L'Allemagne sans miracle01/05/19831983Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1983/05/103.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

L'Allemagne sans miracle

Les élections législatives du 6 mars dernier, en République Fédérale Allemande, ont fait entrer au Bundestag (Parlement fédéral) 244 députés de la coalition CDU-CSU (chrétiens-démocrates) contre 226 sortants ; 193 députés sociaux-démocrates contre 218 sortants ; 34 députés du FDP (libéraux) contre 53 sortants ; et, nouveauté, 27 députés Verts alors qu'il n'y en avait pas auparavant. Mais les 27 députés de ce quatrième parti qui, au Parlement, égayent paraît-il leurs places de quelques fleurs, c'est bien la seule nouveauté sortie des urnes. Sinon pas de surprise. Le chancelier Helmut Kohl, qui avait succédé au chancelier social-démocrate Helmut Schmidt en octobre dernier, à la suite d'un renversement d'alliance du Parti Libéral FDP est donc confirmé dans ses fonctions. La nouvelle coalition gouvernementale CDU-CSU/FDP est reconduite, après s'être fait en quelque sorte plébisciter par les élections législatives. C'est probablement ce que visait Helmut Kohl en provoquant la dissolution de la Chambre et des élections anticipées.

Ainsi, il est donc Chancelier non par le seul vouloir des dirigeants du FDP, d'un parti qui représente 6,9 % de l'électorat - contre 10,6 % aux élections précédentes de 1980 - mais par la bénédiction du suffrage universel, qui a donné à son parti, la CDU-CSU, 48,8 % des voix (soit 4,3 % de plus qu'en 1980) et à son concurrent SPD, 38,2 % des voix (soit 4,7 % de moins qu'en 1980).

Mais qu'est-ce que ces élections changent ?

Sur le plan des scores électoraux, le SPD a perdu quelque 5 % des voix, dont un certain nombre se sont probablement reportées sur les candidats écologistes. Mais si l'on tient compte du fait que le SPD était au gouvernement de la RFA depuis seize ans, de 1966 à1969 d'abord, dans une « grande coalition » où il gouvernait avec la CDU-CSU, puis de 1969 à octobre 1982 dans une « petite coalition » où il partageait les postes de ministres avec le FPD, il n'est pas étonnant que l'usure ait fait son oeuvre.

Et pour ce qui est de la CDU-CSU, elle n'a pas eu de gains spectaculaires non plus. Aux élections législatives de 1976, ses candidats avaient recueilli déjà 48,6 % des voix, c'est-à-dire à l'époque 6 % de plus que le SPD qui, du fait de son alliance avec le FPD, était cependant resté au gouvernement. Et beaucoup de commentateurs expliquent que la CDU-CSU avait fait seulement 44,5 % des voix aux dernières élections de 1980 par le fait que son chef de file d'alors qui aurait pu se retrouver Chancelier, était Hans Josef Strauss, ex-ministre de la Défense en 1962, bourgeois particulièrement réactionnaire dont les outrances déplaisent à beaucoup.

Ainsi donc, il n'y a pas de quoi s'émouvoir, dans aucun sens, du résultat des élections de mars dernier. Et d'autant moins qu'elles ne changeront strictement rien puisque le gouvernement avait déjà changé, six mois auparavant.

Du moins avait-il changé de personne, un chancelier de la CDU-CSU ayant remplacé un chancelier du SPD... même si certains ministres, dont le « comte » Otto Von Lambsdorff, ministre de l'Économie, était resté en place. Certes, Kohl lui devait bien cela puisque c'est grâce au retournement de veste de cette personnalité du FDP, entre autres, que Kohl était devenu chancelier.

Cela dit, pour ce qui est du changement en matière de politique, il est encore plus difficile de percevoir la différence. L'auteur d'un ouvrage tout récent sur la RFA, Joseph Rovan, pourtant social-démocrate acharné, convient que les deux candidats en présence pour le poste de Chancelier, Kohl et Vogel, étaient bien tous deux des hommes... du centre !

Donc, bonnet-blanc et blanc-bonnet, le gouvernement mène la même politique que celui de Schmidt auparavant. Et cette politique, c'est la poursuite de l'austérité contre les travailleurs.

L'Allemagne a beau avoir la réputation d'un pays à l'économie solide, sa bourgeoisie a des difficultés face à la crise, comme l'ont montré récemment un certain nombre de faillites retentissantes dont celle de l'énorme trust AEGTelefunken, ou encore celle du trust sidérurgique ARBED-Saarstahl. Et la bourgeoisie allemande a besoin de l'État et de ceux qui le dirigent pour drainer à son profit une part toujours plus grande des ressources du pays, prise de multiples façons dans la poche des travailleurs.

On pourrait dire qu'il y a longtemps que l'Allemagne de l'Ouest n'est plus le pays des miracles... si elle l'avait jamais été.

LES RAISONS DU « MIRACLE » : LA SUREXPLOITATION DE LA CLASSE OUVRIÈRE ALLEMANDE

Les économistes du monde bourgeois se sont beaucoup et longtemps extasiés sur ce qu'ils ont appelé le « miracle économique allemand », la rapidité avec laquelle la République Fédérale Allemande a reconstruit son économie après-guerre pour redevenir et rester une des premières grandes puissances mondiales, une de celles qui aujourd'hui encore résiste le moins mal à la crise.

Mais la réussite industrielle et commerciale spectaculaire de l'Allemagne des années 1949 à 1958 - car c'est là que le vrai « miracle » a eu lieu - tenait à des raisons simples, pas miraculeuses du tout, mais circonstancielles (et sur lesquelles les économistes bourgeois n'aiment pas s'étendre) la surexploitation de la classe ouvrière allemande dans les années de l'immédiat après-guerre.

C'est à cette période que l'économie allemande a connu un taux de croissance annuel de son produit intérieur brut de 8 %, jamais retrouvé ensuite même dans les années 1960-1970 dites de « boom économique » général. C'est dans ces années 1949-1958 que l'indice de la production industrielle est passé de 100 à 215, que le revenu national (injustement réparti entre le capital et le travail) s'est élevé de 74 à 178 milliards de marks. A un excédent des importations a succédé un excédent des exportations de 5 milliards de marks ; et à un déficit en or et en devises, un excédent de 26 milliards.

Et derrière ces chiffres qui indiquent un bond plus rapide qu'aucun autre grand pays industriel n'en a fait dans le même temps et qui a permis ensuite le maintien, puis le moindre déclin, de certaines performances économiques, se cachent surtout la peine, la faim, le déracinement de millions d'hommes et de femmes, que des conditions économiques et politiques particulières ont soumis à un très dur esclavage salarié.

1945 : un potentiel industriel abîmé, mais pas détruit

Au lendemain de la guerre, l'économie de l'Allemagne s'effondra. L'indice de la production industrielle tomba de 100 en 1936 à 27 en 1946. Il atteignait alors seulement 1/3 de celui de la France ou de la Grande-Bretagne. La production agricole chuta aussi de moitié.

Mais divers historiens et économistes soulignent que si le potentiel économique de l'Allemagne fut endommagé, il ne fut pas diminué. Il fut peu touché par les bombardements et les combats. Les forteresses volantes alliées pilonnèrent les grandes villes pour ébranler le moral des populations, pour décourager toute tentative de révolte. Dresde, Hambourg, Cologne furent détruites à 90 %. Mais « les alliés ont préféré bombarder les quartiers ouvriers et les voies de communication que les grandes usines » écrivait André Piettre en 1952, « la destruction des grands complexes industriels n'était pas comparable avec la destruction des maisons des quartiers ouvriers ». Selon cet auteur, les industries minières et sidérurgiques n'auraient été touchées qu'à 10 % ; la chimie et la mécanique à 10 ou 15 % ; le textile à 20 % : « Pour l'industrie allemande, la catastrophe de 1945 était donc beaucoup moins un « effondrement » qu'une « crise » très particulière, essentiellement une crise d'approvisionnement, de rendement, de moyens de transports ».

En effet, presque tous les ponts de chemin de fer sur les grands fleuves étaient détruits, ainsi que la moitié du parc ferroviaire. Les villes n'étaient donc plus ravitaillées en produits alimentaires, les usines ne l'étaient plus en matières premières et produits énergétiques. Ce à quoi s'ajoutèrent les conséquences économiques clos bouleversements politiques et humains

Des relations économiques traditionnelles bouleversées par des frontières nouvelles

2 (24 % du territoire de 1937) peuplé de dix millions d'habitants, représentant de riches terres agricoles et des zones industrielles importantes, dont la Haute-Silésie. Pour l'essentiel, ces territoires devinrent partie de la nouvelle Pologne. Et puis, en 1948-1949, avec la division du monde en deux blocs, naquirent deux Allemagne, celle de l'Ouest, englobant les anciennes zones d'occupation militaire américaine, anglaise et française, et celle de l'Est, ex-zone d'occupation militaire soviétique.

De ce fait, par rapport à l'ancien Reich, la nouvelle République Fédérale était amputée de moitié.

Cette division du territoire, en zones d'occupation militaire d'abord, en États séparés par des frontières étanches ensuite, brisait les échanges traditionnels entre régions complémentaires.

Les réfugiés, une main-d'oeuvre exploitable à merci

A cette amputation économique du territoire de ce qui devint, en 1949, la RFA, venaient s'ajouter les bouleversements démographiques, humains. La guerre fit quelque trois millions de morts chez les militaires, et autant chez les civils. Beaucoup d'Allemands perdirent tout du fait des bombardements ou de l'exode devant les combats. Et surtout, les remaniements territoriaux amenèrent sur le sol de la future Allemagne de l'Ouest, de 1945 à 1961, date de la construction du mur de Berlin, quelque treize millions d'hommes et de femmes : 9,6 millions d'expulsés des territoires cédés à la Pologne ou à l'URSS entre autres, et 3,7 millions de réfugiés qui quittèrent « volontairement » la zone d'occupation soviétique transformée ensuite en RDA, ou les pays de l'Est. Ces réfugiés surtout représentèrent un apport de population jeune, souvent qualifiée, car seuls ceux qui avaient l'espoir d'un reclassement tentèrent l'aventure.

Pour les seules années 1945-1946, l'Allemagne de l'Ouest vit donc arriver sur son sol près de dix millions de personnes, soit un accroissement net égal au tiers de la population existante. Dix millions de personnes sans feu ni lieu, sans toit, ni travail, ni nourriture. En 1946, le déficit total des logements était évalué à 6 millions, et pour la majorité de cette population, déracinée (mais quelquefois pas moins que la population « locale » décimée par les bombardements et les exodes), c'était la détresse, la pénurie profonde, la faim ou la débrouille par le marché noir.

Et ce qui a été un drame pour les hommes - les années 1945 à 1948 ont été les pires années de misère, de faim et de froid pour les classes populaires allemandes - a été une aubaine, un élément essentiel du fameux « miracle » pour les profits capitalistes.

Eh oui, pour le Capital, ces millions de gens déboussolés par la défaite et l'opprobre que le monde jetait sur l'ex-Allemagne nazie, souvent transplantés, privés de propriété et acculés à vivre dans des caves ou des hangars, représentaient ce que les économistes bourgeois appellent une « main-d'oeuvre abondante, mobile, disponible », et de surcroît de langue et de culture allemandes, qui a permis la constitution d'une « vaste armée industrielle de réserve » ! En 1950, la RFA comptait deux millions de chômeurs. En 1955, elle en comptait encore plus d'un million. Et cette « armée de réserve », écrit Bernard Keizer dans un ouvrage sur le « Modèle économique allemand » publié en 1979 par la Documentation Française, « a joué un rôle certain dans la modération des hausses de salaires dans les années 1950 » . En fait, toutes ces années d'après-guerre ont été des années de quasi blocage des salaires.

Le démarrage économique de l'allemagne financé par des capitaux américains

Mais un potentiel industriel finalement peu détruit par la guerre, un réservoir de main d'oeuvre disponible immense, cela ne pouvait suffire, évidemment, à assurer le redressement des profits capitalistes. II fallait aussi des capitaux... que fournirent les Alliés occidentaux, l'impérialisme américain surtout, pour des raisons économico-politiques.

En application des accords de Postdam, signés en 1945, les alliés occidentaux qui se partagèrent l'occupation militaire de l'Allemagne, déclarèrent d'abord vouloir assurer la « dénazification » du pays, la « déconcentration », la « décartellisation » de l'industrie. Les trusts anglais, français voire américains qui étaient derrière les dirigeants politiques, ont profité de l'occasion politique pour diminuer la puissance et la concentration de leurs concurrents allemands. Pour se payer des réparations de guerre, les alliés définirent entre autre une politique de démontage des usines. Dans les zones occupées par les Alliés occidentaux, 1800 entreprises étaient désignées au démontage.

Mais ces principes de dénazification, décartellisation et déconcentration ne connurent qu'un vague début d'application. Les biens des grands Konzerns miniers et sidérurgiques furent placés sous séquestre. Krupp et moins d'une dizaine de dirigeants de sa firme furent arrêtés comme criminels de guerre, ainsi que quelques autres grands chefs d'industrie. La déconcentration se traduisit par l'éclatement des principaux groupes monopolistes. Dans les secteurs de la chimie (les sociétés Badische Anilin, Casella, Bayer, Höchst, qui avaient constitué les IG-Farben redevinrent indépendantes). Dans le secteur des industries minières et sidérurgiques, les douze plus grandes sociétés qui produisaient 90 % de l'acier et 50 % du charbon éclatèrent en 28 sociétés indépendantes. Dans le secteur bancaire, les trois grands groupes « Commerzbank », « Deutsche Bank », « Dresdner Bank » - ceux dont on retrouve le nom aujourd'hui ! - furent remplacés par trente instituts bancaires dont le rayon d'action n'était pas autorisé à dépasser les limites d'un Land. Mais il n'y eut pas d'expropriation, certains grands actionnaires furent seulement incités à céder une fraction de leurs participations à de nouveaux... ce qui n'eut pas vraiment lieu et fit que, très vite, les sociétés issues d'un même groupe se rassemblèrent à nouveau pour ressouder de grands ensembles.

A cette époque de la reconstruction, les dirigeants des syndicats dont la reconstitution avait été autorisée, voire encouragée sous certaines formes dans la mesure où ils collaboraient avec les forces occidentales d'occupation, avaient avancé un programme de nationalisation des grands trusts que les travaillistes anglais, dans leur zone, semblaient encourager.

Mais les grands groupes américains possédaient des intérêts dans les Konzerns allemands dont ils ne souhaitaient évidemment pas la nationalisation. Et surtout, au cours de l'année 1946, les débuts de la guerre froide entraînèrent un revirement total de la politique américaine. En Allemagne occidentale, comme au Japon, les USA décidèrent d'assurer le redressement économique de l'ancien adversaire. Ils pensaient atteindre plus vite et plus sûrement cet objectif par le maintien ou la restauration des anciennes structures de l'économie allemande. II ne fut donc plus question longtemps de déconcentration, de limites fixées à la production, et de démontages.

Dans les années 1946 à 1948, la poursuite des démontages, ici et là, de façon incohérente et arbitraire, provoqua des grèves et de violentes manifestations, en particulier dans la Ruhr, où la population se voyait acculée à un chômage pire encore. Mais ce n'est pas par souci humanitaire que les alliés anglo-américains changèrent leur fusil d'épaule. C'est pour des raisons politiques. Ils ne voulaient pas laisser les populations de leurs zones, industrialisées, dans la misère et le chômage, par crainte que le désespoir ne suscite des réactions dans la classe ouvrière.

Les dirigeants américains furent donc amenés, puisque les exportations couvraient à peine le tiers des importations nécessaires, à fournir gratuitement des denrées alimentaires et des matières premières. Cette aide, organisée dès 1945, se monta à 64 millions de dollars en 1945, 468 millions en 1946, 600 millions en 1947, 883 millions en 1948. Sur le plan économique et militaire, l'Allemagne de l'Ouest devenait pour les impérialistes américains une pièce maîtresse de l'organisation du camp occidental, face au camp communiste et contre lui.

C'est dans cette perspective que fut décidée la réforme monétaire de 1948. L'ancien Reichmark - qui était, dit-on, moins recherché comme moyen d'échange que la cigarette américaine - fut dévalué de quelque 93 % de sa valeur pour donner naissance à un Mark nouveau qui eut cours dans les zones occidentales. La mesure était économique, destinée à favoriser les seuls détenteurs de biens réels, les capitalistes allemands, chefs d'entreprise, libérés de leurs dettes, au détriment des couches populaires. Mais elle fut aussi politique. Dans la mesure où elle ne concernait que les zones occupées par les alliés occidentaux, c'était un premier pas vers la division de l'Allemagne, à l'image de la division du monde. Aux deux monnaies de 1948, succédèrent un an plus tard les deux États, définitivement séparés par une frontière. La RFA naissait officiellement en 1949, et la RDA juste après.

Les années 1948-1950 furent celles du réel redémarrage, sur des bases toutes nouvelles, de l'économie de la RFA, celles aussi où le grand capital se paya sur la surexploitation forcenée de la force de travail.

La réforme monétaire donna un coup d'arrêt au marché noir. Dans le second semestre 1948, à la suite de cette réforme décidée en juin, la production industrielle augmenta de 50 %. Les salaires retrouvèrent un certain pouvoir d'achat, contrairement aux années précédentes mais ils furent bloqués à un niveau très bas, ce qui donna lieu, en novembre 1948, à une grève nationale de 24 heures à l'appel des syndicats, qui prit les proportions d'une grève générale à laquelle participèrent 9 250 000 travailleurs.

Dans cette période, l'Allemagne reçut 1,5 milliard de dollars de crédits américains au titre du Plan Marshall, puis deux milliards au titre du programme GARIOA (Government Aid and Relief in Occupied Areas), presque un milliard encore provenant de fonds divers. En montant absolu, cette aide aurait été comparable àcelle reçue par la France, mais elle aurait été bien plus concentrée dans le temps en RFA, au tout début de la reprise économique, et elle permit très vite et des investissements importants dans les secteurs de base, et le paiement des importations qui leur étaient nécessaires.

Un appareil industriel rajeuni

Ces circonstances particulières permirent donc au capitalisme allemand de redémarrer, avec un stock de capital industriel très neuf. Les équipements avaient déjà connu un important rajeunissement sous le nazisme : « La part du capital fixe de moins de dix ans d'âge passe de 29 % en 1935 à 35 % en 1940 et 55 % en 1945« . Avec les démontages... et les remontages à l'aide de capitaux américains, elle était encore de près de 50 % en 1950.

A partir de 1953, les investissements furent de plus en plus financés par un afflux de capitaux étrangers privés (40 milliards de Marks entre 1953 et 1962), surtout d'origine américaine. S'ajoutèrent les effets de « l'intégration économique européenne ». Les traités de la CECA - Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier - furent signés en 1951 sous la houlette de l'impérialisme américain afin d'assurer à l'industrie allemande - et aux capitaux américains qui y étaient investis - un marché privilégié en Europe.

À la recherche de nouveaux marchés

D'emblée la nouvelle RFA qui moins que l'Allemagne précédente ne pouvait vivre en autarcie, reconstruisit un potentiel économique fondé sur les exportations. Dans les années d'après-guerre, la RFA bénéficiait d'un contexte mondial favorable à cette orientation. Les autres grandes nations industrialisées d'Europe étaient prisonnières de dépenses importantes consacrées aux guerres coloniales. Les USA avaient à faire face, en plus de l'aide pour le redressement de l'Europe, à la guerre de Corée et à un énorme grossissement de leur budget militaire pour financer la politique de « guerre froide ». Le capitalisme allemand, lui, non seulement n'avait pas ces problèmes, mais trouvait dans les difficultés des autres impérialismes et leurs besoins pour financer leurs dépenses militaires un marché nouveau pour le charbon et l'acier, pour les biens d'équipement, en particulier les machines-outils.

Ainsi, se remit vite sur pied une industrie moderne et compétitive à la fois pour des raisons techniques et des raisons sociales, du fait du contexte défavorable à la classe ouvrière. Rapidement, l'industrie se reconcentra.

Dès 1951, furent abolies en RFA toutes les limites que les Alliés avaient mises au développement de la production en quantité. Seules furent encore interdites, quelques années, les productions militaires... mais pas les usines qui tournaient pour exporter ce qui était nécessaire à la production militaire... des autres.

Tous les grands cartels se reconstituèrent donc. Une enquête décidée par le gouvernement fédéral à la fin de 1960 montrait que, suivant les secteurs, le chiffre d'affaires des dix plus grandes firmes représentait de 37 % à 92 % du chiffre d'affaire global pour l'ensemble du secteur. Dans ce processus, le rôle principal fut tenu par les grandes banques, reconcentrées elles aussi, qui contrôlaient, dès 1960, les trois quarts du capital social des 427 plus grosses sociétés. Et l'État joua aussi son rôle. D'abord, au travers du secteur important qu'il contrôlait. Ensuite, par sa politique fiscale qui favorisait les entreprises intégrées et les cartels, au point que des économistes ont parlé de structures « oligo-politiques » cachées derrière le paravent de la pseudo-économie de marché, et du pseudo-libéralisme économique.

Ainsi, le « miracle allemand » des années 1945 à 1958 a surtout consisté en ce que, dans des circonstances économiques, sociales et politiques très particulières, tous les efforts du pays ont été concentrés sur l'investissement et la croissance des profits. Peu d'argent fut alors consacré aux dépenses publiques. Le pouvoir d'achat des classes populaires fut maintenu à un niveau très bas, la pression du chômage agissant sur les salaires et les prix. Entre 1950 et 1958, l'indice du coût de la vie ne s'éleva que de 100 à 117,7. Mais pour ce qui est des salaires, leur part dans le revenu national, corrigée de la salarisation croissante, se situa, au début des années 1950, encore au-dessous du point le plus bas de l'entre deux-guerres. Et ce fut un énorme « boom » des exportations, stimulées par la faiblesse de la consommation intérieure.

Dans un ouvrage consacré à L'Allemagne (La construction des deux États allemands, 1945-1973) », Guillen et Castellan écrivent : « La propagande officielle a naturellement attribué le retour de la prospérité aux vertus de l'économie de marché et à la sagesse de la politique suivie par Erhard. En fait, sa réussite tient surtout à ce qu'il a su tirer parti d'un ensemble de circonstances favorables, les facteurs humains, le potentiel industriel, et les facteurs politiques externes ». Et Bernard Keizer, dans sa brochure déjà citée, d'aller dans le même sens : « Les conditions de départ de l'économie ouest-allemande apparaissent aux yeux de l'économiste comme très favorables à une accumulation du capital et à une croissance très rapide, ce qui, faut-il le préciser, n'enlève rien aux souffrances bien réelles de la population allemande durant cette période ».

DEPUIS LA FIN DES ANNÉES 50, UN RALENTISSEMENT PROGRESSIF DE LA CROISSANCE

Depuis les années de redressement spectaculaire d'après-guerre, le capitalisme ouest-allemand a maintenu des performances dont les impérialismes concurrents sont jaloux. Jusqu'à nouvel ordre, les profits allemands auraient plutôt mieux résisté que d'autres aux crises généralisées de 1974-1975, puis de 1980-1981 dans laquelle le monde impérialiste est toujours plongé. Mais preuve n'a pas été donnée, pas plus par les dirigeants de l'impérialisme allemand que par d'autres, que de bonnes recettes existent pour un développement harmonieux du capitalisme. Loin de là. Et aujourd'hui, si la RFA parvient en partie à maintenir sa place, contre ses concurrents, sur les marchés mondiaux dans certaines branches, si sa balance commerciale n'accuse pas de déficit, si sa monnaie est toujours réputée « forte » et soumise à une inflation modérée, si son taux de croissance est quasiment zéro... mais pas moins, le pays du prétendu miracle connaît depuis ces toutes dernières années une évolution du chômage alarmante, et un taux tout aussi alarmant de la croissance des dettes publiques. Comme si le mal chassé par la porte revenait par la fenêtre.

Sur le plan de la croissance, l'économie allemande connaît depuis les années cinquante une « décélération forte et régulière » dit Bernard Keizer. Le ralentissement progressif de la croissance tout au long de sa période a même été plus accentué en RFA que dans les autres pays industrialisés. Le rythme annuel de cette croissance, mesurée par l'évolution d'une année sur l'autre du Produit Intérieur Brut, passe de 8 % dans les années cinquante à 5 % en moyenne dans les années soixante puis à 2,5 % dans les années soixante-dix pour en arriver à 1,9 % en 1980, puis 0,2 % en 1981, selon les statistiques de l'OCDE. Déjà en 1967, à la suite de la première récession qu'elle connaissait depuis la guerre, la RFA avait frisé la croissance zéro. En 1974 et 1975, avec des taux de croissance du PIB respectivement de 0,5 % et de -2,6 % elle avait déjà, comme les autres, accusé le contre-coup de la première récession généralisée du système impérialiste mondial.

Le capitalisme allemand en est donc arrivé aujourd'hui, comme les autres, à un quasi arrêt de sa croissance. Cela ne signifie pas, bien évidemment, que certaines grandes sociétés allemandes, et de plus petites, ne continuent pas à faire de gros bénéfices, et à sauvegarder leurs profits grâce aux subsides étatiques distribués aussi largement aux industriels outre-Rhin qu'ici (et comme ici, même à ceux qui n'investissent plus ou qui licencient). Mais cela signifie que le capital allemand paie sa crise en prenant une part proportionnellement plus grande que dans les années 1960-1970 des revenus, et de ce fait, en amputant progressivement les revenus salariaux. II le fait d'abord par la réduction des emplois.

Chômage...

En 1974, la RFA ne comptait que 273 000 chômeurs. Avec la récession de 1975, le nombre de chômeurs a dépassé le million jusqu'en 1977. Puis, la situation s'est légèrement améliorée pour passer rapidement de 889 000 chômeurs en 1980 à 1 365 000 en 1981, puis 2 millions en septembre 1982 et 2 500 000 en février 1983. L'accroissement est brutal, mais il l'est surtout parce qu'antérieurement l'Allemagne avait dissimulé la poussée vers le chômage en renvoyant quelque 600 000 travailleurs immigrés .

... et dette publique

Si l'inflation est moins forte en Allemagne que dans la plupart des grands pays impérialistes, la dette publique est en revanche particulièrement élevée. Le budget de l'État allemand est déficitaire de façon aussi chronique que le budget de l'État français, et pour les mêmes raisons. Alors il faut bien financer ces déficits. L'État allemand le fait en ayant recours à l'emprunt. Du coup l'endettement des finances publiques représentait une fraction du Produit National Brut triple de ce qu'il était en France par exemple (3,5 % contre 1,2 %, et l'endettement cumulé, une fraction double, 30 % contre 15 %). Pour 1982, le déficit du budget allemand s'élevait à quelque 28 milliards de Deutsche Marks, et le service de la dette, surtout, se montait à presque 30 % du budget fédéral alors qu'il ne s'élevait qu'à 7 % du budget en 1973. Autrement dit, l'État ouest-allemand en est aujourd'hui à consacrer un tiers de son budget total à seulement payer les intérêts des dettes contractées. Contrairement à ceux d'autres grands États, ses dirigeants ont probablement moins fait tourner la planche à billets - d'où la relative stabilité monétaire (encore que l'inflation soit passée de 2,7 % en 1978 à presque 6 % en 1981. Mais pour ne pas accélérer l'inflation par la planche à billets, les dirigeants de l'impérialisme allemand vivent dangereusement à crédit, ce qui n'est probablement qu'une façon de reculer... pour mieux faire tourner plus tard, la planche à billets !

LE PARADIS FISCAL ?

Alors, il resterait quand même, nous dit-on, que la République Fédérale Allemande est le pays des salaires élevés, des avantages sociaux importants pour la classe ouvrière, les uns et les autres loyalement et sagement discutés, sans heurts, sans grèves, entre partenaires sociaux, dans un cadre institutionnalisé.

II resterait donc le « consensus social », cette collaboration étroite et satisfaite entre représentants du grand patronat et représentants de l'immense appareil syndical de la DGB, sous la surveillance attentive et bienveillante des gouvernants.

Mais les patrons ouest-allemands subissent eux aussi la rivalité économique internationale, ne veulent plus assurer aujourd'hui le même niveau de vie à la classe ouvrière que dans les années 1960-1970, ni l'État la même protection sociale. Jusqu'à quand patronat et gouvernants peuvent-ils compter sur la prétendue sagesse des travailleurs, et sur la capacité des dirigeants de la bureaucratie syndicale à faire accepter à la classe ouvrière les attaques multipliées contre leur niveau de vie ?

Le prétendu « consensus social » allemand peut se révéler aussi fragile et circonstanciel que le prétendu « modèle économique ».

Le ministre du Travail, Blüm, ami de Kohl et néanmoins membre de la centrale syndicale DGB, vient de s'illustrer par exemple par une attaque contre les handicapés. Blüm dénonce le fait que trop de gens se feraient passer pour handicapés afin de bénéficier des avantages importants auxquels cet état donne droit. Et le Spiegel, hebdomadaire proche du SPD, de répondre que si le nombre des handicapés semble quelque peu élevé par rapport à la réalité, c'est qu'un certain nombre d'handicapés décédés figureraient toujours dans les statistiques officielles.

Le débat semble lamentable, mais le gouvernement actuel, par mesure d'économie, envisage sérieusement une réduction du budget alloué aux handicapés, en particulier en réduisant le nombre de ceux qui ont droit à des allocations, ainsi qu'en supprimant aux handicapés la gratuité des transports jusqu'à présent financée par l'État.

Dans le même sens, le ministre des Finances, Stoitenberg, dont le quotidien Die Welt rapportait les propos, déplorait récemment (en se proposant d'y mettre fin) le « privilège de certains employés des services publics qui touchent une retraite supérieure à ce qu'ils gagnent quand ils sont encore en activité, ou celui de ces cheminots qui, avec un certificat médical de complaisance, peuvent obtenir une retraite anticipée avantageuse à partir de 50 ans. » Et il n'oubliait pas les jeunes qui toucheraient une aide sociale supérieure à certains bas salaires.

Ce sont là apparemment des mesquineries, mais elles sont significatives d'un climat général de remise en cause de multiples avantages acquis par la classe ouvrière dans les deux dernières décennies, de la part du gouvernement du Chancelier Kohl aujourd'hui, comme déjà depuis quelques années de la part du gouvernement Schmidt.

II est vrai que dans les années 1950 à 1970, le niveau de vie des travailleurs allemands avait quelque peu augmenté, que les salaires suivaient la hausse du coût de la vie, et que certains avantages sociaux furent concédés. Mais ce n'était pas pour autant le paradis social et les travailleurs allemands ne reçurent jamais leur part de la prospérité.

Bernard Keizer, dans la brochure déjà citée, rapporte que la part des revenus bruts du travail dans le revenu national, ces années-là, augmente régulièrement, passant de 58 % à 72 % ; mais que ce mouvement traduit simplement l'augmentation de la part des effectifs salariés dans les effectifs totaux, qui passe de 23 millions en 1950 à 26 millions en 1976, après une pointe de 27 millions en 1965. Par contre, la part des revenus nets dans les revenus bruts du travail et du capital suit une évolution très différente : « Les revenus nets du travail, plus précisément la somme nette des salaires et traitements obtenus après la déduction des impôts et cotisations sociales des travailleurs, voient leur part dans les revenus bruts baisser de 20 %... Au contraire, la part des revenus nets du capital, c'est-à-dire les revenus bruts obtenus après déduction des impôts directs des entreprises et cotisations sociales, reste assez stable, oscillant entre 75 et 80 %. » Ce qui signifie que ce qui revient aux salariés dans ces années relativement fastes est inférieur, proportionnellement, à ce qui revient au Capital. Et ce qui est pris par l'État directement sur les salaires ouvriers en Allemagne, ce ne sont pas seulement les cotisations sociales dont on pourrait admettre qu'elles reviennent sous une autre forme à la classe ouvrière, en prestations diverses ; ce sont aussi les impôts directs qui alimentent pour beaucoup, directement ou indirectement, les caisses patronales.

Même au temps de la prospérité économique, la classe ouvrière allemande n'a jamais bénéficié d'une juste répartition des richesses. L'Allemagne reste au contraire un des pays riches où la fortune est extrêmement concentrée. Une étude d'économistes de Hambourg, publiée en 1979 par la Documentation Française, donnait les résultats suivants :

- 30,1 % des ménages les plus pauvres ne possèdent que 1,55 % de la fortune nette privée, c'est-à-dire seulement 5 % de ce qu'ils posséderaient en cas de répartition égalitaire de la fortune ;

- 56 % des ménages les plus mal classés ne disposent que d'un peu plus de 6,5 % de la fortune, et 76 % des ménages, 18,6 % de la fortune ;

- en revanche, 1 % des ménages les plus riches disposent de 26,2 % de la fortune globale nette privée, tandis que 2,9 % des ménages les plus riches possèdent plus de 38,3 % de la fortune privée.

Et en RFA, depuis que sont apparus les premiers signes de la crise économique mondiale, le patronat et le gouvernement à son service s'attachent à faire en sorte que le niveau de vie des salariés baisse.

Pour ce qui est des salaires à proprement parler, la chose s'est faite avec la complicité des syndicats, car c'est entre leurs représentants et ceux du patronat, par branches, que la « ronde salariale » (Tarifrunde) de la fixation des augmentations pour l'année à venir se joue.

Traditionnellement, le manège aux rouages bien huilés tourne de la sorte : la « ronde salariale » commence àl'automne et s'étale jusqu'à l'été, les branches négociant séparément selon un calendrier fixe. La Fédération de la métallurgie, qui regroupe à elle seule 2,7 millions de syndiqués pour un total de quelque 3,7 millions de métallos, ouvre la danse et donne le ton. Le gouvernement publie les données indicatives, peu avant le début des négociations. Les syndicats réclament quelques points au-dessus et le patronat offre quelques points au-dessous ; la presse se fait largement l'écho de ce petit jeu en informant sur l'avancement de la discussion, demi-point par demi-point. En cas de difficulté, tous les experts politiques et économiques du pays y vont de leurs commentaires et positions. Une fois épuisées toutes les possibilités de négociations, qui peuvent durer plusieurs mois, la grève peut être déclenchée par 75 % au moins des salariés, et cesser si la reprise est votée par 25 % d'entre eux seulement.

Depuis 1976, le niveau de vie des salariés en baisse

Déjà, lors de la courte récession économique de 19661967, les salaires avaient été rognés lors des négociations traditionnelles. Mais ils grimpèrent à nouveau jusqu'à la crise suivante. En 1975 et 1976, par contre, avec la première récession généralisée, la centrale syndicale DGB qui se comporte loyalement vis-à-vis du gouvernement (Schmidt, à l'époque, par mesure de précaution, avait préventivement renforcé la représentation de la DGB dans son gouvernement), acceptait une politique salariale défavorable aux travailleurs. Elle admettait des hausses modestes des salaires nominaux qui compensaient tout juste l'augmentation des prix. Compte tenu de la progressivité de l'impôt et de l'augmentation des cotisations sociales, le pouvoir d'achat des salariés baissait cette année 1976 pour la première fois depuis 1949. Au contraire, les revenus non salariaux, eux, augmentaient de 10 à15 % en valeur réelle.

Depuis 1980, une baisse du pouvoir d'achat des salaires est inscrite dans les statistiques officielles. Par exemple, en 1981, le salaire moyen avait progressé de 5,8 % par rapport à l'année précédente, alors que les prix avaient augmenté de 5,9 % et les impôts de 7,5 %, ce qui avait entraîné une baisse du salaire disponible de 1,4 %.

Depuis lors, la baisse du pouvoir d'achat des travailleurs s'est accentuée, sous l'effet conjugué de l'augmentation rapide du chômage et de revalorisations des salaires insuffisantes pour couvrir l'augmentation des prix, des impôts et des cotisations sociales.

Ces trois dernières années, les négociations engagées dans la métallurgie entre le patronat et le syndicat de la métallurgie, IG Metall, aboutirent toutes à des augmentations inférieures à la hausse officielle des prix de l'année précédente (c'est sur la base de l'indice des prix de l'année précédente que se font les négociations). Ainsi, les salaires augmentèrent de 4,9 % en 1981 (alors que les prix avaient augmenté de 5,2 % en 1980), de 4,2 % en 1982 (pour 5,7 % d'augmentation des prix en 1981). Pour 1983, ils augmenteront peut-être de quelque 3,2 %, comme dans la métallurgie, ce qui se négocie encore dans certaines branches.

Traditionnellement, les négociations dans la métallurgie avec l'IG Metall - la fédération la plus puissante de la DGB - servent de référence aux négociations des autres branches. Mais ce n'est pas une obligation pour les patrons. Ainsi, dans la chimie, par exemple, les salariés ont obtenu cette année 3,2 % d'augmentation pour 14 mois au lieu de 12, ce qui revient à un blocage des salaires pour deux mois dans cette branche.

Pour le secteur public également, les augmentations sont inférieures à celle de la métallurgie. Déjà, l'année dernière, le gouvernement de Helmut Schmidt voulait imposer une diminution de 1 % des salaires des fonctionnaires au ter janvier 1982. Mais devant la menace du syndicat le plus important du secteur public, l'oe TV (qui appartient à la DGB), il recula. II se rattrapa ensuite en limitant la revalorisation des salaires de toute l'année à un taux inférieur à celle prévue pour la métallurgie. Cette année, le gouvernement Kohl a fixé l'augmentation des fonctionnaires à 2 %. Pour les travailleurs du secteur public qui n'ont pas le statut de fonctionnaires, une négociation est en cours entre les syndicats et les employeurs (État, communes, provinces) où ces derniers proposent aussi 2 %.

Dans les secteurs en crise, où pèse particulièrement la menace de chômage, certains patrons prennent des initiatives plus spectaculaires. Selon l'hebdomadaire Die Zeit, certains ont récemment demandé, ici ou là, au comité d'entreprise d'accepter que les salariés leur prêtent de l'argent ou renoncent à des primes. Ce fut le cas dans la sidérurgie, pour l'entreprise ARBED-Saarstahl, qui compte 20 000 salariés. Autre variante de la même démarche, aux Chantiers Navals NobiskrugWerft, la direction a demandé que les salariés renoncent à une partie de leur salaire pour permettre le financement d'embauches.

L'ALLEMAGNE CAPITALISTE DANS LA CRISE

Alors, la RFA a longtemps été présentée comme un modèle, non seulement de réussite économique, mais aussi de réussite sociale. Dans les années de l'âge d'or de la croissance, ses dirigeants avaient échafaudé une théorie de la prétendue capacité du capitalisme à assurer à la fois l'amélioration du niveau de vie des travailleurs, et la croissance des profits par la vente des marchandises, et affirmé la suprématie d'une prétendue « économie sociale de marché ».

C'est Ludwig Erhard, ministre des Finances du Chancelier Adenauer, puis Chancelier lui-même, qui assura le succès de la formule au début des années cinquante. II était donc fièrement - et imprudemment - affirmé que le profit capitaliste réalisé sur le marché allait, et irait de pair avec toujours plus de bien-être social.

Aujourd'hui, on peut constater qu'avec la croissance qui tend à passer en-dessous de zéro, la protection sociale des travailleurs, elle aussi, tend à devenir moins que rien.

Depuis 1976, en Allemagne de l'Ouest, non seulement le patronat impose aux travailleurs des augmentations de salaire moindres que la hausse officielle du coût de la vie, mais les hommes politiques qui sont à la tête de leur État, qu'ils soient sociaux-démocrates ou démocrates chrétiens, cherchent - et réussissent en partie - à remettre en cause ce qu'on appelle à tort des « acquis sociaux ». En RFA comme en France, les travailleurs font l'expérience qu'avec la survie de l'exploitation capitaliste, rien ne leur est jamais acquis.

Depuis quelques années, Schmidt d'abord, Chancelier jusqu'à l'automne dernier, puis Kohl qui a pris le relais, se sont engagés dans des plans dits de « restrictions » ou d'économies budgétaires qui constituent des retours en arrière en matière de protection sociale légale.

Et ce qui est frappant, c'est que de part et d'autre du Rhin, la même volonté de drainer au profit des industriels et des banquiers en déroute une part toujours plus grande de la richesse sociale aboutit presqu'exactement au même catalogue de mesures. Et que la même rapacité sans vergogne conduit, là-bas comme ici, à prendre prioritairement à ceux dont la situation est la plus précaire et auxquels il est le plus difficile de réagir : aux travailleurs âgés, aux chômeurs, aux malades et jusqu'aux... handicapés.

Tandis que les cotisations à l'assurance-chômage des salariés passaient, par étapes successives, de 0,7 % du salaire avant 1975 à 2,25 % en janvier dernier, les allocations et les droits des chômeurs étaient restreints. Ces allocations, qui représentaient 68 % du salaire n'en représentent plus que 62 % en moyenne, en particulier parce que depuis janvier 1982, un certain nombre de primes et d'indemnités ne sont plus comptées dans le salaire de référence qui sert au calcul des allocations. Et le nombre des chômeurs indemnisés a été réduit aussi ; depuis janvier 1982, toujours, il faut avoir travaillé 360 journées au cours des trois années précédant le début du chômage, alors qu'il en suffisait de 180 auparavant.

Le montant des retraites, lui aussi, est sérieusement entamé. Si les gouvernements sociaux-démocrates avaient pu se flatter d'avoir fait du social, c'était en particulier en matière de retraites. Elles avaient connu une relative progression jusqu'en 1977. En 1972, en particulier, elles avaient connu deux augmentations successives de 6,3 % et 9,5 % alors que les prix augmentaient de 5,3 % seulement. Et encore en 1977, les retraites avaient augmenté de 9,9 %, soit 5,4 % de mieux que la hausse du coût de la vie.

Depuis cependant, elles prennent de plus en plus de retard. Après 1977, le gouvernement laissa s'écouler un an et demi avant l'augmentation suivante, et celle-ci, en 1979, ne fut que de 4,5 %. En 1980, puis en 1981, avec 4 % d'augmentation, la revalorisation des pensions devint inférieure à la hausse des prix. Puis, une nouvelle fois, les retraites furent bloquées pendant un an et demi par le gouvernement Schmidt, jusqu'en juillet 1983 où elles devraient augmenter de 5,6 %, revalorisation tardive dont il faudra d'ailleurs prélever 1 %, car les retraités commenceront alors à cotiser pour l'assurance-maladie.

Et pour ce qui est de ce système d'assurance-maladie, il est lui aussi menacé. L'indemnisation intégrale, durant six semaines, des congés maladie, pour laquelle 34 000 métallos de la province du Schleswig-Holstein avaient en 1959 mené la plus longue grève de l'histoire de la RFA, est remise en question. Et en ce qui concerne les dépenses de santé, le gouvernement Schmidt avait eu d'autres idées d'économies : imposer un forfait hospitalier de 5 DM (soit 15 francs) par jour pendant les sept premiers jours d'hospitalisation. L'idée n'est pas remise en cause mais le gouvernement actuel, lui, envisage de porter à... quatorze jours la durée pendant laquelle ce forfait serait dû.

Alors, reste à savoir ce que seront les réactions de la classe ouvrière allemande. Contrairement à ce que beaucoup disent, elle n'est pas plus passive, pas moins combative, que les autres classes ouvrières d'Europe. Dans son histoire récente, elle a mené un certain nombre de grandes grèves qui ont bousculé les petits calculs syndicaux et patronaux, en particulier les grandes grèves de l'imprimerie en 1976, ou celles des dockers et des sidérurgistes en 1978.

Alors, après que ce soit écroulé le mythe du miracle économique allemand, puis le mythe du miracle social, la bourgeoisie allemande peut craindre que s'écroule à son tour le mythe de l'esprit de conciliation et de collaboration de la classe ouvrière allemande.

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