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Le conflit du Proche-Orient : pourquoi les révolutionnaires sont dans le camp des pays arabes
Le caractère violemment nationaliste de la guerre israélo-arabe, la volonté exprimée par l'Égypte et la Syrie de reconquérir les territoires occupés (même si Sadate visait surtout la reconquête d'une bande de territoire dans le Sinaï permettant la réutilisation du canal), le fait que, peu ou prou, tout conflit dans cette partie du monde remet en jeu l'existence même de l'État d'Israël et la vie de la communauté juive de Palestine, tous ces éléments ne doivent pas masquer le caractère directement international du problème.
Les révolutionnaires prolétariens ne peuvent se déterminer en fonction des nationalismes et des justifications nationales en présence. Pas plus qu'ils ne peuvent se déterminer en fonction de la nature des régimes des États impliqués dans cette guerre, qu'ils se prétendent démocratiques, progressistes ou socialistes. A cet égard, le régime de la travailliste Golda Meïr ne vaut guère mieux que celui du « progressiste » Sadate ou du pseudo-socialiste Assad.
La guerre qui oppose les Juifs d'Israël à la quasi-totalité des pays arabes, même si elle a des origines locales, n'est que la conséquence et la réfraction au Proche-Orient des problèmes posés par la domination de l'impérialisme dans cette partie du monde.
Il n'y a pas d'autre façon de poser le problème, il n'y a pas d'autre façon de choisir son camp.
La création d'un foyer national juif dans un territoire depuis longtemps soumis à la domination colonialiste et à une époque où aucun pays au monde, mis à part l'Union soviétique et ses satellites, n'échappait directement à l'exploitation des pays occidentaux, ne pouvait se concevoir en dehors des calculs et des visées des impérialistes. La création d'Israël a été, dès le départ, directement associée à ce jeu planétaire.
Ce n'est pas l'impérialisme américain qui a créé Israël - au départ, c'est l'impérialisme britannique qui a été impliqué dans la « colonisation » de la Palestine par les sionistes - ce n'est pas lui non plus qui a créé la haine qui sépare aujourd'hui l'État sioniste des États arabes, mais Israël n'existerait pas en tant qu'État et en tant que nation, si l'impérialisme américain n'avait pas eu avantage à son existence au Proche-Orient. La lutte des Juifs de Palestine contre la Grande-Bretagne et contre les Arabes palestiniens n'a pu aboutir à un État relativement viable que parce que l'impérialisme américain y a trouvé son intérêt.
Et il y a trouvé son intérêt, parce que ses intérêts l'amenaient à être présent au Proche-Orient.
D'autant plus que la défaillance des impérialismes anglais et français, l'accession à l'indépendance formelle d'États colonisés ou « protégés » par les vieux impérialismes européens, laissaient désormais le champ libre aux capitaux américains et à la présence US au Proche-Orient. Or le Proche-Orient est une région particulièrement importante pour l'économie occidentale. Non seulement à cause de sa position géographique et de son importance, via le canal de Suez, dans le commerce et la navigation mondiale, mais surtout à cause du pétrole qui a pris une place grandissante dans les économies modernes. Le Proche-Orient est la première région productrice de pétrole, bien avant les USA, puisque sa production aussi bien que ses réserves sont estimées au double de celles des États-Unis. Et bien qu'à l'heure actuelle, les exportations en provenance du Proche-Orient ne couvrent que 5 % des importations américaines, l'Europe et le Japon sont, eux, tributaires à 80 ou 95 % pour leurs importations du pétrole du Proche-Orient. Ne serait-ce qu'à cause de cela, et même sans faire intervenir le prétendu manque de pétrole US, ou leur volonté de ne pas entamer leurs réserves, ne serait-ce qu'à cause de l'avenir de l'économie européenne, il est vital pour l'impérialisme de garder son contrôle et sa domination dans cette partie du monde. Il est vital que les pays producteurs restent dans l'orbite économique et même politique de l'impérialisme, il est vital de contrôler, contenir, les velléités d'indépendance économique de tout pays inscrit dans cette région, de surveiller, voire de briser, tout mouvement d'indépendance nationale qui irait au-delà des limites compatibles avec les intérêts de l'impérialisme. De ce point de vue, l'impérialisme US, en tant que chef de file de l'impérialisme mondial, a des responsabilités politiques. C'est à lui que revient la charge de maintenir, au besoin par la force, les États arabes dans une dépendance relative des économies impérialistes. Cela suppose toute une stratégie qui va de la corruption des petits émirats du Golfe Persique, au soutien accordé à des monarchies réactionnaires comme la Jordanie ou l'Arabie Saoudite, en passant par une politique sachant manier la carotte et le bâton vis-à-vis de l'Égypte ou de la Syrie. Et c'est précisément pour cette politique du bâton que l'impérialisme US a choisi de soutenir entre autres États celui d'Israël.
Il lui fallait au Moyen-Orient une force de police locale, un représentant armé de ses intérêts. Il a donc armé et financé Israël, dont l'hostilité aux pays arabes, conséquence de la création par la force de l'État juif, avait été plus que démontrée dans la guerre de 1948. Le gouvernement sioniste d'Israël a accepté de jouer ce jeu et de servir ces intérêts, dans la mesure où ils coïncidaient avec ce qu'il pensait être le propre intérêt d'Israël.
Et c'est vrai que, de ce point de vue, Israël est le meilleur défenseur des intérêts impérialistes au Proche-Orient. Car si la Jordanie, l'Arabie Saoudite, l'Iran, par exemple, ont reçu des armes et des dollars pour cette même tâche, il n'y a qu'en Israël que le peuple tout entier se trouve engagé aux côtés de l'impérialisme US qui lui paraît être - les sionistes ont tout fait pour ça - le garant de sa survie.
Dès lors, chaque action, chaque intervention d'Israël vis-à-vis des pays arabes, prenait d'emblée un caractère international pro-impérialiste. Non pas parce que chaque action d'Israël lui était dictée par l'impérialisme US, mais parce que l'impérialisme US se trouvait directement impliqué dans tout conflit opposant Israël et les pays arabes. Ce fut particulièrement visible en 1967 lorsque la guerre des Six Jours mit un relatif coup d'arrêt à la montée du nationalisme syrien et égyptien et à leur volonté d'indépendance vis-à-vis de l'impérialisme américain. C'est encore visible aujourd'hui en 1973, au moment où l'achat du pétrole et les revendications des pays producteurs posent un problème d'importance aux économies impérialistes. De ce point de vue Israël est objectivement - et même subjectivement puisqu'il accepte de remplir ce rôle - un moyen de pression considérable de l'impérialisme au Moyen-Orient.
Cela ne signifie pas qu'en déclarant la guerre à Israël, les pays arabes aient déclaré du même coup la guerre à l'impérialisme. La politique de Sadate et de Assad n'a rien d'anti-impérialiste et, en tout cas, n'a rien de révolutionnaire. L'anti-impérialisme affiché d'Assad et mitigé de Sadate n'est pas autre chose qu'une volonté de réajuster le prix que l'impérialisme est prêt à payer aux bourgeoisies arabes pour le pillage de leurs richesses.
Le véritable anti-impérialisme serait une politique visant à détruire l'impérialisme. Or, qui peut détruire l'impérialisme sinon les travailleurs français, anglais, américains, allemands, etc... ? Et mener une politique anti-impérialiste ne peut se faire sans mener une politique internationaliste visant à engager les travailleurs des métropoles impérialistes à entrer en lutte contre leur propre bourgeoisie. Ce n'est donc pas en s'illusionnant sur le caractère anti-impérialiste ou, à plus forte raison, révolutionnaire du conflit, que les révolutionnaires prolétariens doivent soutenir les pays arabes. Ils doivent les soutenir inconditionnellement, en dépit de la politique nationaliste réactionnaire anti-ouvrière des régimes en place, parce que l'impérialisme, lui, est dans l'autre camp. Parce que l'impérialisme sortirait renforcé d'une victoire d'Israël, parce qu'Israël, dans cette partie du monde, en défendant ses propres intérêts, défend du même coup ceux de l'impérialisme mondial.
Depuis plus d'un siècle, le sort de l'humanité se joue dans le combat fondamental qui oppose la classe ouvrière en tant que classe internationale, à la bourgeoisie mondiale dont la domination est liée à un mode de production dépassé.
Dans le conflit du Proche-Orient, le prolétariat n'est pas engagé dans la guerre sous sa propre bannière, avec sa propre organisation, et ses propres objectifs, mais la bourgeoisie mondiale sous sa forme la plus achevée et la plus réactionnaire, l'impérialisme, elle, est présente, et elle est présente dans un camp bien précis, celui d'Israël, afin de perpétuer sa domination au Proche-Orient. C'est cela qui doit dicter la ligne de conduite des révolutionnaires, le prolétariat ne peut rester neutre, dans cette guerre qui n'est pas la sienne il doit être du côté des pays arabes contre l'impérialisme, jusques et y compris du côté des dirigeants bourgeois qu'ils se sont donnés.
Et les militants révolutionnaires des pays capitalistes avancés, c'est-à-dire de pays qui ont participé au pillage et qui participent encore à l'exploitation des pays sous-développés, ont le devoir politique et moral de soutenir ces pays quand ils se trouvent impliqués dans un conflit avec l'impérialisme. Et cela, quels que soient les dirigeants que les peuples se donnent ou acceptent. Car les révolutionnaires des pays capitalistes avancés ne peuvent se lier aux prolétaires des pays arriérés qu'en faisant la démonstration de leur propre internationalisme, qu'en acceptant de les soutenir, inconditionnellement, dans leur résistance à l'impérialisme, y compris quand ces prolétaires suivent encore des dirigeants nationalistes et bourgeois.
Cette prise de position internationaliste doit être bien claire dans le conflit actuel et ceux qui peuvent le suivre au Proche-Orient. Mais elle implique pour les révolutionnaires prolétariens, la nécessité de dégager ce qui devrait être la politique de révolutionnaires prolétariens au Proche-Orient et la solution qu'ils devraient défendre en ce qui concerne le problème posé par l'existence d'Israël.
Si les révolutionnaires prolétariens doivent être résolument pour la victoire des États arabes parce qu'une victoire d'Israël renforcerait la domination impérialiste au Proche-Orient, ils ne doivent pas pour autant laisser croire que la lutte anti-impérialiste passe par la guerre contre Israël et qu'elle peut être menée par les bourgeoisies arabes.
La lutte d'émancipation des pays du Moyen-Orient dans le contexte actuel de la domination impérialiste, passe peut-être par la guerre contre Israël. Mais la guerre contre Israël n'est pas un moyen d'abattre et de détruire l'impérialisme.
De même que la lutte d'émancipation des Algériens passait - indubitablement cette fois - par la guerre contre l'impérialisme français. Mais cette lutte n'a ni permis d'abattre l'impérialisme français, ni cherché à le faire. A aucun moment les dirigeants du FLN n'ont tenté de mobiliser les travailleurs français contre leur propre bourgeoisie colonialiste. Aujourd'hui, l'Algérie est indépendante, et l'impérialisme français demeure.
En aucun cas les problèmes posés par la domination impérialiste dans cette partie du monde, ceux posés par l'existence de millions de réfugiés palestiniens et ceux posés par les aspirations du peuple juif de palestine à constituer un état ne peuvent être résolus par les bourgeoisies arabe et israélienne. en développant le nationalisme dans les deux camps, en enchaînant au travers de l'union sacrée les prolétariats arabe et juif à leur propre bourgeoisie, la guerre ne fait qu'obscurcir les problèmes et éloigner les véritables solutions.
C'est pourquoi un alignement pur et simple des révolutionnaires sur les dirigeants arabes, attitude qui est celle de la bureaucratie soviétique et des différents Partis Communistes, serait une autre façon, tout aussi radicale, de trahir l'internationalisme. La tâche d'organiser le prolétariat, de lui montrer que si, dans la guerre actuelle, l'impérialisme est l'ennemi principal, la bourgeoisie nationale est aussi un ennemi fondamental, un obstacle permanent sur le chemin de la véritable émancipation, la dénonciation de tous les crimes, de la politique de classe anti-ouvrière des dirigeants arabes, font partie des objectifs immédiats des révolutionnaires prolétariens.
Car ce n'est que dans une fédération des États socialistes du Proche-Orient que les peuples juif, palestinien, arabe, kurde ou autres, pourront coexister et coopérer à l'édification d'une société sans classe, sans exploiteurs, sans racisme et sans guerre.
Le problème de l'existence d'Israël est lié de par la volonté des dirigeants sionistes, eux-mêmes liés à la domination de l'impérialisme au Proche-Orient, mais les intérêts de la nation juive de Palestine constituée maintenant depuis vingt-cinq ans et forte de deux millions et demi d'individus, n'ont rien de commun avec ceux de l'impérialisme américain. La possibilité pour les Juifs d'Israël de vivre au Proche-Orient et d'y constituer une nation, voire un État, passe au contraire par une rupture totale avec l'impérialisme et par leur participation à la révolution socialiste dans cette partie du monde.