La discussion sur le Portugal à la sixième conférence internationale organisée par Lutte Ouvrière01/11/19751975Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

La discussion sur le Portugal à la sixième conférence internationale organisée par Lutte Ouvrière

 

La sixième Conférence Internationale organisée par Lutte Ouvrière s'est tenue dans le courant du mois de novembre 1975. Sept organisations y participaient : International Socialism (Grande-Bretagne), Lotta Comunista (Italie), Combat Ouvrier (Antilles), Spark (USA), le POUM (Espagne), l'Union Africaine des Travailleurs Communistes Internationalistes et Lutte Ouvrière.

Quatre sujets étaient inscrits à l'ordre du jour de la Conférence : la situation au Portugal, la fin de la guerre du Vietnam et la nouvelle politique mondiale de l'impérialisme américain, la crise économique mondiale et la question nationale aux Antilles. Les trois premiers étaient présentés par Lutte Ouvrière, le quatrième par Combat Ouvrier.

Ce fut la discussion sur le Portugal qui occupa la plus grande partie des débats, non seulement parce qu'il s'agissait là du sujet le plus d'actualité, mais aussi parce que c'est sur ce sujet que se manifestèrent les divergences les plus importantes entre les différents groupes présents.

C'est entre les délégations de International Socialism et de Lutte Ouvrière que se déroula l'essentiel de cette discussion, celle-ci portant à la fois sur l'appréciation de la situation existant actuellement au Portugal, et sur la politique que les révolutionnaires militant dans ce pays doivent y mener.

Introduisant la discussion, le rapporteur de Lutte Ouvrière rappela que la crise politique ouverte en avril 1974 par le renversement de la dictature de Caetano avait ouvert de larges perspectives à la classe ouvrière portugaise, tant sur le plan de son renforcement organisationnel que sur celui de son intervention politique dans la vie du pays, mais que cette classe ouvrière n'en est pas encore, dans sa grande majorité, ni à se poser consciemment, ni à poser dans les faits la question du pouvoir. Il rappela également que la classe ouvrière portugaise est au contraire profondément divisée par la lutte qui oppose le Parti Socialiste au Parti Communiste pour savoir qui aura la plus grande place, aux côtés des militaires, au sein du gouvernement bourgeois, et que dans ces conditions la politique des révolutionnaires doit consister, sans dissimuler, bien sûr, leur drapeau et leur propre programme, à mettre en avant les revendications qui correspondent aux préoccupations et aux aspirations de la grande majorité des travailleurs, qu'ils soient influencés par le PS, le PC ou l'extrême-gauche, parce que c'est le meilleur moyen de renforcer l'unité de cette classe ouvrière, et de lui faire prendre conscience des véritables intérêts que défendent les partis ouvriers réformistes.[fn]Pour un exposé plus complet de l'analyse que fait Lutte Ouvrière de la situation portugaise, voir Lutte de Classe numéro 31 d'octobre 1975.[/fn]

La délégation de IS, dans son intervention, allait se montrer en complet désaccord avec LO, tant en ce qui concerne l'appréciation de la situation actuelle, que les conclusions politiques à en tirer. Mais ce n'est que sur le premier point qu'elle développa son point de vue.

Pour IS, toutes les conditions sont réunies au Portugal pour que le prolétariat y prenne le pouvoir, sauf « quelques conditions subjectives ». Mais ces « quelques conditions » ne sont rien moins, de l'aveu même de IS que l'existence d'organes de pouvoir ouvrier, et d'un parti ouvrier révolutionnaire. Il est vrai que la manière dont IS pose chacun de ces deux problèmes lui permet de les résoudre facilement... du moins en paroles.

En ce qui concerne le problème de l'inexistence d'authentiques organes de pouvoir ouvrier s'opposant au pouvoir de la bourgeoisie, IS reconnaît qu'il n'y a pas, dans le portugal d'aujourd'hui, de situation de double pouvoir. il l'explique d'ailleurs très bien. tony cliff, dirigeant de IS, écrit ainsi dans sa brochure intitulée portugal au carrefour (brochure soumise à la conférence par IS) : « le fait que le MFA. ait été obligé de faire des concessions a créé l'illusion parmi beaucoup de travailleurs, qu'il est des leurs d'une façon ou d'une autre, et qu'ils peuvent compter sur l'armée pour résoudre leurs problèmes, plutôt que de comprendre la nécessité de compter sur eux-mêmes » . mais IS ne tire pas les conclusions logiques de cette analyse, et considère qu'il suffit d'expliquer pourquoi le problème existe pour le résoudre.

Après avoir reconnu l'inexistence d'une situation de double pouvoir au Portugal, la délégation de IS essaya d'ailleurs de s'en tirer par une pirouette, en affirmant qu'il y avait au moins « une situation de double manque de pouvoir ». Mais c'est jouer sur les mots, car s'il est évident qu'il y a une crise du pouvoir bourgeois au Portugal, cette crise, pour profonde qu'elle soit, ne peut absolument pas être mise sur le même plan que l'absence de véritables organes de pouvoir ouvrier, et le peut d'autant moins que si la paralysie de l'État bourgeois n'empêche pas la bourgeoisie de rester la classe dominante, la constitution d'organes de pouvoir prolétarien est une condition absolument nécessaire pour que la classe ouvrière puisse s'ériger en classe dominante.

En ce qui concerne l'appareil d'État bourgeois, IS accorde une grande importance au « saneamento » (l'épuration) qui suivit le putsch du 25 avril. Dans la brochure déjà citée, T. Cliff écrit d'ailleurs : « Une épuration efficace et complète veut dire la quasi destruction de la structure de l'État bourgeois ». Mais que veut dire une « quasi destruction » de l'État bourgeois ? L'État portugais a-t-il été « quasiment détruit » en avril-mai 1974, ou depuis ? Les révolutionnaires doivent-ils revendiquer l'extension de cette épuration, au lieu d'expliquer aux travailleurs qu'il leur faudra détruire totalement (et non pas quasiment) la machine d'État de la bourgeoisie ? Autant de questions auxquelles IS se garde bien de répondre clairement et précisément. Mais ne pas expliquer que « l'épuration », dans le Portugal de 1974 comme dans la France de 1944, a été une mystification politique, destinée à tromper les masses, et à les empêcher - au prix de quelques boucs émissaires - de s'interroger sur les responsabilités de la totalité de l'appareil d'État dans les malheurs antérieurs, c'est précisément se faire complice de cette mystification. Et rester dans le vague sur le problème de l'État, c'est le propre de tous les opportunistes.

C'est avec la même légèreté que international socialism traite la question du parti révolutionnaire. il affirme que la construction d'un tel parti est aujourd'hui absolument nécessaire au portugal, et que le seul moyen de militer en ce sens est de soutenir résolument le PRP-BR (parti révolutionnaire du prolétariat brigades révolutionnaires), l'un des groupes d'extrême-gauche existant au portugal. tout en affirmant avoir certaines divergences politiques avec le PRP, IS prétend en effet que ce groupe est le meilleur de tous ceux qui militent aujourd'hui au portugal. la brochure de cliff déjà citée affirme par exemple que « le PRP est une organisation marxiste-révolutionnaire authentique qui soutient la nécessité de la révolution armée, de la dictature du prolétariat et de la construction d'organisations autonomes du prolétariat, des conseils (soviets) », et considère comme « vivifiant » « l'accent mis sur l'auto-organisation de la classe ouvrière » . « c'est une question de vie ou de mort pour la révolution que le PRP se transforme rapidement en parti révolutionnaire de masse. a chaque meeting, à chaque manifestation, le PRP doit recruter massivement » peut-on lire encore dans cette brochure. quand on sait que l'article leader d'un récent numéro de revoluçao, l'organe du PRP, était une lettre ouverte adressée au « camarade otelo » (le général otelo de carvalho) pour lui demander de faire la révolution, on voit voit le crédit que l'on peut apporter au jugement de IS sur la place que tient réellement « l'auto-organisation de la classe ouvrière » dans la politique du PRP

Le peu de sérieux avec lequel la délégation de IS traita le problème de l'État, comme celui du parti, montre que les divergences entre International Socialism et Lutte Ouvrière qui se sont manifestées au cours de cette conférence ne résultent pas simplement d'une opposition entre deux lignes politiques, résultant de deux appréciations différentes de la situation. Car la démarche de IS n'est pas de chercher à élaborer la politique la plus propre à permettre à la classe ouvrière portugaise, étant donné son niveau de conscience actuel, de progresser vers la prise du pouvoir. La démarche de IS consiste tout simplement à beaucoup parler de la « révolution portugaise » sans trop se préoccuper des problèmes qui se posent devant cette révolution, sans trop parler des difficultés qu'elle a à vaincre, simplement pour accrocher son wagon au train de la révolution portugaise, en espérant en être le principal bénéficiaire en Grande-Bretagne.

C'est une démarche opportuniste qui n'a même pas le mérite de la nouveauté, car il y a longtemps qu'elle est pratiquée. Elle a même été l'essentiel de la politique de beaucoup de groupes d'extrême-gauche en bien d'autres circonstances.

Et si la délégation de IS a finalement choisi de quitter la conférence internartionale avant la fin, sous prétexte que celle-ci refusait de voter une résolution reprenant l'appréciation que porte IS sur le caractère révolutionnaire de la situation portugaise, cela ne change rien au fond du problème.

En ce qui nous concerne, en tout cas, les événements du Portugal, loin de nous amener à desserrer les contacts que nous pouvons avoir avec d'autres groupes révolutionnaires de par le monde, nous font au contraire ressentir plus cruellement l'absence, non seulement d'une véritable internationale, mais même d'une véritable confrontation des analyses et des politiques des différentes organisations révolutionnaires.

Ils nous incitent au contraire à redoubler d'efforts dans notre activité internationale.

 

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