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IRA : des attentats à la grève de la faim
L'issue tragique des grèves de la faim menées par les prisonniers du bloc H de la prison de Long Kesh a attiré encore une fois l'attention internationale sur la situation en Ulster, en Irlande du Nord. Le sacrifice de leur vie révèle combien les jeunes militants républicains internés à Long Kesh sont déterminés à ne pas céder devant l'intransigeance du colonisateur britannique. Mais en même temps que s'allonge la liste des grévistes morts de faim, on peut s'interroger sur les buts et les moyens de l'IRA, l'Irish Republican Army, l'Armée Républicaine Irlandaise, à laquelle appartiennent la plupart des internés de Long Kesh.
L'épreuve de force dans laquelle l'IRA s'est engagée par la grève de la faim de certains de ses militants emprisonnés n'est pas un épisode fortuit dans la lutte que mène cette organisation. Elle s'inscrit dans une tactique générale, au même titre que les attentats par lesquels l'IRA a acquis sa notoriété.
C'est dans le contexte de cette lutte, et en fonction des jugements que l'on peut porter sur elle, que ces grèves de la faim peuvent être jugées. Mais, en retour, l'exploitation politique que l'IRA fait de ces actions qui conduisent quelques-uns de ses militants à la mort, corrobore le jugement que l'on peut porter sur la politique de l'IRA.
Une longue tradition
Ce n'est pas la première fois qu'en Irlande, des prisonniers font la grève de la faim pour faire entendre leurs revendications. Ce moyen a été maintes fois utilisé non seulement dans un lointain passé, mais aussi dans ces dix dernières années qui ont vu resurgir en Irlande du Nord un mouvement de masse contre l'oppression britannique.
Pour comprendre cette grève de la faim actuelle, il faut remonter à 1976, lorsque le gouvernement britannique, dans sa guerre contre le mouvement républicain, et plus précisément contre l'IRA, a décrété que les opérations contre les rebelles étaient terminées (laissant entendre par là que l'IRA était vaincue), et que désormais tout acte de rébellion contre l'ordre établi serait considéré comme un acte criminel et jugé comme tel. Dans les faits, les membres de l'IRA arrêtés n'étaient plus traités comme des prisonniers politiques, mais comme des « droit commun ».
S'il est vrai que l'IRA, dans sa guerilla contre l'armée britannique d'occupation, avait subi dans cette période de nombreux revers, elle n'était pas vaincue pour autant. Et les premiers prisonniers internés au lendemain de la nouvelle politique britannique de « criminalisation » l'ont immédiatement montré en refusant d'accepter le statut de prisonnier de droit commun qu'on leur imposait.
Ils ont tout d'abord refusé de porter l'uniforme carcéral. Alors, on les a laissés entièrement nus dans leur cellule, avec une seule couverture pour tout vêtement. Puis on inventa diverses brimades et humiliations qui consistaient à empêcher les prisonniers de se laver et de vider le contenu de leur pot de chambre (car on ne les laissait pas accéder aux sanitaires de la prison tant qu'ils ne portaient pas l'uniforme carcéral). Ce sont les gardiens qui se sont d'abord amusés à répandre sur les prisonniers, sur leurs matelas et dans leurs cellules les excréments dont on leur interdisait de se débarrasser.
Aussi, lorsque les prisonniers républicains ont engagé la grève de l'hygiène en 1977, ce n'était pas une façon « originale » de se faire remarquer, comme la presse britannique et internationale a voulu le faire croire. Cette grève a duré trois ans, pendant lesquels les prisonniers ont enduré, en prime, maintes vexations de la part de leurs gardiens, et même les coups et les tortures.
Voyant que leur protestation n'aboutissait à aucun résultat, ils décidèrent en octobre 1980 d'entamer une grève de la faim pour qu'on leur reconnaisse un statut de prisonnier politique, c'est-à-dire le droit de porter leurs propres vêtements, de ne pas travailler dans la prison, d'accéder à la lecture de livres et de journaux, de s'associer librement entre eux... Au début des années 70, lorsque des prisonniers républicains irlandais avaient entamé une grève de la faim, ils avaient toujours réussi à obtenir satisfaction. Et cette fois-ci encore, en décembre 80, le gouvernement britannique déclara effectivement qu'il consentait à revoir le statut des prisonniers du bloc H.
er mars 1981, Bobby Sands entamait, le premier, une nouvelle grève de la faim dont on connaît l'issue fatale.
La détermination du mouvement nationaliste
La détermination des prisonniers du bloc H, dont la plupart ont à peine plus de vingt ans, donne une image de la résolution qui anime le peuple irlandais dans sa lutte contre l'oppression britannique. En dix ans d'occupation par l'armée britannique, les catholiques d'Irlande du Nord ont subi de façon décuplée les humiliations que leur faisait subir depuis 40 ans l'ordre d'Orange, le pouvoir protestant à la solde de la couronne d'Angleterre, instauré en 1921 par l'impérialisme britannique pour sauvegarder en partie la domination qu'il y exerçait depuis des siècles.
Lorsque, en 1969, les premières troupes britanniques débarquèrent en Irlande du Nord « pour y établir la paix » , elles furent accueillies avec soulagement par la population des ghettos catholiques de Belfast et de Demy (baptisée Londonderry par les Britanniques). Les catholiques s'étaient mobilisés depuis 1968 pour l'obtention des droits civiques (car le suffrage était censitaire et excluait des élections les catholiques les plus pauvres) et l'égalité des chances entre catholiques et protestants devant l'emploi et le logement. A ces revendications, les forces de l'ordre et les groupes para-militaires orangistes répliquèrent par des « ratonnades », des assassinats, la mise à sac et l'incendie des quartiers catholiques.
Mais les troupes britanniques n'étaient pas venues pour contenir les exactions des extrémistes protestants. Comme la population catholique ne tarda pas à s'en rendre compte, les occupants britanniques étaient là pour maintenir l'ordre, et l'ordre, c'était la continuation de l'oppression instaurée par les orangistes.
En 1971, le gouvernement anglais décréta que les militants nationalistes irlandais pouvaient être internés sans procès. L'armée anglaise mit en place un véritable quadrillage des ghettos catholiques. Aux propositions de trêve mises en avant par l'IRA, elle répliqua le 30 janvier 1972, lors d'une manifestation à Derry contre l'internement, en tirant sur la foule et en faisant 13 morts.
De courtes périodes de trêve, en 1972, à l'issue d'une grève de la faim de prisonniers politiques, et en 1974, ne ralentirent pas l'escalade dans la guerre coloniale que menait l'impérialisme britannique contre les Républicains irlandais. Les provocations, les humiliations, les arrestations arbitraires, les tortures, les assassinats, furent la marque de la présence « pacificatrice » des Britanniques en Irlande du Nord. Chacune des exactions de l'impérialisme britannique ne fit que renforcer le camp des Républicains irlandais et de son aile combattante, l'IRA, qui vit affluer dans ses rangs la jeunesse irlandaise.
Des attentats aux grèves de la faim
er mars de cette année par Bobby Sands, semblait depuis le début avoir peu de chances de faire plier le gouvernement britannique. Trois mois plus tôt, le précédent mouvement de grève de la faim s'était interrompu alors que certains grévistes étaient à l'article de la mort. Le gouvernement britannique, en feignant un instant d'accéder à certaines demandes des prisonniers, avait réussi à marquer des points. Cette fois-ci, l'IRA n'était pas en position de force alors que ses prisonniers entamaient une nouvelle grève de la faim.
Elle savait parfaitement que l'intransigeance du gouvernement Thatcher risquait de conduire à la mort ses militants internés, ce que les faits ont depuis confirmé.
A l'automne 80, l'IRA avait fait savoir qu'elle n'était pas favorable à ce que les prisonniers du bloc H entament une nouvelle grève de la faim. Mais après ce moment de flottement, quand la grève de la faim a commencé, l'IRA l'a reprise entièrement à son compte comme en témoigne son attention à mettre en valeur ce mouvement, à organiser une campagne internationale de protestation auprès du gouvernement britannique.
D'autre part, en 1972, lorsque des prisonniers en Irlande du Nord avaient fait la grève de la faim pour obtenir le statut politique, et avaient finalement obtenu satisfaction, cette action s'inscrivait dans un champ très vaste d'actions de toutes sortes de la population catholique contre la répression et les discriminations. Mais depuis l'automne 80, selon les dires mêmes de Ruairi 0 Bradaigh, le président de Sinn Fein, « les opérations de l'Armée Républicaine Irlandaise ont été considérablement réduites pendant la grève de la faim afin de ne pas détourner l'attention de la question essentielle de l'heure » . (Interview à Iris, la revue du Sinn Fein).
De la part des prisonniers du bloc H qui sont des militants de l'IRA, la grève de la faim n'était donc pas seulement une action d'hommes réduits à l'impuissance et qui n'ont plus que ce moyen pour tenter de se faire entendre et améliorer un peu les conditions de leur détention. Cette grève de la faim s'inscrit aussi dans la logique de la politique générale de l'IRA, politique qui consiste essentiellement - on pourrait dire uniquement et c'est bien ce que le sigle IRA signifie - à mettre sur pied une organisation militaire. Cela signifie trouver des hommes prêts à combattre et mourir pour leur cause, cela signifie aussi mettre en place un appareil hors du contrôle des masses.
L'image folklorique qu'on connaissait autrefois du nationaliste irlandais était celle du poseur de bombes. Et pendant des décennies après sa défaite dans la guerre civile qui a suivi la création de l'Irlande du Nord, les combattants de l'IRA ont manifesté leur présence à peu près uniquement par des attentats à la bombe.
La dernière campagne terroriste s'était terminée en 1962, après que les membres de l'IRA aient constaté que leurs attentats se traduisaient par beaucoup trop d'emprisonnements et bien peu d'échos favorables au sein de la population. Mais lorsque, après 1968, de nouveau les masses catholiques d'Irlande du Nord se sont mobilisées, tout naturellement, au sein du mouvement républicain, des voix se sont élevées pour reprendre les anciennes traditions de lutte.
Le but des attentats dans la logique des organisations qui privilégient ce mode d'action, est d'abord de réveiller la conscience des masses (mais en Irlande, après 1968, c'était plutôt superflu, l'État aux mains des protestants réactionnaires, puis les troupes britanniques, ayant largement fait le travail). Il est ensuite d'attirer l'attention de l'opinion publique nationale et internationale (mais cela aussi avait été fait à partir de 1968 par le mouvement de masse des droits civiques). Il est enfin, de mettre en place une organisation militaire qui pourra être l'embryon d'un futur appareil d'État.
Et lorsque l'organisation met l'accent essentiellement sur ces attentats, lorsque ceux-ci ne sont pas liés et subordonnés à la conscience, la mobilisation et la volonté de lutte des masses au nom desquelles on se livre à ces attentats, lorsque surtout parallèlement à la lutte armée, on ne met pas l'accent de la même façon - et même plus fortement - sur la nécessité d'organiser ces masses d'une manière démocratique pour qu'elles puissent participer à la lutte, la contrôler et finalement être prêtes à assumer elles-mêmes le pouvoir, alors c'est que l'on se prépare simplement à mettre en place un appareil d'État anti-démocratique. L'héroïsme des combattants et l'efficacité de l'organisation dans la lutte militaire deviendront simplement la justification au pouvoir sans contrôle qu'exercera l'organisation militaire devenue appareil d'État.
C'est là la logique de la politique de l'IRA. Et c'est dans cette logique qu'elle appuie et utilise le mouvement des grévistes de Long Kesh. Les prisonniers du bloc H ont simplement appliqué aux conditions particulières de leur détention une politique qu'ils avaient déjà pratiquée à l'extérieur, quand, combattants disciplinés acceptant de mettre leur vie en jeu, ils organisaient embuscades contre soldats anglais ou attentats contre les tenants de l'ordre britannique.
Devant le martyr des prisonniers de Long Kesh, l'IRA espère sans doute que l'unanimité de la population catholique se fasse derrière elle et que les dissensions s'estompent. La population est appelée à se mobiliser mais pour pleurer ses morts et rendre hommage aux combattants de l'IRA, pas pour prendre en main son sort et la lutte de libération. Cette population est même invitée à ne rien faire qui puisse nuire au mouvement des grévistes de la faim, en clair à ne rien faire que l'IRA n'ait décidé.
C'est ainsi que cet épisode particulièrement dramatique de la lutte des Républicains irlandais pour leur liberté met en lumière la nature de l'IRA et de sa politique.
Une organisation anti-marxiste
L'IRA, l'Armée Républicaine Irlandaise, est née comme l'aile militaire du mouvement politique Sinn Fein, organisation nationaliste irlandaise née en 1905. L'IRA a été formée au cours de la guerre d'indépendance qui a succédé à l'insurrection ratée de 1916, en partie avec les milices ouvrières formées par le militant socialiste James Connolly lors de la grève de Dublin de 1913.
Mais l'IRA dont on parle aujourd'hui, l'IRA « provisoire », puise ses origines plus récentes dans la scission qui éclata fin 1969 au sein de l'IRA. A partir de cette date, à l'IRA « officielle » s'opposa une IRA « provisoire » qui s'est peu à peu imposée comme l'IRA.
Les critiques formulées par les scissionnistes de l'IRA « provisoire » à l'égard de la direction du mouvement portaient sur l'incapacité de celle-ci à organiser la défense armée des ghettos catholiques (qui venaient d'être victimes de raids sanglants des milices protestantes). Les « Provisoires » reprochaient également aux dirigeants de l'IRA leur orientation « marxiste ». De fait, le Parti Communiste Irlandais avait depuis quelques années pénétré l'IRA et réussi à y développer une politique qui, à défaut d'être réellement marxiste, représentait les tendances réformistes de n'importe quel parti stalinien. Voici comment s'exprime à ce propos, Sean Mc Stiofain, qui fut pendant quatre ans un dirigeant de l'IRA « provisoire » avant d'être écarté de ses responsabilités pour ses tendances trop militaristes : « Certainement, en tant que révolutionnaires, nous étions automatiquement anti-capitalistes. Mais nous refusions d'avoir quoi que ce soit en commun avec une organisation communiste en Irlande, sur la base de leur inefficacité, de leur immobilisme réactionnaire sur la question nationale et leur opposition à la lutte armée. Nous nous opposions au socialisme extrême des révisionnistes, parce que nous étions convaincus que leur but était une dictature marxiste, qui n'est pas plus acceptable pour nous que l'impérialisme britannique ou le capitalisme de l'État libre » .
En fait de « socialisme extrême », les dirigeants « marxistes » de l'IRA s'étaient plutôt retournés à peu près exclusivement vers les activités électorales. Et en même temps que la lutte armée, ils avaient mis au rencart la question nationale pourtant question-clé en Irlande.
Mais les « Provisoires » qui faisaient semblant de confondre stalinisme et marxisme, profitaient aussi des critiques justes contre le peu de radicalisme de la direction « officielle » pour s'affirmer contre le socialisme révolutionnaire prolétarien.
Un appareil militaire...
Quel programme a donc développé l'IRA « provisoire » ? Tout d'abord, aucun. Ou plutôt, son seul programme, au moment de la scission, fut la reprise de la lutte armée. Et même après la parution, en 1971, d'un texte programmatique aux contours très flous, pendant longtemps, pour ainsi dire jusqu'à aujourd'hui, l'IRA n'a recruté et ne s'est développée que sur la base de ses actions militaires.
Cela suffit parfaitement à une organisation nationaliste dont le but est l'indépendance du pays et la mise en place d'un État national. Au fond, en s'intitulant Armée Républicaine Irlandaise, l'IRA affirmait bien nettement son programme et n'avait nul besoin d'autre texte. Il caractérise bien justement l'IRA comme une organisation nationaliste radicale par les moyens qu'elle est prête à employer, mais nullement socialiste, ni prolétarienne.
La défense militaire de la population catholique est une tradition du mouvement républicain qui répond à de réelles nécessités. En trois siècles et demi de domination britannique, les Irlandais ont été soumis à maintes reprises à la répression armée de leur oppresseur. Et depuis que les troupes britanniques ont débarqué en Irlande du Nord, on peut dire que l'état de guerre y est installé. Ainsi en 1972, eut lieu l'opération baptisée « Motorman », afin de réinvestir les ghettos catholiques où la population organisée avait réussi à éliminer la présence des soldats britanniques comme des policiers de l'État de l'Ulster et avaient organisé collectivement des sortes de communes libérées. L'armée britannique a envoyé à l'assaut pas moins de 21 000 hommes équipés de blindés. Ce sont les troupes britanniques et leurs exactions qui ont contraint les catholiques irlandais à s'organiser militairement. Et la guerre menée contre la population catholique a eu aussi pour effet de catalyser les volontés dans la jeunesse irlandaise de prendre les armes pour chasser les « Brits ».
Mais l'action militaire seule, bien qu'indispensable ne peut suffire à déterminer la nature du mouvement qui prend les armes, et encore moins les buts que s'assigne ce mouvement. Et la « faiblesse politique » de l'IRA qu'on lui a souvent reprochée - et que ses dirigeants n'ont pas niée - est en réalité une option politique en elle-même.
En dix ans, l'IRA « provisoire » a incontestablement réussi à mettre sur pied une armée capable de tenir tête aux forces britanniques. Elle a réussi de multiples attentats à la bombe visant les installations civiles et militaires britanniques. Elle a réussi des coups d'éclat comme l'attentat qui coûta la vie à Lord Mountbatten, malgré l'incroyable dispositif de protection dont celui-ci bénéficiait. Elle a réussi des évasions spectaculaires de ses prisonniers, enlevés par hélicoptère dans la cour de leur prison. Elle fut capable d'intercepter les messages secrets de l'armée britannique... et les rapports confidentiels de l'état-major qui reconnaissent leur incapacité à vaincre l'IRA.
Sur ce terrain, l'IRA a largement fait ses preuves. La population catholique peut lui faire confiance et le lui montre bien. Car la force de l'IRA tient non seulement à l'efficacité de ses combattants, mais aussi aux multiples complicités dont elle jouit dans la population qui lui procure caches, abris, informations, etc.
... qui ne se soucie nullement de donner le pouvoir aux masses populaires
Mais à partir de ce large soutien populaire, l'IRA n'a pas envisagé de construire un instrument politique qui organise les masses populaires, les représente et leur donne la parole. De fait, la lutte armée est toute son action politique. Le conseil de l'IRA en 1972 s'en explique ainsi : « Les Volunteers de l'Irish Republican Army ont vraiment prouvé qu'ils sont l'armée du peuple. Les nombreuses actions dans lesquelles ils se sont engagés et les nombreuses pertes qu'ils ont infligées aux forces de l'impérialisme ont été organisées dans le contexte de la politique de l'IRA qui est de défendre le peuple contre l'agression par les forces de terreur, et d'envisager des actions de représailles contre ceux qui assassinent des gens innocents et participent à la torture... L'élément le plus consistant dans la tradition républicaine c'est la résistance armée contre l'impérialisme britannique. C'est seulement au travers de la résistance armée que notre vision révolutionnaire de l'Irlande de demain est apparue » .
Le conseil de l'IRA dit bien aussi que : « La lutte armée doit être liée et intégrée dans toutes les autres formes de lutte. Elle doit correspondre aux besoins du peuple » . Mais, encore une fois, il est bien évident que c'est à cette seule lutte armée, c'est-à-dire à la mise en place d'un appareil militaire que les masses sont simplement appelées à soutenir, que l'IRA s'applique.
L'IRA a le slogan traditionnel de tous les groupes nationalistes : « Libérons l'Irlande, après le peuple pourra faire son choix » . Il exprime bien ce que l'IRA propose aux Irlandais aujourd'hui, soutenir la lutte armée sans rechigner ni s'occuper d'autre chose... et sans doute bien peu de ce que serait l'avenir. Car si l'Irlande du Nord est libérée demain de la tutelle britannique, sous la conduite de l'IRA, il est plus que douteux que les masses populaires aient alors un autre choix que d'accepter le pouvoir de l'IRA.
L'IRA, nous l'avons déjà dit, pourrait donc se passer fort bien d'un programme plus élaboré. Le mouvement nationaliste n'en a pas besoin. Les quelques textes programmatiques que l'IRA s'est donnés n'ont aucune importance dans la définition de sa politique réelle et actuelle. Et ce n'est pas davantage sur la base de ces textes que l'IRA attire à elle les nouveaux militants. Il ne faut donc pas leur accorder beaucoup d'importance pour juger de ce qu'est l'IRA.
Pourtant, ils mettent en lumière ce que l'IRA n'est pas... c'est-à-dire ni prolétarienne, ni socialiste puisque, même dans des textes qui n'ont d'autre valeur que symbolique, elle se garde bien de se proclamer telle.
Ainsi, le texte « Eire Nua », le premier programme de l'IRA, paru en 1971, reprenant les termes de la déclaration d'indépendance des insurgés de 1916 revendique la constitution d'une république socialiste démocratique. Mais oubliant lé rôle prépondérant que doit jouer, selon Connolly, la classe ouvrière d'Irlande dans la lutte d'émancipation nationale, le programme de l'IRA « provisoire » confond au contraire les intérêts de toutes les couches sociales, ouvriers, paysans, pêcheurs, « petits producteurs », tous unis dans une même cause.
« Eire Nua » rejette le capitalisme des pays occidentaux comme le « capitalisme d'État » des pays du bloc soviétique. Mais il prévoit que « l'entreprise privée aura un rôle à jouer dans l'économie » . Alors, tout le reste du programme n'apparaît guère que comme la description d'une économie un peu utopique peut-être, mais qui ne serait rien d'autre qu'une économie capitaliste dans laquelle l'intervention de l'État jouerait un grand rôle.
Voilà ce que l'IRA appelle socialisme : « Les principaux instruments de développement économique seront les entreprises coopératives de production, de distribution et d'échange. Ceux-ci seront basés sur le droit de la propriété du travailleur... chaque travailleur possédera une unité économique, des moyens de production sous la forme d'une ferme, d'un atelier, d'un commerce ou d'actions dans une usine ou autre coopérative... Les encouragements de l'État se feront en priorité pour les projets coopératifs considérés comme les plus désirables du point de vue social » .
Quant au pouvoir politique, l'Irlande nouvelle serait dotée d'un gouvernement de type fédéral « selon le modèle suisse » , avec des Parlements élus dans chacune des quatre grandes provinces de l'Irlande. Dans la province d'Ulster, les protestants y seraient alors majoritaires et pourraient ainsi préserver leurs libertés civiles et religieuses, précise « Eire Nua ». C'est peut-être une tentative louable pour s'adresser aussi aux protestants de l'Ulster, mais ce n'est pas, en tout cas, la moindre tentative pour proposer que, dans l'Irlande nouvelle, le pouvoir soit aux mains des masses travailleuses.
Pressés, surtout depuis 1974-75, par l'afflux de jeunes militants qui se disent anti-capita listes et socialistes, l'IRA a senti le besoin de colorer quelque peu son programme politique afin de lui donner une mine un peu plus rouge. Le congrès de Sinn Fein, en janvier 1980, a ainsi ajouté à son programme une « dimension sociale » en quinze points, qui reprend, de façon significative, les termes utilisés en 1916 par Patrick Pearse, le président de la République provisoire issue de l'insurrection. Pearse, contrairement à Connolly, qui se situait sur le terrain marxiste, se réclamait d'un socialisme populiste où toutes les classes sociales sont confondues.
Les 15 points précisaient entre autres qu'il n'y aura pas de droit de propriété privée sur les grandes exploitations agricoles, ni sur les grandes entreprises. De nombreux délégués au congrès, surtout des sections rurales, se sont alors alarmés et ont exprimé leur crainte de voir le Sinn Fein, c'est-à-dire l'IRA, glisser vers le marxisme. Ce sur quoi ils ont été immédiatement rassurés par des déclarations publiques faites par des dirigeants républicains qui ont cru bon de réaffirmer qu'aucun marxiste ne s'était glissé dans leurs rangs.
L'Ulster est la partie de loin la plus industrielle de l'Irlande. Les républicains des ghettos catholiques recrutés par l'IRA sont à 85 % de milieu prolétarien. De fait, on pourrait dire que par sa composition sociale, l'IRA est une organisation ouvrière. Pourtant de par sa politique, elle ne l'est pas. Elle a peut-être réussi à gagner la confiance de la classe ouvrière catholique et des couches les plus pauvres et les plus radicales d'Ulster. Mais elle a canalisé cette confiance et ce militantisme vers des objectifs qui ne tiennent aucun compte des intérêts spécifiques de la population laborieuse, qui iront même un jour à l'encontre de ces intérêts.
Alors, de la part de l'IRA, ces grèves de la faim relèvent bien du même principe que les attentats. Il s'agit de demander aux masses populaires de servir de soutiens et d'auxiliaires à un combat qui se mène en leur nom peut-être, mais en dehors d'elles. Et l'héroïsme et le courage des combattants à qui l'on demande de sacrifier leur vie, ont pour premier but de renforcer le prestige de l'organisation et de la mettre hors de la critique et du contrôle de ces masses.
Comme bien d'autres mouvements nationalistes, l'IRA déclare vouloir le bien du peuple, mais elle ne veut pas de son pouvoir.
28 septembre 1981