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Annexe : correspondance LO-SU (1985-1986)
Lutte Ouvrière au secrétariat unifié de la IVe Internationale
Paris, le 12 mai 1985
Chers camarades,
Malgré un ensemble de désaccords politiques, votre section en France, la Ligue Communiste Révolutionnaire et notre organisation entretiennent de longue date des relations loyales et fraternelles. Nous considérons ces relations comme des relations privilégiées. Elles se sont concrétisées dans le passé par des apparitions publiques communes, notamment lors de campagnes électorales. Elles se concrétisent cette année par l'organisation d'une fête nationale commune. Et au-delà des apparitions politiques communes immédiates, limitées par le fait qu'une partie importante de nos divergences politiques portent précisément sur nos façons respectives d'envisager les interventions publiques, nous avons en commun le désir de rapprocher les militants de nos deux organisations, leur donner l'habitude de se rencontrer localement, dans le cadre de réunions de base en commun ou de façon informelle, afin de discuter ensemble de nos activités respectives et de rapprocher nos façons d'intervenir concrètement dans les luttes de la classe ouvrière.
Nous souhaitons prolonger ces relations privilégiées avec la Ligue Communiste Révolutionnaire, par des relations de même nature avec votre organisation internationale.
Nous avons considéré comme positif notre participation aux différentes réunions internationales où vous nous avez invités, notamment notre présence en tant qu'observateurs à votre congrès mondial. Nous considérons également positifs les premiers contacts bilatéraux établis, avec votre accord, avec certaines de vos sections nationales.
Notre Comité Central, sensible à tous ces liens effectivement tissés et multipliés ces derniers temps, a décidé d'accepter votre offre d'envisager notre participation à votre organisation internationale en qualité d'observateur.
Bien entendu, la définition des relations qu'implique un éventuel statut d'observateur dans l'état actuel de nos rapports, sera l'objet de discussions. Pour notre part, nous sommes prêts à nous y engager non seulement dans un esprit de fraternité et avec le souhait sincère de resserrer, y compris publiquement, les liens qui correspondent à l'état actuel de nos relations ; mais encore de faire en sorte que ces relations se resserrent davantage dans le futur. En d'autres termes, nous ne considérons pas un éventuel statut d'observateur nécessairement comme un aboutissement, mais comme une étape. La question de savoir si cette étape sera suivie d'autres ne dépend bien entendu pas seulement de discussions telles que nous pouvons en mener dans l'immédiat, mais aussi, de la vérification dans les faits et de part et d'autre, qu'une cohabitation est possible et souhaitable. Mais c'est en tous les cas dans cet esprit que nous avons l'intention d'engager les discussions elles-mêmes.
Dans cet ordre d'idées, et afin à la fois de mieux se connaître politiquement et de créer des liens militants entre notre organisation et celles de vos sections avec lesquelles cela est possible, nous confirmons la proposition faite oralement de procéder à des échanges de militants. Compte tenu de nos forces limitées, et pour des raisons pratiques évidentes, nous souhaiterions procéder à de tels échanges avec quelques unes de vos sections de pays européens limitrophes, mais nous serions heureux de discuter avec vous de toute autre possibilité qui vous semble souhaitable dans ce domaine.
Dans l'attente de votre réponse, agréez, chers camarades, nos salutations révolutionnaires.
Pour le comité exécutif de Lutte Ouvrière
HARDY
Le Comité Exécutif de Lutte Ouvrière Paris, au Secrétariat unifié de la IVe Internationale
le 13 septembre 1985
Chers camarades,
L'objet de la présente lettre est de répondre à votre demande d'expliquer la démarche qui nous a conduits à souhaiter l'entrée de notre organisation, en tant qu'organisation observatrice, au sein du Secrétariat unifié.
Nous sommes une organisation qui s'est toujours, intégralement, tenue sur le terrain du trotskysme en affirmant sa solidarité avec la fondation de la IVe Internationale par Léon Trotsky.
Nous nous sommes toujours considérés comme une tendance de la Quatrième Internationale et nous avons toujours saisi les occasions qui pouvaient s'offrir à nous de développer des liens de collaboration avec d'autres courants trotskystes.
Et si, depuis plusieurs dizaines d'années, nous nous sommes développés hors des regroupements internationaux existants, et spécialement hors du Secrétariat unifié, c'est uniquement parce que nous n'avons pas eu la possibilité d'y participer sans renoncer à notre identité politique.
En effet, sous prétexte de centralisme démocratique, on nous a à chaque fois opposé des règles organisationnelles que nous ne pouvions accepter étant donné la nature de nos divergences.
C'est la possibilité ouverte par vous lors d'entretiens précédents, de participer d'une façon à déterminer au SU, sans avoir à renoncer à défendre publiquement nos opinions politiques et organisationnelles y compris là où elles divergent de la majorité des sections du SU, qui nous fait aujourd'hui formuler notre demande.
En effet, nos divergences politiques profondes ne nous conduisent pas à nier tout rôle positif à votre organisation internationale.
Nous sommes bien conscients que si, de tous les courants qui se réclament du communisme révolutionnaire, le trotskysme est le seul à s'être perpétué à l'échelle internationale, ce n'est pas seulement parce qu'il est le seul héritier légitime du bolchévisme, c'est aussi parce qu'il existe des organisations et des militants qui consacrent une part importante de leurs préoccupations et de leur énergie à maintenir et à essayer de développer un cadre organisationnel international. Et votre organisation a incontestablement le mérite d'avoir joué un rôle essentiel depuis plus de quarante ans pour maintenir un tel cadre.
D'autres organisations ont également, ou ont eu, une activité en ce sens, et pour certaines, leur bilan est loin d'être négligeable. Mais de toute évidence, c'est votre organisation qui a assumé, dans le temps et en étendue géographique, la majeure partie de ce travail, indispensable du point de vue des intérêts de l'ensemble du mouvement trotskyste.
D'ailleurs, l'existence des autres organisations trotskystes internationales résulte, dans une large mesure, de vos activités puisqu'elles sont issues de scissions de votre organisation (mais cela signifie en même temps, qu'à notre avis, vous avez aussi une part de responsabilité politique dans cet éclatement du mouvement trotskyste international).
En ce qui nous concerne, en tout cas, nous avons parfaitement conscience que si notre courant a rencontré pour se développer sur le terrain du trotskysme des difficultés supplémentaires, dues à votre attitude de l'époque, qui nous a tenus à l'écart de ce cadre international, puis du Secrétariat unifié, nous avons malgré tout bénéficié de votre existence et des efforts que vous avez consacrés au maintien d'un courant trotskyste organisé à l'échelle internationale. Ne serait-ce que parce que nous avons pu nous consacrer davantage à d'autres priorités, dans la mesure où nous pouvions nous permettre de consacrer moins d'efforts à une tâche indispensable que vous, vous assumiez.
Nous n'avons jamais eu la possibilité de nous associer organiquement à votre travail, précisément à cause de la manière dont vous le faisiez, parce que vous n'envisagiez une collaboration qu'avec des groupes prêts à vous reconnaître a priori comme direction politique internationale et prêts à se fondre au sein de votre section nationale. Nous n'avons pas non plus voulu nous poser en direction internationale. Bien que nous ayons toujours considéré comme une de nos priorités politiques d'avoir une activité dans d'autres pays et que nous l'avons fait selon nos moyens, nous nous sommes toujours refusés à essayer de multiplier artificiellement des «succursales» de notre courant dans d'autres pays, ne reposant sur rien de sérieux, contrairement à la démarche que nous reprochons justement dans certains cas aux tendances issues du SI ou du SU (et parfois au SI ou au SU lui-même).
Mais nous n'avons jamais refusé la moindre possibilité de collaboration internationale. Nous considérons comme un devoir politique d'appuyer les militants, les organisations, qui travaillent à développer le mouvement trotskyste à l'échelle du monde. Nous sommes prêts à faire notre part du travail, et le faire dans le cadre international que vous offrez.
Vous comprendrez bien, cependant, que notre désir de participer, en collaboration avec vous, au développement du mouvement trotskyste n'est pas motivé par une quelconque disparition de nos divergences, ni par l'abandon de nos critiques à l'égard de vos politiques passées ou présentes.
La présente lettre n'a pas pour objet d'engager - ou de poursuivre - une polémique, et si nous rappelons nos principales divergences - que vous connaissez au travers de nos publications ou des discussions que nous avons pu avoir dans le passé - c'est dans un souci d'honnêteté, afin que vous puissiez juger dans quelle mesure ces divergences sont compatibles avec ce que vous pourriez nous proposer concrètement.
Nos principales divergences tournent autour du fait que, à notre avis, vous avez dans un nombre significatif de cas, renoncé dans le passé (et au présent) à défendre la nécessité pour le prolétariat de s'organiser politiquement de façon indépendante des autres classes sociales, en particulier dans les pays sous-développés. Et ce que nous jugeons plus grave encore, votre politique a consisté à justifier, voire à théoriser ce renoncement.
C'est ce que nous avons reproché en son temps à la politique qui avait consisté, pendant et au lendemain de la guerre, à vous identifier, en partie, mais c'est encore trop, à la politique bourgeoise de la «résistance», puis de la «libération». Puis, vous avez choisi, au point de la théoriser, avec la politique «d'entrisme sui generis», la disparition politique et organisationnelle du courant révolutionnaire dans le mouvement stalinien. Vous avez défendu, pendant de longues années, l'idée que les États des pays de l'Est n'ont plus à être brisés, détruits, par la voie de la révolution prolétarienne ; en renonçant donc aussi à la possibilité même de gagner aux idées trotskystes toute une génération que les événements révolutionnaires ont fait surgir dans certains de ces pays. Et malheureusement, nous n'avons pas pu nous sentir politiquement plus proches de vous, même lorsque vous avez fini par abandonner «l'entrisme sui generis» et l'alignement qu'il représentait derrière le stalinisme, car vous l'avez fait au profit de ce que nous considérons comme une adaptation (relative certes) à la social-démocratie, comme à différentes variétés de l'Union de la gauche.
Et puis, vous le savez, nous considérons comme une erreur, et comme une attitude aux antipodes de la politique de Lénine ou de Trotsky, le fait que vous vous soyez identifiés (en les identifiant, eux, au cours «objectif» de la révolution permanente) successivement ou simultanément, au titisme, au FLN algérien, au FNL vietnamien, au castrisme, au sandinisme ; à toutes sortes de courants, radicaux sans doute, révolutionnaires parfois, mais dont aucun ne se plaçait sur le terrain de la révolution prolétarienne internationale. Car en vous identifiant à tous ces courants, c'est-à-dire en affirmant, implicitement ou explicitement, qu'il n'y avait aucune autre politique possible ni même souhaitable pour le prolétariat, en Yougoslavie, en Algérie, etc., vous vous êtes interdit de construire des organisations se plaçant sur le terrain de la révolution prolétarienne internationale dans ces pays-et vous en rendiez la construction bien plus difficile, car d'apparence politiquement pas justifiée, dans les pays pauvres en général.
Nous savons, bien sûr, qu'il ne dépendait pas seulement de la capacité et des forces du mouvement trotskyste, que les secousses révolutionnaires qui ont ébranlé un certain nombre de pays colonisés ou des pays de l'Est se transforment en révolution prolétarienne. Mais nous pensons que des secousses révolutionnaires ouvrent de grandes possibilités devant des organisations qui se réclament de la révolution prolétarienne, même petites, à condition qu'elles n'oublient pas de s'en revendiquer, et d'agir pour que le prolétariat se donne une organisation politique indépendante, justement à ces moments-là. La construction d'un parti révolutionnaire prolétarien dans les pays avancés n'est d'ailleurs possible qu'à ce prix.
Nous ne savons pas si dans certains de ces pays où vous avez des groupes, il était possible que ces sections conquièrent assez d'influence pour qu'au moins une fraction de la classe ouvrière les reconnaisse comme dirigeants, et pour qu'elles soient au moins sur les rangs pour disputer aux organisations nationalistes la direction des masses en mouvement. Mais il nous semble que la politique que vous leur avez proposée, en tant que direction, leur fermait cette possibilité.
Et nous persistons à penser que ces choix politiques, dont aujourd'hui vous reconnaissez certains comme des erreurs, ont joué un certain rôle dans la crise de direction et dans l'éparpillement actuel du mouvement trotskyste.
Nous n'avons donc pas renoncé à ces critiques, et nous n'avons pas l'intention de les taire. Il serait d'ailleurs dommageable pour tout le monde que le débat politique clair et public entre nos courants disparaisse ou s'atténue du fait même du rapprochement, c'est-à-dire précisément lorsque pourront se créer les conditions pour confronter sérieusement et sans sectarisme nos politiques.
A nos yeux, ces divergences n'empêchent pas la collaboration. Sous quelles formes ? Si nous en avons la volonté, nous trouverons les formes. Il vous appartient maintenant de juger si, malgré ces divergences, ce que nous pouvons apporter à votre activité internationale vous paraît utile ou pas. Notre démarche ne vise pas à vous rendre la tâche de développement du mouvement trotskyste à l'échelle internationale plus difficile, mais encore une fois, au contraire, à y apporter notre contribution.
En ce qui nous concerne, vous le savez, nous sommes entre autres très attachés à la politique d'échange de militants du rang, et en particulier de militants ouvriers, entre notre organisation et certaines sections du SU
Il ne s'agit pas seulement de relations de direction à direction, ou de rencontres de délégations. Nous pensons que l'un des principaux rôles que peut jouer dans l'état actuel de développement de nos forces une organisation internationale, est la formation mutuelle de nos cadres révolutionnaires, en échangeant nos expériences, en permettant à nos militants de connaître et d'affronter des situations différentes, qui ne peuvent s'assimiler que lorsqu'on a la possibilité de participer, de façon militante, pendant plusieurs mois, à la vie des organisations révolutionnaires qui se battent dans d'autres pays.
Il ne s'agit ni de prétendre donner des conseils, encore moins de diriger, ni bien sûr de noyauter ou de se livrer à un quelconque travail de fraction (tout notre passé répond de nous dans ce domaine). Il s'agit simplement d'apprendre.
Bien sûr, cela est un aspect, et un aspect seulement de la collaboration possible, même si c'est un aspect auquel nous tenons beaucoup.
Il va sans dire que sur le plan de la circulation des idées, des textes ; sur celui de l'accès de nos militants à vos publications et à vos écrits, nous vous donnerions toute latitude, toute garantie et vérification que vous pourriez souhaiter ; à charge bien sûr de réciprocité sous des formes à définir. Mais ces deux aspects ne sont pas limitatifs. D'autres relations peuvent s'établir, et en particulier, celles auxquelles vous et vos sections pourriez tenir.
Bien entendu, les relations que nous avons avec le Secrétariat unifié, et que nous sommes prêts à renforcer autant qu'il se révélera possible, nous ne les concevons pas comme un obstacle au maintien et au développement de relations avec d'autres organisations et d'autres regroupements internationaux prêts à entretenir avec nous des relations dépourvues de sectarisme et d'intentions manoeuvrières. Ne serait-ce que parce que nous ne pensons pas que l'on puisse traiter avec mépris des milliers de militants trotskystes, aussi dévoués à notre cause commune que le sont les vôtres ou les nôtres. Et nous ne pensons pas non plus qu'aucune des directions internationales existantes puisse jeter l'exclusive contre aucune autre, car aucune n'a encore apporté la preuve ni de son efficacité, ni de la validité de sa politique, ni même parfois celle de sa perspicacité.
C'est pour nous une conviction profonde, étayée par notre propre passé, où très longtemps nous avons été mis au ban par les regroupements internationaux, dont le vôtre, alors que nous montrons que nous sommes capables de développer et d'implanter, même sans le label d'une organisation internationale, et à plus forte raison sans son aide, une organisation qui est entièrement sur le terrain du trotskysme, dont les militants et les cadres n'ont pas moins de compétence sur les problèmes internationaux, que ceux des autres organisations, qui n'a pas à rougir de sa politique et qui est d'une importance numérique et politique au moins du même ordre que vos sections les plus importantes.
Pour conclure, nous souhaitons sincèrement que la proposition que vous nous aviez faite de rejoindre votre organisation internationale en qualité d'observateur puisse se réaliser et que les liens que nous parviendrons à tisser, et pas seulement entre directions, soient tels que nous puissions envisager des relations plus proches encore.
Dans l'attente de votre réponse, recevez, chers camarades, nos salutations révolutionnaires.
Pour le Comité Exécutif de Lutte Ouvrière,
Georges KALDY
Le Secrétariat unifié de la IVe Internationale à la direction nationale de Lutte Ouvrière
Le 10 janvier 1986
Chers camarades,
Les rapports entre votre organisation et le Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale ont été marqués ces dernières années par quelques évolutions positives, grâce aux meilleures relations entre Lutte Ouvrière et la LCR. Ces progrès ont pu déboucher sur votre invitation à diverses activités de l'Internationale (congrès mondial, réunion des bureaux politiques européens, l'école de cadres internationale).
C'était ces rapprochements qui nous avaient conduits au printemps 1985 à vous faire des propositions exploratoires pour mieux définir un cadre organisationnel susceptible de formaliser ces relations. Répondant à ces propositions orales, vous manifestiez dans votre lettre du 13 septembre 1985, votre volonté de «participer d'une façon à déterminer au SU, sans avoir à renoncer à défendre publiquement (vos) opinions politiques et organisationnelles».
C'est bien dans cet esprit que nous entendons développer la discussion.
«Nous sommes prêts, disiez-vous, à faire notre part de travail». Il va de soi que ce serait là la meilleure preuve d'une confiance mutuelle et d'une aptitude à débattre de nos divergences, tout en collaborant dans la pratique. Or, à la lecture de votre lettre, on ne peut pas dire que vous fassiez preuve d'optimisme en la matière. Vous faites comme nous le constat d'importantes divergences sur les grands événements des dernières années, qu'il s'agisse de la révolution en Amérique centrale, de la lutte des travailleurs polonais, du mouvement de masse contre les missiles américains en Europe ou encore de la lutte du peuple kanak. Mais vous portez sur ces divergences un jugement qui nous paraît en contradiction avec votre volonté de «faire votre part de travail».
Vous nous reprochez en effet «d'avoir renoncé dans le passé (et au présent) à défendre la nécessité pour le prolétariat de s'organiser de façon indépendante des autres classes sociales». Rien de moins ! Ou vous écrivez à la légère, ou vous prenez vos propres termes au sérieux. Et en ce cas, nous voyons mal ce qui pourrait inciter votre direction et vos militants à établir des relations privilégiées avec une organisation qui aurait pour tradition de brader l'indépendance de la classe ouvrière.
Nous vous avons maintes fois expliqué que selon nous, les différences entre nos organisations recouvraient plusieurs divergences politiques. Votre attitude envers les mouvements de libération nationale par exemple, est pour nous contraire à toute la tradition de Lénine et de Trotsky, alors que vous faites mine d'être les défenseurs de «l'orthodoxie» en la matière. Mais nous pensons également que ces désaccords peuvent provenir en partie de l'absence de pratique internationale de la part de Lutte Ouvrière et de son refus de s'engager dans la construction de l'Internationale.
S'il n'y a pas de rapprochement programmatique, l'évolution de nos rapports pourrait du moins exprimer un changement d'attitude qui selon votre lettre, serait essentiellement notre fait. Pour notre part, vous mettez en effet un point d'honneur à prétendre qu'en quarante ans d'existence vous n'avez jamais changé d'idée sur l'Internationale. Ce qui nous semble un peu prétentieux et un tantinet ridicule, car c'est confondre constance et immobilisme.
Vous auriez pu, au contraire, vous préoccuper de votre isolement national et de vos échecs répétés dans vos tentatives pour le rompre : l'épisode avec Healy et Lambert et celui du SWP britannique. Vos partenaires portent sans doute une bonne part de responsabilité, mais vous pourriez vous interroger sur la démarche que vous avez suivie alors.
Aujourd'hui, vous semblez opter pour une nouvelle définition de vos relations internationales, celles du «développement du mouvement trotskyste» sauf erreur de notre part, cette ligne de conduite de Lutte Ouvrière est assez récente.
Par comparaison, vous affirmez dans votre lettre : «nos divergences politiques ne nous conduisent pas à nier tout rôle positif à votre organisation internationale». Voilà qui fait beaucoup de négations pour une affirmation à reculons. Mais acceptons en tout de même l'hommage. Pourtant, dans le numéro de mai 1984 de Lutte de Classe, vous écrivez à propos du bilan du Secrétariat unifié : «si dans ces pays pauvres les directions petites-bourgeoises nationalistes semblent disposer d'une influence hégémonique sur les masses, ce n'est pas toujours parce qu'au départ les quelques avocats, médecins et autres intellectuels qui mirent en place ces futures directions «pragmatiques» étaient plus nombreuses que les trotskystes, mais parce qu'ils ne rencontrèrent personne qui défendait directement auprès des masses une autre politique, personne pour contester leur hégémonie, en un mot personne pour les combattre et dans ce combat, arracher concrètement la lutte des masses à leur influence et à leur direction».
Mais, camarades, pourquoi ne l'avez-vous fait vous-mêmes ? Vous vous contentez d'une interpellation, alors que nous attendrions de vous un vrai débat sur comment construire l'Internationale et comment aider à la formation de directions marxistes-révolutionnaires. Nous prétendons, malgré nos faiblesses, avoir joué un rôle positif dans ce sens. D'autre part, nous sommes ouverts à des rapports de collaboration avec d'autres courants dans le cadre de processus complexes et prolongés de reconstruction d'une avant-garde révolutionnaire à l'échelle internationale.
C'est dans cette perspective d'ensemble que nous concevons le développement de nos rapports avec vous comme avec d'autres.
Il est vrai que vous donnez une ébauche d'excuse au fait que vous-mêmes n'avez guère de pratique internationale qui vous permette de débattre concrètement. Vous dites : «c'est votre organisation quia assumé dans le temps et l'étendue géographique, la majeure partie de ce travail, indispensable du point de vue des intérêts de l'ensemble du mouvement trotskyste». Passons sur les contradictions de votre jugement qui revient à nous reprocher de nous être mouillés pour être allés travailler un jour de pluie. Ceci vous permet tout de même de reconnaître trois lignes plus loin que ce dévouement doublement utile vous a permis de vous «consacrer davantage à vos priorités».
Vous estimez par ailleurs qu'il faut en rester à une conception plus modeste de l'Internationale, de son fonctionnement, de la nature et du rôle de ses directions. Nous avons pour notre part largement souligné cela lors de notre dernier congrès mondial. Reconnaissez tout de même que les évolutions sur ce sujet ne datent pas d'hier. Dès la réunification de 1963, le rôle des directions internationales était statutairement délimité par la souveraineté reconnue aux sections de la IVe Internationale aussi bien pour l'élaboration de leur orientation nationale que pour l'élection de leurs directions. La question substantielle est ailleurs. Elle a trait à la nécessité ou non de maintenir et faire vivre un cadre international organique. C'est-à-dire une internationale centralisée dans la mesure de ses possibilités, qui ne soit pas une simple coordination et dans laquelle on s'efforce de définir des positions communes en apprenant mutuellement de nos expériences respectives et en essayant de mettre en oeuvre des activités mobilisant plusieurs sections ou toute l'Internationale pour agir et peser sur le cours des luttes de classes.
La modestie ne réside donc pas où vous le croyez. Votre volonté de ne jamais vouloir «vous poser en direction internationale» ne vous a d'ailleurs jamais empêché de porter des jugements sur tout ce qui se passait dans le monde. Mais nous avons, nous, la modestie de croire qu'il vaut mieux se prononcer grâce à des discussions et une collaboration avec des camarades et des organisations au sein d'une structure internationale.
Votre lettre contient donc des jugements contradictoires qui confirment l'impression que nous avions lorsque nous vous avions fait des propositions exploratoires.
C'est pour saisir l'occasion d'une évolution positive et mettre sur pied un cadre organisationnel qui permette d'avancer dans les discussions que nous avons proposé la possibilité de votre participation régulière à la vie de l'Internationale. Il s'agirait là d'une situation inédite, non prévue par nos statuts, que nous devrions traiter avec précaution. Plutôt que de créer une nouvelle situation statutaire, il s'agirait d'avancer dans la définition d'un protocole d'accord codifiant nos rapports. Ainsi Lutte Ouvrière pourrait participer régulièrement à une série d'activités et de réunions des instances de l'Internationale, avec droit de parole. Lutte Ouvrière pourrait participer aux campagnes internationales selon des modalités à préciser et diffuserait la presse de l'Internationale. Il pourrait y avoir ouverture réciproque des colonnes de notre presse selon les sujets d'actualité. La direction de l'Internationale aurait la possibilité de venir défendre ses positions devant les militants de LO quand une discussion est ouverte.
Nous n'avons pas à entrer spécialement dans la discussion sur la tactique électorale en France. Mais les deux éléments, rapprochés, nous paraissent toutefois exprimer un tournant de votre part. Nous ne nous attacherons ici qu'à votre document de congrès qui exprime une indiscutable régression par rapport à nos discussions antérieures et même à votre lettre du 13 septembre.
Ce document ne parle pas de relations privilégiées avec nous et toute sa logique affirme même le contraire. «Les organisations trotskystes réellement militantes de parle monde ont des qualités et des défauts mais aucune d'entre elles n'est devenue un parti révolutionnaire. Il y a des choses à apprendre en positif et en négatif, chez les uns comme chez les autres». Voilà encore le faux bon sens du pour et du contre, du positif et du négatif. Certes, camarades, l'histoire jugera en dernière instance. Mais entre le verdict final sur la pratique des uns et des autres et le doute absolu présent, il existe un moyen terme qui implique un jugement, voire un risque de se tromper, afin de tirer des conclusions pour agir.
Nous tenons à être clairs sur ce sujet
a) Nous sommes en désaccord avec votre point de départ et votre approche : il est faux et démagogique de présenter l'internationalisme dans la tradition de notre mouvement, c'est au contraire d'abord un programme qui définit une démarche commune face aux grands événements et aux tâches de la lutte de classe internationale, et l'engagement pratique dans la construction d'un cadre organisationnel commun sur cette base. Sans cela, la meilleure volonté du monde et les plus fraternels rapports ne résisteraient pas aux épreuves. C'est donc la centralisation des unités fondamentales de l'Internationale que sont les sections, qui permet seule de dégager un point de vue politique internationaliste prenant en compte les réalités nationales. Si le vécu devait être la précondition absolue d'une conscience internationaliste, il faudrait en conclure que l'internationalisme est réservé aux seuls globe trotters, et qu'il faudrait des années et des années (combien de pays visités ?) pour devenir un internationaliste conséquent.
b) Ceci dit, dans un cadre programmatique précis et à partir d'un projet organisationnel commun, une meilleure connaissance réciproque entre sections et entre militants permet de vérifier ce qui nous rassemble, de consolider la confiance, de rendre plus vivante la conscience de mener un combat commun. C'est avec ce souci que nous nous sommes employés, en particulier ces dernières années, à construire plusieurs mécanismes de rencontre et d'échange, tels que les réunions continentales de directions, les écoles internationales de cadres, les camps de jeunesse, sans sous-estimer l'importance d'une presse internationale assurant une information régulière. Dans le cadre d'un rapprochement effectif assurant la fécondité de l'échange, ces formes peuvent être complétées par des séjours dans certains pays, après discussion avec les directions nationales concernées pour fixer les modalités et objectifs de tels séjours, compatibles avec leur propre activité. Vous avez pris soin de préciser que ce n'était pas en tant que courant international mais en tant qu'organisation nationale que vous faisiez cette démarche. Outre la section française, les sections de l'Internationale sont a fortiori intéressées de savoir ce que vos militants pensent et disent pour envisager de les intégrer «plusieurs mois» dans leurs rangs. Nous insistons sur ce point qui devrait aller de soi dans l'idée que nous nous faisons de la souveraineté des sections et de leurs directions élues sur tout ce qui concerne leur vie interne. Toute initiative de ce genre relève de leur seule autorité. C'est un principe et un mécanisme que vous ne semblez pas avoir clairement compris, ne serait-ce qu'au niveau français, puisque vous avez plusieurs fois essayé d'inviter à vos activités des militants individuels de la section française sans passer par les directions correspondantes, comme il nous semblerait normal dans des rapports entre organisations. Cela vaut à plus forte raison au niveau international.
Il est donc bien difficile à la lecture de votre document de congrès d'aller plus loin que les propositions que nous vous rappelons dans cette lettre. Il va de soi, d'autre part, que les relations de l'Internationale avec votre organisation dépendent substantiellement des rapports entre LO et LCR. Vous écriviez notamment dans votre lettre du 12 mai que les relations entre la IVe Internationale prolongeaient celles établies entre votre organisation et notre section française. C'est exactement la démarche que nous voulons conserver à l'avenir.
Nous vous avons exprimé franchement et sans faux-fuyants les commentaires que nous inspirent votre courrier et vos documents les plus récents. Nous vous réaffirmons ici le cadre de collaboration qui pourrait s'établir entre Lutte Ouvrière et notre mouvement. Nous avons appris la patience. Même si votre changement d'attitude rend les choses plus lentes et plus difficiles, nous ne renoncerons pas et nous continuerons à vous proposer une consolidation de nos rapports sous la forme esquissée dans nos rencontres antérieures et rappelées dans cette lettre.
Recevez, chers camarades, nos meilleures salutations révolutionnaires.
Le SU de la IVe Internationale
Le Comité Exécutif de Lutte Ouvrière au Secrétariat unifié de la IVe Internationale
Le 8 février 1986
Chers camarades,
Si nous comprenons bien le sens de votre lettre du 10 janvier 1986, vous claquez la porte que nous croyions entre-ouverte, en espérant d'ailleurs, apparemment, nous la claquer sur les doigts.
Nous comprenons fort bien qu'il «s'agirait» - tout le paragraphe concernant directement la question est écrit au conditionnel - «d'une situation inédite» que vous devez «traiter avec précaution». Nous nous en voudrions de compliquer vos nombreuses tâches internationales par une demande aussi «inédite» que celle de trouver un terrain de collaboration avec une organisation qui a, il est vrai, le défaut de ne pas partager un certain nombre de vos orientations politiques, et surtout, le défaut de vouloir le dire, publiquement, tout en souhaitant établir des relations fraternelles permanentes avec vous. Et nous comprenons aussi qu'une si étrange demande vous oblige à la «traiter avec précaution».
En somme, si nous comprenons bien, devant les problèmes inouïs que nous vous posons, il est surtout urgent d'attendre, et nos «relations privilégiées» sont destinées à se limiter, pour une période indéterminée, au privilège - pour nous, bien entendu - d'assister à vos congrès mondiaux tous les cinq ans et d'être de temps à autre invités à certaines réunions plus ou moins de direction. Vous poussez cependant l'attitude fraternelle jusqu'à envisager - toujours au conditionnel cependant, car même dans ce domaine, on ne saurait prendre trop de précautions - que Lutte Ouvrière «pourrait participer» à vos campagnes internationales ; qu'elle «diffuserait la presse de l'Internationale». Vous nous voyez honorés qu'il puisse être envisagé que nous soit reconnu le droit de participer à l'application de votre politique. Il est vrai que vous envisagez même «l'ouverture réciproque des colonnes de notre presse».
Par contre, l'échange de militants vous pose des problèmes apparemment insurmontables. Ce qui devrait aller de soi entre organisations trotskystes de pays différents, semble vous poser à vous des difficultés juridico-réglementaires telles, qu'il faudra certainement beaucoup de navettes entre la direction du Secrétariat unifié et celles des sections nationales, avant d'en déméler tous les tenants et aboutissants.
Permettez-nous de vous dire qu'à notre avis vous avez tort de rejeter ainsi une organisation qui veut sincèrement et consciemment vous aider de son mieux. Vous avez tort car vous n'êtes pas dans la situation de refuser une aide, politique et militante, comme la nôtre, sans compromettre en partie les efforts et le dévouement de l'ensemble de vos militants.
Notre organisation est aussi forte que la LCR, la plus puissante de vos organisations, et qui plus est dans le même pays. Mais même nos forces réunies n'atteignent pas le minimum de force et de crédibilité pour mériter le nom de parti. Les cinquante autres sections dont vous vous enorgueillissez ne sont, quels que soient l'engagement ou la valeur de leurs militants, que des groupes encore plus petits et quasiment sans audience.
Nous ne vous reprochons pas cette faiblesse. Nous déplorons seulement que vous n'ayez pas une attitude politique et organisationnelle qui permette d'espérer sortir de cet état de chose dont vous vous contentez, en campant fièrement sur des positions qui, malheureusement pour nous tous, sont absolument dérisoires.
Il ne suffit pas d'exister, ou de survivre. Il faut encore jouer un rôle dans les événements. Vous avez le mérite d'exister, nous le reconnaissons, mais vous n'avez jamais joué le moindre rôle dans les événements. Nous non plus, certes, mais nous, nous ne le prétendons pas. Le propre d'une véritable internationale serait de jouer un rôle. Cela vous paraît contradictoire de notre part, comme appréciation ? Ce n'est pas elle qui est contradictoire. C'est votre jugement sur vous-mêmes.
L'expérience des quarante dernières années du courant que vous représentez devrait vous inciter à réviser le jugement que vous portez sur votre situation, votre crédit, votre influence politique, votre rôle dans les événements.
Pour ne prendre que le point particulier de votre attitude organisationnelle, cette attitude - sans justifier politiquement toutes les organisations qui, après vous avoir quittés, ont prétendu, à votre exemple, représenter un centre international de décision, ou même d'élaboration - est pour une part importante dans leur choix, parce qu'elles ont été formées à votre image, et parce que vous ne leur avez laissé d'autres possibilités que d'accepter vos choix politiques, justes ou erronés, ou que de scissionner.
Toutes ces années devraient vous montrer que vous n'avez pas le crédit politique voulu pour imposer un tel choix, aux groupes les plus forts sinon les plus valables, justement.
Et plus le temps passe, les anciennes générations de vos cadres disparaissant, plus, malheureusement, les générations les plus récentes ne disposent que d'un crédit qui va s'amenuisant car leur expérience n'est pas convaincante.
Nous aurions voulu vous aider, de tous nos moyens, moyens certes limités mais, à votre échelle, pas négligeables. Vous ne le voulez pas. Dommage, pour vos militants comme pour les nôtres.
Nous ne polémiquerons pas à propos des propositions ou des affirmations volontairement provocatrices, avec la(e) rédacrtice(teur) - anonyme - de votre lettre (Nota : nous ne songerions pas à relever cet anonymat si vous-mêmes ne nous aviez pas déclaré, au nom des principes, à propos de notre échange de courrier précédent, que vous teniez, à juste titre d'ailleurs, à une signature personnelle. Peut-être s'agit-il là de l'application d'un sens unique dans vos principes).
Sachez cependant que nous limiter au travail que vous faites, d'une façon indépendante de vous, ne nous paraît pas être au-dessus de nos forces.
Si nous ne voulons pas vous imiter, c'est simplement qu'il nous paraît erroné de le faire, comme tant d'autres le font, dans une concurrence qui joue à accumuler les sections symboliques pour faire nombre face aux autres regroupements en perdant de vue que l'objectif est la constitution d'organisations prolétariennes. Le résultat en est aujourd'hui que pas un groupe trotskyste un peu conséquent de par le monde, n'accepte votre direction, et qu'il y a autant de pseudo-internationales qu'il y a de groupes un peu nombreux.
En fait, vous voulez nous forcer, comme vous nous y avez forcé dans le passé et en avez forcé d'autres, à tenter d'avoir une intervention à l'échelle internationale en dehors de vous. A moins de nous soumettre à vos ukases condescendants.
Nous ne nous livrerons pas à ce jeu, malgré votre tentative de remplacer la discussion politique par «pourquoi vous ne le faites pas vous-mêmes».
«Chiche !» n'est sûrement pas un procédé de discussion pour des adultes politiques.
Nous en revenons donc à la situation précédant notre échange de courrier. Soit. Tant que vous n'aurez pas révisé votre attitude envers nous, nous mènerons donc notre travail international comme nous l'avons fait jusqu'ici. En prenant nos responsabilités, en saisissant toutes les opportunités de l'effectuer, en le développant, mais sans sonneries de clairon superlatives ou prématurées.
Plusieurs groupes trotskystes, aux USA, aux Antilles françaises, de travailleurs africains, partagent notre analyse de la situation et des voies et des moyens de la construction de partis et d'une internationale prolétariens.
D'autres organisations trotskystes, sans partager nos idées, sont d'accord pour que nous confrontions nos idées, pour mener en commun la réflexion politique que vous refusez de mener avec nous (car cela ne peut se mener avec des pincettes et en refusant frileusement les confrontations de militants à militants). Même sans vous, nous militons. Nous avons formé, sans l'héritage dont vous avez bénéficié, des cadres qui valent les vôtres.
Nous continuerons.
Nous réinsistons sur le fait que nous avons des désaccords politiques et stratégiques avec vous, qu'ils n'ont jamais diminué et que nous ne l'avons jamais caché. Vous croyez voir un changement dans nos derniers textes. Or si vous lisiez nos textes, vous sauriez que nos critiques à l'égard de votre politique ne datent pas d'hier, et que nous les formulions publiquement bien avant que vous nous fassiez votre proposition de statut d'observateur dans le SU et que nous l'acceptions. Comme quoi, vous lisez nos positions en pointillé, et uniquement lorsque vous avez l'intention de vous en servir pour polémiquer. Une véritable discussion, ce n'est peut-être pas ce que nous faisons, mais certainement pas ce que vous faites.
Ou vous êtes prêts à ce que nous collaborions malgré ces désaccords - que nous continuerons à exprimer publiquement dans notre intérêt commun - ou vous n'y êtes pas prêts.
Si vous y êtes prêts, nous pouvons discuter au travers des organismes de votre choix, certes, mais aussi de toutes les autres façons qui conviennent à des militants révolutionnaires, devant l'ensemble des militants trotskystes de par le monde, fraternellement, sans vaine polémique, afin de confronter nos idées et de vérifier, par nos pratiques respectives, y compris différentes, lesquelles de ces idées sont fructueuses, efficaces, lesquelles correspondent à la réalité et à une intervention réelle dans le mouvement ouvrier.
Evidemment, nous ne pourrions pas beaucoup agir ensemble pendant toute une période, car nous ne sommes pas d'accord sur les choix d'intervention. C'est ce qui rend si difficiles les actions communes entre LO et la LCR.
Mais nous pourrions fraternellement confronter nos idées, confronter nos choix, en confronter les résultats et faire en sorte que, malgré les désaccords politiques, malgré les différences d'intervention, puisse régner entre nos deux courants, entre nos militants respectifs, une fraternité de combattants qui s'apprécient, dont aucun ne croit détenir la vérité mais qui veulent la rechercher ensemble et ne se sentent pas concurrents mais associés.
Si vous ne voulez pas, eh bien nous vous le disons : vous resterez ce que vous êtes depuis quarante ans. Mieux que rien, certes, mais guère plus.
Si vous trouvez cependant contradictoire, comme la(e) rédactrice(teur) de votre lettre, de faire ces critiques tout en souhaitant des relations fraternelles, nous n'y pouvons rien : c'est la vie, la société, l'évolution de l'humanité qui sont pleines de contradictions.
Vous terminez enfin sur nos rapports avec la LCR, de la façon la plus propre à éloigner nos camarades respectifs les uns des autres en accumulant les obstacles, les malentendus et les rancoeurs. (Vous reprenez en particulier à votre compte des accusations ridicules formulées par la LCR, accusations auxquelles nous répondons dans une lettre dont nous vous adressons une copie, et à laquelle nous vous renvoyons.)
Après avoir écrit que selon vous «il va de soi» que les relations de ce que vous appelez «l'internationale», avec notre organisation «dépendent substantiellement des rapports entre LO et la LCR», vous citez notre lettre du 12 mai, arguant du fait que nous avons écrit que nos relations avec le SU prolongeaient celles établies entre LO et la LCR, pour conclure : «c'est exactement la démarche que nous voulons conserver à l'avenir».
C'est évidemment votre droit, chacun ayant droit un certain nombre de fois à l'erreur. Mais c'est un droit dont on ne peut pas abuser sans risque. En premier lieu, sur le plan du raisonnement, vous confondez la description d'un processus passé, avec une relation de cause à effet.
Mais le plus grave est le choix que vous faites. Car si vous imposez qu'à l'avenir nos liens entre LO et le SU, dépendent des relations entre LO et la LCR, vous risquez de provoquer l'inverse, à savoir que nos relations avec la LCR subissent le contre-coup de notre absence de relations avec le SU.
De bons rapports, (que votre proposition de statut d'observateur dans le cadre du SU nous laissait entrevoir), un lieu où nous pourrions nous expliquer, la LCR et nous, pourraient peut-être au contraire résoudre les problèmes que des interventions différentes, voire divergentes, entre la LCR et nous, peuvent poser.
Vous prenez là, délibérément, le risque d'aggraver les difficultés déjà grandes des démarches communes entre LO et la LCR. C'est un risque grave, pour vous comme pour nous, et qui peut nous faire passer à côté d'une situation.
Une véritable direction est comptable des intérêts de tous les militants qui sont engagés dans le même combat. Lorsque nous disons que nous ne sommes pas une direction internationale, ce n'est pas par modestie, vraie ou fausse, comme vous semblez le croire, c'est parce que nous voyons bien, depuis des années, les limites de ceux qui se prétendent une telle direction et les entraves qu'ils apportent ainsi au développement de leur propre organisation.
Faute de vouloir, ou de pouvoir, comprendre nos raisons, vous pouvez, pour vous satisfaire, inventer un changement d'attitude de notre part qui n'existe que dans votre esprit. Mais cette invention ne vous fera pas avancer d'un pouce, contrairement à ce qu'aurait pu faire une collaboration avec nous.
Cela dit, nous sommes convaincus que nous nous rencontrerons à nouveau et, nous l'espérons, sur d'autres bases et avec d'autres rapports car si nous voulons apprendre de vous, nous sommes convaincus que nous avons aussi - et voyez que nous ne sommes pas modestes - bien des choses à vous apprendre.
Ainsi que vous le souhaitez, nous attendrons donc que nos relations avec la LCR s'améliorent pour reprendre cette discussion. Bien sûr, nous sommes certains que si nous semblons nous éloigner de vous durant cette période, vous ne pourrez imaginer autre chose qu'une manoeuvre.
Mais ce n'en est pas une. Nous le disons sans espérer vous faire abandonner vos schémas habituels. Nous conserverons vis-à-vis de vous la même attitude que par le passé (sans cependant refaire la même démarche) qui est la même attitude que nous avons vis-à-vis de tous ceux qui se réclament du trotskysme de par le monde.
Vous dites, dans votre lettre, avoir appris la patience. Pas nous. Nous sommes des révolutionnaires et votre patience ressemble trop au contentement de soi. Si vous êtes satisfaits de ce que vous êtes, tant pis pour vous. Nous, nous espérons et nous visons plus loin. Nous espérons, un jour, nous engager dans cette voie avec vous. Vous n'avez pas changé, eh bien, nous espérons que vous changerez vite, avant qu'une génération de plus ait mené un combat inutile.
Dans cet espoir, recevez, camarades, l'expression de nos sentiments révolutionnaires.
Pour le CE de Lutte Ouvrière
HARDY