Comités de grève et démocratie ouvrière14/04/19801980Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1980/04/74.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Comités de grève et démocratie ouvrière

L'une des questions déterminantes dans une grève est celle de sa direction, c'est-à-dire de savoir par qui et comment la volonté des grévistes est représentée et leurs intérêts défendus, aussi bien en ce qui concerne la conduite du mouvement que dans les négociations avec le patron.

Les révolutionnaires socialistes militent non seulement pour le succès des travailleurs dans les épisodes quotidiens de la lutte de classe, mais pour que toute la société soit prise en mains et tous les pouvoirs assurés par les travailleurs. Pour eux, c'est donc aux travailleurs eux-mêmes à organiser et à diriger leurs mouvements, tous leurs mouvements, même ceux très limités par l'ampleur ou les objectifs.

Il y a comité de grève et comité de grève...

Il est maintenant assez connu que les révolutionnaires - et tout particulièrement ceux qui militent à Lutte Ouvrière préconisent la constitution de comités de grève, responsables devant l'assemblée générale des grévistes. L'idée que les grévistes ont à élire leur direction, et à la contrôler systématiquement, pourrait sembler une idée allant de soi. Il faut croire qu'il n'en est rien puisqu'à maintes reprises, ces dernières années, des polémiques ont été déclenchées à ce propos par les directions syndicales qui, tout en saluant généralement du bout des lèvres l'idée de la démocratie ouvrière, défendent l'idée que la direction du mouvement revient de droit... à elles-mêmes. Il faut croire surtout que cela ne va pas de soi puisque bien rares ont été les grèves au cours desquelles un tel comité, élu, révocable et responsable devant tous les grévistes a été effectivement mis sur pied.

Il n'est certes pas si rare que cela d'entendre parler de « comité de grève ». Mais c'est que le mot peut évidemment recouvrir des réalités fort diverses. Ainsi, on voit quelquefois la direction d'un syndicat, sans changer qui que ce soit, sans intégrer un seul travailleur nouveau au groupe qu'elle forme, et surtout sans demander leur avis aux grévistes, se baptiser comité de grève puisqu'elle dirige une grève. Plus souvent, à cause de la division syndicale du mouvement ouvrier français, c'est l'intersyndicale, regroupant des représentants des différentes organisations syndicales, qu'on voit prendre cet intitulé. Dans ce cas, il arrive que cette intersyndicale élargisse ses rangs pour la circonstance et coopte un certain nombre de grévistes actifs pour participer à ses délibérations, voire à ses décisions.

Certes, si l'on entend simplement par comité de grève le groupe de gens qui a effectivement en charge la direction de la grève, sans se préoccuper de la manière dont ce groupe a été mis en place et surtout de ses relations avec les grévistes, pourquoi ne pas parler de comité de grève dans tous les cas ci-dessus ?

La sorte de comité de grève pour laquelle militent les révolutionnaires est autre. Et c'est à cette organisation-là que nous préférons réserver le terme de comité de grève. C'est d'ailleurs à celle-là que pensent les travailleurs, même si c'est plus ou moins confusément, quand ils parlent d'un comité de grève. Et pourquoi le bureau d'un syndicat ou une intersyndicale auraient-ils besoin d'une autre appellation en temps de grève, si ce n'est pour laisser entendre qu'ils seraient autre chose que ce qu'ils sont en réalité ?

Par comité de grève, nous entendons celui dont tous les membres sans exception ont été élus par les grévistes, et aucun ne s'y trouve de droit, en fonction de tel ou tel titre syndical, sans que les grévistes aient le droit de l'y maintenir ou de l'en révoquer.

A ce comité de grève, chaque travailleur qui le voudrait doit pouvoir se porter candidat, qu'il soit syndiqué ou non. C'est à l'assemblée générale des grévistes de désigner ceux qu'elle veut voir figurer dans ce comité - qui a d'ailleurs intérêt à être le plus large possible car ainsi le plus représentatif. Et c'est à main levée, au su et au vu de tout le monde qu'il est préférable que le vote soit fait. Ainsi l'engagement des grévistes, pour ou contre, est clair ; ainsi il est loisible aux grévistes de contrôler les votes de chacun.

S'il est évidemment préférable que chaque secteur de l'entreprise soit représenté au sein du comité de grève, il est important que le choix définitif des membres du comité de grève, au moins la ratification du choix de chaque secteur si une première élection a eu lieu ainsi, se fasse en assemblée générale de tous les grévistes. Le mouvement est un et le comité de grève a charge de le mener pour tous. Aucun de ses membres n'est là pour défendre les seuls intérêts de tel ou tel secteur. Il faut que cela soit clair et pour les membres du comité et pour tous les grévistes.

La meilleure représentation des grévistes

Pourquoi une telle organisation de la grève nous semble-t-elle la meilleure ?

C'est qu'une grève c'est d'abord une montée de la combativité ouvrière. Elle mobilise des énergies plus nombreuses, développe une participation plus grande de tous que ne le fait l'activité syndicale ordinaire. Cela est d'autant plus vrai d'ailleurs dans la période actuelle en France où la vie syndicale est extrêmement réduite, à laquelle seule une extrême minorité de travailleurs participe un tout petit peu. La grève marque des changements dans la conscience de tous, des syndiqués d'hier comme de ceux qui ne l'étaient pas mais qui sont appelés à faire grève tout comme les premiers.

Le comité de grève permet d'associer tous les travailleurs aux décisions et à l'organisation de leur mouvement. En particulier tous ceux qui d'ordinaire ne se préoccupent pas de la vie syndicale, qui s'en sont écartés ou qui en ont été écartés pour une raison ou une autre, mais qui peuvent tout comme les syndiqués, et même quelquefois plus qu'eux, se sentir concernés par l'organisation de la grève et avoir envie d'y prendre une part active. Il n'y a pas de raison que dans la grève certains grévistes aient moins de droits que d'autres.

Mais surtout un tel comité sera le reflet le plus exact possible de la volonté des grévistes. Il sera le baromètre le plus sûr, à chaque moment de la grève, des éventuels changements de cette volonté. S'il est vraiment responsable devant les grévistes, s'il est révocable par eux, la majorité conserve à tout moment le moyen de faire appliquer sa volonté, soit en exigeant du comité qu'il mène une politique conforme à l'opinion de cette majorité, soit en le remplaçant tout ou partie par d'autres plus aptes à la mener.

Ajoutons d'ailleurs qu'un tel comité, du fait de sa désignation qui le rend très représentatif des grévistes, a aussi plus de moyens de sentir exactement ce qu'ils veulent, de mesurer leur combativité et leur détermination, de savoir jusqu'où ils sont prêts à aller.

Ce qui est une des qualités du comité de grève, cette capacité à représenter très exactement la volonté des grévistes, y compris dans ses changements, est d'ailleurs présenté quelquefois comme un argument contre le comité de grève par les dirigeants syndicaux.

Il est vrai que cette forme d'organisation, qui est incontestablement, pour n'importe qui de bonne foi, la forme la plus démocratique possible, ne garantit pas absolument contre toute erreur, contre tout mauvais choix. L'assemblée générale des grévistes peut se laisser tromper par le matamore ou le beau parleur qui, lorsqu'il s'agit d'organiser vraiment la lutte ou d'aller discuter avec le patron, se révèle être pusillanime ou même traître aux intérêts de ses camarades.

Pourtant, si le comité de grève est réellement sous le contrôle des grévistes, ceux-ci possèdent par-là même l'antidote nécessaire en ayant la possibilité de changer immédiatement le responsable qui se révèle incapable ou traître.

D'autre part, il se peut aussi que la combativité retombe, que la démoralisation s'installe parmi les grévistes. Dans ce cas le comité de grève reflétera cette baisse de la combativité et même cette démoralisation, soit que ses membres subissent eux-mêmes exactement la même évolution des sentiments que les travailleurs du rang, soit que ceux qui tiendraient bon, devenus minoritaires et ne représentant plus les sentiments de cette majorité, soient écartés par elle.

Il est vrai sans doute que les militants syndicaux subissent généralement moins les effets de la démoralisation que bien des travailleurs du rang. Parce qu'ils militent en toutes circonstances, ils sont plus préparés à tenir bon sur un minimum de principes, même dans les mauvaises passes, quand le manque de combativité ou la démoralisation du plus grand nombre, donne un rapport de force favorable au patron. On peut imaginer un comité de grève composé de travailleurs du rang démoralisés par une grève sans issue visible, se résoudre à signer avec la direction un accord que des militants syndicaux ne signeraient en aucun cas parce que, même dans le pire des cas, leur conscience syndicale les en empêcherait.

Ces arguments sont quelquefois employés par les militants syndicaux pour justifier leur monopole de la représentativité ouvrière et leur refus de mettre en jeu leur rôle de dirigeants devant les travailleurs du rang.

Mais les inconvénients possibles - un choix erroné des travailleurs - ne peuvent effacer les avantages. D'ailleurs l'issue d'une grève dépend toujours fondamentalement du rapport de force entre les grévistes et le patron, c'est-à-dire de ce que veulent vraiment les grévistes, de ce qu'ils sont décidés à faire pour l'imposer. Une direction syndicale, plus décidée que les grévistes, n'imposera pas au patron des concessions que le rapport de force n'impose pas, même si elle entend bien défendre les intérêts des travailleurs. Par contre, une direction syndicale non contrôlée par les travailleurs, agissant en-dehors d'eux, peut fort bien brader un mouvement qui avait encore toutes ses chances de vaincre. L'histoire récente nous offre, il faut bien le dire, surtout des exemples dans ce sens.

Pas de représentants inamovibles des travailleurs

Préconiser un comité de grève, c'est donc contester que la direction des mouvements revienne de droit aux directions syndicales, comme le revendiquent celles-ci.

Bien sûr, un comité de grève élu et responsable devant l'ensemble des grévistes peut se retrouver composé pour l'essentiel, ou même la totalité de militants syndicaux. Ceux-ci peuvent être choisis par les grévistes par estime pour leur fonction syndicale et la manière dont ils s'en acquittent habituellement ou tout simplement pour le rôle qu'ils ont joué dans le déclenchement du conflit. Mais s'ils sont élus à la tête de la grève et responsables à tout moment au cours de celle-ci devant les grévistes, ils ne tiennent pas alors leur mandat de leur simple appartenance syndicale. Ils ne dépendent pas du syndicat, de son appareil, mais des grévistes qui peuvent les maintenir ou non à la direction du mouvement en fonction de ce qu'ils font au cours de cette grève.

Mais ce que revendiquent les directions syndicales, ce n'est pas le droit, bien légitime, d'être choisies et maintenues comme les représentants des travailleurs en cas de grève, c'est d'avoir ce rôle de droit, sans contestation possible. C'est en fait de parler au nom des travailleurs, de diriger les mouvements, de les terminer aussi comme bon leur semble et quand bon leur semble, sans que ces travailleurs puissent dire s'ils sont d'accord ou pas.

Une telle revendication est par elle-même déjà suspecte. Pourquoi refuser le contrôle et la sanction des travailleurs du rang si l'on est sûr de représenter leurs intérêts ?

Mais c'est bien évidemment parce que les directions syndicales ne sont rien moins que sûres de cela qu'elles revendiquent ce droit, exorbitant, d'être reconnues comme les seuls représentants des travailleurs sans que ceux-ci aient la possibilité de le confirmer ou de l'infirmer.

Certes les syndicats sont traditionnellement considérés comme les représentants des ouvriers. La loi elle-même leur garantit un tel monopole auprès du patronat et du gouvernement. Et leur rôle de représentants des intérêts ouvriers est rarement contesté par les travailleurs eux-mêmes, en tout cas en-dehors des périodes de grève justement.

La désaffection pour la vie syndicale qui existe en temps normal, le fait que la majorité des travailleurs reste en-dehors des syndicats ne les gênent pas trop, car cela leur laisse les mains libres pour défendre leurs intérêts d'appareil.

Car, en fait, chaque syndicat est d'abord un appareil qui défend un programme et une politique, et non pas les intérêts ou la volonté de l'ensemble des travailleurs. Certains proclament d'ailleurs ouvertement qu'ils ne sont les représentants que d'une catégorie des travailleurs, comme la C.G.C. qui déclare défendre les seuls cadres, ou la CFTC qui ne veut s'adresser qu'aux seuls travailleurs chrétiens. Mais la CGT, la CFDT ou FO sont tout autant des appareils qui défendent soit une politique, celle du PCF pour la CGT par exemple, ou une de celles du PS pour la CFDT, soit des intérêts catégoriels comme FO dont la politique est fonction souvent de sa volonté de maintenir son influence parmi les travailleurs de l'administration.

Toutes ces organisations syndicales font passer la défense de leurs intérêts d'appareil et de leur politique particulière avant les intérêts généraux de la classe ouvrière.

Et en période de lutte, cela amène souvent un décalage ouvert entre la volonté des grévistes et la politique que mènent les directions syndicales.

Cela ne signifie pas, évidemment, que dans nombre de conflits les directions syndicales n'apparaissent pas combatives, ne prennent pas effectivement la tête de la lutte et ne la mènent pas jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à la limite où la combativité des travailleurs et leur volonté permettent d'aller.

Cela signifie que dans chaque lutte il y a la possibilité que les organisations syndicales expriment une autre politique que ce que veulent les grévistes, qu'un hiatus se produise entre la combativité des uns et les intérêts conservateurs des autres.

Et si les militants syndicaux de l'entreprise subissent moins les effets d'une démoralisation, ils ont en revanche souvent plus de mal à refléter les changements qui interviennent lorsque la combativité augmente. Aussi dévoués et honnêtes soient-ils, ils se sentent en général liés aux bureaucraties syndicales. Du coup, ils subissent et reflètent davantage la pression de leur fédération, qui s'accentue d'ailleurs au moment des grèves puisque c'est à ce moment là que le danger de voir sa politique mise en question est le plus grand. Et bien souvent leurs camarades de travail, hier inactifs et non syndiqués, se retrouvent plus en pointe et plus à l'unisson du reste des travailleurs.

Si les grévistes veulent donc voir leur volonté reflétée très exactement par la direction de la grève, ils doivent avoir le choix, la liberté d'y élire soit les syndicalistes, soit d'autres.

Il est vrai que bien souvent en période de grève les syndicats s'entendent pour former une intersyndicale. On pourrait penser qu'à ce moment-là différentes politiques, représentées par les différents appareils, vont se trouver confrontées et donc proposées aux grévistes et qu'ainsi une certaine démocratie pourrait s'établir. En fait, au sein de ces intersyndicales les problèmes sont tranchés par les rapports de force entre les différents appareils. Les décisions sont réglées entre les syndicats, souvent dans le secret d'ailleurs, et non pas par une décision collective des grévistes à qui les différentes options ne sont même pas présentées. L'intersyndicale permet donc au mieux de régler à l'amiable les rapports entre les différents appareils syndicaux. Elle ne permet nullement une réelle démocratie donnant le pouvoir aux grévistes.

Pour le comité de grève... dans tous les cas

Bien évidemment, le fait que les révolutionnaires soient dans tous les cas, dans tous les mouvements, aussi limités soient-ils, partisans d'une organisation démocratique de la grève et donc partisans de la mise en place d'un comité de grève, ne signifie pas qu'il y aura toujours possibilité d'en mettre un en place.

Ils peuvent toujours, d'une manière ou d'une autre, faire de la propagande pour la démocratie ouvrière et donc pour le comité de grève. Mais bien souvent l'intervention des révolutionnaires pour celui-ci se limitera là et n'ira même pas jusqu'à en proposer concrètement la constitution aux travailleurs en grève.

Ainsi, par exemple, quand les travailleurs, comme c'est tout de même le cas dans de nombreuses grèves, suivent complètement les organisations syndicales, se sentent parfaitement représentés par elles, estiment que les buts qu'elles se donnent comme les moyens qu'elles préconisent pour y parvenir sont corrects, il est vain de proposer la constitution d'un comité de grève. Les travailleurs ne peuvent pas voir la nécessité de donner une autre direction à leur mouvement lorsqu'ils ne ressentent pas la moindre méfiance envers celle qui s'est imposée de droit et tenter alors d'en créer un peut apparaître, de la part d'une minorité, comme une tentative de division inutile.

La proposition concrète d'un comité de grève ne peut être faite aux travailleurs que lorsque pour une raison ou pour une autre il y a un décalage entre la volonté des grévistes et la politique des directions syndicales. Ce peut être le cas, par exemple, lorsque la grève démarre en-dehors des dirigeants syndicaux, ou encore, au cours d'un mouvement, même lancé au départ par les syndicats, s'il apparaît des divergences entre ce que veulent les grévistes et ce que décident les directions syndicales.

En fait, dans tous les cas, la difficulté pour les militants révolutionnaires est d'apprécier la situation, de sentir s'il y a décalage entre la volonté des grévistes et la politique des organisations syndicales pour faire la proposition du comité de grève au moment opportun. Et celui-ci peut être de courte durée. Combien n'a-t-on pas vu de grèves qui, démarrant sans les syndicats sinon contre eux, sont tout de même quasi immédiatement chapeautées par eux. Au cours de ces grèves, la possibilité de la constitution d'un comité de grève doit être saisie dans les premières heures, sous peine d'être perdue définitivement.

Il est un cas qui mérite qu'on s'y attarde un peu pour un examen particulier. C'est celui où des militants révolutionnaires se trouvent portés à la tête d'un mouvement de par les responsabilités syndicales qu'ils peuvent exercer. C'est paradoxalement dans cette situation, qui pourrait sembler la plus favorable puisque les travailleurs les considèrent a priori comme leurs représentants et sont donc prêts à les écouter, que se posent quelquefois pour eux, les plus grandes difficultés.

A ce moment, en effet, les militants révolutionnaires sont de fait les dirigeants de la grève. Ils n'ont pas besoin d'un comité de grève pour cela. Bien plus, les travailleurs ne leur demandent souvent rien d'autre que de diriger cette grève en tant que dirigeants syndicaux, à la manière habituelle des dirigeants syndicaux.

Il est alors bien tentant - et c'est une tentation à laquelle bien des militants révolutionnaires ont succombé - de se contenter de diriger la grève en tant que secrétaire de tel ou tel syndicat, sans se préoccuper de donner une autre organisation au mouvement.

Pourtant, s'ils veulent être fidèles à leurs idées, les militants révolutionnaires ne peuvent se contenter des mandats syndicaux et de l'estime qu'ils leur valent, pour diriger la grève. Ils doivent proposer aux grévistes d'élire un comité de grève, comme ils le feraient s'ils n'étaient pas à ces postes de responsabilités syndicales. Ils doivent les convaincre de l'utilité d'un tel comité. Et si les travailleurs leur font confiance a priori pour diriger leur lutte il doit bien être possible de les convaincre de la nécessité de s'organiser démocratiquement, de la nécessité de contrôler la direction qu'ils se donnent, même si cette direction est sous l'influence des révolutionnaires.

Ce n'est pas là une simple formalité. Ne pas le faire revient à se comporter comme les autres dirigeants syndicaux réformistes. Ceux-ci agissent tout naturellement et se sentent les meilleures raisons du monde de diriger et de décider en lieu et place des grévistes sans leur contrôle formel. Ils n'ont pas non plus le sentiment de se comporter en bureaucrates ni de trahir les intérêts des grévistes.

Les militants révolutionnaires, à la tête d'un syndicat, sont sans doute moins que les autres syndicalistes sensibles aux pressions de l'appareil, de la fédération contre la volonté des grévistes. Mais s'ils sont certains de représenter les intérêts des travailleurs, ils n'ont pas plus de raison de se dérober au contrôle de ceux-ci, mais au contraire toutes les raisons de rechercher ce contrôle, de le susciter même au besoin.

On ne peut lutter en général pour les comités de grève et leur tourner le dos, en particulier, quand il est possible justement d'en mettre un sur pied puisque les travailleurs font confiance et écoutent. Ce serait faire exactement ce que les révolutionnaires reprochent aux autres. Ce serait se conduire en bureaucrates syndicaux. Que ces bureaucrates s'intitulent révolutionnaires ne change rien. Ce ne serait pas les premiers cas du genre.

De même, quand cela dépend des révolutionnaires, c'est-à-dire quand ils ont un rôle déterminant dans la grève, il ne peut pas être question non plus de se contenter d'un pseudo-comité de grève qui ne serait qu'une intersyndicale élargie, dans laquelle siègeraient de droit les représentants des syndicats acceptant simplement à leur côté quelques travailleurs du rang. Accepter cela, sous le prétexte de rallier les autres syndicats, c'est en fait choisir ces syndicats contre les travailleurs.

Si nous militons pour les comités de grève, entièrement élus et contrôlés par les travailleurs, c'est parce que cette forme d'organisation est d'abord la plus apte à mener la grève à bien. Mais c'est aussi parce qu'une telle organisation est un apprentissage indispensable à la classe ouvrière. Celle-ci ne pourra un jour prendre le pouvoir, gérer la société que si elle est capable de se donner une organisation authentiquement démocratique, qui permette vraiment aux travailleurs eux-mêmes d'exercer le pouvoir. Comment le pourrait-elle si dès maintenant lors de mouvements limités, sur des buts limités mais lorsque des travailleurs se sentent mobilisés, elle n'est pas capable de faire que cette organisation démocratique existe ?

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