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Derrière les États nationaux, le grand capital
Il n'est pas nécessaire de gratter longtemps les déclarations des hommes politiques les plus « pro-européens » en paroles, pour qu'apparaissent le nationalisme le plus étroit et le parti pris proclamé pour la souveraineté des États nationaux tels qu'ils sont ; pour le maintien des frontières nationales telles qu'elles sont. Non seulement aucun ne se proclame partisan de la seule unification européenne qui en soit une, c'est-à-dire pour un État européen unique, pour une monnaie et un budget uniques, pour l'intégration politique, juridique et économique complète, pour la suppression de toute frontière - mais aucun ne prétend même que cela soit possible.
Leur démagogie s'épuise, non pas à promettre les États-Unis d'Europe pour demain, mais à présenter le Marché commun tel qu'il est, ou tel qu'il pourrait devenir moyennant quelques aménagements encore, comme le fin du fin de l'unité européenne. Leur Europe, cette fameuse Europe de l'espoir, est une Europe confédérale, une Europe des États souverains, chacun avec son administration propre, son armée propre, ses frontières propres.
C'est finalement d'autres bords que viennent les arguments pour expliquer que ce qui se fait autour du Marché commun ou du Parlement européen est une des phases d'un processus déjà engagé qui, mené à son terme, aboutira à la mise en place d'un État européen capitaliste unique. L'idée de base étant, avec des variantes diverses, que les économies européennes sont tellement interdépendantes, les capitaux et les marchés sont tellement enchevêtrés, que les capitalistes sont poussés par leur intérêt à se donner un appareil d'État unique à l'échelle de l'Europe.
C'est une argumentation de ce genre que développe le Parti Communiste Français pour tenter de donner un fondement à son hostilité chauvine à l'Europe - du moins lorsqu'il éprouve le besoin d'argumenter et de ne pas en rester aux exclamations nationalistes. L'unification de l'Europe correspond à la volonté des grands monopoles et des trusts multinationaux. Ce sont les trusts allemands qui sont les moteurs dans l'affaire, car ils sont les plus puissants et ils dominent déjà l'Europe sur le plan économique, mais les trusts français ont lié leur sort et leurs profits au capital allemand. Les uns et les autres ont besoin d'un État fort, d'une monnaie forte - le deutschmark bien entendu - ils n'auront donc de cesse jusqu'à ce qu'ils aient brisé la résistance des États nationaux dont la souveraineté s'oppose, ne serait-ce que de fait, à leurs visées.
Voilà, en somme, l'argumentation du PCF
Quand bien même la volonté des grands monopoles serait de mettre en place un État européen supranational, rien ne justifierait pour autant que le mouvement ouvrier se fasse le défenseur de la « patrie » et des frontières nationales.
Les travailleurs n'ont rien à gagner au maintien des États nationaux et ils ont beaucoup à perdre en véhiculant des préjugés nationalistes qui divisent la classe ouvrière.
Mais ce serait de toute façon prêter aux grands monopoles une capacité qu'ils n'ont pas, que de les présenter comme les artisans de l'unification poli-tique de l'Europe.
Cette idée n'est cependant pas véhiculée seulement dans les rangs du PCF, mais également parmi les courants qui se réclament du socialisme révolutionnaire. Elle complète généralement une autre idée, à savoir que le Marché commun, même tel qu'il est, exprime et renforce tout à la fois l'interpénétration économique des pays européens - ce qui est incontestable - et que cette interpénétration conduira à l'intégration indissoluble complète des économies européennes, ce qui, à son tour, rendra inévitable l'émergence d'un État européen unifié.
Un récent numéro d'Inprecor, organe du Secrétariat Unifié, parle - sans trop insister il est vrai - des « ...dangers (pour le mouvement ouvrier) liés aux tendances vers l'unification capitaliste de l'Europe occidentale, et qui sous-tendent notre attitude de rejet du Marché commun ».
Dans divers ouvrages bien antérieurs aux débats actuels sur l'Europe, Ernest Mandel, un des principaux dirigeants du Secrétariat Unifié, avait explicité bien plus nettement cette idée.
C'est ainsi que dans son livre La Réponse socialiste au défi américain, édité il y a une dizaine d'années, Mandel affirme : « ... la bourgeoisie a besoin à tout moment de l'intervention de l'État dans l'économie pour sauvegarder la propriété privée... Il faut pourtant que le champ d'action de l'État bourgeois soit conforme à celui des forces productives et des rapports de production. Tant que les principaux moyens de production d'un pays sont aux mains de la bourgeoisie de ce pays, l'État national est l'instrument le mieux adapté pour défendre le capital. Mais que la situation commence à se transformer, que se dessine la tendance à l'interpénétration européenne des capitaux, alors l'État national cesse d'être un instrument efficace pour défendre les intérêts d'un capitalisme de plus en plus internationalisé. Il faudra dès lors trouver une nouvelle forme d'État, qui corresponde à la nouvelle réalité socio-économique. C'est là que réside la chance historique des institutions européennes supranationales ».
Et plus loin, de manière plus explicite encore : « Un capital « européen » exige un État bourgeois « européen », en tant qu'instrument le plus apte à le promouvoir, à en garantir les profits et à le défendre contre tous ses adversaires ». Comme si le capital n'était pas, depuis longtemps, international, sans pour autant engendrer un État international...
Dans un livre plus récent, Le Troisième Âge du capitalisme, Mandel caractérise ce « troisième âge » , entre autres, précisément par la « centralisation internationale du capital » qui « Peut s'accompagner d'un recul progressif du pouvoir de certains États nationaux bourgeois et de la mise en place d'un nouveau pouvoir d'État bourgeois fédéral et supranational. Cette variante, qui est possible, voire probable, du moins pour la C.E.E. en Europe occidentale, correspond à la deuxiéme forme de centralisation internationale du capital, celle de l'interpénétration internationale des capitaux, sans prédominance d'un groupe particulier de capitaux nationaux ».
Ce raisonnement alimente d'ailleurs un autre, et s'en alimente à son tour : à savoir qu'un État bourgeois supranational en Europe est rendu plus plausible par la remontée des impérialismes européens par rapport à l'impérialisme américain, et que la conscience de la nécessité de s'unir face à leurs rivaux américains pousse les grands capitaux des pays d'Europe à fusionner et à se donner un instrument étatique à l'échelle au moins de l'actuel Marché commun.
Face à la construction d'un État européen bourgeois qu'il prévoit susceptible d'aboutir à son terme, Mandel prend évidemment position pour les États-Unis socialistes d'Europe. Il met même explicitement en garde contre ceux qui tireraient de ce raisonnement la conclusion que la classe ouvrière devrait s'opposer à une Europe capitaliste au nom du maintien des cadres nationaux. Mais lui-même ne reste pas neutre entre cette « Europe du capital » qu'il prédit et le maintien de l'actuel état de choses. « Si jamais l'interpénétration internationale des capitaux devait aboutir à une véritable intégration économique des Six, ou d'une C.E.E. entre-temps élargie à un nombre de pays plus élevé ; si jamais les organismes supranationaux donnaient jour à une véritable puissance étatique nouvelle et forte, alors les obstacles objectifs à la prise du pouvoir par le prolétariat dans le cadre national deviendraient probablement insurmontables. Il faudrait dès lors que la classe ouvrière européenne adapte son action syndicale et politique au cadre européen tout entier... » - ce qui sera très difficile, ajoute-t-il.
Des idées de ce genre ne sont pas propres à Mandel ou au courant qu'il représente. Avec des nuances diverses, il en est d'autres qui voient l'Europe capitaliste unifiée inévitable... parce que nécessaire. (Certains pour le déplorer, d'autres pour s'en réjouir). Une des variantes consiste à percevoir, à l'intérieur de chaque bourgeoisie nationale, plusieurs couches aux intérêts fort divergents par rapport à l'Europe, entre une bourgeoisie petite et moyenne rétrograde, ayant un besoin vital de l'État national et de sa protection, et une grande bourgeoisie aux affaires implantées dans plusieurs pays d'Europe et partisane, elle, d'un État européen unique.
Le marché commun ne fusionne pas les bourgeoisies d'europe...
Les prémisses des raisonnements de, ce genre - à savoir qu'une classe bourgeoise européenne est en train de se développer à la faveur de l'interpénétration de leurs capitaux - sont aussi peu fondées que les conclusions qui en sont tirées : à savoir que les pays capitalistes d'Europe pourraient être unifiés par un processus progressif, par entente à l'amiable.
Il n'existe pas une bourgeoisie européenne au sens où existe une bourgeoisie américaine. Il n'existe pas un impérialisme européen, rival en bloc de l'impérialisme US, mais des puissances impérialistes européennes, au moins aussi rivales les unes par rapport aux autres que chacune d'elles peut l'être par rapport à l'impérialisme américain.
Les capitaux, comme les marchandises de ces différentes classes capitalistes, ont, de longue date, besoin d'espaces autrement plus vastes que celui qui est délimité par les frontières nationales. Et c'est effectivement l'impérieuse nécessité de supprimer ou d'assouplir quelques-uns des obstacles devant la circulation des capitaux et des marchandises engendrés par les États nationaux, qui a poussé les États européens à mettre en place, d'un commun accord, une zone de relatif libre-échange. Cette nécessité était évidemment ressentie surtout par les capitalistes ou les groupes capitalistes dont les activités avaient besoin de très vastes marchés, et pas par ceux des capitalistes qui n'avaient pas de larges ambitions et que, par contre, un simple abaissement des droits de douane pouvait conduire à la ruine. En ce sens, ce furent évidemment les premiers qui constituèrent le moteur de la mise en place du Marché commun. Parmi ceux-là, ce ne furent d'ailleurs pas les Européens qui donnèrent le ton à l'origine ; mais les Américains déjà présents en Europe ou désireux de s'y implanter.
Le Marché commun n'est pas un marché véritablement unique, à l'échelle d'un continent, comme l'est le marché des États-Unis. Tel qu'il est cependant, il a certainement favorisé un accroissement encore plus grand de l'interpénétration des économies européennes. Mais il n'a pas fusionné les différentes bourgeoisies. Il n'y a même pas eu de tendance manifeste à une concentration « inter-européenne » des capitaux entre trusts capitalistes issus des différents pays d'Europe. Parmi les regroupements, les fusions, il y en avait certes qui concernaient des trusts européens entre eux. Mais autant et plus qui lièrent des trusts européens et américains.
Jean-François Deniau, ex-haut fonctionnaire européen et présentement ministre du Comcerce extérieur, se plaint dans son livre consacré à l'Europe que, bien loin de favoriser « l'apparition d'entreprises européennes qui aient en quelque sorte la dimension mondiale, par un rapprochement entre les firmes des pays du Marché commun » ... c'est le contraire qui s'est passé : « Chaque firme d'un pays européen a eu tendance à se donner la dimension mondiale par accord avec une firme extra-européenne, principalement américaine, pour pouvoir faire face à la concurrence sur le plan européen lui-même ».
Il ajoute d'ailleurs que « les modifications structurelles se sont faites soit sur un plan strictement national, les États intervenant directement pour consolider les structures industrielles ou favoriser les concentrations, comme il a été recherché systématiquement en France, soit elles sont intervenues sur un plan « transatlantique ».
Il y a dans cette constatation deux des aspects fondamentaux du problème.
D'abord que l'interdépendance croissante des économies européennes n'avait aucune raison de mettre fin à la concurrence entre trusts et groupements capitalistes français, anglais, allemands, etc. les uns avec les autres ; et que cette concurrence est, à bien des égards, plus acharnée que celle qui oppose les capitalistes français, anglais, allemands, etc. à leurs rivaux américains.
Ensuite, que dans cette concurrence, leurs États nationaux jouent un rôle indispensable.
... il codifie seulement certaines règles de leurs affrontements
Les capitalistes, et plus particulièrement les grandes sociétés capitalistes, ont besoin d'arènes à l'échelle de continents, c'est incontestable. Mais dans ces arènes, ils se mènent la guerre. Et dans cette guerre, ils ont besoin sur le plan économique, comme sur le plan politique, et parfois sur le plan militaire, de leur appareil d'État national.
L'existence de ces États nationaux fractionne l'Europe, et ce fractionnement est gravement nuisible à l'économie capitaliste elle-même. Les États nationaux jouent en même temps un rôle croissant et devenu absolument indispensable dans le maintien de l'économie capitaliste, même sur le strict plan économique. Ces deux aspects des États nationaux sont absolument contradictoires. C'est bien le problème des bourgeoisies européennes. Mais on ne lève pas cette contradiction en ne considérant qu'un des aspects du rôle des États nationaux pour les différentes bourgeoisies européennes, celui précisément qui leur est néfaste.
Oh, ce n'est pas qu'un État bourgeois européen ne serait pas - pour reprendre l'expression de Mandel - « l'instrument le plus apte » à protéger et à servir les profits et les privilèges de ses possédants. Mais il a l'inconvénient fondamental de ne pas exister. Et aussi un deuxième inconvénient - tout-à-fait hypothétique, il est vrai, en raison du premier - c'est qu'il ne pourrait exister que de par la suppression des États nationaux, et pas en même temps. (Encore que c'est justement cette quadrature du cercle que les hommes politiques bourgeois « pro-européens » prétendent vouloir, en se proclamant à la fois pour l'Europe unie et pour la souveraineté nationale).
Chacune des bourgeoisies européennes qui en a l'envergure peut concevoir aisément un État européen sur lequel elle aurait la prépondérance. Aucune ne songérait à démolir son propre État national dans cette hypothétique perspective. Et pourtant le premier ne va pas sans le second. Au cours du siècle écoulé, chacune des principales bourgeoisies européennes avait tenté sinon de démolir, du moins d'affaiblir, non pas bien sûr son propre État, mais celui de son rival voisin. C'était une façon sinistre et sanglante d'oeuvrer pour l'unification de l'Europe - mais la seule qui puisse être concevable sur une base capitaliste. Elle n'a pas abouti.
Aboutir à ce résultat, mais par entente pacifique ?
Mais c'est oublier que les relations entre les capitalistes d'Europe sont loin d'être pacifiques, même en temps de paix. La guerre économique n'a jamais cessé entre trusts et groupes capitalistes. Dans cette guerre économique, comme dans toutes les guerres, bien des formes d'alliance liant les uns contre d'autres sont possibles, comme bien des moments d'armistice mais l'idée d'un désarmement général par consentement mutuel est une rêverie utopique. Or, pour chaque bourgeoisie d'Europe, son État, c'est une arme, et une arme essentielle contre ses rivaux.
Et ceci n'est pas seulement vrai pour les secteurs les plus « rétrogrades » de la bourgeoisie. Ceux-là, qui souvent ne bénéficient de la protection de leur État national que sous la forme de la protection douanière, sont en général ceux dont les intérêts sont le plus aisément sacrifiés sur l'autel d'une politique de « donnant-donnant » propre aux périodes d'assouplissement du protectionnisme.
Les plus grandes entreprises capitalistes, celles qui opèrent à l'échelle d'un continent, voire au niveau mondial, sont celles qui ont précisément le plus besoin de leur État national. Elles en ont besoin tout d'abord parce qu'en les protégeant sur le marché intérieur, l'État national leur permet d'opérer plus facilement sur des marchés étrangers. Et pour ces grandes sociétés, contrairement à ce qui concerne les petits capitalistes « rétrogrades » la protection n'est pas simplement, et n'est même pas toujours, la protection douanière. (Encore que ... ). C'est surtout l'assurance d'un monopole sur les marchés publics, l'assurance des commandes d'État, et le cas échéant, des subventions, des aides à la recherche, etc., et de manière générale tous les services sur lesquels une grande entreprise peut compter auprès de l'administration de son pays.
On pourrait même dire qu'une entreprise capitaliste a d'autant plus de chances de devenir multinationale, qu'elle sait être... nationale. Il est de notoriété publique que Dassault par exemple peut vendre ses avions à des prix très concurrentiels sur les marchés extérieurs uniquement parce qu'il produit en grande quantité, du fait des commandes de l'État français qui lui sont d'emblée assurées.
Dassault, il est vrai, n'est pas une véritable « multinationale » en ce sens que s'il vend ses avions aux quatre coins du monde, grâce à l'État français, il n'est guère directement implanté en-dehors des frontières de la France.
Mais une société comme Thomson-Brandt par exemple, elle, est une véritable société multinationale. Sur ses quelque cent filiales, une trentaine produisent à l'étranger. De par ses implantations, ses investissements, comme de par ses marchés, elle pourrait être un de ces groupes capitalistes « européens » - elle est d'ailleurs le deuxième plus grand producteur du Marché commun pour l'électro-ménager par exemple - dont les liens avec l'État national français seraient censés devenir plus souples. Eh bien, Thomson-CSF, un des principaux groupes composant la société Thomson-Brandt, partage avec Dassault ce privilège parmi les grands trusts, qui est celui de réaliser la majorité de ses affaires avec l'État français !
Thomson-Brandt a certainement infiniment plus besoin, pour ses profits, de la coopération de l'État national français - et de l'existence de ce dernier, bien évidemment - que le petit fabriquant de quincaillerie en tout genre des fins fonds de la province. Quand bien même les dirigeants du trust peuvent être, par moments, des chauds partisans d'une politique non-protectionniste. D'autant plus qu'il ne faut pas oublier qu'une partie du commerce extérieur du pays est représentée tout simplement par des transferts de produits semi-finis à l'intérieur d'un même trust implanté dans plusieurs pays, et qui n'a pas envie de payer des droits de douane sur ces transferts.
Thomson-Brandt n'est pas la seule grande société capitaliste française dont les capitaux et les marchandises ont pénétré depuis longtemps d'autres marchés, en particulier européens, et qui n'en a pas moins besoin de l'État national. C'est même plutôt la règle. Les groupes C.G.E. ou Schneider qui, en compagnie des deux entreprises précédentes, s'assurent à eux seuls plus d'un cinquième de toutes les commandes étatiques du pays, sont également des groupes multinationaux.
Et plus généralement, c'est une évidence à rappeler que les plus grands trusts mondiaux, implantés aux quatre coins de la planète, le sont devenus, et le demeurent, en partie grâce aux liens qui les lient à leur État national, en l'occurrence celui des États-Unis. Liens qui se traduisent sur le plan économique - et quand il le faut sur le plan diplomatique, voire militaire. Et le fait que certains de ces trusts aient réussi à mettre à leur service non seulement leur propre État national, mais aussi bien d'autres, ne change rien à l'affaire.
Ce n'est pas seulement une partie arriérée de la bourgeoisie qui est rétrograde et qui freine l'unification politique et économique de l'Europe. C'est le grand capital, les grands trusts qui constituent le plus puissant obstacle à la suppression du morcellement de l'Europe entre États nationaux rivaux. Ce sont eux qui incarnent la force rétrograde la plus puissante, qui bloquent le progrès de la société, dans ce domaine comme dans tant d'autres.
Les bourgeoisies des pays d'Europe ne veulent ni ne peuvent unifier l'Europe par entente pacifique, quand bien même leur propre économie crève dans les frontières nationales anachroniques.
Cette incapacité n'est, en réalité, même pas à démontrer. C'est un des faits patents de toute l'histoire européenne depuis de longues décennies. Il y a trois quarts de siècle, de doux rêveurs pacifistes, fédéralistes, escomptant l'émergence d'un État européen dans le cadre capitaliste, sous la seule pression des faits et des nécessités, auraient pu encore faire illusion. Plus maintenant.
Malgré les deux guerres qui les ont toutes également affaiblies, malgré leur déclin face à la montée de la bourgeoisie américaine disposant d'un marché national à l'échelle d'un continent, les bourgeoisies française, allemande, anglaise, etc. sont restées accrochées à leur État national, de moins en moins puissant pourtant, et à leurs frontières nationales, de plus en plus perméables pourtant aux capitaux américains.
Le danger pour le mouvement ouvrier n'est pas que soient instaurés les États-Unis d'Europe du capital, avec une puissance accrue et une hargne plus grande contre la classe ouvrière.
Le danger, c'est que le mouvement ouvrier se laisse contaminer encore plus par le virus nationaliste et chauvin. En prenant au sérieux les fadaises démagogiques et creuses des politiciens bourgeois « pro-européens », et en les combattant comme les représentants d'une « Europe du capital » menaçante pour les travailleurs, les révolutionnaires seraient à côté du problème.
Il faut au contraire affirmer, répéter que l'unification de l'Europe, la suppression des frontières, est de l'intérêt des travailleurs, de l'intérêt des peuples, et que la bourgeoisie est absolument incapable de la réaliser. C'est une des raisons pour laquelle il faut mettre fin au règne de la bourgeoisie afin que puissent naître les États-Unis d'Europe qui ne sauraient être que socialistes.