Chirac en campagne : de l'hôtel de ville a l'Élysée01/02/19771977Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Chirac en campagne : de l'hôtel de ville a l'Élysée

 

er janvier, le pseudo-barrage officiel du « blocage des prix », et la hausse se donne dès à présent libre cours, malgré les diverses tentatives du Premier ministre pour la masquer.

Dans une situation qui exigerait plus que jamais une contre-offensive résolue de la part de la classe ouvrière, c'est au contraire à des échéances électorales que la vie politique tout entière est suspendue. Les élections municipales toutes proches peuvent à première vue sembler pourtant une occasion bien mince, et d'une importance somme toute essentiellement locale. Mais les partis politiques de droite, et avant tout le R.P.R. lancé par Jacques Chirac le 5 décembre dernier, en ont fait par leurs initiatives une sorte de banc d'essai des calculs et des ambitions des hommes politiques pour toute la période à venir. La mairie de la capitale récemment créée était certes déjà à la fin de l'année dernière l'objet d'âpres rivalités entre les gaullistes amis de Chirac et les Républicains Indépendants de Giscard. Mais en se présentant en personne pour mener les listes électorales du R.P.R., briguant ainsi le poste de maire de Paris, Jacques Chirac a donné carrément à ces élections municipales une dimension politique nouvelle.

Derrière cette ambition toute neuve du député de la Corrèze, ce sont en réalité ses ambitions présidentielles qui se dessinent, au-delà même des élections législatives générales prévues normalement pour 1978. C'est le président Giscard d'Estaing qu'il défie de la sorte personnellement. Et même si celui-ci tente d'apparaître dans cette affaire comme au-dessus de la mêlée, et non personnellement visé, ses amis politiques Républicains Indépendants ont réagi à l'initiative de Chirac d'une manière tellement vive qu'aucun doute n'est possible : nous sommes entrés en France dans une ère préélectorale qui normalement devrait durer au moins jusqu'aux élections législatives.

Depuis qu'en démissionnant de son poste de Premier ministre en août dernier Chirac était entré en dissidence, il a toujours conservé l'initiative sur le plan politique, et on a l'impression d'assister au développement d'une offensive soigneusement calculée. A la rentrée des vacances, au mois d'octobre, Chirac annonçait clairement son intention de camper désormais sur une position de soutien critique vis-à-vis du gouvernement, et de relancer le parti gaulliste, qui s'appelait encore l'UDR, en tentant de lui donner un nouveau souffle. Les résultats des élections législatives partielles sont venus très vite confirmer que dans l'électorat de la majorité, c'est-à-dire la bourgeoisie, grande et petite, cette tactique était payante. Quelques mois de fronde chiraquienne avaient suffi pour que cette initiative ait le vent en poupe, du moins par rapport aux alliés et néanmoins rivaux Républicains Indépendants. Dès lors, c'est dans un style conquérant que Chirac pouvait, au début du mois de décembre, lancer son Rassemblement Pour la République (R.P.R.), et se poser comme un leader de plus en plus efficace pour l'ensemble de la droite, une nouvelle sorte de sauveur suprême face au péril incarné par « l'alliance socialo-communiste », comme il appelle l'Union de la Gauche.

La mairie de Paris devint alors l'enjeu d'une compétition plus ou moins discrète entre les frères ennemis de la majorité présidentielle. Plus que toute autre en France, elle représente un instrument de pouvoir considérable, la source d'un nombre important de postes et de sinécures, de moyens de pression et de possibilités de carrières, un mini-État dans l'État. Le Conseil de Paris est depuis plus de 15 ans un fief gaulliste, et c'est le gouvernement, sinon Giscard lui-même, qui déclencha les hostilités sur ce terrain en tentant d'imposer un ministre giscardien, d'Ornano, comme le leader des listes de la majorité, en vue des élections pour cette mairie.

Mais tant que ce que l'on a appelé la « bataille de Paris » ne s'est livrée qu'entre ce candidat et le prétendant gaulliste parisien, les choses ne pouvaient prendre l'ampleur que vient de leur donner Chirac en annonçant, le 19 janvier, sa décision de lancer soi-même le gant dans un défi spectaculaire au Président de la République. Le nouveau bond en avant que ce geste représente, dans l'escalade entreprise par l'ancien Premier ministre a déclenché entre les partenaires de la majorité une véritable épreuve de force, dont Chirac est sorti une nouvelle fois vainqueur.

Le Président ne dispose en effet de pratiquement aucune liberté de manoeuvre. il n'a pu qu'entériner la division de sa majorité et, faisant de nécessité vertu, affecter d'en prendre son parti. mais lorsque le « pluralisme » est devenu ouvertement « discorde », selon ses propres termes, il n'a rien pu de plus que faire essuyer par son actuel premier ministre, raymond barre, les rebuffades que chirac, plus que jamais à l'offensive, ne lui a pas ménagées.

Alors, on peut bien sûr se demander si ce dernier, qui mène le jeu, prévoit dans ses plans de déclencher délibérément, à bref délai, une crise politique telle qu'elle rende nécessaire le recours à des élections législatives avant la date normale ?

L'objectif officiel de toute l'opération est de faire barrage aux progrès constants de l'Union de la Gauche. Son problème est de renforcer la droite, de lui redonner par une contre-attaque vigoureuse une chance de battre l'Union de la Gauche aux élections, en rassemblant un électorat mécontent de l'action gouvernementale, inquiet devant la crise économique, sans pour autant endosser l'impopularité du plan d'austérité. Qu'il n'y ait derrière toute l'affaire aucune divergence de programme, c'est ce qu'a encore illustré d'Ornano en reprenant sans vergogne le programme municipal qui était celui des gaullistes du Conseil de Paris.

Mais en diversifiant son style, en offrant plusieurs cartes à jouer, la droite ne se donne-t-elle pas ainsi le maximum de chances de faire le plein de ses voix, et même éventuellement de séduire plus à sa gauche ? En vue des législatives, c'est certainement un calcul que ces hommes politiques ont fait, et, de ce point de vue, les élections municipales seront un test, une nouvelle occasion de vérifier l'efficacité politique de l'opération Chirac, et cela à une échelle plus significative que lors des partielles de l'automne dernier.

Du résultat des municipales dépend certainement dans une très large mesure le choix que pourrait faire Chirac de déclencher ou de ne pas déclencher une crise politique déclarée en France. En se mettant lui-même en cause, il n'hésite pas en tout cas à donner à ce test toute sa valeur, ce qui permettra d'en tirer des conclusions significatives.

Pour le moment en effet, malgré la vigueur des attaques successives de Chirac, celles-ci n'ont jamais atteint le point de rupture. Comme Giscard et ses partisans dans leurs réactions, il a su rester à chaque fois en dessous du seuil critique, et ses assauts ont été soigneusement pesés pour que la crise latente ne débouche sur une crise déclarée que lorsqu'il le jugera opportun, si toutefois il le juge un jour opportun. C'est une telle éventualité qu'il prépare, dans le cadre de laquelle il s'assure les moyens de jouer un rôle majeur, mais elle n'est pas encore là.

Il ne faut pas négliger non plus la nécessité dans laquelle se trouve Chirac depuis qu'il a lancé son R.P.R. de maintenir ses troupes en haleine. Lancer un mouvement politique ouvertement rival par rapport à celui du Président de la République plus d'un an avant les échéances législatives normales, simplement pour se démarquer de sa politique actuelle dictée par la crise économique, tout en affirmant en même temps soutenir le plan d'austérité, c'était une gageure ; et pour la tenir, il faut bien à son dirigeant trouver sans cesse l'aliment propre à l'animer et le garder sous pression pendant ce temps.

La compétition pour la mairie de Paris est ainsi un moyen de relancer l'activité chiraquienne en même temps qu'une occasion privilégiée d'en mesurer l'impact électoral.

Le Parti Communiste Français va répétant que, malgré les apparences, les divisions au sein de la majorité n'en sont pas ; qu'il ne s'agit dans toute cette affaire que d'une sorte de répartition des tâches entre Giscard et Chirac, délibérément créée et entretenue afin de mieux duper les travailleurs et l'ensemble de l'électorat.

Il est bien évident que Chirac en effet n'a rien à proposer qui soit fondamentalement différent de la politique gouvernementale actuelle. Face à la crise, la politique de la bourgeoisie ne peut pas consister à s'en prendre aux racines réelles du mal, mais uniquement à tenter de parer au plus pressé en faisant payer les travailleurs comme l'ensemble des couches populaires. A ce niveau-là, la solution de rechange que tente d'offrir Chirac est truquée à la base. Mais il n'est pas besoin d'imaginer une espèce de complot secret entre Giscard et Chirac visant à se partager le travail entre eux, pour expliquer l'apparition de discordes et de rivalités entre ces hommes politiques et le fait qu'ils en viennent à entrer en compétition, prenant même ainsi assurément des risques - par exemple de se voir pousser par leurs propres troupes plus loin qu'ils ne le voudraient peut-être eux-mêmes. Chacun d'entre eux joue son jeu propre, fondamentalement au service de la même classe et des mêmes intérêts sans aucun doute, mais sans que cela exclue le service des ambitions personnelles avant celui de leur propre État. Cela s'est vu bien des fois dans l'histoire des républiques parlementaires et, ce faisant, Chirac n'innove guère.

En réalité, le Parti Communiste Français a à craindre que l'opération Chirac n'ait des retombées sur la politique de son allié du Programme Commun, le Parti Socialiste. Celui-ci peut voir dans la nouvelle combinaison politique française plus d'avantages du côté des centristes par exemple, et envisager du côté d'une nouvelle coalition de meilleures chances pour lui d'accéder à la direction des affaires. Actuellement, nous n'en sommes pas là, et les dirigeants socialistes ont donné de nouvelles assurances à leurs partenaires. Mais le PCF ne peut qu'être sensible sur ce point, car toute nouvelle combinaison le retrouverait à coup sûr dans le rôle du dindon de la farce.

Si, de son côté, chirac a orienté toute son action en vue de battre la gauche aux élections, giscard, lui, s'est placé dans l'autre éventualité.

Il n'hésite pas à évoquer la possibilité d'une victoire de cette gauche, déclarant que dans une telle situation il resterait à son poste jusqu'au terme de son mandat présidentiel. A l'hypothèse d'un Mitterrand chef du gouvernement sous la présidence de Giscard, le PS a pour sa part répondu « oui » de manière plus nette que jamais par la bouche de Gaston Defferre. Le jeu de Giscard dans ce cadre-là reste discret. Mais une aggravation de la crise dans les mois qui viennent peut précipiter les choses dans ce sens, et bien que Giscard ait jusqu'à présent déclaré qu'il n'était pas partisan d'anticiper les élections, il peut se trouver placé devant le recours à une telle solution.

Dans une pareille hypothèse, Giscard à la tête du pays avec un gouvernement socialiste, n'excluant d'ailleurs pas forcément une participation du PCF au gouvernement, Chirac et ses amis se trouveraient alors en position pour se mettre en réserve vis-à-vis de l'électorat bourgeois. Ils pourraient espérer récolter les fruits d'une politique d'opposition, et cela dans la perspective de la campagne présidentielle. Chirac a-t-il intégré ce calcul dans ses plans actuels, rien en fait ne permet de le dire, et il semble bien plutôt miser sur une victoire sur la gauche. Mais cela n'est cependant pas impossible car les deux hypothèses ne s'excluent nullement l'une l'autre.

Ainsi, l'ensemble de la droite française vit suspendue au rythme des secousses pré-électorales que lui infligent les initiatives de Jacques Chirac. Mais c'est aussi le cas des partis de la gauche officielle, dont toute la politique se place également dans des perspectives électorales, leur subordonnant le sort de la classe ouvrière.

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