La nouvelle « stratégie » du PCF01/04/19751975Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

La nouvelle « stratégie » du PCF

Des élus du PCF occupent les bureaux du ministre du travail (au mois de mars), d'autres envahissent l'antichambre du secrétariat d'État au logement, les membres des jeunesses communistes organisent des occupations symboliques des Agences Nationales pour l'Emploi. Venant d'autres, le PCF aurait sévèrement condamné de telles manifestations il y a seulement quelques mois, comme « irresponsables », « aventuristes », voire « provocatrices ». Aujourd'hui, c'est lui qui les organise.

Certes, de telles actions, limitées, symboliques, n'auraient par elles-mêmes pas grande signification si elles ne s'inscrivaient pas dans une tentative plus générale du PCF. de se donner un visage plus combatif, de vouloir apparaître comme partie prenante, et même comme l'élément dirigeant dans les luttes qui se déroulent actuellement dans le pays.

On a pu observer cette volonté à l'occasion des mouvements qui se sont déroulés ces derniers mois dans l'armée. Car le PCF a, avec quelque retard certes, soutenu les militants d'extrême gauche, victimes de la répression pour s'être mis en avant dans des actions visant à protester contre la situation des conscrits. Mais, plus encore, il a repris à son compte l'essentiel des revendications contenues dans « l'Appel des Cent », allant jusqu'à organiser sa propre manifestation de soldats, avec pour conséquence ses propres militants emprisonnés dans les geôles militaires.

Il a adopté une attitude similaire vis-à-vis du mouvement qui, en mars dernier, s'est développé dans les lycées et les CET Cette fois, loin de s'opposer, comme il l'avait fait il y a deux ans, au mouvement, loin même de se contenter d'être à la traîne, comme l'an dernier, il a d'emblée tenté de se mettre à sa tête. Tentatives qui eurent des fortunes diverses étant donné le rapport dans ce secteur entre influence des révolutionnaires et celle des staliniens. Mais elles traduisaient sans équivoque la volonté du PCF et de ses organisations de jeunesse de ne pas rester en dehors ni à l'écart.

Mais « l'offensive tous terrains » - selon une expression revenant fréquemment dans la presse, mais que le PCF lui-même n'a pas récusée - ne se limite pas aux interventions en direction de la jeunesse. Elle ne se borne pas à la compétition avec l'extrême gauche à l'armée, dans les lycées et les CET Elle se manifeste également sur le terrain des luttes sociales.

En effet que ce soit dans la grève des postiers il y a quatre mois, ou dans les mouvements qui ont lieu actuellement chez Renault, le PCF n'apparaît pas, du moins vu de l'extérieur, comme un frein aux luttes. Car ce qui est le plus significatif à cet égard, ce n'est pas tant le rôle effectif que jouent les militants du PCF sur le terrain, où ils s'efforcent de tout mettre en œuvre pour garder la situation en main, que la façon dont la direction de ce parti revendique publiquement l'initiative dans ces mouvements. Or le PCF, loin cette fois de vouloir passer pour temporisateur, tient au contraire à faire valoir son action, non sans exagération quelquefois.

Pourquoi un tel revirement tactique, aujourd'hui, alors qu'il nous avait plutôt habitués ces dernières années à lui voir jouer le rôle de parti « d'ordre », de parti « responsable » ?

Certes, le PCF est un parti qui aspire - aujourd'hui comme hier - à parvenir aux postes de commande afin de gérer les affaires de la bourgeoisie. Mais encore faut-il que cette bourgeoisie fasse appel à ses services, c'est-à-dire qu'elle en ait besoin. Des hommes ayant fait leurs preuves, elle en a, sans avoir à puiser dans le PCF Ce sont les hommes politiques bourgeois en qui elle a bien plus confiance que dans n'importe quel dirigeant stalinien. La seule chance pour que le PCF soit appelé au gouvernement, c'est qu'on ait besoin de lui pour maîtriser la classe ouvrière en jouant de son influence sur elle. Car le PCF est actuellement le seul parti qui dispose d'une influence réelle, profonde sur la classe ouvrière, une influence qui se manifeste par la possibilité de jouer un rôle dans ses mouvements, et qui ne s'exprime pas seulement au travers des bilans électoraux. Ce capital de confiance, le PCF en dispose aujourd'hui parce que, par le passé, il a su mener des luttes. Mais il ne lui est pas donné une fois pour toutes. Et pour le conserver, il doit encore déclencher, impulser, diriger des luttes, y recruter et y former des militants.

Certes, il ne fera jamais rien qui puisse déboucher sur un affrontement d'ensemble de la classe ouvrière et de la bourgeoisie. certes, il lui faut parfaire son auréole de respectabilité aux yeux de la bourgeoisie, mais dans le même temps il lui faut apparaître aux yeux des travailleurs, aux yeux de sa clientèle électorale, comme un parti qui lutte réellement pour les revendications populaires. deux préoccupations contradictoires, mais qui sont nécessairement complémentaires.

Préoccupations qui peuvent expliquer les variations tactiques du PCF

Pour ce faire, le PCF dispose d'une latitude qui lui permet bien des manœuvres. Car il serait faux de croire que désormais il est condamné à la paralysie au nom de la défense de l'ordre social. Non seulement le PCF peut participer à des luttes, prendre leur tête, mais il est même contraint de le faire, sous peine de devoir renoncer à la place qu'il revendique au sein de la société bourgeoise.

Cela est vrai, en particulier en ce qui concerne les interventions dans les secteurs marginaux tels la jeunesse scolarisée, secteurs où les luttes, aussi amples soient-elles, ne peuvent mettre en cause l'ordre social, secteurs où, par conséquent, le PCF peut, s'il le décide, fort bien répondre aux enchères gauchistes, même un jour faire de la surenchère, sans que cela risque de l'entraîner trop loin politiquement.

Cela reste vrai, bien que les risques y soient plus grands, sur le terrain des luttes sociales, lorsqu'il s'agit de luttes isolées, défensives, qui n'offrent aucune perspective positive à la classe ouvrière dans son ensemble, autre que la solidarité morale ou financière. Et les dirigeants staliniens se gardent bien d'en offrir d'autres. Au Lip de la CFDT et des gauchistes avait répondu, il y a juste un an, la grève Rateau dirigée de façon tout aussi exemplaire par la CGT Preuve s'il en fallait que le PCF était capable de déclencher, de diriger des grèves longues et dures, et même d'obtenir une victoire partielle. Depuis, d'autres exemples sont venus s'ajouter à celui-là.

Mais l'offensive « tous terrains » du PCF à laquelle nous assistons ne s'explique pas seulement par des raisons d'ordre général. Elle est avant tout liée à la situation politique actuelle. Elle ne prend tout son sens que si on la considère au travers du contexte politique, contexte qui est caractérisé aujourd'hui, pour le PCF, par ses relations avec le PS

Ces relations, on l'a vu, se sont nettement détériorées depuis septembre 1974. En effet, alors que l'Union de la Gauche puis l'élection présidentielle de mai 74 pouvaient offrir une perspective politique pour la gauche et le PCF, cette perspective s'est trouvée sérieusement réduite après l'élection de Giscard. D'autant plus que les élections législatives partielles de septembre 74 révélèrent que le PCF était en train de faire les frais de l'opération « Union de la Gauche », qui avait bénéficié surtout à Mitterrand et au PS, en voie de dépasser le PCF sur le plan électoral.

Dans ces conditions, il ne restait plus pour le p.c.f. que deux possibilités : ou bien attendre passivement, en laissant la situation se dégrader à son désavantage au sein de l'alliance des parti de gauche, puisque toute initiative commune sur le plan politique bénéficiait avant tout à mitterrand, leader incontesté de cette gauche essentiellement par la grâce du p.c.f. lui-même ; ou bien se manifester sur un terrain de façon autonome. c'est ce qu'il a choisi de faire, en mobilisant ou plutôt en remobilisant ses militants, afin de reprendre en main ses sympathisants, afin aussi de marquer sa présence, de rappeler sa spécificité face à son propre électorat désorienté par la campagne unitaire, influencé par les arguments que le p.c.f. avait lui-même contribué à développer durant la campagne électorale de mai 1974, qui laissaient entendre que mitterrand et le p.s. avaient plus de chances de venir au pouvoir parce qu'ils étaient plus rassurants pour la bourgeoisie.

Pour ce faire, le PCF a choisi de se manifester sur le terrain de la polémique politique, cela se traduit par la querelle MC.-PS qui, depuis six mois, alimente la chronique, mais s'il s'était borné à cela, il risquait d'apparaître comme un faiseur de mauvaise querelle, dépité et de mauvaise foi, et en conséquence de renforcer l'évolution du public dans un sens qui le désavantageait. Face à des dirigeants socialistes un peu trop vite disposés à l'enterrer, par rapport à ses propres militants inquiets devant le risque de recul de l'influence du parti, par rapport à son électorat qui risquait d'être séduit par les sirènes socialistes, « puisque de toute façon c'était la même chose », le PCF a choisi de gauchir son attitude et d'apparaître sur tous les terrains, y compris sur le terrain des luttes, y compris des luttes revendicatives de la classe ouvrière. Il savait qu'en dépit de tout ce que l'on a dit sur la remontée du PS dans la classe ouvrière, ce dernier ne pouvait le suivre, ce qui s'est amplement vérifié ces derniers mois, la meilleure loupe ne permettant pas d'observer la moindre intervention du PS dans les luttes qui se déroulent actuellement L'offensive « tous terrains » du PCF est le prolongement sur le terrain, de sa polémique verbale.

Bien sûr, ce faisant, il ternit un peu l'image de respectabilité bourgeoise qu'il s'est fabriquée pendant des années. C'est la rançon de sa tactique. Mais en même temps il fait la démonstration, et au PS, mais aussi à la bourgeoisie, qu'il faudra éventuellement compter avec lui. En ce sens, les attaques de Poniatowsky, Chirac et autres membres de la majorité qui accusent le PCF. de mener l'action subversive en France rendent service, par leurs outrances mêmes, aux dirigeants du PCF Elles leur permettent d'apparaître aux yeux de l'opinion publique précisément pour ce qu'ils veulent apparaître, c'est-à-dire comme les principaux dirigeants de toutes les luttes qui se mènent actuellement contre le pouvoir. Ce fut particulièrement net, par exemple, à propos du mouvement des lycéens, où l'on a vu la presse, impressionnée par les déclarations du PCF et reprenant les schémas développés par le gouvernement, attribuer dans le mouvement à l'U.N.C.A.L., organisation satellite du PCF dans les lycées, un rôle qu'elle était loin d'avoir sur le terrain.

Actuellement, le PCF et la CGT peuvent se donner d'autant plus facilement un visage que la situation économique les favorise.

L'inflation et la récession que nous connaissons provoquent un large mécontentement de la classe ouvrière, que le PCF peut prendre en charge, sans pour autant prendre le risque de déclencher un mouvement d'ensemble de la classe ouvrière.

Les luttes contre les licenciements, déjà nombreuses actuellement, qui vont sans doute se multiplier dans les mois qui viennent, sont en effet des luttes purement défensives, qui n'offrent guère le risque de s'étendre spontanément. Quand ils en prennent l'initiative, le PCF et la CGT sont pratiquement assurés d'en garder le contrôle jusqu'au bout, et cela d'autant plus facilement que non seulement ils peuvent y faire preuve de combativité, mais que personne, pas même les révolutionnaires, ne peut offrir à ces luttes isolées d'autres perspectives que celles ouvertes par les staliniens.

Quant aux revendications salariales, les confédérations syndicales peuvent d'autant plus prendre des initiatives sur ce terrain, que l'inflation atteint officiellement 15 % par an. pourquoi en effet dans ces conditions un patron ne lâcherait-il pas quelques pour cent d'augmentation, qu'il répercutera de toute manière sur les prix, et qu'il aurait de toute manière sans doute fini par lâcher ?

Inversement, bien sûr, la situation peut rendre les patrons plus fermes, les inciter à jouer sur la crainte du chômage. Mais cela constitue là encore un avantage qui favorise la tactique actuelle des syndicats, parce que cela joue contre les possibilités d'extension spontanée du mouvement à d'autres entreprises, voire à d'autres secteurs de la même entreprise.

Dans ces conditions, et si elle prend un certain nombre de précautions, en particulier en évitant tout ce qui pourrait permettre de déclencher des mouvements d'ensemble qui risquent de la déborder, la CGT peut sans trop de problèmes prendre l'initiative de mouvements revendicatifs y compris sur des revendications salariales, en s'efforçant bien entendu d'émietter ces luttes. Certaines se termineront par des succès, d'autres pas. Mais aux yeux des travailleurs, ces échecs seront alors à imputer à l'intransigeance patronale plus qu'à la politique syndicale. Ainsi ces luttes, qu'elles aboutissent à des succès ou à des échecs, aboutiront au résultat recherché par la direction du PCF : faire apparaître leur parti comme une organisation combative dont l'État, le patronat et les partenaires socialistes devront tenir compte.

D'ailleurs, dans une période comme celle que nous connaissons, il n'est même pas exclu de voir la CGT et le PCF prendre délibérément l'initiative de mouvements qu'ils savent condamnés d'avance, de les voir faire prendre des risques aux travailleurs, en un mot de mener une politique gauchiste dans les entreprises, afin simplement de se donner cette allure de combativité.

Le fait que le parti communiste ait aujourd'hui quelque peu gauchi sa politique, et qu'il puisse la gauchir encore plus dans les mois qui viennent, ne doit pas faire illusion. celle-ci reste fondamentalement réformiste. elle n'ouvre aucune perspective, non seulement vers une transformation socialiste de la société, mais même vers un changement de rapport de force entre la classe ouvrière et la bourgeoisie qui permettrait de changer le sort de la classe ouvrière. alors que la situation économique actuelle met à l'ordre du jour l'organisation d'une contre-offensive d'ensemble de la classe ouvrière destinée à contraindre la bourgeoisie à payer les conséquences de la crise, ce n'est pas cette perspective que proposeront le p.c. f. et la c.g.t. ce que nous risquons de voir au contraire, c'est une multiplication des luttes sectorielles, catégorielles, quelquefois dures, prolongées, à la manière de ces grèves dites exemplaires chères à certains gauchistes.

Est-ce à dire que les révolutionnaires sont désormais désarmés face à « l'offensive » du PCF ? L'erreur serait, de leur part, de répondre au gauchissement, d'ailleurs limité, du PCF, par une surenchère, en essayant de le distancer sur le terrain du gauchisme. Ce serait vain et ce serait criminel par rapport à la classe ouvrière. Car le terrain du gauchisme, au mauvais sens du terme, c'est celui de l'irresponsabilité et du mépris des intérêts de la classe ouvrière. Et ce n'est pas un hasard si le PCF peut fort bien se retrouver sur ce terrain sans rien changer à ses perspectives politiques

Le rôle des révolutionnaires n'est pas d'appeler par principe à la grève plus souvent et plus fort que le PCF si ce dernier entre dans une période gauchiste, en se moquant totalement des circonstances, du rapport de force et des possibilités réelles de vaincre. Car si le PCF peut fort bien être irresponsable en ce qui concerne les intérêts des travailleurs, il ne s'agirait pas de se montrer plus irresponsable que lui. A l'inverse, les révolutionnaires ne peuvent pas se contenter de proclamer la nécessité d'une lutte d'ensemble de la classe ouvrière, tout en déplorant de ne pas avoir l'influence et les forces nécessaires pour pouvoir en prendre l'initiative.

C'est cette influence et cette force qu'il leur faut justement conquérir. Ils le feront en participant aux luttes qui se déroulent aujourd'hui, en faisant en sorte que dans chacune de ces luttes, aussi limitée soit-elle, les travailleurs prennent conscience de leur force, apprennent à s'organiser et à prendre leur sort en main. Cela signifie démontrer aux travailleurs, à leurs côtés et dans l'action, que les militants révolutionnaires, et la politique qu'ils défendent, sont finalement plus efficaces que toute la gymnastique du PCF, que toutes ses subtilités tactiques, qui ne visent en fin de compte qu'à faire monter les enchères auprès de la bourgeoisie pour le jour où cette dernière se décidera à recourir à ses services.

Partager