- Accueil
- Lutte de Classe n°29
- La Ligue Communiste Révolutionnaire et la commémoration du 8 mai
La Ligue Communiste Révolutionnaire et la commémoration du 8 mai
La décision prise par Giscard d'Estaing de ne plus commémorer officiellement l'anniversaire de la capitulation de l'Allemagne, le 8 mai 1945, a provoqué une vigoureuse levée de boucliers en France. Et l'on retrouve parmi ceux qui ont pris position contre cette mesure, aussi bien des gaullistes traditionnels, tel Michel Debré, que l'essentiel de la gauche. Au sein de la gauche, le PCF a pris résolument la tête de la campagne pour la préservation de cette commémoration, au nom des patriotes de tous bords qui crient à la forfaiture et à la trahison. Que le PCF ait pris une telle attitude n'est pas fait pour surprendre. Elle s'inscrit dans la ligne de sa politique d'union de tous les français, et plus généralement elle s'inscrit dans la ligne nationaliste que ce parti a adopte depuis longtemps déjà, en se faisant le défenseur jaloux des valeurs nationales, trahies, selon lui, par la bourgeoisie.
Il est sans grand intérêt de discuter des raisons qui ont incité Giscard d'Estaing à prendre cette décision. Elles relèvent à la fois des préoccupations diplomatiques du gouvernement français et des préoccupations publicitaires du président de la République.
Peu importent en effet pour les révolutionnaires socialistes, les anniversaires que les gouvernements bourgeois choisissent de commémorer en souvenir de leurs victoires dans les boucheries que constituent les guerres impérialistes. Qu'un jour ils décident de fêter la victoire, qu'un autre jour ils décident de supprimer cette commémoration, sous prétexte que ce qui est une victoire de l'un est aussi une défaite de l'impérialisme rival, devenu depuis un allié, ne concerne pas les intérêts des travailleurs, quelles que soient les frontières nationales derrière lesquelles ils sont nés. Tout au plus de telles décisions révèlent-elles le peu de cas que les politiciens bourgeois accordent eux-mêmes au cérémonial qu'ils ont mis en place pour duper la population laborieuse. Le rôle des organisations révolutionnaires en l'occurrence n'est pas de participer à cette mystification, mais au contraire de profiter de chaque occasion qui leur est donnée pour en dénoncer la nocivité.
Et pourtant l'attitude d'une partie de l'extrême gauche française face à la décision de Giscard de ne plus commémorer officiellement le 8 mai, face aussi au battage nationaliste organisé par le PCF, n'a pas été dénuée d'ambiguïtés.
Les organisations maoïstes ont, sans hésitation, emboîté le pas à ceux qui criaient à la trahison de la nation, faisant de la surenchère, si cela était possible, sur les déclarations nationalistes du PCF
Pour le PSU, s'il ne s'agit pas de suivre les maoïstes dans leurs débordements nationalistes, il faut condamner cette décision parce qu'elle efface le souvenir de la victoire sur le nazisme. Car, si le 11 novembre commémore l'anniversaire d'une victoire dans une guerre impérialiste, celle de 14-18, il n'en est pas de même, selon lui, en ce qui concerne la Deuxième Guerre mondiale. La victoire de l'Angleterre, des USA, de la France dirigée par de Gaulle sur l'Allemagne nazie, ce n'est pas la victoire d'un camp impérialiste en lutte contre un autre, mais selon le PSU, la victoire des anti-fascistes. L'argument a été généreusement employé. Par les sociaux-démocrates et les partis staliniens, par la fraction de la bourgeoisie française représentée par de Gaulle. Dans chaque guerre impérialiste on en utilise qui sont du même ordre. Lors de la Première Guerre mondiale, la bourgeoisie française justifiait « sa » guerre en se présentant comme la championne des libertés démocratiques, issue de la grande révolution de 1789, face à l'autocratie personnifiée par Guillaume II. La lutte des démocraties contre le nazisme allemand a été le masque derrière lequel les bourgeoisies « alliées » camouflaient les objectifs impérialistes de la guerre qu'elles menaient. C'est au nom de la lutte des démocraties contre la barbarie, que les staliniens et les sociaux-démocrates ont justifié l'union sacrée qu'ils ont pratiquée durant la Seconde Guerre mondiale, sacrifiant les intérêts des classes laborieuses sur l'autel des intérêts nationaux, c'est-à-dire sur l'autel des intérêts des bourgeoisies dites « alliées ». Car cette Deuxième Guerre mondiale, tout comme la première, était bien une guerre impérialiste. Elle débute d'ailleurs par l'affrontement entre deux camps rivaux de l'impérialisme, l'Allemagne d'une part qui avait conclu avec l'URSS un pacte de non-agression, et la France et l'Angleterre d'autre part. Et ce n'est pas le retournement d'ailleurs prévisible de l'Allemagne en 1941 contre l'URSS qui, en plaçant de fait cette dernière dans le camp des nations dites « alliées », pouvait transformer la nature de la guerre menée par ces « alliés », et faire de la guerre qu'ils menaient, non plus une guerre impérialiste, mais une guerre de la démocratie contre le nazisme.
Que le PSU fasse cette thèse sienne encore aujourd'hui est dans l'ordre des choses. Avec ou sans Rocard, le PSU s'est maintenu pour ce qu'il était : une fraction du courant social-démocrate. Et qu'aujourd'hui des membres fondateurs du PSU, tels Claude Bourdet et Édouard Depreux signent en tant qu'anciens résistants, au nom de ce parti, un communiqué protestant contre la décision de ne plus commémorer le 8 mai, n'est pas pour surprendre. Le PSU n'a jamais réellement rompu avec ses origines.
La Ligue Communiste Révolutionnaire a, en cette circonstance, adopté une attitude qui ne se différencie pas dans le fond de celle du PSU Ainsi peut-on lire, dans une déclaration de la LCR publiée dans Libération le 15 mai 1975 : « La décision de Giscard est significative de la politique du régime : la réconciliation dont il est question (celle de la France et de l'Allemagne-NDLR) est celle du Capital au niveau européen. Les apprentis fascistes du PFN ne s'y sont pas trompés ; qui ont applaudi cette décision, interprétée comme une réhabilitation du nazisme... C'est à ce titre que nous combattons cette décision... ce qui n'implique nullement la défense en tant que tel du 8 mai.
Cette date rappelle certes la reddition de l'Allemagne hitlérienne, mais une reddition signée par les états-majors pour frustrer la résistance ouvrière et populaire de sa victoire et sauvegarder l'ordre capitaliste en Europe. Ils ont ainsi trahi la lutte de ceux qui, en combattant le nazisme, voulaient en extirper à jamais les racines par l'instauration du socialisme ».
Ainsi, le 8 mai 1945 serait pour la LCR, la date de la victoire sur le nazisme, victoire de « la résistance ouvrière en populaire », que l'on aurait volé aux masses.
Cette version des événements est contestable à plusieurs titres. Tout d'abord au niveau des faits. En présentant ainsi les choses, la LCR exagère l'ampleur de la Résistance en France, qui n'a jamais rassemblé, au maximum de sa force, que quelques milliers d'hommes. Mais cette présentation d'une réalité déformée n'est pas sans signification politique. Pour la Ligue Communiste Révolutionnaire aujourd'hui, comme pour les organisations dont elle est issue, le POI et le PCI, la Résistance était un mouvement national duquel était sorti le mouvement de classe. Qu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, on ait développé une telle analyse relevait de l'opportunisme le plus grossier, de l'abdication de toute politique de classe devant l'union sacrée. pratiquée par le mouvement stalinien. Car comment pouvait-on prétendre que la Résistance, entièrement contrôlée par le PCF qui subordonnait toute sa politique à celle de la bourgeoisie française, représentée par de Gaulle, représentait, ne serait-ce qu'en germe, un mouvement de classe ? Alors qu'à aucun moment la classe ouvrière n'est intervenue de façon autonome, sur ses objectifs propres. Mais aujourd'hui, alors que trente ans sont passés, alors que les faits sont venus vérifier la fausseté d'une telle analyse, la Ligue Communiste Révolutionnaire la fait toujours sienne. Et pourtant, il est particulièrement difficile aujourd'hui de prétendre que la « résistance populaire, ouvrière » ait été frustrée de sa victoire. Quelle résistance ? Celle organisée par le PCF ? Mais en quoi était-elle ouvrière ? Parce qu'elle était contrôlée par le PCF, parti ouvrier ? Mais cette résistance était en fait contrôlée par de Gaulle, par l'entremise justement de ce PCF Vouloir y voir en quoi que ce soit un caractère ouvrier relève de la cécité politique, ou de l'escroquerie. D'ailleurs, à partir d'une telle analyse, si l'on poussait le raisonnement jusqu'à ses ultimes conclusions, on aboutirait à des absurdités insoutenables tant elles sont évidentes. Ainsi affirmer par exemple que le mouvement - ou la Résistance - populaire, ouvrier, a été frustré de sa victoire, c'est prétendre qu'à un moment ou un autre existait dans le pays une dualité de pouvoir. La Ligue Communiste Révolutionnaire n'ose tout de même pas prétendre que la présence de dirigeants du PCF aux côtés de Bidault au sein du Conseil National de la Résistance, ou encore la présence de ministres du PCF dans le gouvernement présidé par de Gaulle représentait cette dualité de pouvoir. Mais alors, dans quelles circonstances ? Sous quelles formes, par quel moyen la « Résistance populaire et ouvrière » a-t-elle été frustrée de sa victoire ? Question que la Ligue Communiste Révolutionnaire laisse sans réponse, et pour cause ! Parce qu'alors il faudrait trouver dans les événements quelque chose qui ressemble à une tentative contre-révolutionnaire. Or non seulement de Gaulle n'eut nullement besoin de recourir à la répression, mais ce fut lui qui quitta le pouvoir, laissant le PCF et le PS majoritaires à la tête du gouvernement, sans que le pouvoir échappe à la bourgeoisie.
Aujourd'hui, en combattant la décision de Giscard d'Estaing de ne plus commémorer le 8 mai, en expliquant que le 8 mai « représente plutôt la façon dont la bourgeoisie s'est appropriée la victoire en célébrant celle des armées régulières plus que celle des résistants » (Rouge n° 300), la Ligue Communiste Révolutionnaire reste fidèle à la tradition d'opportunisme qui marque le courant dont elle est issue.