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La classe ouvrière acceptera-t-elle l'austérité ?
En cette fin du mois d'octobre et de début du mois de novembre, assistons-nous à un tournant dans la situation sociale du pays ? A la fin de « l'état de grâce », comme Mitterrand et ses partisans s'étaient plu par avance à appeler l'acceptation sans broncher par les travailleurs des mesures anti-ouvrières d'un gouvernement de gauche ?
Un certain nombre de débrayages, de journées de protestation, viennent d'avoir lieu ou sont prévues, provoquées pour la plupart par la fausse sortie du blocage des salaires ou par les décisions du gouvernement concernant le financement de la Sécurité sociale.
II n'y avait pas eu, depuis le 10 mai 1981, d'initiatives syndicales équivalentes. Depuis l'arrivée de la gauche au gouvernement, les organisations ouvrières s'étaient faites des plus discrètes. Non pas qu'il n'y ait plus eu de grèves : les conflits localisés d'après les chiffres publiés par Le Monde du 28 septembre 1982 étaient revenus au niveau de ce qu'ils étaient avant le changement de gouvernement. Non pas, non plus, que les syndicats aient été particulièrement combatifs du temps de Giscard et de Barre. Mais il est de fait que depuis l'arrivée de Mitterrand et Mauroy, les syndicats ont jusqu'ici évité un certain nombre de ces actions spectaculaires, même si elles étaient plus symboliques qu'efficaces, comme les traditionnelles journées d'action et les manifestations de rues qu'ils organisaient périodiquement depuis des années.
Cette discrétion était d'autant plus remarquable qu'au même moment les classes moyennes, elles, se sont manifestées et qu'elles ont multiplié les défilés dans les rues. Plus de 100 000 paysans avaient manifesté à Paris au printemps dernier. Et depuis la rentrée, on a vu d'abord 15 000 petits patrons se rassembler et défiler à la lueur des torches. Puis des dizaines de milliers de membres des professions libérales leur ont succédé quelques jours plus tard dans les rues de Paris. Ce fut ensuite le tour des artisans de se rassembler, dans plusieurs dizaines de villes et dans la capitale.
Dans ce concert de protestations, la voix qu'on a le moins entendue jusque là, c'est paradoxalement celle de la classe ouvrière. Ce n'est pourtant pas faute d'être visée, car on peut dire que c'est essentiellement sur elle que porte la « rigueur » dont se réclame le gouvernement.
Oh, bien sûr, au tout début, il y a eu quelques mesures en faveur des salariés, gouvernement de gauche oblige. II y a eu une augmentation des allocations familiales. II y a eu un petit coup de pouce sur le SMIC... accompagné de réduction de cotisations sociales pour les patrons mis en situation de l'appliquer. II y a eu la réduction à 39 heures de la semaine de travail... pour laquelle il a néanmoins fallu se battre pour qu'elle ne s'accompagne pas d'une réduction de salaire. II y a eu la cinquième semaine de congés payés... récupérée en partie sur les ponts et sur les jours d'ancienneté. II y a eu la retraite à 60 ans... mais on ne sait trop sur quelles bases financières et en attendant, avec une amputation de la pension des préretraités de 60 à 65 ans par l'instauration d'une cotisation à la Sécurité sociale.
Mais là s'est bornée « l'avancée sociale » selon l'expression chère au PCF. Et nous sommes entrés depuis le mois de juin dernier, dans une phase où le gouvernement oeuvre ouvertement à faire reculer le niveau de vie des travailleurs. La pièce maîtresse de sa politique est le blocage des salaires. II devait être provisoire et limité à un délai de quatre mois. II est maintenant relayé par une vigoureuse incitation gouvernementale - exemple à l'appui dans le secteur public - à ne pas rattraper le pouvoir d'achat et à supprimer toute indexation sur les prix.
er décembre, et la promesse de relèvement de 4 % du pouvoir d'achat pour 1982 ne sera pas tenue. Si on ajoute à toutes ces mesures la réduction des indemnités de chômage admise par les syndicats et l'augmentation des cotisations à l'UNEDIC qu'on peut considérer comme pratiquement décidées par le gouvernement, on en arrive à une ponction importante faite dans la poche des travailleurs.
Feu donc sur les ressources de la classe ouvrière, telle est l'orientation du gouvernement pour affronter la situation économique.
Les syndicats entre deux chaises
Comme première réponse à ces attaques, les syndicats viennent donc d'organiser quelques mouvements dans la deuxième quinzaine d'octobre. Or ces mouvements n'ont été que peu suivis par les travailleurs. Cheminots, dockers, mineurs, agents de l'EDF, fonctionnaires, n'ont répondu qu'en minorité aux appels des syndicats. Le mouvement apparemment le mieux suivi a été paradoxalement celui de la RATP où la CFDT n'appelait pas, où la CGT s'était montrée réservée en n'appelant qu'à deux heures de débrayages, alors que FO, les Autonomes et la CFTC avaient appelé à 24 heures. Et si le mouvement a bloqué 60 % des autobus et des métros (chiffres du Monde, du 29.10.82), il n'y avait quand même que 30 % de grévistes.
C'est dans le secteur public que les syndicats ont d'abord choisi de démarrer des actions. Les travailleurs du secteur public sont les premiers à avoir eu la confirmation qu'ils subiraient une perte de leur pouvoir d'achat pour 1982 du fait du blocage des salaires. Leur patron étant le gouvernement et celui-ci voulant montrer aux patrons du secteur privé l'exemple de la « rigueur », ce sont les fonctionnaires et les agents des services publics qui ont fait figure de premiers attaqués. II semblait donc bien logique qu'ils soient les premiers à répondre. Et comme contrairement à ce qui se passe dans le secteur privé, la combativité n'est pas hypothéquée de la même façon par la crainte du chômage, il semblait aussi qu'il était plus facile d'y organiser des mouvements.
Mais pourquoi à l'intérieur même du secteur public fallait-il faire débrayer un jour une corporation, un jour une autre, un jour un service, un jour un autre ? En procédant de la sorte, les syndicats ont fait la preuve qu'ils ne veulent pas donner trop d'ampleur à la protestation des travailleurs contre les mesures gouvernementales.
Seule pourtant une riposte d'ensemble pourrait donner confiance en sa force à la classe ouvrière et porter un coup d'arrêt décisif aux attaques du gouvernement et des patrons contre le niveau de vie des travailleurs. Mais les dirigeants syndicaux n'en prennent pas le chemin. Ils se refusent à faire quoi que ce soit qui puisse être interprété par les travailleurs comme une volonté de préparer le terrain àune lutte généralisée. Et un mouvement de l'ensemble des travailleurs du secteur public (même limité à ceux que l'on a fait débrayer les uns après les autres dans la dernière semaine d'octobre) aurait signifié pour l'ensemble des travailleurs que les syndicats voulaient bien s'engager à coordonner les luttes, et qu'ils proposaient de ce fait à la classe ouvrière de s'orienter vers la perspective d'une lutte généralisée. Et cela, les syndicats ne le veulent surtout pas.
Au début de l'année, il y a eu les mouvements autour de la réduction du temps de travail et de son indemnisation. Mais il s'agissait de luttes dispersées et émiettées au maximum pour forcer chaque entreprise à accepter une petite concession. Au printemps, il y a eu également les conflits Citroën et Talbot, autour desquels les syndicats CFDT et surtout CGT ont fait pas mal de publicité et où ils ont pu apparaître à la pointe du combat. Mais il s'agissait de conflits contre des patrons réactionnaires qui se refusaient à admettre ces syndicats, et pas d'un combat auquel pouvaient s'identifier les ouvriers de la plupart des autres entreprises. Aussi bien à propos des trente-neuf heures que de Citroën et Talbot, c'était les patrons qui étaient visés et pas le gouvernement, et les syndicats ont pu jouer leur rôle sans prendre de risque.
Aujourd'hui, face aux attaques répétées du gouvernement et à la montée du mécontentement des travailleurs, les syndicats ne pouvaient guère continuer à garder le silence et se cantonner dans l'inaction. Mais la revendication sur laquelle ils sont amenés à organiser des luttes, le déblocage des salaires et le maintien du niveau de vie, concerne l'ensemble des travailleurs. D'autre part, elle ne s'adresse pas seulement aux patrons mais au gouvernement puisque c'est celui-ci qui a pris la responsabilité directe de décréter les mesures antiouvrières, d'orchestrer la baisse des salaires, de prendre la tête de l'offensive. II n'est pas possible aujourd'hui de distinguer les patrons du gouvernement qui s'institue leur bouclier et leur protecteur.
C'est pourquoi la logique des protestations, comme l'intérêt des travailleurs, serait de déboucher sur un conflit généralisé contre la politique du gouvernement. Mais de cela les syndicats ne veulent surtout pas. C'est pourquoi ils s'ingénient à parcelliser et à émietter les mouvements au lieu de les unifier.
Ajoutons qu'à ce souci politique des syndicats vient s'ajouter la concurrence entre les différentes centrales. Cette concurrence se ravive à l'approche des échéances électorales, que ce soit celle des élections prudhommales ou même simplement celle des élections professionnelles. Alors chaque centrale syndicale cherche à se distinguer soit en appelant un jour différent, soit en refusant de s'associer à un appel du concurrent, ajoutant ainsi la division syndicale à l'émiettement des mouvements. C'est ainsi que l'on a pu voir, dans la Fonction Publique, FO et la CGC appeler le 22 octobre, la CFDT le 26 et la CGT le 27.
Les syndicats font ainsi tout ce qu'il faut pour décourager la majorité des indécis comme la minorité des décidés. Les premiers, qui ne sont pas du tout persuadés que dans la situation actuelle il y a la moindre chance de changer les choses et que la grève se justifie, sont encore plus dissuadés. Les seconds se sentent découragés en constatant que les syndicats ne proposent que des semblants d'action, qu'ils sont du côté du gouvernement et qu'ils ne veulent pas aller jusqu'au bout.
La classe ouvrière dans l'expectative
Les syndicats ont à jouer un double jeu : d'une part, apparaître comme les défenseurs des intérêts des travailleurs, y compris contre les mesures gouvernementales ; d'autre part, éviter que des luttes n'aboutissent à dresser la classe ouvrière contre le gouvernement. La possibilitéde le faire, leur marge de manoeuvre, dépend de la combativité de la classe ouvrière. Or il est vrai que jusqu'à ces derniers jours, en dépit du mécontentement et de la grogne qui se manifestent un peu partout, en dépit du malaise qui gagne une fraction des militants de gauche, il n'y a pas encore une majorité de travailleurs décidés à passer à l'offensive, ni même de fortes minorités qui poussent dans ce sens.
Le gouvernement a multiplié les cadeaux fiscaux et les aides diverses au patronat. Mais la plupart des travailleurs n'ont pas été choqués de voir subventionner les patrons avec leurs deniers de contribuables. Et bien souvent, ils sont même d'accord pour réclamer aide et soutien du gouvernement à leur entreprise, espérant ainsi préserver leur emploi. Ils pensent que face à la crise, patrons et ouvriers sont embarqués dans la même galère (ce qui est d'ailleurs vrai, mais c'est toujours les mêmes qui se noient).
Cette réaction face au problème de l'emploi et des difficultés économiques des entreprises, se retrouve avec le problème de l'inflation. Quant le gouvernement a annoncé le blocage des salaires, au début au moins, certains travailleurs le justifiaient en disant qu'il fallait bien sortir de l'inflation, que pour cela il était normal defaire des sacrifices, et qu'il fallait bien commencer par un bout.
II est vrai qu'en ce qui concerne le blocage des salaires, la masse des travailleurs n'a pas réalisé immédiatement, ni au même moment ce qu'il impliquait. Au début, bon nombre de travailleurs pensaient que le blocage ne durerait que quatre mois et qu'à la sortie, non seulement le retard serait rattrapé, mais que les indexations - qui soit existaient de fait, soit résultaient de conventions ou d'accords - continueraient à jouer et ajusteraient à nouveau approximativement les salaires au niveau des prix. II est certain qu'une fraction des travailleurs n'a réalisé qu'à la mioctobre, en entendant Mauroy et le ministre du Travail Auroux déclarer que l'échelle mobile était illégale. Mais si les travailleurs n'ont entendu que ce qu'ils voulaient bien entendre, n'est-ce pas parce que tout ce qui leur semblait possible de faire, c'était d'espérer, malgré tout ?
Les mesures concernant le renflouement de la Sécurité sociale, elles, sont apparues immédiatement pour ce qu'elles étaient, et elles ont fait immédiatement l'objet de nombreux commentaires parmi les travailleurs. Mais elles n'ont pas plus provoqué une véritable levée de boucliers. Et si le gouvernement a finalement fixé la cotisation supplémentaire des préretraités à un taux inférieur à son taux initial, c'esten apparence face à la fronde de la majorité parlementaire, et pas à la pression des travailleurs.
Cette absence de réaction immédiate de la part de la classe ouvrière peut s'expliquer - au moins en partie - à la fois par le contexte économique marqué par la crise, et par le contexte politique où c'est un gouvernement de gauche qui prend ces mesures.
Les travailleurs sont mécontents, mais ils voient mal ce que l'on pourrait faire d'autre dans cette situation que ce que fait l'actuel gouvernement.
Et le fait que la crise soit mondiale renforce également auprès des travailleurs de ce pays, l'impression qu'ils n'y peuvent pas grand'chose. Ils voient bien qu'elle n'épargne aucun pays, et qu'à quelques variantes près, les mêmes problèmes se retrouvent dans tous les pays industrialisés. Et cela indépendamment de la couleur du gouvernement. De là à penser qu'on ne peut pas faire autre chose que se serrer les coudes... et la ceinture avec, en attendant que ça se passe, il n'y a qu'un pas.
Ils voient que la situation économique se dégrade. Les conditions de la lutte en sont d'autant plus dures, les patrons ne cédant pas facilement. En cette période de chômage, la crainte de se retrouver sans travail fait hésiter bien des travailleurs à se mettre en avant. Et surtout la situation rend les travailleurs moins exigeants. Avoir du travail est déjà considéré par beaucoup comme un privilège. Alors les travailleurs hésitent à se mettre en grève, car ils ne veulent pas aggraver la situation de leur entreprise craignant que cela ne se retourne contre eux, en particulier contre leur emploi.
Une autre raison qui retient les travailleurs, c'est la situation créée par la présence de la gauche au gouvernement, Parti Communiste compris.
Ils ne voient pas d'autre alternative que le choix entre la gauche et la droite. Et ils préfèrent encore la gauche, même s'ils pensent que la gauche mène la politique que la droite aurait menée. En majorité, les travailleurs ne veulent pas créer des difficultés à ce gouvernement, qui aboutiraient à aider au retour des Chirac, des Barre et des Giscard.
Les travailleurs du rang pour la plupart n'attendaient pas de toute façon des miracles du changement. Certains ont peut-être cru à la résorption du chômage, mais ils n'en veulent pas vraiment au gouvernement de ne pas y arriver. D'autres pensaient peut-être avoir les trente-cinq heures plus vite. Mais il n'y a pas eu de mobilisation véritable sur cette revendication et beaucoup d'ouvriers sont encore plutôt contents d'avoir plus de travail que moins.
Alors, les travailleurs voient bien que le gouvernement ne fait pas grand'chose pour que cela change, mais ils ne voient pas ce qu'il pourrait faire d'autre dans cette situation difficile.
Cet état d'esprit généralement fataliste n'empêche pas que les mesures du gouvernement provoquent un mécontentement. Mais du mécontentement à la colère et surtout à l'envie d'entrer en action ou au sentiment qu'on peut s'opposer efficacement, il y a un pas. II peut être franchi demain. II reste, semble-t-il, encore àfaire. Et ce n'est que cela qui mettrait les organisations syndicales au pied du mur.
Jusqu'ici le constat de l'incapacité de la gauche, au lieu de permettre à la combativité ouvrière de mieux se développer, au lieu de permettre à ses organisations de classe de croître, a plutôt contribué à l'inverse.
Pour que les luttes de la classe ouvrière se développent, il leur faut maintenant surmonter le double handicap de la présence de la gauche au gouvernement et de la crise économique.
Aujourd'hui préparer les luttes futures
Nous ne pouvons pas savoir quand la classe ouvrière prendra l'offensive.
Nous ne savons pas non plus si l'offensive se fera au moins un temps avec les organisations réformistes de la classe ouvrière ou sans elles. Tout dépendra si la force du mouvement les pousse en avant, malgré leur désir de ne pas bouger, ou les déborde, parce qu'elles se seront opposées à tout mouvement d'envergure.
De toute manière, la tâche des révolutionnaires est avant tout de préparer les éventuelles offensives des travailleurs. Comment ?
D'abord en affirmant dans la classe ouvrière, au sein des entreprises, l'existence de militants et un courant d'opposition résolue au gouvernement, exprimant la volonté de ne pas accepter les attaques contre la classe ouvrière, ni du patronat, ni du gouvernement, et la conscience de la nécessité de lutter pour empêcher toute mesure qui va à l'encontre des intérêts des travailleurs.
Ensuite, en commençant à organiser autour d'eux les travailleurs mécontents, ne serait-ce qu'en faisant en sorte qu'ils s'expriment, même s'ils sont une minorité, même s'ils n'ont pas encore la force de passer à l'offensive.
Enfin, en essayant plus spécialement de s'adresser à ceux des militants de gauche qui parce qu'étant les plus politisés parmi les travailleurs, sont aujourd'hui troublés par la politique du gouvernement.
Car aujourd'hui semble-t-il, c'est parmi les militants de gauche appartenant au PCF ou à la CGT, peut-être encore à la CFDT ou au PS, qu'on trouve les travailleurs les plus déçus et ceux qui accusent le plus le coup de l'offensive anti-ouvrière du gouvernement. Parce que ce sont eux les plus politisés, certains sont les plus conscients de la situation et les plus inquiets.
Ils avaient tout misé sur la venue de la gauche au gouvernement, et maintenant qu'elle y est, non seulement les problèmes ne sont pas réglés mais la situation empire pour la classe ouvrière. Certains acceptent mal la situation parce qu'ils avaient à la fois plus d'illusions que la majorité des travailleurs et parce qu'ayant pris des responsabilités auprès d'eux, en leur présentant comme une issue à leurs problèmes, ils ressentent d'autant plus mal l'échec du gouvernement de gauche. Ils sont les plus mécontents même s'ils se retrouvent sans perspective politique.
A cela s'ajoute d'ailleurs le fait que ce sont les militants de gauche et les syndicalistes auprès desquels les travailleurs mécontents font entendre leur rogne et leur grogne. Et dans les milieux ouvriers, ce sont les militants du PCF et de la CGT qui sont au premier rang et qui reçoivent de plein fouet les récriminations des travailleurs. C'est d'abord à eux que les ouvriers s'adressent parce que sur les lieux de travail, dans les quartiers, ce sont eux les plus nombreux, les plus faciles à trouver, les plus accessibles de tous les points de vue, plus que les militants du Parti Socialiste ou ceux des autres syndicats.
Les militants de la CGT ou du PCF peuvent toujours répondre, lorsqu'ils sont pris à partie, que leur organisation s'est démarquée des mesures du gouvernement. Cela ne leur évite pas de toute façon d'être accusés de n'avoir rien fait pour s'y opposer... même par des travailleurs qui pour l'instant ne sont pas prêts, eux non plus, à faire quelque chose. Leur seul réconfort dans cette situation est que lorsqu'il arrive à un leader socialiste de se présenter devant les travailleurs, lui aussi se fait prendre à partie. Jospin a pu en faire l'expérience lorsqu'il est allé au Crédit Lyonnais où, à propos du blocage des salaires, il a eu à affronter non seulement les travailleurs du rang mais aussi des militants de son propre parti.
Certes, cette petite minorité parmi les militants de gauche ne sont pas pour autant devenus révolutionnaires et ils ne sont pas prêts à venir dans une organisation d'extrême-gauche. Ils ne sont ni convaincus de la justesse des idées révolutionnaires, ni prêts à rompre les liens avec un grand parti pour venir d'emblée dans une petite organisation. Mais en dépit de cela, ces militants se rendent compte que cela ne va pas dans la situation actuelle. Et parce qu'ils sont des militants, ils se demandent ce que la classe ouvrière peut faire.
Les militants révolutionnaires doivent savoir s'adresser à eux, établir des liens avec eux, les convaincre que la classe ouvrière peut se défendre, et que la situation n'est pas bouchée pour les travailleurs, leur montrer que si la classe ouvrière ne réagit pas, c'est parce qu'elle manque de perspectives, c'est parce que non seulement les partis communiste et socialiste ne lui en offrent pas mais, par leur politique, bouchent toute vue sur l'avenir.
Cette démonstration est à faire par la discussion et aussi par l'exemple. Mais avant d'être capables d'offrir des perspectives à la classe ouvrière, tenter d'en offrir aux militants du PC et de la CGT est indispensable.
Car lorsque les travailleurs seront décidés àprendre l'offensive, c'est en grande partie aussi de ces militants là, aujourd'hui PCF ou PS, CGT ou CFDT, que l'issue et les perspectives peuvent dépendre.
Affirmer l'existence d'un courant résolu contre la politique anti-ouvrière du gouvernement, donner une expression et une organisation à la minorité consciente des travailleurs les plus mécontents, savoir s'adresser aux militants politisés troublés, même s'ils appartiennent encore au courant réformiste, telles sont les tâches que les militants révolutionnaires doivent mener de front dans les conditions particulières de la période actuelle.