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- Lutte de Classe n°28
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La fin de la guerre du Vietnam et la nouvelle politique internationale de l'impérialisme américain
La guerre qui a pris fin le 30 avril, avec l'entrée des troupes du GRP à Saïgon, a été la plus longue du siècle. Mais elle a aussi battu un autre record de durée : elle a été l'objet du plus long règlement diplomatique, car la capitulation du général Minh n'est finalement que l'aboutissement du virage politique pris au printemps 1968 par l'impérialisme américain, lorsqu'il proposa aux Nord-Vietnamiens l'ouverture de négociations.
Ce n'est en effet que cinq ans après l'ouverture de la Conférence de Paris que furent signés les accords de mars 1973, qui ne furent jamais appliqués, mais qui marquaient la fin de l'engagement militaire direct de l'impérialisme américain au Vietnam. Et ce n'est qu'après deux années de combat encore, que s'écroula le régime de Thieu.
Pourquoi l'impérialisme américain a-t-il imposé au peuple vietnamien ces sept années de guerre, de destructions et de massacres supplémentaires, alors qu'il semblait prêt, dès 1968, à une solution négociée ?
De l'offensive du Têt...
D'abord, parce que l'impérialisme américain n'était pas militairement vaincu. L'offensive du Têt avait certes détruit à jamais - pour ceux qui y croyaient encore - la légende de l'armée américaine volant au secours du peuple sud-vietnamien agressé par le Nord. Elle avait démontré que l'immense majorité du peuple du Sud-Vietnam était derrière les combattants FNL et nord-vietnamiens, et que ceux-ci, forts de cet appui, et de leur héroïsme, pouvaient frapper où ils le voulaient, quand ils le voulaient. Du même coup, elle constituait pour le FNL un incontestable succès politique. Mais cette offensive ne pouvait pas, par contre, aboutir à un succès décisif sur le plan militaire. Elle ne pouvait être le prélude d'opérations aboutissant à rejeter les armées LAS. à la mer, car la puissance économique et militaire de l'impérialisme américain lui laissait là possibilité de s'accrocher, ne serait-ce qu'à un nombre réduit de villes et de bases, aussi longtemps qu'il le voudrait. Et du même coup, elle lui donnait aussi la possibilité de faire traîner en longueur d'éventuelles négociations, aussi longtemps, également, qu'il le voudrait.
Or l'impérialisme américain n'était même pas contraint d'engager de telles négociations. Il pouvait choisir de prolonger indéfiniment son effort de guerre, voire même de le renforcer. Mais plusieurs raisons militaient cependant dans le sens de la recherche d'un accord avec le FNL et le Nord-Vietnam.
En premier lieu, l'échec manifeste de son intervention militaire. L'impérialisme américain savait certes, bien avant l'offensive du Têt, qu'il n'avait aucune chance d'imposer une solution militaire, de détruire les forces du FNL Mais toute sa politique au Sud-Vietnam, jusqu'à ce début 1968, avait été marquée par sa volonté de montrer au monde entier - et en particulier aux peuples qui auraient pu être tentés d'échapper à sa domination - qu'il était le plus fort et que nul ne pouvait défier impunément sa puissance. Or, avec les succès remportés par le FNL lors de l'offensive du Têt, cette démonstration de force se retournait contre lui : le drapeau Vietcong flottant des semaines sur la citadelle de Hué témoignait au contraire de son incapacité de l'emporter.
Cet échec politique de l'impérialisme américain était d'autant plus cuisant que la prolongation de la guerre coûtait cher. Elle ajoutait encore à l'inflation américaine, et n'était pas pour rien dans le fait que la crise du dollar venait précisément d'apparaître au grand jour en ce début 1968. Et il est certain qu'une augmentation de l'effort de guerre des USA, c'est-à-dire de leurs dépenses militaires, aurait eu des conséquences fâcheuses, et sur le plan purement économique, et par rapport à l'opinion publique américaine.
Dans ces conditions, l'ouverture de négociations avec le Nord-Vietnam et le FNL pouvait donc apparaître comme une solution préférable, soit en permettant de mettre fin aux combats, soit en permettant de convaincre l'opinion publique américaine - si ces négociations n'aboutissaient pas - qu'il n'y avait pas d'autre solution que la poursuite de la guerre.
Mois le problème de la recherche d'une solution négociée au Vietnam se situait en fait dans un cadre beaucoup plus vaste, et remettait en cause toute la stratégie mondiale des USA
à la remise en cause de la politique de « containment »
L'impasse dans laquelle se trouvait en 1968 l'impérialisme américain au Vietnam illustrait en effet l'échec de la stratégie qu'ils avaient adoptée en 1950, avec la politique dite de « containment ». Cette politique consistait à empêcher par la force tout nouveau pays de basculer dans le bloc dirigé par l'Union Soviétique. Elle avait été inaugurée par l'intervention américaine en Corée, destinée à empêcher la réunification de ce pays sous l'égide du Nord. Et c'est aussi cette politique qui amena les États-Unis à intervenir au Vietnam où ils n'avaient aucun intérêt économique direct, après la défaite française, les accords de Genève, et la division du pays en deux, pour empêcher le Sud de passer dans l'orbite soviétique.
Cette politique américaine de maintien rigide et statique du statu quo mondial pouvait se résumer dans la formule : qui n'est pas avec nous est contre nous. Et paradoxalement, elle ne pouvait qu'aboutir à resserrer les liens économiques et politiques existants entre les pays ayant réussi à échapper à l'emprise de l'impérialisme, et l'URSS, car elle ne leur laissait pas d'autre choix. C'est ainsi que le blocus de la Chine de Mao Tsé-toung, au lendemain de l'arrivée au pouvoir de celui-ci, ne pouvait qu'amener ce pays à se rapprocher de l'URSS, alors que les dirigeants du Parti Communiste Chinois étaient prêts, pour leur compte, à garder des relations commerciales avec les États-Unis, comme avec tous les autres impérialismes. Et qu'on pourrait dire la même chose du Nord-Vietnam.
L'échec de la politique de containment était illustré par deux faits. D'une part, l'inefficacité de ce blocus économique et politique pour contraindre la Chine à mettre le genou à terre. D'autre part, l'incapacité où se trouvait l'armée américaine au Vietnam, non seulement d'imposer une solution militaire, mais tout simplement de limiter les manifestations de la rébellion à un niveau compatible avec le prestige militaire des États-Unis.
Mais d'un autre côté, rechercher une solution négociée au Vietnam, c'est-à-dire admettre à terme l'arrivée au pouvoir du FNL, et abandonner le régime de Thieu, cela ne pouvait se faire pour les USA que s'ils avaient la garantie que cet abandon n'entraînerait pas ailleurs dans le monde, et en particulier dans le sud-est asiatique, le développement de nouveaux mouvements d'émancipation nationale, encouragés par le succès du FNL, et ne les mettrait donc pas dans la situation d'avoir à mener ailleurs de nouvelles guerres du Vietnam.
Pour l'impérialisme américain, un règlement du problème vietnamien ne pouvait donc se faire isolément. Il exigeait le règlement simultané de tous les problèmes en suspens dans cette région du monde, et la définition d'un nouveau statu quo, garantis par les autres grandes puissances qui y sont présentes, c'est-à-dire l'URSS et la Chine.
La recherche d'un nouvel équilibre mondial
Rien ne permet aujourd'hui d'affirmer que les États-Unis sont parvenus à une solution satisfaisante pour eux en ce domaine, si ce n'est - mais c'est déterminant - l'attitude qu'ils ont adoptée ces dernières semaines face aux événements du Vietnam et du Cambodge, leur abandon de Lon Nol d'abord et de Thieu ensuite. En effet, aussi bien l'impérialisme américain que la bureaucratie soviétique, ou que les dirigeants chinois, se sont bien gardés de tenir les peuples au courant du contenu de leurs négociations. Et ce que l'on a vu, c'est seulement la partie émergée de l'iceberg - une partie de ping-pong historique entre américains et chinois, les visites de Nixon à Moscou et à Pékin - la partie la plus superficielle, la moins importante, alors que rien n'a filtré sur le déroulement des négociations entre les USA, l'URSS et la Chine.
Mais que ces négociations aient eu lieu, en particulier avec la Chine de Mao Tsé-toung, était déjà la preuve manifeste que l'impérialisme américain s'orientait vers une nouvelle politique, lui qui, pendant des années, avait fait mine de considérer que la Chine se réduisait à Formose, et que son seul gouvernement légitime était celui de Tchang Kaï-chek. Car la première chose à faire, pour associer la Chine Populaire au maintien du statu quo en Asie du Sud-Est, c'était évidemment de régulariser les relations sino-américaines.
Et la politique de détente avec l'URSS, poursuivie en même temps, s'inscrivait dans le même cadre.
C'est l'avenir, et lui seul, qui permettra de savoir dans quelle mesure exactement l'impérialisme américain est parvenu à élaborer un règlement global, satisfaisant pour lui, et acceptable pour l'URSS et pour la Chine, des problèmes en suspens dans le sud-est asiatique. Mai ce que l'on peut d'ores et déjà savoir, c'est que, quelle que soit la bonne volonté éventuelle déployée par l'URSS, par la Chine... ou par le Vietnam de demain, pour maintenir le statu quo dans cette partie du monde, rien ne peut garantir à l'impérialisme américain le maintien de celui-ci. Car tout comme le statu quo précédent, et la politique de « containment », ont été mis en échec par la lutte héroïque menée pendant des années par le petit peuple vietnamien, le nouveau statu quo pourrait bien être remis en cause demain par un autre peuple, en dépit de tous les efforts de l'impérialisme américain et de ses collaborateurs chinois ou soviétiques.
Où va le Vietnam ?
La première question qui se pose, à propos de ce nouveau statu quo en train de naître dans le sud-est asiatique, c'est évidemment celle de savoir ce que va devenir le nouveau Vietnam, car la victoire militaire du GRP n'a pas réglé tous les problèmes.
Dans quelle mesure la « troisième force » sera-t-elle associée demain au gouvernement du Sud-Vietnam, bien qu'elle n'ait joué pratiquement aucun rôle dans la fin du conflit, et qu'elle soit parvenue trop tard au pouvoir pour pouvoir négocier un accord avec le GRP avant l'entrée des troupes du FNL à Saïgon ? Quelles sont les chances d'une réunification ultérieure des deux Vietnam ? Tout cela dépend à la fois du jeu des forces internes au Vietnam, et des relations entre les gouvernants vietnamiens et l'impérialisme américain.
Du jeu des forces vietnamiennes, parce qu'il n'est pas sûr, malgré l'unité apparente entre le GRP sud-vietnamien et le gouvernement nord-vietnamien, que les uns et les autres aient exactement les mêmes buts et les mêmes intérêts. Il n'est pas sûr en particulier que les dirigeants du GRP acceptent de voir le Sud-Vietnam pris en mains par l'appareil étatique du Nord, ce qui serait l'hypothèse la plus probable si l'on assistait à une réunification des deux Vietnam.
Mais ce qui sera plus déterminant encore sera l'attitude de l'impérialisme américain. Il n'est certes plus présent sur le terrain, et une réintervention militaire est pratiquement exclue. Mais, comme rien ne permettait de savoir dans la dernière phase des combats ce qui avait été explicitement négocié entre les États-Unis et le GRP, et ce qui ressortait dans l'attitude des uns et des autres du bluff et du poker, rien ne permet non plus, aujourd'hui, de savoir si des négociations ont déjà eu lieu sur l'avenir du Vietnam, et à quoi elles ont abouti.
Et si, comme c'est le plus probable, les États-Unis ne se désintéressent pas complètement de ce que sera le futur gouvernement vietnamien, ils ne manqueront pas de moyens de pression pour faire prévaloir leurs vues politiques. Car le Vietnam, ravagé par trente ans de guerre, se trouve aujourd'hui devant la tâche de reconstruire son économie. Et une aide américaine en ce domaine, que Gérald Ford n'a pas exclue - du moins en ce qui concerne le Sud - peut apparaître aux yeux des dirigeants vietnamiens comme suffisamment importante pour les amener à rechercher, si ce n'est déjà fait, un accord avec les États-Unis.
L'impérialisme américain n'a certainement pas disparu à tout jamais de la péninsule indochinoise. Il y a subi une incontestable défaite. Il y a été obligé de reconnaître le droit à l'indépendance de peuples qu'il entendait maintenir directement sous sa coupe. Mais sa puissance économique lui permettra sans aucun doute d'y maintenir sa présence d'une aube manière. Et cela était inscrit dans les limites mêmes de la lutte nationaliste que dirigeait le FNL