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Après le congrès de la LCR
Aussi bien dans les thèses préparatoires au Congrès que dans les articles qui les commentent dans Rouge, les dirigeants de la LCR emploient délibérément le terme de crise à propos de leur organisation. Selon eux, la LCR connaîtrait une « crise politique et organisationnelle » (extraits des thèses sur la construction de la LCR, Rouge du 8 février 1977). Il est évidemment bien difficile d'apprécier de l'extérieur l'importance de cette crise ou même sa réalité, d'autant plus que la publication annoncée des différentes thèses n'est prévue que dans quelques semaines. C'est donc au travers de ce que la LCR a rendu public dans son quotidien que l'on peut essayer de comprendre dans quels termes se pose le problème.
Sous le titre : « Un congrès difficile », Bensaïd propose une explication :
« La crise de la Ligue est tout à fait différente de celle qu'a connue Lotta Continua après l'échec électoral du 20 juin 1976. Elle n'est pas, dans notre cas, le contrecoup d'une défaite, mais plutôt l'effet d'érosion d'une attente prolongée, où notre trop faible implantation ne nous permet pas de faire sauter les verrous. Nulle campagne centrale, nulle initiative spectaculaire de notre part n'est susceptible de bousculer les rythmes établis par les partis réformistes. Dans ces conditions, on assiste à une extrême différenciation des niveaux de conscience et de combativité dans la classe ouvrière et entre les diverses couches qui entrent en lutte. Sentant son impuissance temporaire, l'organisation réagit en voulant garder le contact avec le concret, ce qui se traduit en partie par des replis localistes, des théorisations partielles et tendanciellement par une conception fédérative de l'organisation révolutionnaire elle-même qui serait ainsi plus à même de coller à la vie ».
Cette explication relie les difficultés actuelles de la Ligue aux difficultés de la situation objective, situation caractérisée par la domination des partis réformistes et la faible implantation des révolutionnaires. On retrouve là un mode de raisonnement caractéristique des organisations de la IVe Internationale qui ont toujours justifié les aléas de leur vie organisationnelle par des retournements, des développements, des accélérations ou des ralentissements de la situation politique générale. Explications commodes qui permettent d'ailleurs généralement après coup de découvrir dans la période des rythmes et des paliers tout à fait artificiels. Mais explications qui ne rendent pas compte de la réalité, car les difficultés de la situation objective devraient jouer pour toutes les organisations révolutionnaires et, selon le raisonnement de Bensaïd, on devrait retrouver une tendance à l'éclatement et au fédéralisme dans toutes les organisations. Il n'en est rien évidemment Et la crise de la LCR, si crise il y a, n'est pas la crise de l'extrême-gauche et en tout cas n'affecte nullement Lutte Ouvrière.
En fait, derrière cette explication de la crise de la LCR par les difficultés de la situation objective, on trouve l'une des divergences fondamentales que nous avons avec cette organisation. Il est vrai bien sûr que les circonstances politiques peuvent influer sur le recrutement du parti ou de l'organisation révolutionnaire en élargissant ou en rétrécissant son audience. Il est vrai que l'organisation, selon les périodes, peut se retrouver, même avec une politique juste, à contre-courant des idées ou des sentiments dominants dans la classe ouvrière, comme elle peut, en d'autres circonstances, se trouver en quelque sorte portée par la vague. C'est ainsi que les organisations d'extrême-gauche se sont nourries de Mai 68 et de ses effets sur la politisation d'une partie importante de la jeunesse. Il est vrai aussi que Mai 68 est loin maintenant, et que les organisations révolutionnaires en sont de plus en plus réduites dans leur recrutement à leurs propres efforts au travers de leurs propres activités. Mais si la situation politique générale peut jouer sur le rythme de développement d'une organisation, elle ne joue pas forcément sur son fonctionnement intérieur qui doit pouvoir résister aux aléas et aux reflux, et une organisation révolutionnaire doit par une politique organisationnelle appropriée se donner les moyens, quelle que soit la situation, de tenir et de construire pour pouvoir agir sur elle. Il n'y a pas de place pour le fatalisme dans la construction d'une organisation révolutionnaire, le parti n'est pas le résultat plus ou moins automatique et donc plus ou moins passif des développements d'une situation, avec ses hauts et ses bas.
Ce que nous reprochons à la Ligue, c'est précisément cet opportunisme politique et organisationnel qui l'amène à s'adapter, voire à adapter son fonctionnement, aux forces ou aux courants dominant dans son milieu.
La LCR se réclame des principes du léninisme dans son fonctionnement, mais elle ne tient pas compte de ce qui est la donnée fondamentale du léninisme, à savoir que l'on ne peut construire le parti ou l'organisation sans une politique organisationnelle. Cette politique dépend bien sûr de la période historique ; et par période, nous entendons tout autre chose que ces découpages incessants qui marquent une profusion de tournants, de sous-périodes et de changements dans l'analyse politique de la LCR. Or la période historique est caractérisée depuis les années trente par la coupure entre les idées révolutionnaires et le mouvement ouvrier. Cette coupure n'a pas été effacée par Mai 68, même si une partie - et une partie seulement - de la jeunesse ouvrière a regardé alors vers les révolutionnaires, car les révolutionnaires divisés n'ont pas été capables de créer le parti susceptible de les rassembler et de les mobiliser. Certes les révolutionnaires ne sont plus des inconnus dans la classe ouvrière, mais leur implantation, leur audience, leur crédibilité y sont encore très faibles. Et dans ce domaine, tout ou presque reste à faire, non pas en comptant seulement sur les développements prétendument objectifs de la période : « radicalisation de la classe ouvrière », « montée des luttes éventuellement consécutives à une victoire électorale de l'Union de la Gauche », etc... mais par une politique systématique d'implantation prioritaire, par une mobilisation de toutes les activités militantes pour la réalisation de cet objectif qui conditionne tous les autres.
La construction d'une organisation est une activité consciente qui correspond à des choix politiques. et de ces choix politiques découlent des choix organisationnels. construire une organisation prolétarienne révolutionnaire à une époque où les idées révolutionnaires sont surtout reçues dans une partie de la petite bourgeoisie intellectuelle, suppose l'adoption de mesures organisationnelles strictes, visant à orienter prioritairement l'activité de tous en direction de la classe ouvrière, activité politique, activité de recrutement, depropagande, de formation.
Il s'agit évidemment d'un travail de longue haleine qui n'a rien à voir avec ce que Bensaïd appelle des « campagnes centrales ou des initiatives spectaculaires susceptibles de bousculer les rythmes établis par les réformistes ». Et là encore apparaît clairement la façon dont la LCR conçoit la construction de l'organisation et son unité politique. Il y a quelques années, la LCR cherchait des mots d'ordre opératoires ; aujourd'hui, ce qui manifestement la désarçonne, c'est qu'aucune campagne centrale n'est susceptible de déborder les réformistes. Il s'agit toujours de la recherche de raccourcis pour construire et implanter l'organisation en milieu ouvrier. Faute de politique organisationnelle, la LCR cherche, ou ici déplore, l'impossibilité où elle est de trouver l'initiative qui lui permettrait d'influer sur la politique. La construction du parti est toujours considérée par elle comme le produit d'une série « d'initiatives politiques justes ».
Il est bien évident que pour construire le parti, il faut une politique juste et cette politique renforcera d'autant plus le parti que les circonstances politiques lui seront favorables, mais il faut avoir les moyens de cette politique et le moyen c'est précisément le parti. Ce n'est pas un cercle vicieux, les rapports entre la politique et la construction du parti sont évidemment des rapports dialectiques. Mais construire le parti, l'implanter dans la classe ouvrière suppose, avec une politique juste, c'est-à-dire des réponses politiques appropriées à la situation et au niveau de conscience des travailleurs, une philosophie organisationnelle, des méthodes rigoureuses, destinées à contrebalancer la pression petite-bourgeoise qui tire obstinément et en permanence l'organisation révolutionnaire vers le milieu où ses idées sont le mieux accueillies, c'est-à-dire dans les milieux extérieurs au prolétariat.
Cette priorité organisationnelle et politique correspond à un choix de classe. Elle suppose qu'une organisation qui vise avant tout à s'implanter dans la classe ouvrière, renonce à des activités, immédiatement plus rentables du point de vue du recrutement, dans les autres milieux. Un parti, un véritable parti ouvrier et reconnu comme tel par l'avant-garde ouvrière et la majorité des travailleurs, doit avoir une politique en direction d'autres couches sociales : étudiants, enseignants, paysans, etc. Mais une organisation qui se construit doit faire des choix politiques et organisationnels prioritaires sous peine de voir son activité se déporter sous la pression du milieu et de succès relatifs vers un milieu autre que la classe ouvrière.
Manifestement, malgré ses déclarations sur la nécessaire prolétarisation de l'organisation, la LCR ne se donne pas les moyens de le faire. Le congrès de la LCR a illustré au contraire la tendance à s'éparpiller dans tous les milieux, il a également illustré les effets et les dangers sur l'organisation de cette politique, sans entraîner en ce domaine le moindre redressement. Une conférence nationale sur les problèmes d'organisation doit se réunir dans quelques mois pour tenter de résoudre les problèmes mais, en attendant, la LCR renouvelle son orientation vers des milieux de travail disparates où la base de classe est plus qu'incertaine. Travail chez les étudiants, les enseignants, les soldats, travail local, travail dans les groupes femmes - bien sûr on met en avant les groupes femmes d'entreprise, mais sur la base de la localité combien sont les femmes travailleuses ? Et sur quoi porte l'essentiel des problèmes abordés ?
Toutes ces activités sont baptisées abusivement travail de masse et les regroupements auxquels elles donnent lieu, organisations de masse. En fait, sous prétexte de militer en direction de « l'avant-garde large » ou de « l'avant-garde ouvrière large » pour reprendre le vocabulaire de la LCR, ces camarades organisent ainsi pour l'essentiel leur propre milieu, leurs propres sympathisants. Ces pseudo-organisations de masse sont politiquement et organisationnellement souveraines. Et manifestement, au travers des différents textes publiés, il semble que les militants de la Ligue aient du mal à concilier la discipline qu'exige le fonctionnement centraliste démocratique de la LCR avec le respect de la « démocratie ouvrière » qui règle le fonctionnement des « organisations de masse ». Il faut dire qu'en l'absence des masses, ce sont à peu de choses près les mêmes militants ou leurs sympathisants qui se retrouvent dans ces organismes et dans la LCR, où ils doivent observer cependant des comportements organisationnels différents. On comprend la difficulté.
La définition du fonctionnement organisationnel de ces soi-disant organisations de masse a donc trouvé un écho à l'intérieur même de la lcr où le centralisme semble avoir été remis en cause par certains délégués des « groupes de travail ». le congrès a cependant réaffirmé le principe du centralisme démocratique mais il s'est engagé à « transformer notre système d'organisation pour répondre aux besoins de notre travail de masse ». ( rouge du 8 février, thèse sur la construction de la LCR).
Il est impossible de savoir comment se traduira concrètement cette formulation de congrès. Mais manifestement, par l'intermédiaire de ces pseudo organisations de masse, c'est le milieu petit-bourgeois qui fait pression sur l'organisation révolutionnaire et son fonctionnement. Et, pour l'instant du moins, la LCR semble vouloir s'adapter. Comme elle s'est adaptée en ce qui concerne la question féministe, en accordant aux femmes le droit de tenir des réunions internes : « Pour favoriser la discussion sur la reproduction de l'oppression et de la division des femmes dans nos rangs, ainsi que la résolution des problèmes qui y sont liés, les militantes ont le droit d'exiger des réunions de femmes, convoquées à leur demande par les instances ».
Voilà comment la Ligue, pour redresser un comportement certes inacceptable dans une organisation révolutionnaire, en vient à créer des structures qui accentuent la division entre hommes et femmes. En fait il s'agit une fois de plus d'opportunisme politique vis-à-vis du féminisme.
Le texte qui dans Rouge rendait compte de la dernière journée de congrès s'intitulait « Les bases d'un changement profond ». Personne ne peut dire ce que la LCR modifiera ou pas dans son fonctionnement à l'issue d'un congrès où le centralisme démocratique a été en partie remis en cause, mais ce qui est certain, c'est que les moeurs politiques de la LCR, elles, ne changent pas. Et que nous pouvons toujours lui faire le même reproche qui est son opportunisme fondamental, opportunisme organisationnel qui se traduit par une adaptation passive au milieu et opportunisme politique - l'un découlant d'ailleurs de l'autre - qui la conduit à suivre et à s'adapter, même sous une forme critique, aux forces du moment.
Ce n'est pas d'impuissance temporaire de l'organisation à « faire sauter les verrous réformistes » qui explique la crise organisationnelle de la LCR, cette crise est le produit direct de son adaptation organisationnelle au milieu. Quant au désarroi des militants face à la prédominance du réformisme, il est lui-même le produit d'une attitude politique gauchiste qui consiste à chercher des raccourcis et qui conduit du triomphalisme d'un jour à la démoralisation du lendemain.