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Après le traité sino-japonais
En octobre dernier, la presse a fait grand bruit autour du traité « de paix et d'amitié » conclu pour dix ans entre la Chine et le Japon et qui, signé le 12 août, a été paraphé en grande pompe à Tokyo le 22 octobre - n'hésitant pas à parler à ce sujet de « rendez-vous historique ».
On ignore cependant le contenu précis des accords économiques qui l'accompagnent et dont la presse française a fait grand cas.
On sait qu'ils font suite à un traité commercial déjà conclu en février 1978 entre les deux pays. Mais quel montant global atteindront les échanges prévus, et comment la Chine entend financer d'éventuelles importations importantes, c'est ce qu'on ne sait pas.
Indépendamment de cet aspect économique, le traité sino-japonais reste un événement politique significatif de la politique étrangère des dirigeants chinois.
Quelle portée économique ?
Sur le plan économique, dans l'état actuel de son développement, quelles perspectives, quels débouchés la Chine peut-elle offrir au monde capitaliste ?
Selon des données fournies par le journal Le Monde, les échanges économiques sino-japonais, qui se seraient monté à 3,7 milliards de dollars en 1977, devraient passer à 20 milliards de dollars au cours des huit années à venir, en vertu de l'accord économique de février 1978. Aux termes des accords actuels, il devrait être prolongé jusqu'en 1990 et les échanges devraient être encore multipliés par quatre, pour atteindre le chiffre de 80 milliards de dollars.
En fait, ces chiffres sont affectés d'un grand coefficient d'incertitude. Dans la foulée du voyage « historique » de Nixon à Pékin, en février 1972, les groupes capitalistes japonais, comme le groupe Mitsubishi, avaient multiplié les visites et missions en Chine, et si certains d'entre eux prédisaient à l'époque un montant des échanges entre le Japon et la Chine de 5 milliards de dollars pour 1977 (cf. Robert Guillain, Le Monde des 30 et 31 mars 1973), il reste que ce montant n'a atteint semble-t-il que 3,7 milliards et ne s'est pas, dans l réalité, révélé à la hauteur de leurs appétits.
Malgré l'immensité de son territoire et l'importance de sa population, la Chine n'offre pas, loin de là, à l'univers capitaliste, un marché intérieur à la mesure des ambitions en présence. Décider en congrès d'accélérer le rythme de l'industrialisation du pays, comme les dirigeants chinois l'ont fait au cours de l'été 1977, peut tout au plus signifier une intensification des efforts de production exigés de la population laborieuse, et ne peut aller plus loin.
A titre d'exemple, on peut citer ces chiffres de production comparée pour l'année 1973 ( Le Monde, octobre 1974) : (en millions de tonnes)
USA URSS Chine acier 113 131 25 pétrole 453 421 50 charbon 523 668 450
Ces chiffres valent ce qu'ils valent, mais ils indiquent un ordre de grandeur qui situe la Chine à tout le moins comme une puissance économique modeste, plus modeste encore que ne l'indiquent ces chiffres, car il faut les rapporter à une population plus nombreuse. Ses ressources naturelles sont sûrement considérables, mais elles demanderaient pour être mises en valeur des fonds énormes, dont la Chine ne dispose justement pas - cercle vicieux du sous-développement économique.
Dons ces conditions, et en restant dans le cadre économique « normal » en quelque sorte, les échanges entre la Chine et le monde capitaliste peuvent peut-être s'accroître dans une certaine mesure, mais sans plus.
S'il s'avérait cependant que le Japon était décidé à débloquer des crédits importants pour des prêts à la Chine, la chose aurait alors une signification d'une tout autre importance. Un tel choix de se part supposerait qu'il ait l'autorisation des États-Unis, et signifierait leur décision d'aider à accroître le potentiel industriel de la Chine dans la perspective d'une confrontation militaire avec l'URSS Mettre ce pays plus à la hauteur des armements et des techniques militaires actuels dans le cadre de sa rivalité avec l'Union Soviétique suppose en effet des moyens financiers considérables. Mais ce serait alors une orientation, de nature politique et stratégique, dont l'importance dépasserait de loin la simple question des relations économiques entre les deux puissances de l'Asie.
Rien de ce que nous savons actuellement des aspects économiques et financiers du traité sino-japonais ne permet de dire qu'on en est là.
Une étape dans une politique extérieure...
Quoi qu'il en soit, de la part de la Chine, ce traité s'inscrit tout naturellement dans le cadre de sa politique extérieure actuelle - laquelle se caractérise par la recherche systématique d'alliés contre l'URSS, et par le soutien aux régimes qui, si peu que ce soit, peuvent affaiblir la position de cette dernière, quel que soit le régime en question.
Que ce traité soit en fait dirigé contre l'URSS ne fait mystère pour personne, et surtout pas pour cette dernière, qui s'en est immédiatement inquiétée. On peut même penser que le traité amitié et de coopération » qu'elle vient de signer à son tour, le 3 novembre, avec le Vietnam, constitue une réplique de sa part.
Il faut souligner en outre que la nouvelle de la signature de ce traité s'est placée dans le même temps que le président chinois Huc Kuo-feng effecit à l'étranger un grand déplacement dans des pays soigneusement choisis : Roumanie et Yougoslavie d'abord, autant de défis à Moscou, et l'Iran ensuite, bastion occidental au Moye-Orient.
Toute la diplomatie chinoise de ces dernières années va dans le même sens : l'URSS est l'ennemie et la Chine s'emploie à soutenir ou appuyer systématiquement tout ce qui peut battre en brèche son influence.
Elle soutient le renforcement de l'OTAN, elle soutient une construction européenne qui se ferait sous la houlette de l'impérialisme américain, et qui renforcerait militairement ce bloc face à l'Europe de l'Est. Dans cette Europe de l'Est, elle encourage les nationalismes des pays satellites de l'Union Soviétique, et a ainsi renforcé ses liens avec la Roumanie. En ce qui concerne la Yougoslavie, elle a d'ailleurs renoué avec Tito en coût 1977.
Le soutien politique de la Chine aux pays du Tiers-Monde est sélectif. En Afrique, toute sa politique consiste à appuyer systématiquement les États, ou les mouvements de guerillas, se battant contre les autres États ou mouvements aidés par l'URSS et Cuba. Les exemples de cette politique ne se comptent plus.
Au titre de ces gestes ostentatoires, les dirigeants chinois viennent ainsi tout récemment à l'occasion des voyages de Chirac et Poniatowski à Pékin, d'opprouver la politique de la France en Afrique, en particulier ses interventions au Zaïre et ou Tchad.
Si la Chine n'a pas les moyens de faire de par le monde autre chose en la matière que des gestes symboliques, ces gestes ont tout de môme une portée et une signification certaines. Et dons le Sud-Est asiatique, elle peut jouer un rôle réel. Elle y soutient le Cambodge dons son conflit avec le Vietnam qui est un allié de l'URSS, en même temps qu'elle est elle-même en conflit avec le Vietnam lui-même - conflit qui se manifeste par une tension permanente à la frontière sino-vietnamienne prenant pour prétexte le sort des populations chinoises vivant au Vietnam.
La Chine apporte également son soutien aux pays regroupés dans l'Association des Nations du Sud-Est asiatique (I'A.S.E.A.N., qui comprend l'Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour et la Thaïlande), et qui est une création américaine dons la région, remplaçant la défunte O.T.A.S.E. Pour ces États, c'est là un soutien qui compte. Ainsi, à l'occasion d'un voyage en Thaïlande, Teng Hsiao-ping vient de participer spectaculairement à l'ordination boudhique du prince héritier, apportant ainsi sa caution au régime royal en place, malgré le lutte dons le pays d'un PC clandestin pro-chinois.
Dans ce cadre, le traité sino-japonais de « paix et d'amitié » prend figure d'alliance en vue de remplir dans cette région du monde le rôle de gendarme que l'impérialisme américain remplit ailleurs. D'ailleurs, la Chine témoigne d'un appui militant au renforcement de la puissance militaire japonaise (elle se félicite, par exemple, « de la volonté d'indépendance du Japon en matière de défense » ), et pour ce qui la concerne, elle met l'accent sur la nécessité de s'armer face à la menace que constitue l'URSS pour elle, selon les dires de ses dirigeants. Au cours de leurs voyages et de leurs discussions avec les hommes des milieux dirigeants occidentaux, ils insistent d'ailleurs avant tout sur leur désir de se procurer des armements modernes.
Du point de vue des dirigeants chinois, le traité sino-japonais vient donc consacrer de façon concrète en même temps que spectaculaire le choix qu'ils ont fait de se placer dons le même camp que l'impérialisme face à l'Union Soviétique. C'est un pas en avant de taille qu'ils effectuent là à l'intérieur de ce camp, et, par l'ostentation qu'ils ont apportée à la chose, on peut dire qu'ils tiennent à ce qu'elle soit bien interprétée ainsi.
... dictée par les intérêts nationaux de la Chine
Il n'y a pourtant pas si longtemps, la Chine dénonçait avec frénésie ce qu'elle appelait la « coexistence pacifique des révisionnistes modernes », attaquant par là la politique russe de coexistence avec les États-Unis. Cette dénonciation est apparemment à mettre au rang des vieilles lunes, depuis que la Chine elle-même est en mesure de pratiquer avec l'impérialisme une politique de rapprochement similaire, depuis que l'impérialisme admet avec elle à son tour une coexistence pacifique.
Il est vrai qu'il n'en a pas toujours été ainsi. Jusqu'au retournement spectaculaire de la politique des USA, consécutif à leur échec au Vietnam, les USA avaient refusé de reconnaître le régime chinois installé en 1949 et l'avaient enfermé dans un blocus économique. La Chine de Mao a été une alliée de l'URSS pendant toute la période de la guerre froide et jusqu'au début des années 60. Mais il faut souligner que l'initiative de l'isolement de la Chine est revenue, à l'époque, à l'impérialisme.
En tout cas, c'est bien la conscience de leurs intérêts nationaux qui a amené les dirigeants chinois à rompre avec l'URSS en 1960-63, et non les prétendues divergences idéologiques invoquées à l'époque. Et, précisément, la crainte d'être écartée de l'éventuel règlement USA-URSS qui se dessinait alors, la crainte que ce règlement ne se fasse sur son dos.
Dans sa propagande, la Chine dénoncuit alors les deux super-puissances à égalité.
Le changement général de cette politique a coïncidé avec les initiatives américaines en vue de renouer avec la Chine, c'est-à-dire en gros avec le voyage de Nixon à Pékin annoncé en juillet 1971. Désormais, la cible essentielle de la politique internationale chinoise est l'URSS
En tout cas, sitôt que l'impérialisme a ainsi manifesté concrètement sa volonté de changer de politique à son égard, la Chine a accepté de renouer les relations et elle y a même mis un certain empressement. En fait, amener l'impérialisme à reconnaître leur État est depuis toujours le but principal des dirigeants chinois.
C'est le changement de politique de l'impérialisme, rompant au début des années 70 avec la politique dite de « containment » de la période précédente, qui leur en a offert la possibilité.
Cette nouvelle politique adoptée par l'impérialisme américain sur la scène internationale vise à maintenir l'équilibre entre les forces des deux blocs qui divisent le monde, au moyen d'une politique plus souple et moins brutale que dans la période de la guerre froide - période qui ne s'est close qu'avec la guerre du Vietnam. Et c'est d'ailleurs pour une large part celle-ci, avec ce qu'elle a illustré des capacités de résistance d'un peuple en lutte face à la guerre et à la répression, qui l'a amené à reconsidérer ses méthodes de maintien de l'équilibre mondial.
C'est à ce niveau que la Chine a un rôle important à jouer. De fait, c'est elle qui assure le rôle de gordien de l'ordre dans cette partie du monde.
C'est à jouer ce rôle que les dirigeants américains ont convié les dirigeants chinois en réintégrant leur État sur la scène mondiale, en avançant sur la voie de sa reconnaissance à part entière. Et si les dirigeants chinois pour leur port ont répondu présents, ce n'est que dans la logique des intérêts nationaux de la Chine.
En ce sens, le traité sino-japonais actuel était contenu en puissance dans la visite de Nixon à Pékin de février 1972.
Une question se pose cependant : le retour en grâce de la Chine auprès de l'impérialisme signifie-t-il son alignement pur et simple sur celui-ci ?
Si l'objectif des dirigeants chinois a toujours été d'obtenir de l'impérialisme qu'il reconnaisse leur État, c'est avec ses droits et ses intérêts qu'ils tiennent à le faire admettre, et certainement pas à n'importe quel prix.
Cette indépendance, ils l'ont durement conquise et maintenue, et il n'est certainement pas question pour eux de se voir traiter comme des vassaux des États-Unis. Dans une certaine mesure, d'ailleurs, en faisant des pas décisifs dans la voie de la reconnaissance pleine et entière de la Chine, les États-Unis se sont eux-mêmes inclinés devant cette indépendance acquise par la Chine maoïste. Et on peut être sûr que l'audience ainsi arrachée, les dirigeants chinois n'ont pas fini de la marchander.
De leur côté, les États-Unis ne se sont pas non plus engagés de manière irréversible aux côtés de la Chine. La question de Formose reste pendante, les USA ne l'ont pas lâchée, et formellement, ils n'ont encore en Chine qu'un « bureau de liaison ». Si la Chine se trouve dans leur camp, ils n'en poursuivent pas moins une politique souple vis-à-vis de l'URSS, et bien des évolutions et des ajustements restent possibles dans leur politique internationale qui, dans ses relations avec l'URSS, se fait sous le signe de la « détente ».