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France : unité de l'extrême-gauche, des révolutionnaires, ou des trotskystes ?
A l'occasion d'élections partielles qui ont eu lieu au mois de novembre, est remonté à la surface, une nouvelle fois, le problème de l'unité des révolutionnaires. En France, c'est un vieux problème. Il est dû à la situation de l'extrême-gauche dans ce pays. D'un côté cette extrême-gauche - il faut entendre par là tous les gens qui sont ou qui se veulent à la gauche du Parti Communiste Français - existe et compte dans la vie politique, depuis 1968. Mais d'un autre côté il n'y a pas de vrai parti révolutionnaire, implanté dans la classe ouvrière et ayant une influence marquante sur, au moins, une fraction notable de celle-ci. L'extrême-gauche est donc fractionnée en de nombreux groupes non seulement suivant les grands courants idéologiques, comme le maoisme et le trotskysme, mais aussi à l'intérieur de chacun de ces courants eux-mêmes. D'où le problème, réel, qui revient périodiquement : pourquoi face à la droite, la social-démocratie et les staliniens, l'extrême-gauche ne s'unifierait-elle pas ? Cette fois, c'est la Ligue Communiste Révolutionnaire (section française du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale) qui a relancé publiquement le débat. Et de se plaindre des attitudes « sectaires » de Lutte Ouvrière et, dans une moindre mesure, du PSU qui auraient empêché à l'occasion de ces élections partielles que se fasse l'unité des révolutionnaires.
Une caricature : l'unité électorale
Avant d'aborder le problème de l'unité de l'extrême-gauche, tel qu'il peut se poser aujourd'hui en France, plusieurs remarques nous semblent nécessaires.
Tout d'abord Lutte Ouvrière n'a reçu aucune proposition centrale de la part de la LCR en vue de présenter des candidats unitaires lors de ces élections partielles. Alors qu'il était connu et annoncé publiquement que Lutte Ouvrière présentait des candidats dans toutes ces élections, nous n'avons reçu que localement, et dans quelques unes de ces circonscriptions seulement, des propositions de déterminer une attitude commune. De plus ce n'était pas seulement avec la Ligue mais aussi le PSU et d'autres gens qui n'ont absolument rien à voir avec le mouvement ouvrier révolutionnaire comme les nationalistes occitans par exemple. Lorsque la Ligue feint de découvrir, après coup, c'est-à-dire à la fin de la campagne électorale, que l'unité des révolutionnaires n'a pas été possible à cause du sectarisme de Lutte Ouvrière, cela nous semble faire preuve d'une certaine mauvaise foi. Si la LCR était tellement convaincue que ces élections étaient l'occasion - ce que pour notre part nous ne pensons pas - de relancer l'unité des révolutionnaires, comment se fait-il qu'elle n'ait pas agi en conséquence, pour que cette unité ait une chance de se réaliser ?
Pourquoi ne l'a-t-elle pas proposée en temps et en heure au lieu de se lamenter, après coup, sur le sectarisme des autres groupes qui lui auraient refusé... ce qu'elle ne leur a pas proposé ?
En réalité, de propositions centrales d'organisation à organisation, de candidatures communes, la Ligue en a fait au seul PSU. En cela elle fut d'ailleurs fidèle à sa politique qui lui fait chercher depuis deux ans, systématiquement, l'unité avec cette formation et non pas avec les révolutionnaires.
Le résultat, certes, en a été une politique diversifiée pour ne pas dire incohérente, fonction là aussi des résultats locaux de ces négociations. A Paris la Ligue et le PSU avaient abouti à un texte commun de plateforme pour la campagne et le candidat devait être commun. Finalement le PSU ayant exigé le ralliement pur et simple de la LCR à sa candidature et n'offrant aucune garantie quant à une campagne réellement commune, les pourparlers ont échoué et la LCR a présenté son candidat. C'est d'ailleurs la seule circonscription où la LCR a présenté un candidat propre. Dans les Yvelines c'est la direction de la Ligue elle-même qui a désavoué ses militants pour avoir, dit-elle, « signé un accord avec le PSU sans obtenir de garanties ». En Gironde la Ligue a participé à un comité de soutien à un candidat PSU, en compagnie d'un groupe nationaliste occitan et de militants écologistes. En Corrèze la LCR a également participé à un comité de soutien à la candidate du PSU qui là a pourtant fait une campagne nationaliste en se présentant sous le signe « d'ancienne résistante FTP ». Ailleurs la Ligue n'a pas soutenu le PSU... qui n'avait pas voulu d'elle.
Pour Lutte Ouvrière, il n'était pas question de s'associer à une campagne électorale commune sur des bases et une politique aussi vagues, aussi hétéroclites, aussi opportunistes. L'apparition des révolutionnaires sur le terrain électoral exige la plus grande clarté politique. Or le PSU dans bien des endroits ne se démarque pas de l'Union de la Gauche, au point que la LCR elle-même, malgré tout son désir de s'allier à lui, ne peut le soutenir. Et même les textes d'accord signés par elle avec le PSU, là où elle l'a fait, qui se contentent d'une phrase de critique du Programme Commun de l'Union de la Gauche, ne sont nullement une démarcation claire et nette.
En tout cas, quand la LCR maintenant vient se plaindre de l'occasion manquée de faire l'unité des révolutionnaires, il faut comprendre simplement de l'unité entre la Ligue et le PSU et rien d'autre.
Mais, et c'est là sans doute le plus important, il nous semble significatif que la LCR fasse resurgir le problème de l'unité à propos d'élections. Car il nous faut bien constater que les camarades de la Ligue font des consultations électorales le terrain privilégié, pour ne pas dire unique, de leur politique unitaire. Déjà lors d'une autre élection partielle à Tours, en mai dernier, ils avaient de la même façon jugé dramatique la multiplicité des candidatures d'extrême-gauche. Mais entre les deux élections partielles, sur les autres terrains de la lutte de classe, bien plus importants pourtant, nous n'avons vu ni politique ni propositions unitaires de leur part.
Nous ne partageons pas ce point de vue. En quoi la multiplicité sur le terrain électoral est-elle donc plus dramatique que l'existence indépendante de plusieurs formations d'extrême-gauche aux portes des entreprises ou à l'intérieur de celles-ci ? La première n'est-elle pas le reflet direct, et normal, de la seconde ?
Certes l'unité d'action, sur le plan électoral comme sur les autres, entre différentes formations révolutionnaires, est possible et doit être recherchée quand elle peut permettre d'intervenir ensemble plus efficacement avec un poids plus fort, là où séparément ces formations n'interviendraient que beaucoup plus faiblement ou même pas du tout.
Par exemple, lors d'élections générales qui exigeraient des forces nombreuses pour permettre une apparition significative, impossible à un groupe seul, les révolutionnaires auraient intérêt à unir leurs forces, même si les élections ne sont, faut-il le rappeler, qu'un thermomètre de l'opinion publique et n'ont qu'une importance relative.
Mais dans le cas de ces élections partielles le problème ne se posait pas. Chaque groupe qui estimait nécessaire qu'un candidat révolutionnaire se présente avait les forces suffisantes pour le faire seul.
Dans ce cas-là, des candidatures unitaires ne peuvent se justifier que s'il y a entre les groupes une base politique commune, base politique commune qui doit normalenient se traduire par un rapprochement parallèle dans le reste de l'activité.
Ce n'était pas le cas jusqu'à présent. Il était donc normal que Lutte Ouvrière présente ses propres candidats, y compris contre ceux du PSU avec qui elle n'a pas aujourd'hui de base politique commune ou à côté de ceux de la LCR, avec qui elle n'a pratiquement pas eu d'activité commune depuis plusieurs années.
L'unité des révolutionnaires et l'occasion manquée de 1968
La mise au point à propos des élections partielles étant faite, comment se présente aujourd'hui, sur le fond, le problème de l'unité des révolutionnaires ?
Alain Krivine écrivait dans Rouge du 13 et 14 novembre :
« Cela fait déjà un certain temps que la LCR se bat pour favoriser l'unité d'action entre les organisations d'ex trême-gauche. Cette unité est exigée par des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes qui ne se reconnaissent pas dans le PC et le PS ; qui sont prêts à aller plus loin mais qui se trouvent paralysés et écoeurés par les divisions de l'extrême-gauche ».
Nous avons un peu l'impression que Krivine parle d'une autre époque et pas de la situation française de 1976. Avouons-le, nous avons même l'impression qu'il a tout simplement repris un passage de certains textes de Lutte Ouvrière datant de sept ou huit ans, quand nous défendions, sans succès, il faut bien le dire, l'unité des révolutionnaires.
Il y a eu une époque, en effet, où les paroles de Krivine auraient pu s'appliquer. C'est celle de l'immédiat après-mai 68. Alors, en effet, il y avait des dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes qui ne se reconnaissaient pas dans le PC et le PS, qui étaient prêts à aller plus loin mais qui se sont trouvés paralysés par les divisions de l'extrême-gauche.
En mai 68, ces dizaines de milliers de jeunes et de travailleurs avaient vu les hésitations, les atermoiements, et les trahisons de la gauche parlementaire. Ils avaient vu aussi l'émergence de la gauche révolutionnaire. Par contre, ils ne voyaient pas les différences entre les groupes qui la composaient. Et c'était bien normal. Cela ne veut pas dire que ces différences n'existaient pas. Mais au cours des événements de mai-juin 68, tous ces groupes avaient eu, en apparence et en fait, la même politique. C'était dû tout simplement à la poussée de ces événements et au fait que chacun des groupes était trop faible soit pour mener une autre politique, soit, s'il le tentait, pour que cela ait la moindre influence et se remarque.
Ils apparaissaient donc, au-delà d'étiquettes pas très compréhensibles pour la grande masse des jeunes participants de mai 68 comme faisant partie du même courant gauchiste. Et c'est de celui-ci, considéré comme un tout, que ces sympathisants gauchistes attendaient qu'il crée une organisation qu'ils pourraient rejoindre.
Autrement dit, en s'unifiant, les différents groupes gauchistes auraient à cette époque fourni un cadre organisationnel à des dizaines de milliers de jeunes travailleurs et étudiants qui, pour la plupart, n'étaient pas prêts à rejoindre l'un des groupuscules gauchistes. Et qui d'ailleurs ne l'ont pas fait.
Certes, le parti révolutionnaire qu'aurait pu former à l'époque l'association des groupes et des tendances diverses du mouvement gauchiste aurait été un conglomérat confus, flou et ambigu, traversé par toutes sortes de courants et de sous-courants, probablement divisé en de multiples fractions.
Il n'aurait été en rien le parti de type bolchevique, ni politiquement, ni organisationnellement, que les militants trotskystes veulent construire et jugent indispensable pour conduire à bien la révolution sociale.
Mais il aurait permis d'organiser des dizaines de milliers de gens qui ne l'étaient pas et ne le furent jamais, de les faire participer systématiquement à la vie politique, d'avoir devant eux et avec eux un véritable débat sur la politique et le programme de chacun des groupes et des tendances gauchistes.
Karl Marx expliqua jadis, à propos d'une fusion des socialistes allemands dont il critiquait vertement et férocement le programme, que ses critiques ne devaient pas faire oublier que tout pas en avant réel du mouvement valait mieux que des dizaines de programmes.
Après mai 68 il y avait justement l'occasion de faire faire un pas réel en avant au mouvement. Ce fut le moment où chaque groupe se réfugia derrière l'alibi de son programme particulier pour refuser ce pas en avant. Et, alors, Lutte Ouvrière fut le seul groupe à défendre l'idée de' l'unité des révolutionnaires et la constitution, avec l'ensemble du mouvement gauchiste, d'un parti.
Les occasions de faire faire un pas réel au mouvement, c'est-à-dire d'organiser des milliers et des milliers de gens qui ne l'étaient pas jusque là sur une base révolutionnaire ne sont pas si nombreuses et si fréquentes. Celle qui existait en France après mai 68 a été manquée. Elle ne s'est pas représentée depuis. Et nous sommes aujourd'hui dans une situation toute différente.
De ces dizaines de milliers de gens qui ont attendu, un bref moment, que les gauchistes leur proposent un cadre organisationnel pour militer, seuls quelques-uns ont rejoint l'un des groupes. L'énorme majorité, sans perspective, a tourné le dos à la politique. Et il n'y a plus aujourd'hui, et ce depuis des années maintenant, de mouvement gauchiste au sens où il a existé après Mai 68.
Il n'y a plus aujourd'hui qu'une série de groupes qui se disent révolutionnaires, mais dont les divergences politiques sont marquées, voyantes et évidentes pour tous ceux qui s'intéressent tant soit peu à l'extrême-gauche. Chacun de ces groupes influence et attire un certain nombre de gens autour de lui en fonction de son importance numérique, de son travail, de son rayonnement et de sa politique. Il n'y a plus un courant attiré par les groupes gauchistes en général. Et l'union de ceux-ci, en admettant qu'elle soit possible, n'amènerait pas de forces supplémentaires à celles qui sont déjà organisées dans les différents groupes.
De plus, ne subissant plus ni la pression des événements ni même celle d'un milieu gauchiste qui n'existe plus, chacun des courants et chacun des groupes est retourné à la politique qui correspond à sa vraie nature.
Ainsi le PSU, emporté un moment par le souffle de mai 68, jusqu'à se ranger en parole dans le camp des révolutionnaires et des « gauchistes », est redevenu quasi ouvertement le parti réformiste de gauche qu'il n'avait jamais, au fond, cessé d'être. Ce n'est pas seulement par opportunisme qu'il s'accroche aujourd'hui aux basques de l'Union de la Gauche et qu'il mendie à celle-ci quelques sièges de conseillers municipaux et de députés. C'est parce que, créé à un moment où le Parti Socialiste semblait prêt de s'effondrer, il n'a jamais été autre chose qu'un bout de parti social-démocrate, un bout de plus en plus réduit d'ailleurs. Seules les circonstances particulières de Mai 68 l'avaient amené un court instant à se classer parmi les révolutionnaires.
Les maoïstes, eux, sont revenus à une politique stalinienne conforme à ieur nature c'est-à-dire un mélange de suivisme absolu vis-à-vis de l'État chinois, de nationalisme et, suivant les moments et suivant les groupes, soit de gauchisme verbal vis-à-vis du Parti Communiste et du Parti Socialiste, soit de suivisme vis-à-vis de ceux-ci. Aujourd'hui l'Humanité Rouge représente la première variante, Révolution ! la seconde.
Enfin le courant anarchiste spontanéiste s'est dissous, ce qui correspond là aussi très exactement à sa nature qui est de naître avec le mouvement et de disparaître avec lui.
Aujourd'hui, entre des groupes à la nature et à la politique aussi différentes, il n'y a aucune base pour une unité organique. Au mieux il ne peut s'agir que d'unité d'action au coup par coup, et sur tel ou tel problème spécifique. Bien sûr, cette unité d'action, les trotskystes doivent y être prêts et la rechercher systématiquement, chaque fois qu'elle est nécessaire, c'est-à-dire chaque fois qu'ils se trouvent d'accord avec le ou les maoïstes, pour agir en commun sur un problème particulier.
Mais tout cela signifie que le problème de l'unité des révolutionnaires, au sens où il se posait après 1968, ne se pose plus.
Fondamentalement le problème de l'unité ne peut se poser que de deux manières, soit entre des groupes qui ont le même programme et, en partie du moins, la même politique, soit au sein d'un mouvement qui dépasse largement chacun des groupes préexistants, qui les transcende en quelque sorte.
Aujourd'hui ce mouvement n'existe pas. Ne reste plus alors que le seul problème del'unité entre les groupes qui ont le même programme, c'est-à-dire en ce qui nous concerne, entre les groupes se réclamant du trotskysme, à nos yeux d'ailleurs le seul programme révolutionnaire prolétarien possible. Mais il n'est plus question de l'unité organique de l'extrême-gauche.
Car, hormis les trotskystes, tous ceux qui se disent révolutionnaires aujourd'hui en France sont en réalité des avatars du stalinisme ou du réformisme, et mènent une politique stalinienne ou réformiste.
L'unité du mouvement trotskyste : une nécessité permanente
Le problème de l'unité des révolutionnaires aujourd'hui, c'est donc le problème de l'unité des trotskystes.
Avec les différents groupes trotskystes, nous avons en effet en commun de nous réclamer de la même tradition politique celle de l'opposition de gauche, du même programme fondamental le Programme de Transition adopté par la Quatrième Internationale lors de sa fondation en 1938, et aussi le même but, la construction d'un parti ouvrier révolutionnaire basé sur ce programme en France, et la construction d'une véritable Quatrième Internationale.
Avec de telles bases communes, la vraie question ne devrait pas être celle du pourquoi faire l'unité, mais celle de savoir ce qui peut bien justifier l'existence de groupes séparés.
En fait, l'émiettement du mouvement trotskyste, en France comme dans le monde, est dû au manque de liens avec la classe ouvrière, au fait que socialement il est resté un mouvement petit-bourgeois. Il a donc subi toutes les pressions des courants qui pouvaient traverser les milieux petits-bourgeois, très différents suivant les époques et les pays, mais pressions qui furent assez fortes pour amener les nombreuses cassures que l'on connaît. A cela il faut ajouter, sans doute, l'irresponsabilité d'un certain nombre de militants et de dirigeants, irresponsabilité due aussi finalement à la nature petite-bourgeoise du mouvement. Elle les a amenés soit à scissionner, soit à exclure sans qu'il y ait souvent de véritable justification.
Pourtant l'existence d'un groupe séparé n'est légitimée que par une raison impérieuse, par la conviction qu'il ne lui serait pas possible d'avoir l'activité qu'il juge essentielle pour la construction d'un parti trotskyste au sein d'une même organisation avec les autres groupes.
Notre tendance elle-même est celle qui en France a vécu depuis le plus longtemps indépendamment organisationnellement, de toutes les autres tendances trotskystes. Mais elle ne l'a fait que parce que, jugeant vital d'engager un travail d'implantation dans les entreprises et la classe ouvrière et en même temps la formation de militants qui soient réellement les cadres d'un futur parti ouvrier trotskyste, la section française de la Quatrième Internationale reconstituée après la guerre ne lui permettait pas de poursuivre ce travail en son sein.
Aujourd'hui, les différentes organisations menant une existence séparée depuis longtemps, les clivages se sont approfondis. D'énormes divergences séparent les différents groupes trotskystes tant sur le plan des analyses que sur celui de la pratique politique quotidienne. Il ne s'agit pas de le nier. Et il serait aussi stupide de ne pas voir ce qui nous sépare qu'il le serait de ne pas voir ce que nous avons en commun.
Mais nous avons toujours considéré, et nous considérons, que s'il n'existe pas un parti trotskyste et à fortiori une internationale, il existe un mouvement trotskyste, d'où sortira bien un jour et le parti ouvrier révolutionnaire en France et l'internationale révolutionnaire.
Et ce n'est pas, aujourd'hui, parce que ce parti n'existe pas que rien n'est possible au mouvement trotskyste pour sortir de son état d'émiettement. D'abord parce que le meilleur moyen d'aider à la naissance d'un parti, c'est-à-dire d'une direction compétente et reconnue, c'est justement que des luttes communes soient menées, au cours desquelles elle pourra surgir. Ensuite, parce que de toute manière, il est stupide sous prétexte que des désaccords nous séparent de ne pas agir en commun sur les points où nous sommes d'accord.
C'est pour cela que la politique de notre tendance a toujours été de chercher en permanence où sont les possibilités d'unité dans ce mouvement trotskyste, jusqu'où elles peuvent aller, entre quels groupes et sur quelles bases.
Et ce n'est pas là une simple pétition de principe. Tout le passé de notre tendance le prouve.
En 1960, ce qui était alors Voix Ouvrière, le groupe qui devait donner naissance à Lutte Ouvrière en 1968, collabora avec le groupe du PCI qui devait lui-même donner naissance à l'OCI. Si le travail en commun qui s'était traduit notamment par des interventions communes au niveau des entreprises fut rompu, ce fut du fait de la future OCI.
Plus tard, en 1966, nous participâmes à une conférence internationale pour la reconstruction de la Quatrième Internationale organisée par l'OCI et son alliée d'alors, devenue son ennemie depuis, la S LL anglaise. Si rien n'en sortit, c'est parce que SLL et OCI plutôt que de chercher sur quels points une collaboration pouvait être entreprise, n'eurent rien de plus pressé que d'expulser de cette conférence tous ceux qui exprimaient des points de désaccord avec eux.
En mai 68, nous participâmes à un comité de liaison des organisations trotskystes en commun avec la Ligue et l'AMR.
Enfin après 1968, et à plusieurs reprises, nous avons entamé un rapprochement, des discussions et un travail en commun en vue d'une unification éventuelle avec la Ligue Communiste. La plus sérieuse de ces tentatives fut marquée par un accord en 1971 qui tentait de définir les bases et les étapes vers une fusion possible des deux groupes.
Cet accord améliora sans doute les relations entre les deux groupes et permit aussi quelques interventions communes. Le travail en commun, l'unification n'allèrent pas plus loin.
Ils butèrent sur la mise en place d'un hebdomadaire commun que prévoyait explicitement l'accord signé.
Cet hebdomadaire aurait été une étape importante. Il aurait permis aux deux groupes de confronter et discuter systématiquement de tous les problèmes politiques qui se posaient à eux. Bien plus, il les aurait contraints à le faire et par là à dégager points de désaccord et points d'accord et, à partir de ces derniers, des prises de positions communes et un travail commun. En quelque sorte, il aurait été un cadre contraignant à examiner systématiquement et réellement jusqu'où pouvaient aller le rapprochement et le travail commun.
Cet hebdomadaire commun, nous l'avions proposé, la Ligue en avait accepté le principe, mais elle n'en a jamais accepté la mise en application. La tentative de rapprochement en est donc restée là.
C'est dans le même esprit que Lutte Ouvrière, Spark, Combat Ouvrier et l'UATCI se sont adressés il y a un an au mouvement trotskyste international pour lui proposer de mettre en place un cadre organisationnel qui puisse permettre les débats et la collaboration entre les différentes tendances et les différents groupes, et donc d'explorer les possibilités d'unité à l'échelle internationale.
Nous rendons compte, par ailleurs, dans ce même numéro de la Lutte de Classe, de ce qu'il a été possible de faire jusqu'ici.
Mais notre initiative a aussi suscité une réaction du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale. Celui-ci, sans cacher ses divergences sur notre démarche, nous a fait, à la suite de celle-ci et en accord avec la direction de la Ligue Communiste, une série de propositions sur le plan international (campagnes de solidarité vis-à-vis de l'Afrique du Sud et de l'Espagne) et national (mise sur pied d'une presse commune régulière sous forme d'un supplément hebdomadaire à Rouge et à Lutte Ouvrière, présentation de listes communes aux prochaines élections municipales, tenue d'une conférence ouvrière commune).
Chacune de ces propositions demande évidemment à être discutée et précisée. Nous sommes prêts à aborder le problème des municipales dans l'esprit que nous avons défini au début de cet article. Nous sommes prêts à envisager une presse commune, tout en réservant notre réponse sur la question de savoir si la formule qui convient est bien celle d'un supplément aux organes des deux groupes ou autre chose. Mais nous ne pouvons qu'être d'accord pour reprendre les tentatives unitaires là où la LCR les a abandonnées il y a trois ans.
Et si nous avons bien compris, et si les mots ont un sens, celui de la proposition du Secrétariat Unifié est d'entamer les discussions tant sur le plan national avec la LCR que sur le plan international avec le SU afin de voir si une collaboration ou une unification est possible, quelle collaboration ou quelle unification ? Sur quels points et sur quelles bases ?
A cette proposition nous sommes prêts à répondre positivement.
Que personne ne s'y méprenne cependant.
Notre volonté unitaire ne nous amènera en aucun cas à cacher les divergences bien réelles que nous avons avec le SU et la LCR. Rechercher l'unité doit signifier chercher à faire en commun tout ce qu'il est possible de faire sur la base de nos accords, sans exciper de désaccords sur d'autres points pourempêcher ce travail en commun. Cela ne signifie pas taire nos divergences. Nous ne cherchons pas une de ces fusions sans principe ou sous prétexte d'unité on cache soigneusement ses divergences. Parallèlement au fractionnalisme, le mouvement trotskyste a trop connu de ces réunifications de façade qui voilent les problèmes au lieu d'aider à les résoudre et préparent ainsi de nouvelles scissions.
Par ailleurs, s'il s'avérait que la volonté unitaire de la LCR et du SU était purement circonstancielle, il est évident que le rapprochement n'irait pas loin et connaîtrait sans doute le sort des tentatives du passé. Par exemple, si ces propositions n'avaient qu'un but dérisoirement électoraliste. Ou encore si certaines supputations parues dans certaine presse de gauche sur une crise interne dans la LCR étaient exactes, si c'était dans le seul but de résoudre celle-ci par on ne sait quelle mystérieuse manoeuvre, que ces propositions étaient faites. De toute façon, Lutte Ouvrière et le mouvement trotskyste ne risquent rien, sinon, au pire, d'être ramenés à la situation d'aujourd'hui.
Nous sommes donc prêts à explorer avec la Ligue Communiste et avec le Secrétariat Unifié les possibilités d'unité, à débattre de nos divergences et de nos accords, à voir sur la base de ces derniers ce que nous pouvons faire en commun dès maintenant, à débattre des voies et des moyens de construire un parti ouvrier trotskyste en France et de reconstruire la Quatrième Internationale.
De toute manière nous sommes certains que tôt ou tard le mouvement trotskyste devra bien regarder la situation en face et donner une réponse sérieuse à ce problème de l'unité comme à un certain nombre d'autres d'ailleurs.
S'il ne le faisait pas, cela n'empêcherait certainement pas, tôt ou tard, la constitution d'un parti révolutionnaire en France et la reconstruction d'une véritable Internationale révolutionnaire. La croissance d'une tendance comme celle de Lutte Ouvrière, l'implantation qu'elle a su acquérir dans la classe ouvrière, alors que la politique du reste du mouvement trotskyste l'amenait à militer et travailler indépendamment de tout le reste de ce mouvement, en est une petite preuve.
Mais cela rallongerait probablement les délais. Ce n'est certes ni l'intérêt de la classe ouvrière, ni celui du mouvement trotskyste.