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- Lutte de Classe n°37
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Italie : le parti communiste au gouvernement ?
La dissolution du Parlement italien, et la préparation d'élections anticipées pour les 20 et 21 juin prochains, ont marqué un tournant décisif dans la crise parlementaire que le pays connaît depuis janvier 1976.
Sans doute, la République italienne, dans ses trente ans d'existence, a connu de nombreuses crises parlementaires. Mais ce qui domine cette fois la crise, c'est une question politique fondamentale pour la bourgeoisie italienne : celle de l'intégration du Parti Communiste, le plus fort Parti Communiste d'Europe Occidentale, au gouvernement.
La dissolution du Parlement et l'organisation d'élections anticipées signifient qu'une partie au moins de la bourgeoisie a fait le choix d'accepter que le PCI participe éventuellement au gouvernement. Qu'une large partie de la bourgeoisie italienne soit aujourd'hui en faveur d'une telle solution, voilà qui est suffisamment attesté par exemple par les déclarations du clan Agnelli, propriétaire de l'immense trust Fiat et particulièrement représentatif du grand patronat. On a vu Giovanni Agnelli multiplier les déclarations rassurantes sur le PCI, déclarant « absurde » la panique qui s'emparait d'une partie de la bourgeoisie à l'idée de l'arrivée de celui-ci au pouvoir, et qui se traduisait par des fuites massives de capitaux. Il se portait en quelque sorte garant du PC I., en déclarant qu'il n'y a nullement lieu de le craindre, au contraire, et faisant l'éloge des « très bons gestionnaires » du PCI Quant à ce qu'il faudrait attendre d'un tel gouvernement, un autre membre du clan Agnelli, Umberto, l'a précisé : pour redresser la situation économique italienne, a-t-il affirmé, il faudrait une augmentation de la productivité de 10 à 15 %. « Mais il faut que le pouvoir politique qui réclame une augmentation de la productivité soit crédible », ajoutait Umberto Agnelli.
Le mécanisme de la crise parlementaire a mis en évidence tout à la fois ce choix d'une partie de la bourgeoisie, et les résistances de l'appareil parlementaire, et en particulier de la Démocratie chrétienne. Car, vu le rapport des forces actuel entre les partis italiens, l'association du PCI au gouvernement ne peut se faire que sous la forme d'un gouvernement de « compromis historique » allant du PCI à la Démocratie chrétienne. Le Parti Socialiste Italien, en effet, au contraire de son homologue français, est trop faible pour constituer un contrepoids suffisant au PC dans un éventuel gouvernement de gauche. La crise sur le plan parlementaire résulte donc de la résistance de la Démocratie chrétienne à accepter le « compromis historique ». Cette Démocratie chrétienne, préoccupée de ne pas apparaître vis-à-vis d'une partie de son électorat réactionnaire comme le parti qui a ouvert la voie aux communistes, déchirée par une crise interne profonde, hostile surtout à l'idée de partager un pouvoir qu'elle exerce depuis trente ans, reculait sans cesse le choix. En particulier, la « gauche » et le centre du parti, représentés par le président du Conseil en place Aldo Moro, ne parvenaient pas à faire accepter à la droite l'idée de compromis possibles avec le PCI
Après le résultat des élections régionales de juin 1975, l'organisation de nouvelles élections législatives comporte la grande probabilité d'un important succès du PCI, et donc la création d'une situation où le recours à celui-ci serait indispensable à la création d'une majorité parlementaire. Mais la Démocratie chrétienne finalement préfère affronter l'électorat avant d'accepter une coalition avec le PCI Elle a préféré se présenter devant les électeurs comme le rempart contre le communisme, plutôt que de le faire en pleine collaboration avec le PCI, comme cela risquait d'être le cas si elle attendait le terme normal de la législature, en 1977. Cela lui permettra sans doute d'apparaître après les élections comme forcée par les progrès électoraux du PCI à accepter de collaborer avec celui-ci, à son corps défendant, pour préserver l'essentiel.
Ainsi, les élections anticipées donnent à la bourgeoisie le moyen de faire faire à ses représentants parlementaires les choix politiques que, pour sa part, elle souhaite.
Mais, au moment même où se met en place laborieusement la formule du « compromis historique », le p.c.i. a des raisons d'être inquiet. son peu d'empressement à aller au pouvoir, son insistance à trouver une formule, comme un « contrat de fin de législature » évitant de recourir aux élections anticipées, attestent cette inquiétude. et c'est vrai que le p.c.i. ne peut se faire aucune illusion sur les difficiles conditions dans lesquelles, enfin, il va accéder à la gestion gouvernementale. pourtant, cette échéance a été préparée de longue date par le p.c.i. depuis des années, celui-ci a multiplié ses offres de service à la bourgeoisie italienne. c'est le premier parti communiste d'europe occidentale à avoir, pour rentrer dans les bonnes grâces de la bourgeoisie nationale et être admis comme un des possibles gérants du capitalisme, pris ses distances avec l'u.r.s.s. ce fut le « polycentrisme » proclamé par togliatti. depuis, le p.c.i. a travaillé, bien avant son homologue français, à multiplier les prises de position critiques à l'égard de l'u.r.s.s., afin de s'affirmer comme un parti bien « national ». parallèlement, il s'employait à faire les preuves de ses capacités de parti gestionnaire. la mise en place, depuis 1970, de gouvernements régionaux, lui a permis de montrer ses capacités à l'échelle de régions entières, passées sous « gouvernements » à majorité communiste.
Mais c'est la crise économique qui a mis à l'ordre du jour, cette fois bien concrètement, la question de la participation au gouvernement que le PCI propose depuis des années. La crise économique mondiale a pris une ampleur particulière dans le pays, du fait de la faiblesse relative de l'impérialisme italien.
L'écroulement de la lire aggrave un peu plus chaque jour le déficit de la balance des paiements. pour redresser la situation, la bourgeoisie a besoin de s'en prendre de façon draconienne au niveau de vie de la classe ouvrière, de restreindre la consommation de toutes les couches populaires, afin de limiter les importations. elle veut tenter d'augmenter la productivité dans les entreprises pour prendre un avantage sur les marchés de l'exportation. elle voudrait tenter de reconquérir ce qui fut longtemps l'avantage des industriels italiens sur leurs concurrents européens : le bas prix de la main-d'oeuvre italienne. et, pour être à même de mener cette politique, il lui faut se donner les moyens politiques de briser la résistance de la classe ouvrière. ce moyen, ce pourrait être le PCI
Les PC français et italien, en participant aux gouvernements de leurs pays entre 1944 et 1947, ont déjà donné l'exemple d'une telle politique, où les partis « communistes » appelaient les travailleurs à « retrousser les manches » pour relever l'économie nationale, c'est-à-dire sauver le profit capitaliste. La gravité de la crise économique italienne met de nouveau à l'ordre du jour le recours à une telle solution politique.
C'est le PCI, une fois au gouvernement, qui serait le plus à même, au nom du relèvement de l'économie nationale, d'enjoindre aux travailleurs de ne pas faire grève, mais au contraire de retrousser les manches et de relever la productivité. C'est lui qui combattra, dans les usines, les réactions éventuelles des travailleurs à cette politique dictée par le grand capital. C'est le PCI qui, usant de toute son autorité dans la classe ouvrière, prendrait la responsabilité pleine et entière de faire accepter à celle-ci de se serrer la ceinture pour le grand capital.
Plus encore, pour rendre l'économie italienne à nouveau concurrentielle, il faudrait s'en prendre, non seulement au niveau de vie de la classe ouvrière, mais à celui de toute la population : petits commerçants, petits paysans. Il faut faire accepter leur ruine à de nombreux industriels, petits et moyens, qui seront les premiers à souffrir de la crise, et dont la disparition servira la concentration de l'économie, sa rentabilisation pour le profit du grand capital. A l'heure actuelle, c'est à la gestion Démocrate chrétienne que ces couches sociales attribuent la responsabilité de leurs difficultés. Si, demain, le PCI au pouvoir mène lui aussi cette politique, c'est sur lui et sur la classe ouvrière que ces couches sociales rejetteront la faute. C'est contre le PCI qu'elles se retourneront avec colère, colère attisée sans aucun doute par la démagogie des partis de droite, de la Démocratie chrétienne au parti fasciste.
Ainsi, un des avantages du « compromis historique » pour la Démocratie chrétienne sera de pouvoir détourner sur le PCI le mécontentement qui, actuellement, se cristallise sur elle. Avant même que cette coalition ne voie le jour, un des soucis de ce parti et des autres partis de droite est de se donner les moyens de capitaliser le retour de balancier à droite qu'ils prévoient, et que prépare toute la politique du PCI, candidat au rôle de gestionnaire de l'économie capitaliste.
Car, en acceptant ce rôle, c'est de toute la crise mondiale du capitalisme que le PCI prend la responsabilité. Et seule une amélioration décisive de la situation économique mondiale pourrait permettre à la bourgeoisie italienne d'améliorer un peu la sienne, et d'éviter ainsi les mesures draconiennes qu'elle envisage de prendre contre sa classe ouvrière et contre toute la population laborieuse.
De ce fait, les dirigeants de la bourgeoisie italienne sont évidemment conscients, ainsi que des conséquences qu'il implique : à moins d'une amélioration inespérée de la situation économique, le p.c.i. lui-même ne pourra enrayer la chute de la lire (au contraire, sa venue au pouvoir risque fort, comme le craint agnelli lui-même, d'augmenter la frayeur d'une partie de la bourgeoisie et d'aggraver la fuite des capitaux), ni redresser les positions de l'économie du pays sur les marchés d'exportation. il pourra tout juste, et c'est d'ailleurs le rôle que la bourgeoisie lui assigne, démoraliser la classe ouvrière, la ligoter et empêcher ses réactions, polariser sur lui le mécontentement de la petite bourgeoisie et préparer ainsi les conditions d'un retour de la droite. car la bourgeoisie italienne, en même temps qu'elle tend la main au p.c.i., se donne les moyens de l'expulser du pouvoir à court ou moyen terme.
La bourgeoisie sait que, si la crise s'aggrave encore - ce que tout permet de penser - elle devra recourir à des attaques encore plus draconiennes contre le niveau de vie des masses populaires, et pour cela s'en prendre aux organisations ouvrières elles-mêmes, au lieu de rechercher leur collaboration. Tout le problème est de se donner les moyens politiques de procéder à de telles attaques. Ce ne serait plus la collaboration gouvernementale du PCI, ce seraient, soit des gouvernements basés sur la droite et l'extrême-droite parlementaire, soit même des gouvernements militaires ou fascistes. Dans le premier cas, la bourgeoisie italienne aurait sans doute en prime les moyens de résoudre le vieux problème des institutions en imposant au pays une réforme constitutionnelle du type de celle de la Ve République française, dotant le président de la République de pouvoirs importants et amoindrissant la représentation parlementaire du PC Dans le second - dictature militaire ou fasciste - le problème des institutions parlementaires ne se poserait même plus. Le choix de l'une ou l'autre de ces solutions dépendra entièrement de l'ampleur et du rythme de la crise économique.
Ainsi, au moment même où le PCI approche du pouvoir, c'est aux conditions possibles d'un retour de la droite que les forces politiques se préparent. C'est pourquoi la Démocratie chrétienne se soucie d'apparaître toujours comme le meilleur rempart contre le communisme. Et c'est en fonction du rôle qu'il estime être en passe de jouer que le mouvement fasciste s'aguerrit et développe à nouveau une « stratégie de la tension » faite tout à la fois d'assassinats et de coups de mains, et de solennels appels au « retour à l'ordre », et de dénonciations du « chaos communiste ».
Le danger est, en fait, immédiat pour la classe ouvrière. Car il existe encore une possibilité politique qui n'est pas exclue : c'est que la bourgeoisie n'ait même pas recours à l'intermède que serait le passage du PCI au pouvoir, avant un retour de balancier à droite. C'est qu'un coup d'État militaire, par exemple, intervienne avant les élections ou immédiatement après, pour empêcher le PCI de parvenir au pouvoir. Les forces militaires et policières, étroitement liées au mouvement fasciste, peuvent chercher à jouer immédiatement le rôle qu'elles se sentent appelées à jouer dans la période à venir. Elles peuvent tenter de mettre la bourgeoisie devant le fait accompli. Et, si cette dernière n'apparaît pas comme très favorable à la réalisation immédiate d'un tel projet, ce n'est évidemment pas par principe, c'est parce que, dans les circonstances actuelles, une telle tentative comporte le risque politique d'une réaction d'envergure de la classe ouvrière pour le moment ni vaincue ni démoralisée. De plus, la droite militaireet fasciste manque actuellement de crédibilité politique. C'est pourquoi l'intermède d'un gouvernement s'appuyant sur la gauche pourra être nécessaire pour donner du poids et des chances à ces forces réactionnaires.
Mais, même si cette éventualité n'est pas très probable dans l'immédiat, elle n'est pas exclue, et reste un danger auquel la classe ouvrière doit se préparer. Et c'est, de toute façon, un danger à moyen terme. La bourgeoisie est en train de se donner les moyens politiques de faire payer à la classe ouvrière la crise économique et même la crise politique. Et la politique du PCI, loin d'armer la classe ouvrière contre ces dangers, la désarme et la ligote.
Pour les révolutionnaires italiens, les responsabilités, dans la période qui vient, sont lourdes. Car c'est eux, et eux seuls, qui peuvent ouvrir à la classe ouvrière une autre issue.