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- Lutte de Classe n°29
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Vers un nouveau Septembre noir au Liban ?
Dans un Moyen-Orient déchiré, divisé, tendu jusqu'à l'extrême et armé jusqu'aux dents, il serait vain de chercher une terre de paix, à l'écart du fracas des armes et à l'abri de la guerre. Les graves événements qui se sont produits au cours des moi d'avril et de mai au Liban, pays réputé pour son « calme » et son « esprit démocratique », le montrent amplement : le conflit israélo-arabe et le drame du peuple palestinien sont partout présents, créant une instabilité permanente dans cette partie du monde.
Au Liban, de violents combats qui ont fait des centaines de morts ont opposé les Palestiniens et leurs organisations de combat aux Phalanges de Pierre Gemayel. Ces Phalanges sont des troupes de choc d'extrême droite, armées et entraînées, qui se recrutent exclusivement au sein de la jeunesse chrétienne libanaise. Les combats ont commencé avec le massacre, par les commandos de Pierre Gemayel, de vingt-trois Palestiniens voyageant dans un car qui passait près d'une église où étaient rassemblées des Phalanges. Les vingt-trois occupants de l'autocar ont tous été massacrés, sans exception.
Les organisations palestiniennes. n'ont pas tardé à réagir à ce massacre perpétré de sang-froid et le Liban a été plongé, durant plusieurs semaines, dans une atmosphère de guerre civile où tout était possible : les quartiers chrétiens de Beyrouth ont été transformés en forteresses retranchées gardées par les Phalanges. Les camps palestiniens, de leur côté, ont été protégés par des Palestiniens armés.
Les très violents accrochages entre Palestiniens et extrême droite libanaise ont failli entraîner le pays dans une lutte généralisée et faire voler en éclats les fragiles équilibres qui se sont instaurés au Liban : équilibre avant tout entre les communautés chrétienne et musulmane, entre l'armée et les organisations de gauche, entre l'État et les Palestiniens. C'est la société libanaise telle qu'elle est, la « démocratie parlementaire » qui a failli sombrer avec la dernière crise.
A l'origine des graves événements : la volonté de l'extrême droite libanaise de liquider la résistance palestinienne dans le pays. le liban est en effet l'un des rares pays, voire le dernier pays où les organisations palestiniennes peuvent déployer leurs activités à peu près librement, recruter des militants dans les camps de réfugiés, renforcer leurs organisations, entraîner des hommes. la force des organisations palestiniennes est réelle et les différents groupes constituent même de fait le véritable pouvoir sur certaines parties du territoire.
En s'attaquant aux Palestiniens, l'extrême droite a voulu engager le pays dans un processus qui conduirait à un nouveau Septembre Noir, au Liban cette fois. Toute la politique provocatrice des Phalanges de Pierre Gemayel a consisté à amener l'armée à intervenir à ses côtés, soi-disant pour rétablir l'ordre, en fait pour écraser les Palestiniens dans un bain de sang. Gemayel n'a cessé de répéter, tout au long de la crise, qu'il était prêt à dissoudre les Phalanges et à désarmer tous ses hommes à condition que les Palestiniens soient désarmés eux aussi, et que voit le jour un gouvernement fort, capable de rétablir l'ordre.
On sait que les plans de Pierre Gemayel, pour cette fois-ci du moins, ont fait long feu. Les Phalanges n'ont pu provoquer l'intervention directe de l'armée contre les Palestiniens. La crise ouverte par les affrontements du mois d'avril a trouvé une conclusion provisoire à la fin du mois de mai par le retour au pouvoir de Rachid Karamé, un libéral bourgeois qui a la confiance des partis de gauche et de la partie musulmane de la population.
La tentative de l'extrême droite s'est en effet heurtée au Liban à de fortes résistances. Et d'abord celle des Palestiniens eux-mêmes, armés et entraînés. C'est leur détermination qui a été essentielle. Mais les réfugiés palestiniens ont trouvé un allié de taille dans la partie musulmane de la population et aussi dans les organisations de gauche et d'extrême gauche libanaises. Le Liban en effet n'est pas la Jordanie. La gauche y existe, elle a des traditions, une implantation, la confiance de la grande partie des travailleurs musulmans de Beyrouth et des centres industriels du pays. Ces organisations ont vite compris que la liquidation des Palestiniens signifierait inéluctablement leur propre arrêt de mort. L'arrivée des militaires à Beyrouth, l'instauration d'un pouvoir musclé se traduirait par la chute du régime parlementaire, l'anéantissement des organisations ouvrières.
La gauche a donc mobilisé, et fermement, durant toute la crise. Un appel à la grève générale a été lancé par les syndicats libanais. Il a été suivi. Le Front des partis progressistes, qui regroupe le Parti Communiste, le Parti Socialiste et l'Organisation d'Action Communiste Libanaise, a appelé la population à dresser des barricades et des militants armés sont effectivement intervenus. Par ailleurs, l'extrême gauche libanaise est aussi descendue dans la rue.
Face à cette situation, l'armée, dont les sympathies vont à l'extrême droite, a préféré ne pas intervenir, jugeant sans doute que l'heure n'était pas encore venue et que le rapport de forces ne lui était pas nécessairement favorable. L'armée libanaise, qui n'est composée que de dix-sept mille hommes, dont plus de la moitié sont des musulmans qui sympathisent plus ou moins avec les Palestiniens, n'était en effet pas certaine de remporter une épreuve de force. Dans le contexte actuel du Liban, il lui aurait fallu affronter à coup sûr les Palestiniens, et très probablement la gauche libanaise, soutenue par les musulmans. Elle a préféré s'abstenir et le gouvernement militaire un moment mis en place à Beyrouth n'a tenu que trois jours !
Il serait cependant dangereux et illusoire de considérer le retour au pouvoir de Rachid Karamé comme une grande victoire pour la gauche et pour les Palestiniens, et surtout de considérer que le danger est passé.
Le statu-quo qui s'est instauré au liban est fragile. il sera éphémère. si l'extrême droite n'a pas vaincu, si l'armée n'a su imposer ses solutions, le rapport des forces n'a guère évolué au liban. les phalanges sont toujours là, puissamment armées et bénéficiant d'appuis réels au sein de l'armée. au sein de cette armée, rien n'a changé non plus : l'essentiel de l'encadrement, chrétien, réactionnaire et anti-palestinien, tient toujours les postes de commande.
Le danger est d'autant plus réel que la politique poursuivie par les Phalanges au Liban, Phalanges qui pourraient être relayées par l'armée, s'inscrit dans un contexte général qui est défavorable à la résistance palestinienne.
L'écrasement des Palestiniens au Liban n'est pas uniquement un problème intérieur. Les Phalanges sont le bras armé de la réaction, mais la politique qu'elles veulent appliquer convient parfaitement aux grandes puissances, à Israël et aussi aux dirigeants arabes qui, tous, à un titre ou à un autre, rêvent d'en finir avec la résistance palestinienne pour pouvoir élaborer un accord au Moyen-Orient. Cette politique n'est pas nouvelle. Déjà en 1970, lorsque Hussein avait écrasé les Palestiniens dans un horrible bain de sang, il agissait comme mandataire des grandes puissances et des États arabes. Et Nasser avait en personne donné l'absolution à l'assassin.
Aujourd'hui, la situation n'est guère différente. Les Palestiniens constituent un problème dont les États se passeraient bien. Et la liquidation des organisations de résistance ne peut que leur convenir parfaitement. A cet égard, les protestations des « amis arabes » contre les Phalanges n'ont aucune valeur. Bien plus significative est la politique qui se dessine actuellement entre l'Égypte et Israël, sous l'égide de l'impérialisme US La réouverture du canal de Suez, le retrait d'une partie des troupes israéliennes le long de la rive occupée de la voie d'eau... amorcent le début d'un dialogue entre les deux pays. Que ce dialogue ait des chances infimes de déboucher sur des accords généraux, cela est évident. Mais la recherche d'accords limités et partiels, la diplomatie des « petits pas » comme on l'appelle, ne peut qu'être ralentie, freinée, contrariée par l'existence d'une forte résistance palestinienne rappelant, à chaque étape, qu'elle existe, qu'elle a la sympathie des masses arabes, que rien ne peut être négocié dans son dos, contre ses intérêts, sans qu'elle réagisse vivement.
Alors, au Liban, la politique de l'extrême droite a un avenir, et le pire reste à craindre.
Pourtant, malgré les intérêts énormes qui se dressent devant elle et contre elle, la résistance palestinienne a d'importants atouts : d'abord et avant tout, le courage des Palestiniens qui n'ont rien à perdre et qui ont montré qu'ils étaient prêts à se battre. Ensuite, et ceci est déterminant, la sympathie des masses opprimées arabes de cette partie du monde, C'est en puisant dans cette source immense et illimitée de dévouement et de sympathie que les Palestiniens, peuvent trouver des appuis et contrecarrer les adversaires qui ne rêvent que de leur disparition.
Encore faut-il que les palestiniens s'adressent aux masses arabes, leur offrent des raisons de les soutenir, de lier les deux combats dans un même but.
Jusqu'à présent, les organisations palestiniennes les plus influentes, celles qui sont reliées à l'OLP de Yasser Arafat, ont fait un dogme de la non-immixion dans les affaires intérieures des pays frères. Arafat recherche l'appui de Sadate, d'Assad, des dirigeants du monde arabe, mais il n'a rien à dire, aux masses arabes. Cette politique a eu les résultats funestes que l'on sait en Jordanie où les Bédouins d'Hussein ont pu massacrer sans que la population locale s'y oppose d'une manière ou d'une autre. Aujourd'hui encore au Liban, alors que les musulmans se sont mobilisés contre les Phalanges, les organisations palestiniennes ont déclaré qu'elles n'avaient pas à intervenir dans les affaires internes du Liban, dans les luttes « religieuses », en fait les luttes qui opposent chrétiens et musulmans mais, surtout, riches et pauvres.
Cette étroite politique nationaliste ne peut qu'isoler le peuple palestinien, le priver de son seul appui déterminant.
Pour éviter un nouveau Septembre Noir au Liban, les Palestiniens ne peuvent compter que sur leur force, mai cela ne suffit pas, comme l'a montré le drame jordanien. Le peuple palestinien doit rechercher l'appui de ceux qui, comme lui, n'ont que des chaînes à perdre : les opprimés.