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La fin de la guerre d'Indochine et la détente
En quelques semaines, de mars à avril, les régimes pro-américains du Cambodge et du Vietnam se sont effondrés, et quelques semaines plus tard c'était au tour de celui du Laos. En moins de six mois toute l'Indochine est tombée aux mains de ceux que les États-Unis s'étaient juré d'empêcher de parvenir au pouvoir à Phnom Penh, Saïgon ou Vientiane. Pour cela ils y avaient engagé jusqu'à 500 000 hommes et une flotte aérienne et maritime dont la terrible puissance de destruction a ravagé et bouleversé, des années durant tout le Vietnam.
Certes, au moment de l'effondrement des régimes de Thieu et de Lon Nol, l'armée américaine n'était plus directement engagée dans le conflit. Les accords de Paris, signés en janvier 1973, l'avait amenée à se retirer. Ces accords étaient justement la reconnaissance de leur échec pour les États-Unis. Et la longue négociation, puis les clauses des accords leur permettant de réembarquer leurs troupes sans précipitation, leur permettaient à peine de sauver la face.
Mais jusqu'au bout, c'est-à-dire la déroute complète, ils ont armé, financé, conseillé les régimes de Phnom Penh, Saïgon et Vientiane. Cette déroute était donc bien la leur aussi.
Pourtant, tout s'est passé au mieux pour l'impérialisme américain. Le retentissement de cette défaite a finalement été minime. Et même elle n'apparaît plus que comme un simple épisode sans beaucoup d'importance. Qu'est-ce qui peut expliquer cela ?
Une victoire des nationalistes
La première raison en est certainement la nature sociale et politique des mouvements qui viennent de prendre le pouvoir dans les trois pays de l'Indochine.
Contrairement à ce que voulaient penser la presque totalité des gauchistes d’Europe et d’Amérique, il ne s’agissait pas de mouvements socialistes prolétariens. Eux-mêmes d’ailleurs mettaient l’accent sur le fait qu’ils étaient avant tout des fronts patriotiques regroupant différentes classes sociales, y compris la bourgeoisie nationale. Leur lutte n’était nullement «la tranchée avancée de la révolution mondiale», comme le prétendaient certains courants d’extrême-gauche. Le F.N.L. vietnamien, le Pathet Lao ou le FUNK cambodgien se battaient pour une indépendance politique et économique réelle de leur pays. Pas pour la révolution mondiale, dont ils sont fondamentalement, comme tous les nationalistes, des adversaires.
La guerre entretenait les illusions de ceux qui prennent comme seul critère révolutionnaire la lutte armée – comme si toutes les classes sociales, du prolétariat à la bourgeoisie, et tous les mouvements politiques de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, n’étaient pas capables de recourir, à un moment ou à un autre, à cette forme de lutte – et non la nature sociale réelle d’un mouvement. Maintenant, la guerre finie et ces mouvements au pouvoir, ces illusions apparaissent pour ce qu’elles sont.
Chacun des trois mouvements mène, de toute évidence, une politique différente.
Au Cambodge, les Khmers Rouges ont fermé leurs frontières, expulsé les diplomates, coupé toutes relations avec l’extérieur, vidé les villes. Ils auraient même, dit-on, débaptisé les cambodgiens. S’ils conservent Sihanouk, c’est comme simple porte-parole itinérant et qui n’a, de son propre aveu, aucun pouvoir sur ce qui se passe dans le pays.
Au Vietnam, c’est au contraire avec une extrême prudence qu’agissent les nouvelles autorités qui font tout pour se ménager la population du Sud, y compris les couches petites bourgeoises des villes qui avaient soutenu l’ancien régime ou qui lui étaient liées, extrême prudence qui se marque ami dans la manière d’envisager la réunification du Nord et du Sud.
Au Laos, où la lutte a été moins dure que dans les deux autres pays, on maintient pour le moment le vieux roi sur son trône et on intègre dans l’armée ou l’administration du Pathet Lao ce qui reste des armées ou de l’administration des camps neutralistes ou même de la droite, seuls les officiers, les leaders politiques et les féodaux vraiment trop
compromis ayant dû choisir l’exil en Thaïlande.
Mais en tout cas, une chose caractérise les trois nouveaux régimes. Uniquement préoccupés de régler leurs problèmes intérieurs, ils n’ont pas un mot, pas un regard, pas une préoccupation pour ce qui peut se passer en dehors de leurs frontières, considérant de toute évidence que cela ne les regarde pas et qu’ils n’ont rien à attendre de la lutte des autres peuples.
Ne s’en étonneront, encore une foi, que ceux qui les ont pris pour des mouvements révolutionnaires authentiquement prolétariens. En fait, le propre des mouvements nationalistes bourgeois – ce qu’ils sont – est justement de limiter leur lutte à leurs frontières.
Quand ils se préoccupent de l’impact international qu’ils peuvent avoir, c’est uniquement dans la mesure où cet impact peut les aider à réaliser leurs buts nationaux. Ces buts atteints, ils ne cherchent absolument pas à s’intégrer dans une lutte de dimension internationale. C’est même en général le contraire puisque, pour consolider l’acquis, ils cherchent plutôt à parvenir à un statu quo avec l’impérialisme. Ainsi, Kaissone Phomvihane, le principal leader du Pathet Lao, pouvait déclarer récemment : «Nous aurons de bonnes relations avec le gouvernement américain s’il respecte notre indépendance et notre intégrité territoriale et s’il cesse d’aider les réactionnaires à s’infiltrer chez nous et à se mêler de nos affaires intérieures». Et même les Khmers Rouges, qui apparaissent comme les plus durs et les plus décidés à rompre avec l’impérialisme, envoient Sihanouk aux quatre coins de la planète pour répéter qu’ils entendent avoir une politique neutraliste.
Tout cela est parfaitement cohérent avec leur nature sociale et politique. Mais ce sont justement les limites nationalistes et neutralistes de leur lutte qui, finalement, limitent la portée de leur victoire. L’impact de celle-ci est d’autant moins fort qu’ils ne cherchent pas à en avoir un.
Le recul des guérillas nationalistes
Dans les années 1960, un peu partout, en prenant exemple sur la Chine, le Vietnam, l’Algérie ou Cuba, des mouvements nationalistes se lançaient dans la constitution de mouvements de guerillas dans les campagnes, cherchaient à enrôler les paysans, se proposaient de se débarrasser de l’impérialisme qui pesait sur leur pays.
Ces mouvements étaient particulièrement actifs, sinon influents, en Amérique latine où l’exemple de Fidel Castro était tout spécialement populaire, parmi les petits bourgeois nationalistes.
A cette époque, une défaite de l’impérialisme américain aurait pu avoir un impact important, décuplant l’espoir de ceux qui s’étaient lancés dans cette lutte. Et cela, même si les vainqueurs indochinois n’avaient pas remué le petit doigt dans cette direction, un peu comme le retentissement de la victoire de Castro en Amérique latine fut indépendant de la politique du nouveau gouvernement cubain. Et si la politique des États-Unis était depuis la fin des années 1940 d’intervenir partout dans le monde pour empêcher l’installation des régimes qui auraient pu s’intégrer au camp soviétique, cette menace en Amérique latine, dans les années 1960, fut tout de même une raison supplémentaire qui incita les États-Unis à intervenir au Vietnam, où ils n’avaient pratiquement pas d’intérêts économiques directs à défendre. Ils ne pouvaient pas laisser les Vietnamiens donner au monde un nouvel exemple qui puisse encourager tous ceux qui, dans leur chasse gardée d’Amérique, tentaient de secouer leur joug.
Aujourd’hui, les choses ont changé. Les mouvements guerilleros d’Amérique latine sont pratiquement inexistants, vaincus ou découragés de ne pas avoir pu gagner les paysans ou d’être pratiquement abandonnés, aussi bien par Cuba que par l’URSS ou la Chine.
Bien plus, cette stabilité relative s’étend même de plus en plus à l’Afrique. Les guerillas du Cameroun ou du Zaïre ne sont plus qu’un souvenir. Dans les colonies portugaises de Guinée et du Mozambique les mouvements nationalistes viennent de parvenir au pouvoir en accord avec l’ancien colonisateur. Seul l’Angola demeure en proie à la guerre civile. En Asie, quelques mouvements de guerillas existent dans les pays du pourtour de l’Indochine, comme la Thaïlande ou les Philippines. Ils sont actuellement limités.
Les États-Unis n’ont pas gagné en Indochine. Mais, par leur intervention, en empêchant pendant quinze ans les mouvements nationalistes indochinois de prendre le pouvoir, en terrorisant les peuples de la contrée, en bombardant et en saccageant leur pays, ils ont retardé suffisamment leur victoire pour en vider la portée internationale.
La fin du containment
Enfin – et c’est le plus important – la fin des régimes de Thieu et Lon Nol fut préparée de longue date par un changement de la politique internationale des États-Unis et un accord avec l’URSS et la Chine qui permettait de transformer cette défaite en un épisode sans grandes conséquences. C’est, paradoxalement, trois ou quatre ans avant que la défaite américaine fût complètement consommée, que ses conséquences se sont fait sentir.
L’engagement américain au Vietnam se situait en effet dans le droit fil de la politique de guerre froide et de containment, politique des États-Unis depuis 1947. Les États-Unis se firent alors les gendarmes du monde pour empêcher par la force
l’instauration de régimes qui pourraient faire alliance avec le camp soviétique. Ils ne purent empêcher la Chine, puis Cuba, de basculer, pour un temps, dans ce camp. Ils durent, pour ces deux pays, se contenter d’imposer un sévère blocus. Leur intervention militaire maintint, par contre, la Corée du Sud dans l’orbite occidentale. Leur engagement au Vietnam du Sud, l’impérialisme français ayant laissé échapper le Vietnam du Nord, répondait au même but. Il s’agissait de s’opposer partout par la force militaire à l’extension du camp soviétique.
La volonté du peuple vietnamien mit en échec cette politique. Malgré une longue guerre qui leur créait de plus en plus de problèmes intérieurs, tant sur le plan politique que sur le plan économique, les États-Unis étaient incapables de venir à bout du mouvement nationaliste indochinois. L’offensive du Têt en 1968, durant laquelle les forces FNL occupèrent pendant des jours les grandes villes, en était la preuve définitive.
Les États-Unis changèrent donc de politique. Pour maintenir le statu quo, ils ne devaient plus compter sur la seule force militaire qui venait de subir un échec, mais rechercher l’entente avec les États du camp d’en face, capables par leur poids d’aider à ce maintien du statu quo, l’URSS et aussi la Chine.
Cette politique était possible parce que fondamentalement l’URSS et la Chine ont toujours été prêtes à une entente avec l’impérialisme qui garantisse le statu quo mondial. Ce sont les États-Unis qui déclenchèrent la guerre froide contre l’URSS et son camp à partir de 1947. Ce sont les États-Unis qui, en 1949, rompirent avec le nouveau régime de Mao, dressèrent contre lui un blocus économique et politique (le précipitant d’ailleurs par là-même dans les bras de l’URSS). Il ne dépendait donc que des États-Unis que changent les relations entre les trois pays.
D’ailleurs, depuis le début des années 1960 on avait assisté à une amélioration des relations entre l’U.R.S.S. et les États-Unis, entamée avec Khrouchtchev et Kennedy, ce qu’on a appelé la «détente». Il s’agissait de régler à l’amiable un certain nombre de problèmes et de points de friction entre les deux camps.
D’autre part, la rupture de l’alliance entre la Chine et l’URSS – due à la crainte des chinois de faire les frais du rapprochement entre les USA et l’URSS – donnait une plus grande marge de manoeuvre à l’impérialisme. Le rapprochement avec la Chine n’était plus du coup une nouvelle concession à l’URSS. Loin de renforcer le camp de celIe-ci, il pouvait même aboutir, à longue échéance, à l’affaiblir par un renversement complet des alliances.
Ainsi, en même temps qu’ils entamaient des pourparlers pour aboutir à une solution négociée au Vietnam, les États-Unis accentuèrent la politique de détente avec l’URSS, politique marquée par un spectaculaire voyage de Nixon à Moscou. Et surtout, renversant complètement la politique suivie depuis vingt ans vis-à-vis de la Chine Populaire, ils entamèrent un rapprochement avec le régime de Mao, rapprochement marqué là aussi par un autre spectaculaire voyage de Nixon à Pékin.
Dans les deux cas, l’enjeu était le même : négocier le statu quo et les règlements à l’amiable de tous les points chauds où les États-Unis se trouvaient face à l’autre, ou plutôt les deux autres blocs, en ce qui concerne l’URSS principalement l’Europe et le Moyen-Orient, en ce qui concerne la Chine, l’Extrême-Orient et plus spécialement l’Asie du Sud-Est, c’est-à-dire les pays d’Indochine et ceux qui les entourent immédiatement.
Les États-Unis cherchèrent l’assurance que la Chine jouerait une influence modératrice dans cette partie du monde, qu’elle mettrait son poids dans la balance pour y maintenir le statu quo. Elle montra très concrètement qu’elle pourrait le faire en encourageant l’écrasement d’une révolte qui se réclamait pourtant du maoïsme à Ceylan, ou encore en appuyant le Pakistan contre la sécession du Bangla Desh, prenant dans les deux cas une attitude similaire à celle des États-Unis. Les États-Unis pouvaient alors accepter d’abandonner définitivement ce qui, de toute manière, était déjà perdu et qu’ils savaient ne pas pouvoir reconquérir : les pays d’Indochine. De toute manière, avec l’aide de la Chine en Asie, de l’URSS ailleurs, la part du feu était faite et le statu quo, autant que cela dépende des trois grands, assuré.
L’accentuation de la détente
La prise du pouvoir par le GRP à Saïgon, le FUNK au Cambodge et le Pathet Lao au Laos est donc intervenue dans ce contexte de la détente, et c’est ce contexte qui a permis de la transformer en un simple «dégagement» de l’impérialisme.
C’est ce qui explique que ces trois événements n’ont en rien influé sur ces relations Est-Ouest et, en tout cas pas amené les États-Unis à durcir leur attitude vis-à-vis des pays d’Indochine comme ils l’avaient fait vis-à-vis de la Chine quand Mao s’était emparé du pouvoir, ni ailleurs. Vis-à-vis des trois pays : Vietnam, Laos, Cambodge, le gouvernement américain a même laissé entendre que sous certaines conditions il serait prêt à examiner une certaine coopération et aide économique. On est loin du blocus économique et politique qu’il instaura à l’époque contre la Chine ou même encore, dix ans plus tard, contre Cuba.
Bien plus, juste après la victoire du FNL, du FUNK et du Pathet Lao, la «détente» a encore joué en trois autres points chauds du globe : en Europe, au Moyen-Orient et à Cuba.
A Cuba, après différents voyages, plus ou moins discrets, de personnalités américaines, puis la reconnaissance diplomatique par un certain nombre de pays d’Amérique Latine qui n’ont pu le faire évidemment que parce que les Etats-Unis les laissaient faire, ces derniers ont même levé une partie de l’embargo concernant les filiales des entreprises américaines à l’étranger. Certes, cet embargo n’était depuis un certain temps guère respecté. Mais le geste des États-Unis ne trompe pas. Un revirement spectaculaire de la politique américaine vis-à-vis de Castro, tel qu’il se produisit il y a trois ans vis-à-vis de la Chine, n’est peut-être plus très foin.
Au Moyen-Orient, l’accord qui vient d’être signé entre l’Égypte et Israël a été présenté comme un succès personnel de Kissinger et un point marqué par les Américains contre les Russes. Mais la diplomatie de Kissinger s’est déployée avec l’accord tacite de l’URSS qui a au moins laissé faire. L’accord entre Israël et la Syrie auquel travaille actuellement la diplomatie de Kissinger est impensable sans l’aval russe sinon son aide.
Kissinger vient de suggérer de mettre sur pied une conférence «officieuse» (dénommée ainsi pour la distinguer de l’officielle conférence de Genève sur la Paix au Moyen-Orient qui est, elle, en panne), qui pourrait se tenir avec les États-Unis, tous les États de cette région (sauf les Palestiniens) et l’URSS. Même si les États-Unis marquent des points en réglant les problèmes du Moyen-Orient (et forcément tout règlement d’un problème dans les zones d’influence de l’impérialisme est un point marqué pour celui-ci), ils ne cherchent pas à le faire contre l’URSS, mais avec son accord.
De la même manière d’ailleurs, les États-Unis viennent de suggérer qu’une conférence entre la Chine, les États-Unis et les deux Corée règle les problèmes de celIe-ci, preuve qu’ils tiennent bien à associer la Chine au règlement des problèmes de l’Extrême-Orient.
Enfin en Europe, la tenue de la conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe à Helsinki, terminée par la signature d’un «acte final» paraphé par 35 États – dont l’URSS et les États-Unis – constitue la reconnaissance officielle du statu quo (en particulier du statut de l’Allemagne et de sa division). Ce statu quo est un fait admis depuis de nombreuses années. La reconnaissance de la RDA par un nombre de plus en plus grand d’États en était la marque. Mais la conférence d’Helsinki est un geste supplémentaire de l’URSS et des USA pour signifier leur volonté actuelle de régler le problème en commun et à l’amiable.
La politique de l'impérialisme US face à la crise
Tout cela signifie que malgré les débuts de la crise économique, l’impérialisme américain n’a pas renoncé à la détente. Et la «détente» devient un moyen de s’ouvrir de nouveaux marchés dans le camp soviétique ou chinois.
C’est ainsi que fut conclu en 1972 un important traité de commerce avec l’URSS que le Sénat américain a refusé de ratifier au début de cette année mais qui indique clairement la politique de l’actuel gouvernement américain. C’est ainsi également que, toujours malgré l’opposition d’un certain nombre d’hommes politiques américains et même des syndicats, le gouvernement américain négocie en ce moment même d’énormes ventes de blé à l’URSS.
Cela n’a rien d’étonnant. L’une des raisons qui poussa les États-Unis à rechercher dans cette voie une solution à l’interminable guerre du Vietnam était justement le début de la crise monétaire, l’inflation et ses conséquences que les dépenses de guerre accéléraient encore. Ils essaient donc, dans ce cadre, de régler leurs problèmes politiques, mais aussi économiques.
Mais si aujourd’hui le gouvernement américain, malgré la crise, maintient la politique de détente, cela ne signifie pas que cette politique ne peut être remise en cause. D’abord, les États-Unis et l’URSS, ou la Chine, ne sont pas maîtres entièrement
d’assurer la stabilité. lis ne peuvent pas faire que tel ou tel peuple, ou le prolétariat, ici ou là, entre en lutte et du coup, bouleverse le fragile équilibre établi par accord entre grandes puissances.
Ainsi le peuple indochinois, ou avant lui, Mao ou Castro, sont entrés en lutte sans que cela dépende ni des États-Unis, bien sûr, ni de l’URSS. Celle-ci ne souhaitait rien moins que ces soulèvements. Là où elle le put même, elle fit tout ce qui était en son pouvoir pour les entraver justement parce qu’elle savait fort bien qu’ils remettaient en jeu l’équilibre et par là, même si elle n’y était pour rien, ses rapports avec l’impérialisme américain.
Mais, encore une fois, cela ne dépend pas forcément d’elle. On a vu ainsi Kissinger lancer un solennel avertissement à l’URSS à propos du Portugal au début de l’été, au moment où les communistes portugais, derrière Gonçalves, semblaient sur le point de prendre une place essentielle dans l’État et le gouvernement. L’URSS n’est pour rien dans le développement de la situation portugaise ni même dans la place que les amis de Cunhal occupent dans la politique et l’État portugais. Mais l’avertissement de Kissinger était clair. Pour le gouvernement américain, une prise de pouvoir à Lisbonne par un régime prêt à s’allier à Moscou, pour ne pas parler d’une révolution prolétarienne, remettrait en question l’équilibre du monde et sa politique actuelle envers l’URSS. De même, au Moyen-Orient, il ne dépend ni de l’URSS ni des États-Unis que le peuple palestinien, par sa lutte, remette éventuellement en cause tous les compromis laborieusement élaborés avec l’aide des deux grands.
Et puis tout dépend finalement de la profondeur de la crise économique. Si celIe-ci continue et s’approfondit, si le commerce international s’effondre, si le chômage s’accroît aux États-Unis comme dans tout le monde capitaliste, alors inévitablement la
détente sera remise en question. Pour parer à la crise, ou du moins à ses conséquences et notamment aux convulsions sociales qui ne manqueraient pas d’avoir lieu, l’impérialisme n’aurait guère d’autre choix que de faire appel à des régimes forts, militaires ou fascistes, au réarmement à outrance. Et ce n’est plus à la petite ouverture sur les marchés russes qu’il viserait, mais à la reconquête de ceux-ci. Alors, les possibilités offertes par la détente ne pèseraient pas lourd. Et c’est à nouveau vers une guerre contre l’URSS que les USA et leurs alliés s’orienteraient.