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- Lutte de Classe n°119
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Il ne faut pas confondre l'arène parlementaire et électorale avec celle de la lutte des classes
Au lendemain de l'élection de Mitterrand à la présidence de la République, Rouge écrivait : « Nous savions que la défaite de la droite ne résoudrait pas tous les problèmes, vu la politique du PC et du PS, mais nous étions convaincus qu'elle redonnerait confiance aux travailleurs, qu'elle créerait une nouvelle situation, beaucoup plus favorable pour le développement de mobilisations ouvrières et la réalisation de l'unité de combat des travailleurs » .
En parlant aujourd'hui, dans leur « texte sur la période » , de la « déception » et de la « désorientation d'une fraction importante de la classe ouvrière » , les camarades de la majorité du Comité central de la LCR montrent qu'ils ont révisé leur appréciation des possibilités qu'était censée offrir la victoire électorale de Mitterrand. Il est vrai que les faits sont têtus, et se sont chargés depuis quatre ans de contredire les illusions que beaucoup nourrissaient en 1981.
Mais dans la position adoptée par les camarades de la LCR à l'époque, il n'y avait pas qu'une erreur d'appréciation sur la dynamique que la victoire électorale de la gauche était susceptible de déclencher. écrire : « tout devient possible » , c'était certes se tromper à ce sujet. mais titrer : « première victoire » , « on a gagné » , et présenter la bourgeoisie française comme « une classe qui vient de subir un revers » et qui se sent « menacée dans ses privilèges », c'était aller encore plus loin, c'était présenter l'échec électoral de giscard comme une défaite de la bourgeoisie elle-même, et donc comme une victoire pour les travailleurs. et crier à mitterrand, à l'occasion de la formation du gouvernement « pas de politiciens bourgeois ! » , c'était sous-entendre que mitterrand lui-même n'en était pas un.
(Toutes ces citations des propos tenus par les camarades de la LCR au lendemain de l'élection de Mitterrand sont tirées du numéro de Rouge daté du 15 au 21 mai 1981).
Alors, en révisant leur appréciation des possibilités qu'était censée ouvrir l'élection de Mitterrand, les camarades de la LCR ont-ils en même temps rompu avec les modes de raisonnement qui, pendant des années, les ont mis à la remorque de l'Union de la gauche ? Eh bien, rien n'est moins sûr. Et la manière dont ils expliquent eux-mêmes les origines de leur erreur d'appréciation est à cet égard significative.
Toujours d'après le projet de texte majoritaire « sur la période » , la « victoire de mai 1981(...) ne se caractérise nullement par la défection de quelques couches petites-bourgeoises, traduisant un « ras-le-bol » du régime giscardien, mais par un vote ouvrier massif » . Pourquoi cette affirmation, dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle ne correspond pas à une évidence (car la rivalité Giscard-Chirac n'a pas été pour rien dans le succès de Mitterrand comme n'y a pas été pour rien que Mitterrand soit apparu capable de réduire l'influence du PC au profit du PS), mais dont le caractère secret du vote rend bien sûr impossible de démontrer mathématiquement la fausseté ? Sans doute pour donner une image de classe (le « vote ouvrier massif » ) à l'élection de Mitterrand. Et nous allons le voir, les camarades de la LCR ont toujours une fâcheuse tendance à confondre le terrain électoral avec celui de la lutte des classes, et les forces politiques qui s'affrontent dans l'arène électorale avec les classes sociales en lutte.
En 1981, les camarades de la LCR affirmaient en substance que, de la même manière que la victoire électorale du Front Populaire, en 1936, avait été suivie de la vague de grèves de juin, l'élection de Mitterrand ne manquerait pas de déboucher sur une montée des luttes ouvrières. Aujourd'hui, ils reconnaissent que « le parallèle avec le Front Populaire a pu fausser nos analyses » . Mais le nouveau parallèle qu'ils établissent avec juin 36 n'est pas plus juste que le précédent. Voilà en effet ce que l'on peut lire à ce propos dans le « texte sur la période » de la majorité : « L'accession au pouvoir du Front Populaire n'avait certes pas été précédée par une longue période de montée de la combativité ouvrière dans les usines. Mais elle se situait par contre à la crête d'une poussée unitaire qui s'était caractérisée non seulement par le rapprochement des partis ouvriers mais par une réunification syndicale. Mai 1981 se situe au contraire à la crête d'un profond processus de division » .
A lire ces lignes où la seule différence entre juin 36 et mai 81 est la « poussée unitaire », on croit rêver. Il n'y eut peut-être pas avant juin 36 une « longue période de montée de la combativité ouvrière dans les entreprises », mais comme l'écrivait Trotsky « la question de la radicalisation des masses ne se limite pas au seul mouvement de grèves. Où en est la lutte politique ? » et il suffit de lire les textes de Trotsky de cette période 34-36 pour voir que de son point de vue on assistait incontestablement, en France, à une radicalisation de la classe ouvrière, radicalisation qui s'exprimait entre autres choses par le renforcement de l'influence du Parti Communiste (alors qu'en 1981, ce fut le phénomène inverse que les résultats électoraux mirent en évidence).
Quant à la relation entre cette radicalisation et le problème de l'unité, nous ne pouvons que renvoyer les camarades de la LCR à ce qu'écrivait ce même Trotsky à ce propos, en novembre 1935, dans un article intitulé « Front Populaire et comités d'action » : « Au moment où la question de vie ou de mort pour les masses révolutionnaires est de briser la résistance des appareils social-patriotes unis, les centristes de gauche considèrent « l'unité » de ces appareils comme un bien absolu, situé au-dessus des intérêts de la lutte révolutionnaire (...) La condition de la victoire du prolétariat est bi la liquidation de la direction actuelleb0i (c'est Trotsky qui souligne) . Le mot d'ordre de « l'unité » devient, dans ces conditions, non seulement une bêtise, mais un crime ».
En 1981, faire de l'unité des appareils un bien absolu, situé au-dessus des intérêts de la lutte révolutionnaire, fut seulement une bêtise, parce que par rapport à 1936, il manquait l'essentiel, la radicalisation. Car c'est là, dans la différence de niveau de combativité et surtout de conscience de la classe ouvrière, que résidait la différence fondamentale entre la situation de 1936 et celle de 1981. Mais cela, les camarades de la LCR n'y ont pas attaché d'importance, car ils se préoccupent bien plus de ce qui se passe au niveau des appareils (à travers les problèmes électoraux, la question de « l'unité » ) que de l'évolution du niveau de conscience de la classe ouvrière.
Le mode de pensée qui consiste à confondre la lutte des classes et les péripéties électorales n'a d'ailleurs pas disparu, il s'en faut de beaucoup, des projets de thèse de la LCR. C'est plus qu'évident en ce qui concerne la tendance dite BAD ( « Battre l'austérité, battre la droite » ), qui se donne pour but « d'empêcher que le 10 mai ne soit renversé ». Cela l'est aussi en ce qui concerne la minorité de la majorité (le deuxième texte « sur la période » ) qui continue à parler de « la défaite que constitua, pour la bourgeoisie, le succès électoral de la gauche ». Mais c'est vrai aussi pour la majorité qui multiplie, dans ses textes, les formulations ambiguës laissant croire que la gauche réformiste au gouvernement, ce n'est plus tout à fait la bourgeoisie au pouvoir.
Voyons par exemple comment le « projet de thèses politiques présenté par la majorité du comité central » analyse la politique économique du gouvernement de gauche, après mai 1981. ce texte constate d'abord que « la tentative de relancer la production et les investissements par la relance de la consommation populaire (...) tourna rapidement court ». mais c'est pour écrire ensuite : « sauf à s'accompagner de mesures anticapitalistes incompatibles avec sa logique réformiste, la gauche ne pouvait, dès lors, que se heurter aux lois du marché mondial ».
Mais qu'est-ce que cela veut dire, la « logique réformiste » ? Si les rédacteurs de ce texte voulaient dire par là que comme tous les réformistes au gouvernement, Mitterrand, Mauroy et Fiterman n'avaient d'autres ambitions que de vouloir gérer les affaires de la bourgeoisie, et qu'il n'était pas question pour eux de s'en prendre aux intérêts de cette bourgeoisie, cela pouvait se dire plus clairement. Et pourquoi ajouter que « la gauche ne pouvait, dès lors, que se heurter aux lois du marché mondial », alors que cette gauche venait gouverner dès le départ dans le cadre et le respect de ces lois (ce qui n'est d'ailleurs pas incompatible avec une tentative de relance de la consommation populaire, au demeurant bien modeste).
Simple obscurité de formulation ? On pourrait le croire, si ce genre de formulations ne revenaient pas régulièrement.
Par exemple, le projet de thèse parle ensuite de « l'orientation choisie par la droite et le patronat ». Mais s'il y a d'un côté la gauche, et de l'autre, « la droite et le patronat », c'est que la gauche, même réformiste, et le patronat, constituent pour les rédacteurs de ces textes deux termes antinomiques. La majorité des patrons ne porte certes pas la gauche dans son coeur, mais cela n'empêche pas cette gauche de défendre les intérêts du patronat. Et confondre les notions politiques de droite et de gauche, et les notions sociales de bourgeoisie (ou patronat, bien que ce terme soit moins précis) et de classe ouvrière, c'est une source de confusion politique.
Pour gérer les affaires de la bourgeoisie, pour exercer le pouvoir gouvernemental, bien des équipes, des hommes et des partis peuvent être en concurrence dans les régimes parlementaires. Non seulement des hommes et des partis issus de la bourgeoisie, grande ou petite, elle-même, et professant l'idéologie libérale (au sens d'être favorable à la libre entreprise) de cette classe sociale, mais aussi des hommes et des partis issus du mouvement ouvrier, s'attachant à parler un langage plus ou moins teinté de socialisme, et s'efforçant de convaincre la bourgeoisie que grâce au crédit dont ils disposent vis-à-vis des travailleurs, ils pourront lui garantir la paix sociale plus facilement que les partis bourgeois classiques. C'est ce que l'on a coutume d'appeler la gauche réformiste.
Mais ce terme de réformiste, né de l'histoire du mouvement ouvrier, est un instrument de raisonnement dangereux, si on le prend dans son sens originel de partisan de méthodes réformistes pour aller au socialisme, car les faits ont tranché depuis longtemps la vieille querelle entre révolutionnaires et réformistes au sein du mouvement ouvrier. Depuis 1914, aucun travailleur conscient ne peut considérer le réformisme autrement que comme l'idéologie, autrement dit le discours, de partis qui postulent à la gestion des affaires de la bourgeoisie. C'est à cela, et à rien d'autre, que se résume de nos jours le projet politique des réformistes. Attendre d'eux une politique plus favorable aux intérêts des travailleurs est un non-sens.
En 1929, alors que le mouvement ouvrier était loin de disposer en ce domaine d'une expérience aussi riche qu'actuellement, à une époque où les gouvernements « socialistes » faisaient encore figure d'exception, trotsky écrivait déjà à ce propos : « la social-démocratie au pouvoir ne signifie même pas que des réformes vont être réalisées. quand la bourgeoisie se sent obligée de consentir à une réforme sociale, elle le fait elle-même, sans céder cet honneur à la social-démocratie. lorsqu'elle permet aux socialistes de la servir, elle les prive même de l'argent de poche nécessaire à couvrir les dépenses d'une activité réformatrice » .
Près de soixante ans d'histoire se sont déroulés depuis, et ont complètement confirmé ce point de vue. Et cette expérience n'a pas non plus empêché les partis réformistes de continuer à postuler, en toute connaissance de cause, à la gestion des affaires de la bourgeoisie.
Les partis réformistes ne sont donc des partis ouvriers que du point de vue de leur origine historique ; que du point de vue aussi (et à un degré variable pour chacun d'eux) des couches sociales dans lesquelles ils recrutent. Mais du point de vue des intérêts qu'ils défendent au gouvernement, ce sont des partis bourgeois.
En conséquence, parler à propos de la politique actuelle du RPR et de l'UDF, de la « stratégie de reconquête du pouvoir (des) partis bourgeois » , affirmer que Mitterrand envisage une « collaboration de la social-démocratie avec certaines fractions bourgeoises » , cela contribue à masquer les vrais problèmes, et non pas à les éclairer.
Les rédacteurs du projet de thèses majoritaire ont même tellement l'habitude de prendre les péripéties de la vie parlementaire pour la traduction directe d'affrontements entre les classes sociales, ou au sein des classes sociales, qu'ils appliquent cette même méthode aux conflits qui surgissent au sein de la droite, ce qui aboutit à une vision grand-guignolesque, pour ne pas dire croquignolesque, de la vie parlementaire française.
La lecture du texte majoritaire « sur la période » nous apprend ainsi, non seulement qu'il existe « en France comme dans tous les pays capitalistes » une « incapacité des possédants à réorganiser les formes de leur domination politique » , mais encore que la crise économique des années 70 était survenue dans un contexte marqué par « l'incapacité de la bourgeoisie à régler la succession de de Gaulle » (comme si Pompidou avait été une si mauvaise solution pour la bourgeoisie française), et également que les événements de mai-juin 1968 ont ouvert « une crise durable du mode de domination bourgeois » . On comprend qu'après 17 ans d'une telle crise « durable » la bourgeoisie française ne soit pas trop affolée. Car on pourrait tout aussi (ou aussi peu ?) sérieusement parler des 70 ans de crise « durable » de la Ille République, qui de 1871 à 1940 vit se succéder plus de 90 gouvernements.
Mais il faudrait peut-être mieux se demander si ces « crises durables » ne sont pas le mode normal de fonctionnement du système.
L'avantage du système parlementaire, pour la Bourgeoisie, c'est d'offrir une issue sans risque au mécontentement des masses populaires : les changements d'équipe gouvernementale, « l'alternance », se chargeant de dissimuler que la constante de l'action de l'État est la défense des intérêts de la grande bourgeoisie. Une trop grande instabilité du système, comme ce fut le cas sous les IIIe et IVe Républiques, peut évidemment perturber l'efficacité du travail gouvernemental, mais une trop grande stabilité peut en sens inverse empêcher le système de jouer préventivement son rôle d'amortisseur, comme ce fut le cas en 1968, après dix ans de pouvoir gaulliste.
Les changements d'hommes et d'équipes à la tête des institutions gouvernementales, de même bien sûr que la concurrence entre eux, font donc partie du fonctionnement normal du système. Et cela est vrai non seulement en ce qui concerne les partis bourgeois proprement dits, mais aussi en ce qui concerne ces agences de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier que sont les partis réformistes.
La bourgeoisie suédoise ne subit pas des défaites à répétition parce que depuis un demi-siècle le parti social-démocrate y a occupé presque sans interruption la direction du gouvernement. La bourgeoisie anglaise ne subit pas une défaite à chaque fois que le Labour Party vient remplacer les conservateurs aux affaires. Et si en France le problème de l'alternance s'est trouvé posé en termes un peu différents, du fait de l'existence d'un fort Parti Communiste, ayant gardé des liens avec l'URSS, et sensible aux pressions éventuelles de sa base ouvrière, l'élection de Mitterrand entrait, pour la bourgeoisie, dans le cadre du fonctionnement normal de ses institutions parlementaires.
Les membres de la classe dominante peuvent bien sûr avoir individuellement leurs préférences politiques. et s'il s'est tout de même trouvé quelques p-dg de renom pour se prononcer en faveur de la candidature de mitterrand, la plupart des bourgeois auraient sans doute préféré, dans la conjoncture de 1981, voir giscard l'emporter (comme ils pouvaient faire un choix personnel entre giscard et chirac). mais la bourgeoisie française a parfaitement accepté l'élection de mitterrand. elle a également accepté de voir des ministres communistes siéger au gouvernement. elle l'a d'autant plus facilement accepté que précisément ce n'était pas une défaite pour elle (car en cas de résultats électoraux ressentis comme une défaite pour la bourgeoisie, c'est la survie des institutions parlementaires qui aurait été en cause), tout au plus un désagrément pour les plus réactionnaires des bourgeois.
Et quand on fait le bilan des quatre années qui se sont écoulées depuis l'élection de Mitterrand, on ne peut malheureusement que constater que la bourgeoisie française n'a aucune raison de regretter d'avoir respecté les règles du jeu parlementaire à l'époque. Car il n'est pas sûr qu'un gouvernement de droite aurait pu aussi facilement imposer tant de sacrifices aux travailleurs, en suscitant si peu de réactions de la part de la classe ouvrière. C'est aussi à cela que sert le parlementarisme, et la possibilité de confier la gestion des affaires de la bourgeoisie à des hommes et à des partis qui se réclament de la classe ouvrière, et qui ont sa confiance.
Non, les floués de 1981 n'étaient pas les bourgeois, qui se seraient vus imposer par l'application des règles de l'arithmétique électorale un gouvernement susceptible de mener une autre politique que celle qu'ils souhaitaient. Non, c'étaient les travailleurs qui comptaient sur ce gouvernement pour défendre leurs intérêts. C'étaient aussi ceux des révolutionnaires qui escomptaient pour la classe ouvrière des perspectives grandioses de l'arrivée de ce gouvernement de gauche.
C'est pourquoi il est parfaitement ridicule d'écrire que « la droite est loin d'avoir résolu sa crise de direction » et que « c'est l'incapacité de résoudre ces problèmes qui (..) lui interdit auparavant de se lancer dans une offensive « extra-parlementaire » visant à déstabiliser la gauche par la rue » .
La droite n'est pas paralysée par une quelconque crise. Elle se comporte seulement en force politique bourgeoise responsable, qui essaie de mettre à profit toutes les occasions de renforcer son influence électorale en vue des prochains scrutins (y compris en prenant la tête d'un certain nombre de mobilisations dans la rue), mais en se gardant bien jusqu'ici de chercher à « déstabiliser » un gouvernement dont la politique a tout lieu de satisfaire la bourgeoisie française.
En 1985 comme en 1981, la droite respecte sans tricher les règles du jeu parlementaire, et même la montée de l'extrême droite lepéniste s'est jusqu'à présent faite dans ce cadre-là.
Cela ne signifie pas bien sûr que dans un avenir plus ou moins lointain on ne puisse pas assister au développement de forces de droite ouvertement antiparlementaires, c'est-à-dire s'attaquant, à travers le système parlementaire, aux libertés démocratiques et aux organisations ouvrières. le mécontentement de la petite bourgeoisie, face à un gouvernement qui prétend agir au nom des idées socialistes et de la classe ouvrière, la démoralisation de cette classe ouvrière, peuvent en effet ouvrir aux tenants d'une politique de droite anti-parlementaire des possibilités de trouver une base de masse qu'ils n'ont jamais eu depuis quarante ans. si tel était le cas, ce serait un nouveau cadeau empoisonné à mettre au compte de la « victoire » de 1981.
Mais pour le moment, nous n'en sommes pas là, et c'est dans le cadre normal des institutions que se déroule le combat entre les différents courants politiques qui prétendent à la gestion des affaires de la bourgeoisie française.
Cette manière de continuer de parler de mai 1981 comme d'une « victoire », de grossir les rivalités entre les différents hommes de droite au point d'en faire une « crise de direction » de la bourgeoisie, pourrait toutefois ne pas avoir de conséquences graves sur la politique des camarades de la LCR, si ceux-ci n'appliquaient pas la même démarche lorsqu'ils définissent leurs objectifs pour la période qui vient.
Avant mai 1981, les camarades de la LCR se sont comportés en mouches du coche de l'Union de la gauche, affirmant qu'il fallait « battre la droite », se présentant comme les champions de l'unité entre le PC et le PS, expliquant qu'un gouvernement des « partis ouvriers » ouvrirait des perspectives immenses à la classe ouvrière.
Maintenir ce langage intégralement est évidemment bien difficile aujourd'hui, après quatre ans d'expérience de gouvernements de gauche (bien que ce soit à cela que se ramène la politique de l'un des courants minoritaires de la LCR). Mais après avoir attendu des perspectives grandioses d'un succès électoral des appareils réformistes, et avoir vu leurs espoirs déçus, c'est vers d'autres appareils, bien plus petits, mais tout aussi réformistes, que les camarades de la majorité de la LCR cherchent de nouvelles perspectives.
C'est en effet à cela que se ramène leur recherche d'une « alternative » avec le PSU, les verts et d'autres.
De l'expérience de 1981, la seule conclusion valable que les révolutionnaires peuvent tirer, devant les travailleurs, c'est l'inanité des illusions réformistes et électoralistes, c'est l'idée que si la classe ouvrière veut empêcher la bourgeoisie de lui faire supporter tout le poids de la crise, elle ne pourra y parvenir que par les méthodes de la lutte des classes.
Et si les élections de 1986 peuvent servir à quelque chose, c'est à affirmer l'existence d'un courant de lutte de classe, si minoritaire soit-il. Bien sûr, affirmer l'existence d'un tel courant n'excluerait pas de s'adresser aux militants du PSU ou d'autres courants du mouvement ouvrier, s'affirmant et agissant comme des militants de lutte de classe. Mais ce n'est qu'avec de tels militants que les révolutionnaires pourraient envisager d'oeuvrer ensemble au cours de la prochaine campagne électorale.
Au lieu de cela, les camarades de la LCR sont à la recherche d'une « coalition » qui pourrait « rassembler des révolutionnaires, des militants et des courants de la gauche anti-capitaliste, des écologistes » , c'est-à-dire, pour parler clair, des révolutionnaires, des courants réformistes, et même des courants que l'on ne peut pas qualifier de réformistes pour la simple raison qu'ils ne se posent absolument pas le problème de la transformation socialiste de la société.
Cette coalition électorale ne se situerait « à la gauche de la gauche », pour reprendre l'expression des camarades de la LCR, que dans la mesure où la faible représentativité des courants que la LCR voudrait y inclure les a jusqu'ici, pour l'essentiel, empêchés de s'intégrer au jeu des institutions. Mais en supposant qu'une telle « alternative » puisse remporter un succès électoral, ne serait-ce que relatif, qu'est-ce que les travailleurs pourraient bien en espérer ?
Oui, l'expérience amère de la gauche réformiste au gouvernement, que les travailleurs font depuis quatre ans, peut ouvrir des perspectives aux révolutionnaires, si dans la période de recul qui nous attend, et que nous vivons déjà, ils parviennent a se développer malgré tout dans les entreprises, à jouer un rôle dirigeant dans un grand nombre de luttes, et à constituer - pour aujourd'hui ou pour demain - un pôle d'attraction pour tous les militants ouvriers déçus par la politique du PCF ou du PS.
Mais à prendre les petites luttes électorales et parlementaires pour la réalité de la lutte des classes, les révolutionnaires risqueraient fort de passer complètement à côté de cette possibilité.