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Dictature et démocratie prolétariennes
En abandonnant la référence à la dictature du prolétariat, le Parti Communiste Français affirme, (en fait réaffirme) que la gauche, si elle devient majoritaire dans le pays, peut transformer la société bourgeoise dans un sens socialiste et la conduire graduellement, par voie de réformes, jusqu'à un point de non retour à partir duquel ce sera la marche triomphale vers le socialisme.
Cette démarche n'est évidemment pas nouvelle, c'est celle de tous les réformistes. Elle traduit l'adaptation et l'intégration du mouvement ouvrier à la société bourgeoise et à ses formes de démocratie. Elle spécule sur les sentiments légitimes des travailleurs qui ne souhaitent ni violence ni dictature et surtout sur leur méconnaissance des rouages de la société capitaliste et de ce qui se cache derrière la démocratie formelle affichée, que la politique du PCF avait d'ailleurs largement contribué à leur cacher.
En apparence, elle est réaliste, économique, raisonnable. Aux dernières élections présidentielles, le candidat de la gauche unie a obtenu plus de 49 % des voix. Un léger, très léger, déplacement des électeurs vers le camp de la gauche, et très démocratiquement, très légitimement, la gauche unie en la personne de Mitterrand s'installait aux commandes de l'État. Il s'agit donc pour les partis du programme commun de gagner ces quelques électeurs qui rendraient, selon le PCF, tout possible.
Et il est vrai que les institutions de la ve république qui laissent au suffrage universel le soin d'élire le président de la république - c'est-à-dire le chef de l'exécutif - peuvent formellement permettre à un candidat de gauche et pourquoi pas à un candidat communiste d'être élu. rien ne s'y oppose. comme les institutions de toute république parlementaire bourgeoise permettent aux partis ouvriers de se présenter et même d'avoir des élus, siégeant à la chambre aux côtés des bourgeois, si les électeurs ont en nombre suffisant voté pour eux. dans la forme, il suffit en effet aux partis qui se disent socialistes, ou partisans du socialisme, d'avoir la majorité pour se retrouver au pouvoir.
Bien entendu, la bourgeoisie et son personnel politique, tous ceux qui ont adopté ces institutions et choisi ces règles démocratiques ne l'ignorent pas. Cela fait partie des risques. Mais à tout prendre, ces risques leur semblent mineurs par rapport aux avantages qu'ils tirent du système.
Or le système parlementaire est celui qui assure aux bourgeois le maximum de liberté et de confort. Celui qui leur permet de continuer à maintenir leur domination sur les autres classes de la société et leurs richesses par l'exploitation des travailleurs, et tout cela sous les apparences agréables d'une démocratie, où tout un chacun peut donner librement son opinion, critiquer, se réunir avec ses compagnons d'idées, manifester, fonder un journal, lire les livres et voir les films de son choix, etc.
Cette liberté qu'affectionnent les bourgeois, apparemment tout le monde en profite ou, en tout cas, peut en profiter, à condition d'en avoir les moyens. C'est évidemment là le fond du problème, le droit est le même pour tous, mais l'usage du droit dépend de la fortune, de la culture. Aussi l'inégalité sociale vient dans la pratique rectifier l'égalité des droits : la démocratie pour tous devient à l'usage la démocratie pour les privilégiés.
La bourgeoisie le sait bien et parce qu'elle possède la richesse, la puissance et la culture, elle ne craint pas une démocratie qu'elle a les moyens de fausser, comme elle a les moyens de fabriquer l'opinion, et d'imposer ses idées et ses hommes, sans recourir à la violence ou à la fraude - même si c'est parfois nécessaire - simplement en profitant de la position dominante qu'elle occupe. Elle a même la possibilité de corrompre une partie du mouvement ouvrier en lui permettant d'occuper des positions et des postes dans le caere même du système.
Bien entendu, il s'agit là de garanties fondamentales mais qui peuvent se révéler parfois insuffisantes. Pour dominer et contrôler le jeu démocratique, la bourgeoisie dispose encore d'autres moyens et d'autres artifices. D'abord, tout le monde n'a pas le droit de vote dans un pays comme la France, trois millions de travailleurs émigrés et leur famille n'ont pas le droit de vote. Et il a fallu attendre 1975 pour que les jeunes de plus de 18 ans puissent voter. Il y a surtout la loi électorale qui permet de modifier les circonscriptions, celles-ci habilement découpées permettront d'équilibrer tel électorat ouvrier de banlieue avec les voix plus traditionnelles de l'électorat paysan ou citadin. A chaque veille d'élections on voit le ministère de l'Intérieur procéder fébrilement à de tels découpage. En ce moment Poniatowski vient de préparer les cantonales de cette façon. La loi électorale permet aussi de déterminer les conditions de scrutin. Quasiment aucune constitution ne reconnaît pour l'élection au Parlement la règle de la proportionnelle intégrale. En France, c'est le scrutin majoritaire à deux tours qui est en place. C'est un mode de scrutin qui favorise la formation majoritaire. En effet, un parti obtenant 49 % des suffrages au deuxième tour dans toutes les circonscriptions pourrait n'avoir aucun élu, et bien que représentant 49 % du corps électoral se trouverait quand même écarté de la Chambre. Il s'agit bien sûr d'une hypothèse, mais elle illustre une réalité : la sous-représentation des opposants au Parlement. Cette sous-représentation de l'opposition est l'une des tâches des hommes politiques bourgeois qui travaillent à la loi électorale. C'est ainsi qu'aux dernières législatives en France, on peut calculer qu'il fallait en moyenne 69 569 voix pour élire un député communiste alors que les députés de la majorité se contentaient de la moyenne de 32 858 voix.
Enfin la bourgeoisie dispose d'hommes et de partis qui lui sont dévoués et qui, pour faire barrage aux partis ouvriers, acceptent de s'entendre, voire de s'effacer, contre tel ou tel concurrent de la majorité. Le candidat de la droite ou du centre qui, par son entêtement à se présenter ou à se maintenir, diviserait les voix de l'électorat bourgeois au point de favoriser le candidat communiste, se verrait rejeté par ses collègues et sa carrière politique serait nettement compromise. Il en est évidemment de même au niveau de partis tout entiers. Les hommes qui composent les différents partis de la bourgeoisie et représentent parfois des politiques différentes, en tout cas des équipes différentes, savent parfaitement dans quelle mesure ils peuvent se concurrencer et quels sont les coups autorisés. Ils savent aussi ce qu'il leur est moralement et politiquement interdit de faire. La succession de Pompidou a mis en avant un grand nombre de candidats de droite, mais au second tour, face à un candidat de la gauche pourtant familier du pouvoir, et issu du camp même de la bourgeoisie, Giscard a été le candidat de la droite unie sans même un programme commun, et tous ses rivaux du premier tour ont appelé à voter pour lui.
En jouant sur les mécanismes électoraux, en comptant sur le sens de classe des parti bourgeois quand cela est nécessaire, en favorisant ce sens de classe par des accord plus ou moins officiels de redistribution de sièges et de postes gouvernementaux, la bourgeoisie, qui bénéficie déjà de sa position dominante dans la société, dispose donc en outre de toute une série de moyens susceptibles d'influencer le scrutin et de se prémunir contre ses résultats.
Il est arrivé pourtant, et il peut arriver encore, que dans certaines périodes de crises sociales et politiques, ces moyens se soient avérés insuffisants ; la volonté de changement des masses se traduit alors par un déplacement des voix qui rend la gauche majoritaire. Il s'agit toujours de circonstances exceptionnelles qui entraînent une partie de l'électorat à s'émanciper de la tutelle traditionnelle de la droite, de ses promesses et de ses artifices pour se tourner vers la gauche et son programme.
La question est de savoir ce que fait alors la bourgeoisie, si elle accepte ou non le verdict électoral populaire. Ce n'est pas une question théorique. Elle s'est déjà posée dans l'histoire à plusieurs reprises et encore récemment.
En février 1936, les élections avaient entraîné la victoire du Front Populaire en Espagne. Quelques mois plus tard, le 18 juillet de la même année, une partie de l'armée se soulevait et plongeait le pays dans une guerre civile qui devait se terminer par la victoire de Franco et le massacre de toute la gauche espagnole. Derrière Franco, il y avait évidemment les grands propriétaires, les possédants, les banques, l'Église, toute la haute bourgeoisie espagnole, qui n'avaient que faire de la « volonté du peuple » telle qu'elle s'était exprimée par les élections.
Au Guatemala en 1954, à Saint-Domingue en 1965, c'est encore l'armée (appuyée par les USA) qui renverse le gouvernement de gauche, élu démocratiquement. En Indonésie la même année, en Grèce en 1967, même chose, mais c'est juste la veille des élections que les colonels sont intervenus. Au Chili, il y a moins de trois ans, ce fut encore la même chose.
Les élections, c'est traditionnellement pour la bourgeoisie, le moyen de faire approuver tous les quatre ou cinq ans sa politique par l'ensemble de la nation. C'est le moyen d'amener les exploités à consentir au maintien de leur exploitation et de leur oppression, au nom de la volonté générale et de la démocratie. Mais quand il se trouve que la volonté générale ne va pas dans le sens des intérêts de la bourgeoisie, eh bien la bourgeoisie sait fort bien se passer de l'assentiment général, et de la caution démocratique. Ses appareils de répression, armée et police, lui permettent à coup sûr d'imposer sa propre volonté. Derrière la plus démocratique des républiques bourgeoises, il y a toujours ces bandes armées, véritables instruments du pouvoir qui garantissent, par la force, ce que la puissance sociale et l'argent n'ont pas su garantir par les moyens de propagande traditionnelle.
Les bourgeois ne respectent la démocratie que lorsqu'elle va dans leur sens. Si elle s'oppose à eux, ils la renversent sans aucun scrupules légalistes et pacifistes. C'est dire que pour eux la démocratie parlementaire n'est qu'une façade derrière laquelle se dissimulent les instruments de leur domination de classe, de leur dictature : la force brutale. C'est pour cela que les marxistes disent que la plus démocratique des républiques bourgeoises est en fait une dictature, celle de la bourgeoisie.
L'emploi de cette force n'est pas toujours nécessaire, mais cette force est toujours là, en réserve, prête à servir.
En France en 1936, la bourgeoisie a accepté le verdict des élections. Elle a accepté que le Front Populaire amène au pouvoir le socialiste Blum. Elle a tenté cette expérience en se réservant tous les moyens d'intervenir, Elle n'en a pas eu besoin. Le socialiste Léon Blum a été, comme il l'a proclamé fièrement lui-même, « un gérant loyal du capitalisme ».
Il s'est incliné devant le « mur d'argent » que la bourgeoisie lui opposait, il n'a pas touché à la domination bourgeoise pour défendre les travailleurs et rester au pouvoir. Il a été renversé par la même Chambre élue en 1936, la même qui a fait emprisonner les députés communistes, la même qui a élu Pétain. Les quarante heures, les congés payés n'ont été que les fruits de la mobilisation ouvrière. Loin d'être les premières conquêtes d'une bataille conduisant au socialisme, les victoires de Juin 36 ont été le sous-produit d'une montée ouvrière contenue et finalenient stoppée. La Chambre élue, la Chambre du Front Populaire, n'a pas mené au socialisme, elle a mené directement à Pétain et au régime de Vichy. Les socialistes au pouvoir ont permis à la bourgeoisie de traverser la période difficile qui devait conduire à la guerre mondiale. La bourgeoisie a su et pu utiliser les socialistes à son profit, c'est pourquoi elle a relativement peu utilisé la violence en ces circonstances. Mais la règle demeure.
De la même façon, un peu plus tard, de 1944 à 1947 la bourgeoisie française a pu et su utiliser, avec leur consentement bien sûr, les socialistes et les communistes au gouvernement. Et là encore, trois années de gouvernement « de gauche » n'ont pas conduit au socialisme, elles ont conduit au limogeage piteux des ministres communistes pressés de choisir entre les grévistes et la solidarité gouvernementale. Elle a conduit par la suite les socialistes à accepter d'user tout leur prestige et leur capital de confiance dans les combinaisons sans gloire avec les partis de droite, dans plusieurs gouvernements successifs de la IVe République.
Non, la bourgeoisie ne courait aucun danger pour sa domination dans la participation de ces hommes-là à la direction des affaires nationales. A aucun moment, ni de près, ni de loin, ils n'avaient tenté de porter la main sur la propriété. Les quelques nationalisations intervenues au lendemain de la Libération avaient été le fait de De Gaulle et non des prétendus marxistes au gouvernement.
Et quand les réformistes ne sont pas domestiqués ou quand ils le sont moins quand ils continuent à susciter malgré eu ; des illusions et des espérances, quand ils essaient même timidement d'entreprendre quelques réformes pourtant simplement démocratiques, ils sont alors rappelés à l'ordre par la bourgeoisie, chassés du gouvernement, voire massacrés comme on l'a vu au chili. allende n'avait pas trouvé une voie chilienne vers le socialisme, mais il avait entrepris une timide réforme agraire et avait du mal à contenir les occupations spontanées de la terre par les paysans, comme il avait du mal à faire maintenir la pression sur les salaires. pinochet, l'impérialisme américain, toute ta bourgeoisie chilienne ont décidé d'arrêter là l'expérience réformiste, impuissante à contenir le mouvement revendicatif des masses. cela s'est terminé par la prise du palais de la moncada, l'assassinat d'allende et un massacre sans précédent du mouvement ouvrier organisé chilien.
Si la bourgeoisie a pu mener cette entreprise à bien, c'est parce que jamais elle n'avait désarmé, parce qu'elle avait gardé intactes toutes ses possibilités d'intervention. Les armes à la main, elle surveillait le gouvernement Allende.
Voilà où peut mener la voie démocratique électorale, le respect de la démocratie : dans le meilleur des cas à une domestication complète des dirigeants réformistes qui agissent en serviteurs de la bourgeoisie, dans le pire des cas, au renvoi et au massacre. Dans le premier cas il n'est plus question même en paroles de socialisme, dans le deuxième la bourgeoisie répond par les armes à toute velléité réformatrice. Elle ne tolère les réformistes au pouvoir que dans la mesure où ils servent ses intérêts et tant qu'ils peuvent lui être utiles.
Dans ces conditions, dire que la dictature du prolétariat n'est plus nécessaire, affirmer sa confiance dans la voie électorale et la démocratie, c'est en fin de compte laisser à la bourgeoisie tous les instruments de sa dictature. C'est évidemment renoncer au socialisme, c'est même renoncer aux libertés pour tous. C'est laisser la liberté aux bourgeois, et seulement l'illusion de la liberté aux travailleurs en les invitant à s'en contenter, voire en leur faisant tirer dessus comme Blum à Clichy en 1937.
Marchais le fait au nom de la démocratie et de la défense des libertés.
Mais c'est précisément pour assurer la défense des libertés et le respect de la démoratie qu'il y a besoin de la dictature du prlétariat. Car tant que les armes resteront entre les mains de la bourgeoisie, il n'y a aucune marche au socialisme possible, et la seule liberté qui reste, c'est la liberté surveillée par les colonels de la bourgeoisie.
Enlever ses armes à la bourgeoisie, supprimer tous les corps de répression permanents, armer le prolétariat, voilà ce que c'est que la dictature du prolétariat.
Ce n'est pas une façon de gouverner. C'est une façon de garantir le fonctionnement démocratique du gouvernement. Car le gouvernernent de la société, directement issu de la révolution, sera forcément démocratique.
Toutes les libertés que donne la bourgeoisie dans ces formes républicaines de gouvernement, le pouvoir ouvrier les donnera : liberté d'opinion, de presse, d'association, de réunion, de culte, de manifestation, etc. Seule différence, il les donnera dans la pratique à tous en mettant à la disposition de tous les moyens qui permettent l'usage de ces droits.
Qu'il y ait des individus hostiles au nouveau régime, qui le disent et qui désirent le faire savoir, qu'il y ait des journaux défendant le retour au système capitaliste, en quoi cela pourrait-il gêner le nouveau pouvoir ? La révolution, en ôtant aux capitalistes la propriété de tous les grands moyens de production, en désarmant et supprimant tous les corps permanents de répression, armée, police, préfets, aura tari du même coup la source des profits pour les capitalistes, éliminé les racines de leur puissance sociale et réduit leur force à eux-mêmes en les privant de leurs défenseurs appointés. Devenus simples citoyens comme les autres, sans plus ni moins de droits, ils conserveront sans doute dans l'immédiat l'avantage que donne la culture, et aussi la richesse personnelle, car même exproprié sans indemnité, ni rachat de ses usines, un patron reste le plus souvent à la tête de biens personnels importants, mais ce sera la tâche du nouveau pouvoir que de veiller à ce que cette inégalité de fortune ne vienne pas, comme sous l'ancien régime, fausser le jeu de la démocratie. C'est pourquoi les locaux, les salles de réunion, les grandes entreprises de presse et d'imprimerie, la production de papier et d'encre, seront évidemment nationalisés et mis à la disposition de tous les citoyens selon des critères infiniment plus démocratiques que ceux qui font aujourd'hui la sélection et qui se résument en un seul mot : l'argent.
Sous le nouveau pouvoir, toute fraction de la population qui désirera fonder un organe de presse - et l'on peut déterminer un quota numérique garantissant une large représentativité - pourrait disposer, en payant bien sûr, des moyens d'impression nationalisés. Elle pourrait s'organiser en coopérative pour financer l'utilisation des presses. Ensuite, c'est le public qui fera ou non vivre le journal.
La survie du journal ne dépendrait ni de la publicité payante avec tout ce que cela comporte de soumission aux commanditaires - la publicité serait d'ailleurs elle aussi indépendante des puissances d'argent - ni bien sûr des ressources d'un propriétaire particulier comme c'est le cas aujourd'hui avec boussac ou dassault, prouvost ou hersant. elle dépendrait uniquement de l'attachement des lecteurs et de la représentativité du groupe de coopérateurs à l'origine du titre.
Cela n'éliminerait pas la presse défendant les idéaux de la bourgeoisie et exposant ses récriminations ? Mais ce n'est pas le but de la dictature du prolétariat. Son but est au contraire, de faire respecter la plus large démocratie pour tous y compris pour les anciens possédants. Son but est de permettre le passage à un type de société sans classe et donc sans État, où la liberté de chacun n'aurait d'autre limite que le bien-être de tous. Bien sûr, l'instauration d'une telle société vraiment socialiste ne se fera ni d'un seul coup, ni dans un seul pays, puisque cela suppose la mise en commun de toutes les ressources productives mondiales et leur utilisation rationnelle au service de toute la communauté humaine.
Et la marche vers le socialisme dépendra, certes du rythme de la révolution mondiale, mais dans les pays où la révolution sera faite, elle dépendra d'abord et surtout de la conscience et de l'adhésion de la population à chaque étape. On n'impose pas le socialisme.
La tourmente révolutionnaire passée, la progression de la société vers un autre type d'organisation sociale se fera dans le respect des règles démocratiques. Il ne saurait être question d'entreprendre quelque transformation que ce soit engageant des masses entières de la population, sans son assentiment ou du moins sans l'assentiment de la majorité. A ce titre, la collectivisation forcée en URSS ou la création imposée des fameuses communes chinoises, ne sont évidemment pas des mesures socialistes, elles relèvent au contraire des méthodes résolument anti-socialistes. Non seulement l'instauration du socialisme suppose l'adhésion de la population mais elle suppose, et c'est déterminant, sa participation.
Et c'est là que la dictature du prolétariat montrera sa supériorité en matière de démocratie sur toutes les autres formes de régimes bourgeois. Car le pouvoir sera décentralisé au maximum. La nécessité d'une rationalisation au niveau du pays, d'une planification des ressources et de la définition de grandes options intéressant toute la collectivité, n'est absolument pas antagonique avec le fait de donner aux collectivités locales le maximum de pouvoir de décision en tout ce qui les concerne directement et localement. La dictature du prolétariat mettra l'État à la portée de tous. Tous les citoyens d'une commune ou d'une ville donnée auront accès au contrôle de tout ce qui concerne la collectivité - hôpitaux, commissariats, tribunaux, écoles, centres culturels, marchés de construction, les routes, etc... Il n'y aura plus de secret commercial ou de secret de l'instruction, ou de secret d'État, tout se passera comme dans une maison de verre. Les décisions seront prises et débattues au niveau où elles seront appliquées et où elles concernent les citoyens, et non par un pouvoir central éloigné où les informations n'arrivent que filtrées et déformées par toute une série d'intermédiaires avides, serviles et souvent corrompus, comme c'est le cas aujourd'hui.
Quant au pouvoir central, il sera lui aussi le reflet le plus direct et le plus vivant possible de la volonté populaire. Il sera comme tous les autres responsables élu et révocable.
Cette forme démocratique qui n'existe nulle part au monde aujourd'hui, sera très précisément garantie par la dictature du prolétariat, c'est-à-dire par les armes dans les mains du prolétariat. Le prolétariat en armes veillera sur la démocratie, pour la défendre contre les éventuels agissements d'une minorité - les anciens exploiteurs - qui voudrait par la violence revenir à l'ancienne société. Il n'y aura pas d'autres armes et pas d'autre force que celle du prolétariat armé au service du socialisme. Et le prolétariat ne fera usage de sa force, de ses armes que contre ceux qui voudraient ruiner le nouveau régime, la nouvelle démocratie, ou la renverser au profit du vieil ordre bourgeois.
La plus démocratique des républiques bourgeoises démocratiques donne les libertés à tous (même si elle restreint leur utilisation par le jeu de l'argent) mais elle laisse toujours à ses mercenaires en armes le soin de veiller par la force à ce que ces libertés ne se retournent pas contre elle.
Eh bien, la république ouvrière socialiste donnera de même les libertés, toutes les libertés, à tous, mais elle chargera le prolétariat en armes de veiller à ce que l'usage de ces libertés ne se retourne pas contre les intérêts de la majorité de la population. c'est cela que les marxistes entendent par dictature du prolétariat.
Y renoncer, c'est renoncer au socialisme, et c'est, bien souvent, conduire la classe ouvrière au massacre et à la dictature des militaires.