolutionnaires, ce serait donc pour Rouge, en faisant « entendre l'exaspération contre les directions qui là-haut laissent faire » ; d'amener celles-ci à organiser une « mobilisation unitaire, prolongée, pour gagner ». Non ! Le rôle des militants révolutionnaires, et nous insistons sur ce mot, doit être de mettre les travailleurs exaspérés par les directions syndicales, en mesure de se passer d'elles et d'agir malgré elles.

De la même façon, on pouvait lire, dans le numéro du 19 octobre de Rouge, sous le titre « Pour une grève générale » , à propos de la grève des fonctionnaires : « Les fédérations peuvent passer immédiatement un pacte d'unité d'action, sur une plate-forme simple (...) La tâche de l'heure est d'exiger des fédérations qu'elles organisent des cortèges de rue unitaires le 25 octobre (...) Il faut contraindre ces fédérations à l'unité et à l'action le 25 et au-delà du 25, à une lutte prolongée, pour gagner sur les salaires » .

Même langage une semaine plus tard, . dans l'article intitulé « Il faut une suite au 25 octobre ! » : « Les fédérations de fonctionnaires possèdent entre leurs mains la clé de la mobilisation (...) Elles doivent lancer un ultimatum au gouvernement le soir du 25 (...) Qu'elles scellent un pacte d'unité (...) Qu'elles établissent un plan de mobilisation ». Et si le rédacteur de cet article affirmait ensuite que « dès le 26, il sera nécessaire de tenir des assemblées générales dans les services pour que syndiqués et non syndiqués envisagent les suites à donner au 25 » , c'était pour « qu'ils en adressent le contenu aux directions nationales des fédérations syndicales ».

Tout se passe donc comme si, pour la LCR, il n'y avait point de salut pour les travailleurs en dehors des confédérations syndicales. Car la conclusion logique d'une telle orientation c'est de renvoyer les luttes au jour où les confédérations voudront bien.

C'est ce qui ressort également de l'article déjà cité de Critique Communiste, qui tire ainsi les leçons de la grève des fonctionnaires : « ce qui s'est passé le 25 octobre et les semaines qui ont suivi nous conforte dans l'idée suivante : les travailleurs ne se mettront pas massivement en lutte dans la période actuelle s'ils ne sentent pas que leurs directions syndicales « veulent y aller » et leur donnent des garanties : garantie d'unité, garantie qu'on ne se met pas en grève pour rien, garantie dans la préparation et l'organisation même du combat » . Et si elles ne les donnent pas, ces garanties, les directions syndicales, il n'y aura donc rien à faire pour les travailleurs ?

Critique Communiste a beau ajouter aussitôt : « C'est à arracher ces garanties qu'il nous faut travailler - nous les révolutionnaires - mais aussi les très nombreux militants syndicaux et travailleurs qui font le même constat » . Cela n'arrange rien ! Qu'est-ce que cela veut dire « arracher ces garanties » ? En quoi ces garanties « arrachées » seront-elles justement des « garanties » pour les travailleurs ? En ayant fait changer les directions réformistes, social-démocrates et staliniennes de nature ? Plaisanterie ! C'est cela, très exactement, mettre à l'avance les travailleurs combatifs à la remorque des appareils.

 

Les conséquences d'une politique fausse

 

Et la LCR était si occupée à la veille du 25 octobre à dire aux directions syndicales ce qu'elles, auraient dû faire, qu'elle a pratiquement oublié de dire ce qu'auraient dû faire les militants ouvriers révolutionnaires des entreprises directement ou indirectement concernées par la grève, ce jour-là. Dans de nombreuses entreprises, en particulier dans celles n'appartenant pas directement à la fonction publique, mais faisant partie du secteur nationalisé, il y avait en effet un rôle à jouer pour les militants révolutionnaires. Il y avait la possibilité de militer concrètement pour la généralisation, en prenant position pour faire grève avec les fonctionnaires ce jour-là, en y appelant et en l'organisant, pour les militants à qui leurs responsabilités syndicales en donnaient la possibilité. C'était aussi le moyen d'apparaître et de se faire connaître comme des travailleurs combatifs, et celui aussi de donner un peu plus de poids, aux yeux des militants staliniens ou réformistes, à la prise de position des révolutionnaires en faveur d'une riposte d'ensemble des travailleurs, face à la politique anti-ouvrière du patronat et du gouvernement.

Se contenter d'expliquer qu'il ne fallait pas que le 25 octobre reste sans lendemain, qu'il fallait s'orienter vers la grève générale, tout en boudant soi-même cette journée du 25 octobre, ne pouvait en tout cas guère être convaincant aux yeux des militants cégétistes.

Dans les circonstances actuelles, expliquer aux militants cégétistes que s'il n'y a pas de grandes luttes, c'est de la faute de leur direction, alors que ces militants subissent la pression d'une direction qui les incite à se mettre en avant, et mesurent les difficultés pour entraîner la grande masse des travailleurs dans la lutte, n'est déjà guère facile. Mais leur expliquer le 25 octobre qu'il ne fallait pas que cette journée reste sans lendemain, qu'il fallait s'orienter vers la grève générale, tout en boudant cette journée d'action, risquait d'être encore moins convaincant.

Or, ni dans Rouge, ni dans le tract que la LCR a diffusé à cette occasion dans le secteur « Fonction publique, PTT, Santé, SNCF », et qui était intitulé « Pour faire céder le gouvernement, il faut la grève générale des fonctionnaires » , il n'y avait d'appel clairement exprimé à faire grève ce jour-là (comme nos lecteurs pourront en juger sur la reproduction de ce tract).

Ce tract affirmait bien que « le 25 doit être le terrain d'expression de ceux, syndiqués ou non, qui veulent une grève générale, un mouvement prolongé qui se fixe pour but de gagner, de faire céder Fabius et Le Garrec ». Mais on peut d'autant moins considérer cela comme un appel explicite et résolu à faire grève ce jour-là, que le même texte citait, sans leur donner tort, « ceux qui hésitent à perdre une journée de salaire pour une « 24 heures de plus ».

Ainsi, la politique qui consiste à « exiger » des centrales d'organiser des mouvements conformes aux voex des révolutionnaires, amène en fait à se retrouver, dans les circonstances présentes, aux côtés des travailleurs les moins combatifs. Et c'est même une orientation que théorise explicitement Critique Communiste.

 

S'appuyer sur les travailleurs combatifs

 

Dans la conclusion de l'article que Critique Communiste nous consacre, on peut en effet lire les lignes suivantes : « Nos camarades de LO se déterminent à partir d'une donnée partielle : le PC remobilise ses militants ouvriers et va retrouver l'oreille des travailleurs combatifs. C'est faire comme si ces militants et travailleurs étaient dépourvus de jugeote : plus d'un ressent le décalage existant entre les proclamations tonitruantes de la CGT et ses actes ; plus d'un, soulagé de la sortie du gouvernement, attendait un plan réel de mobilisation de la CG T ; plus d'un se sent frustré par l'enfermement des grèves entreprise par entreprise, le recours aux 24 heures de grève sans lendemain ».

Sans doute de tels travailleurs existent-ils. Mais de deux choses l'une : ou malgré les critiques qu'ils adressent à leur direction, leurs doutes et leur amertume, ils sont partisans de faire en sorte que les luttes se développent, en participant à celles qui existent, ou ils sont découragés, démoralisés, et ne sont prêts à rien faire dans l'immédiat. Si c'est le cas, la responsabilité en incombe bien sûr en premier lieu aux appareils, à commencer par celui du PCF et de la CGT, et de la politique qu'ils ont menée depuis des années. Mais il n'empêche que ce n'est pas à partir de ces militants et de ces travailleurs découragés que pourra s'engager un renouveau des luttes. Ce n'est pas à partir de ceux qui pensent, ou qui disent, qu'il ne vaudra la peine de faire grève que le jour où les appareils appelleront à la grève générale, qu'une riposte d'ensemble des travailleurs sera rendue possible. Mais à partir de ceux qui sont prêts à se battre malgré la politique actuelle des confédérations (qu'ils soient conscients ou non de ses aspects négatifs), à partir de ceux qui savent bien que pour qu'il y ait un jour une grève générale, il ne suffit pas de la souhaiter, il faut des militants et des travailleurs pour accepter d'en être les premiers combattants.

Alors, quand les camarades de la LCR affirment dans Critique Communiste en parlant de ces travailleurs qui se sentent « frustrés par l'enfermement des grèves entreprise par entreprise, le recours aux 24 heures de grève sans lendemain », que « c'est à ces militants-là, notamment, que les révolutionnaires doivent s'adresser », ils risquent fort de s'adresser en fait aux plus démoralisés, et de tourner le dos aux plus combatifs.

La Ligue Communiste Révolutionnaire a fait un choix fondamentalement différent du nôtre. Ce n'est pas en essayant de prendre la tête des luttes, en s'appuyant sur les travailleurs en grève, indépendamment des syndicats, et au besoin pardessus leurs têtes, qu'elle essaie de jouer un rôle dans les luttes ouvrières. C'est en essayant d'amener ces organisations syndicales à infléchir leurs positions, en tentant d'influencer les militants syndicaux.

Mais c'est une politique qui ne peut conduire qu'à se transformer en commentateurs des luttes, en donneurs de conseils aux confédérations, et dans le cas présent, si elle peut permettre de trouver l'oreille d'un certain nombre de travailleurs, cela risque d'être ceux qui cherchent une excuse pour rester hors des luttes qui existent.

La politique qui consiste à s'appuyer directement sur la combativité des travailleurs, quand ils sont prêts à entrer en lutte, à les amener à prendre eux-mêmes en mains la direction de leurs mouvements, si elle n'est certes pas facile à mener, est finalement bien plus réaliste.

Depuis quarante ans, il n'y a pas eu dans ce pays une seule grève générale (autre que symbolique, ou réduite à une « journée nationale d'action » ) qui ait été décidée ou organisée par les confédérations syndicales. Quasiment tous les grands mouvements qui ont compté, depuis la fin de la guerre, ont été des mouvements ayant largement débordé le cadre de ce que les appareils confédéraux voulaient faire. Que ce soit la grève Renault d'avril-mai 1947, la grève des fonctionnaires d'août 1953, les grèves de Nantes et Saint-Nazaire de 1955-56, et même la grève générale de mai-juin 1968, ils ne sont pas nés du fait que la base avait préalablement réussi à convaincre les confédérations d'organiser des mouvements plus larges, plus profonds, que ce qu'elles auraient souhaité. Ils ont été le résultat d'une dynamique des luttes, à partir de mouvements au départ circonscrits, mais pour les premiers cités d'entre eux au moins, animés par des travailleurs qui comptaient sur la force des travailleurs en lutte pour faire craquer les barrages syndicaux.

Les camarades de la LCR sont engagés dans un « tournant ouvrier ». Fort bien. Mais il n'en sortira rien si ce tournant ne s'accompagne pas de la remise en cause du suivisme vis-à-vis des appareils réformistes et des bureaucraties syndicales qui depuis des dizaines d'années a constitué le fond de la politique du courant auquel ils appartiennent.

Les révolutionnaires n'ont rien à attendre du rôle de donneurs de conseils aux appareils réformistes. Ils ne peuvent espérer jouer un rôle politique, devenir une force politique, qu'en contestant sans cesse à ces appareils la direction des luttes, qu'en la leur arrachant là où ils le peuvent, qu'en s'appuyant sur la combativité des travailleurs.

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