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- Lutte de Classe n°29
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Quand l'OCI vole au secours de l'Union de la gauche
Depuis six mois maintenant, l'Organisation Communiste Internationaliste et son organisation des jeunesses, l'Alliance des Jeunes pour le Socialisme, sont lancées dans une grande campagne pour un gouvernement du Parti Communiste et du Parti Socialiste.
Cette campagne forme l'axe de toutes les interventions publiques des militants de l'OCI Elle occupe la majeure partie de son organe de presse, l'hebdomadaire Informations Ouvrières. Plusieurs rassemblements ont eu lieu sur ce thème dont les derniers, tenus le même jour 27 avril à Paris, à Lyon et à Nantes, auraient aux dires des organisateurs regroupé ensemble 13 000 personnes « déléguées par des milliers d'autres ». Des centaines de comités unitaires de base auraient été créés à travers les localités et les entreprises. Enfin ces derniers mois, l'activité des militants de l'OCI fut consacrée à faire signer une pétition, pétition qui aurait finalement recueilli 80 000 signatures.
Si l'on considère la situation générale du pays, cette campagne semble quelque peu désinsérée. De toute évidence la question d'un gouvernement PC-PS n'est nullement à l'ordre du jour. Après la victoire électorale de Giscard aux présidentielles du printemps 1974 - victoire acquise de justesse peut-être mais suffisante pour lui assurer le pouvoir - la droite reste assurée et du gouvernement et d'une majorité confortable au Parlement. Les prochaines élections législatives n'auront lieu qu'en 1978, les prochaines présidentielles en 1981. Et la gauche n'a l'intention - et elle l'a dit et répété, aussi bien le Parti Communiste que le Parti Socialiste - ni de parvenir au pouvoir autrement que par la voie électorale, ni de déclencher une crise grave qui pourrait conduire à de nouvelles élections anticipées.
La campagne de l'OCI n'est pourtant pas aussi désinsérée de la réalité qu'elle y paraît. La pétition que ses militants ont fait signer pendant des mois demandait aux Partis Socialiste et Communiste de mobiliser les travailleurs pour imposer la... dissolution de l'actuelle assemblée nationale, de nouvelles élections, la fin du gouvernement Giscard-Chirac, et un gouvernement PC-PS, mais elle réclamait aussi la fin de la polémique publique entre les deux partis de la gauche.
Et si le mot d'ordre du gouvernement PC-PS est depuis longtemps à l'honneur à l'OCI, c'est cette polémique qui fournit la raison et l'occasion de la campagne actuelle. Ses militants ne s'y sont pas trompés d'ailleurs. Bien souvent ils se sont présentés, à la porte des entreprises ou sur les marchés, en demandant tout simplement de signer leur pétition « pour que cesse la querelle PC-PS ». Et c'est en tout cas cette raison qui a fait signer bon nombre de ceux qui l'ont fait.
La polémique entre le Parti Communiste et le Parti Socialiste, qui a débuté en octobre 1974 mais se poursuit toujours de plus belle, a en effet désorienté beaucoup de travailleurs et en particulier parmi les travailleurs les plus politisés et les militants. Ils avaient mis leurs espoirs en l'Union de la gauche. Le candidat de celIe-ci avait frôlé la majorité au deuxième tour des présidentielles. On pouvait avoir l'espoir que lors des prochaines élections enfin la gauche l'emporterait. Et voilà qu'une mauvaise querelle, dont les travailleurs ne comprenaient pas les raisons et qui ne semblait alimentée que de mauvais ou de mesquins prétextes venait tout flanquer par terre : les perspectives de l'Union comme les espoirs qu'on pouvait mettre en elle.
C'est tout simplement ce sentiment que l'OCI a décidé d'exploiter.
Renonçant à expliquer aux travailleurs les tenants et les aboutissants de cette querelle, renonçant à tenter de leur montrer en quoi elle pouvait avoir affaire avec leurs intérêts ou pas, renonçant à faire ce même travail critique vis-à-vis de l'Union de la gauche, des deux principaux partis qui la composent, de leur programme, l'OCI a préféré tenter de se tailler un succès politique immédiat en spéculant sur les préjugés et les sentiments des travailleurs et des gens de gauche. Que ce soit d'ailleurs à l'expérience un véritable succès ou pas est une autre affaire. Nous ne discuterons pas ici les chiffres de signatures ou d'assistance aux différents meetings ; nous ne discuterons même pas le fait de savoir si ceux fournis par l'OCI elle-même constitueraient, s'ils sont vrais, un succès. Ce qui importe avant tout, c'est de montrer et de comprendre tout l'opportunisme de la démarche de l'OCI
Puisque les deux grands partis ouvriers de gauche se querellaient, l'OCI a cru pouvoir saisir l'occasion de se présenter comme le champion de l'unité, espérant ainsi, en reprenant à son compte tous leurs préjugés politiques, en cultivant toutes leurs illusions, trouver l'audience des travailleurs et des militants de ces partis.
Ainsi l'OCI a peut-être en effet amené un certain nombre d'entre eux à signer les pétitions qu'elle leur a présentées. Ainsi elle a même peut-être obtenu la présence de quelques militants du Parti Communiste Français ou du Parti Socialiste à ses meetings. C'est du moins ce que prétend Informations Ouvrières qui fait abondamment état des interventions de ces quelques-uns.
Mais dans le même temps elle a contribué à renforcer toutes les illusions de ces travailleurs et militants du PS ou du PC, sur les directions du PC et du PS, sur l'Union de la gauche et sur le Programme commun, en leur présentant sans véritable critique un gouvernement PC-PS comme la solution à tous les maux et les problèmes des travailleurs.
L'opportunisme consiste à essayer d'obtenir des succès en abandonnant son programme pour se battre sur un autre programme sous prétexte que celui-ci plaît momentanément davantage. C'est très exactement ce que font les dirigeants de l'OCI Si ouvertement d'ailleurs que ces Machiavel - car toute l'opération est justifiée par des considérations tactiques sur la nécessité de faire faire leur expérience aux masses - semblent plutôt de gentils naïfs.
L'opportunisme a d'ailleurs sa logique. Celle-ci pousse aujourd'hui l'OCI de plus en plus à droite.
Quand le Parti Communiste et le Parti Socialiste signèrent le Programme commun de gouvernement en 1972, l'OCI, comme tous ceux des groupes qui se placent à la gauche du PCF, critiqua ce programme et l'analysa comme un programme de défense des intérêts de la bourgeoisie. Aujourd'hui, en pratique, pour les besoins de sa propagande pour l'unité, l'OCI a renoncé à s'opposer au Programme commun. Ainsi dans la résolution votée à l'issue des rassemblements du 27 avril peut-on lire :
« Certains d'entre nous estiment que le Programme commun et le gouvernement d'Union de la gauche représentent la solution à la question que les masses laborieuses se posent : « Par quel gouvernement peut-on remplacer le gouvernement Giscard-Chirac pour que le pays ne soit pas conduit à la catastrophe par le capitalisme et les partis bourgeois actuellement au pouvoir ? ».
D'autres estiment qu'il n'y a pas d'autres solutions répondant aux aspirations des masses laborieuses qu'un gouvernement du PS et du PCF sans ministre bourgeois.
Mais tous ont affirmé : quelle que soit la solution préconisée, la première condition à réaliser est
Il faut que le gouvernement Giscard-Chirac disparaisse ».
Et voilà comment on escamote les problèmes de fond, on renonce à discuter du programme, c'est-à-dire à discuter de ce que serait réellement pour les travailleurs un gouvernement PS-PC, de ce qu'ils doivent en attendre... et ne pas en attendre.
Pendant des mois l'OCI avait mené un combat contre la présence des Radicaux de Gauche dans l'Union. Ceux-ci étaient considérés comme les représentants de la bourgeoisie dans celIe-ci. Et avec insistance dans tous ses numéros, Informations Ouvrières demandait aux deux partis « ouvriers », entendez le Parti Communiste et le Parti Socialiste, de « rompre avec les représentants du capital ». C'en était même un peu absurde car il est évident que capitalistes et bourgeois ont au sein de l'Union de la gauche bien d'autres représentants directs, qui ont fait autant sinon plus leurs preuves et qui ont un poids politique bien plus grand que les amis de Robert Fabre, à commencer par le secrétaire général du Parti Socialiste, Mitterrand lui-même. Aujourd'hui encore, comme on vient de le lire, la formule gouvernement du PC et du PS sans les ministres bourgeois revient sous la plume des rédacteurs d'Informations Ouvrières.
Mais sur ce plan aussi, la défense du mythe de l'unité les amène à mettre beaucoup d'eau dans leur vin. Ainsi, on a même vu au rassemblement de Nantes la présence d'un député du Parti Socialiste, Christian Chauvel. Ce succès, du point de vue de l'OCI, a été souligné par Informations Ouvrières, de toute évidence très fière d'avoir obtenu la présence dun parlementaire de l'un des deux grands partis de gauche. Ce que I.O. n'a pas dit, c'est que le député en question vient de se faire exclure du groupe socialiste de l'assemblée nationale parce que, au sein du conseil municipal de la ville de, Nantes, il a refusé, avec un certain nombre d'autres conseillers socialistes, de rompre la coalition qu'ils avaient formée avec des politiciens de droite. L'affaire se débattait pourtant au sein du PS depuis des semaines. Cela n'a pas empêché l'OCI d'accueillir dans son rassemblement ce partisan de l'unité non pas seulement avec les partenaires radicaux de gauche qui ont signé le Programme commun, mais avec des formations encore bien plus à droite. Cela ne l'a pas amenée, ni devant le rassemblement ni après, à émettre la moindre critique contre Chauvel ou ses positions à la mairie de Nantes. Si Paris vaut bien une messe, un député socialiste (qui ne l'est plus depuis quelques jours d'ailleurs) vaut bien pour l'OCI de s'asseoir sur ses principes.
D'ailleurs mener campagne aujourd'hui pour que cesse la querelle entre PC et PS. en revient dans les faits à prendre parti pour ce dernier contre le premier. C'est en effet le Parti Communiste qui a voulu, déclenché et poursuivi depuis des mois la polémique. C'est lui qui accumule contre le PS ou Mitterrand les griefs. C'est à lui que, dans la pratique, l'OCI demande donc de se taire. Et c'est donc non pas seulement derrière l'Union de la gauche en général que l'OCI se range, mai derrière le parti qui en constitue l'aile droite, le Parti Socialiste.
Et cela se traduit effectivement dans l'attitude et les positions actuelles de l'OCI C'est ainsi que, dans Informations Ouvrières, le ton est beaucoup plus dur, les critiques beaucoup plus nombreuses contre le PCF que contre le PS C'est ainsi aussi que, sur la question du Portugal, l'OCI surenchérit encore sur les positions du PS, demande un gouvernement du PS et du PCP. sans ministre bourgeois bien sûr (formule oblige) et « présidé par le secrétaire du plus important parti ouvrier du Portugal, Mario Soares ». L'OCI a même tenu mardi 3 juin à Paris un meeting sur ce thème. Le PS français est lui-même bien plus nuancé.
Indépendamment de l'impact que l'OCI ou son organisation portugaise a ou n'a pas au Portugal, n'est-ce pas une manière d'indiquer que si demain, en France, le PS parvenait à prendre le pas sur le PC quant au nombre des électeurs - ce qui constitue le grand projet politique de Mitterrand - l'OCI réclamerait non seulement un gouvernement PC-PS, mais un gouvernement présidé par Mitterrand. D'ailleurs Mitterrand était qualifié par l'OCI,, il y a quelques années, comme le cheval de Troie que la bourgeoisie voulait introduire au sein du parti ouvrier qu'était le PS Maintenant, pour les rédacteurs d'Informations Ouvrières, il n'est plus jamais présenté que comme le premier secrétaire du Parti Socialiste.
L'opportunisme de l'OCI - que nous avions déjà pu mesurer, à l'intérieur de Force Ouvrière par exemple - peut, on le voit, la mener très loin.
En attendant il la conduit aujourd'hui à se comporter en flanc-garde (suivant un vocabulaire qu'affectionnent ses dirigeants) de l'Union de la gauche. Et une question commence même à se poser celle de savoir s'il s'agit du flanc gauche ou du flanc droit ?