Angola : la détente à l'épreuve d'un nouveau front01/01/19761976Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Angola : la détente à l'épreuve d'un nouveau front

Dans les semaines qui ont suivi la proclamation officielle de son indépendance, l'Angola est devenu l'un des principaux points de tension où s'affrontent, par peuples interposés, l'URSS et les États-Unis et plus accessoirement la Chine qui - et ce n'est pas la première fois que pareille chose se produit - soutient le même camp que l'impérialisme américain.

A la fin 1975, cette guerre d'Angola qui oppose les trois mouvements nationalistes rivaux, le MPLA d'un côté, l'UNITA et le FNLA de l'autre, aurait fait 100 000 morts. Mais ce n'est pas ce tribut de sang que paye à l'impérialisme, une fois de plus, un peuple africain à l'aube de son indépendance qui a ému l'opinion publique occidentale. L'Angola aurait pu s'embourber dans une guerre oubliée, si les relations internationales entre les deux grands n'étaient en cause dans ce conflit.

« La guerre froide N° 2 vient de débuter » écrivait la veille de Noël un journaliste américain à propos de l'Angola. « 1976 : une seconde guerre froide ? » « Est-Ouest, la fin des sourires » titraient à la Une les deux hebdomadaires les plus lus de la presse française la première semaine de janvier. Il est vrai qu'ils se contentaient de reprendre en écho l'admonestation qu'avait lancée Kissinger au gouvernement soviétique la semaine précédente : « L'intervention soviétique en Angola est un défi à l'Occident ». La presse bourgeoise n'a pas hésité à charger le gouvernement soviétique de tous les péchés de lèse-coexistence pacifique. Le Figaro du 2 janvier ne s'embarrassait pas de nuances : « Le drame angolais vient de révéler l'assaut du continent africain dans lequel s'est lancé Moscou » ! Et la plupart des journalistes de faire des sombres pronostics sur les décisions du prochain congrès du Parti Communiste Soviétique, décelant, « en lisant entre les lignes » des déclarations officielles, comme ils le reconnaissent eux-mêmes, des « tendances doctrinaires et intransigeantes » prêtes à l'emporter sur « l'esprit d'ouverture à l'égard de l'Occident », etc...

Il a fallu les récentes révélations de la presse américaine prouvant à ceux qui ne voulaient pas le savoir que, via la CIA, l'argent et les armes de Kissinger avaient de loin précédé en Angola celles de Brejnev et les soldats de Castro pour remettre les choses à leur place. A vrai dire, il faut tout le cynisme et l'hypocrisie des représentants de l'impérialisme pour faire croire qu'en Angola les États-Unis auraient réagi à une offensive russe. Que, face à l'engagement de plus en plus important en armes et en argent des États-Unis aux côtés du FNLA et de l'UNITA, l'URSS n'ait pas accepté de laisser le champ libre à l'impérialisme dans l'un des points stratégiques de l'Afrique, est une chose. Mais s'il est indéniable qu'en Angola une grosse partie est en train de se jouer entre les deux grandes puissances, ce n'est pas l'URSS qui a l'initiative, ni les principales cartes entre les mains.

Le problème fondamental, c'est que le potentiel révolutionnaire considérable des masses opprimées en lutte pour leur libération a toujours échappé aux calculs des grandes puissances et constitue, depuis la Seconde Guerre mondiale, l'un des facteurs essentiels de l'instabilité de l'équilibre international que les deux grands négocient périodiquement entre eux.

L'évolution du conflit angolais

L'engagement des États-Unis ne date pas d'aujourd'hui, ni même de la chute de Caetano au Portugal. Reprenant avec des moyens bien plus importants la vieille politique de division de l'impérialisme anglais, l'impérialisme américain a grandement contribué au maintien de la balkanisation de l'Afrique noire. En Angola, par l'intermédiaire de Mobutu (qui, selon l'expression d'un ancien conseiller de Kissinger est « Ie client de la CIA qui a le mieux réussi » ) il a soutenu très tôt le FNLA de Roberto Holden, qui se distinguait du MPLA d'Agostino Neto par sa démagogie tribale réactionnaire, son racisme anti-blanc et sa politique ouvertement anti-communiste et hostile à l'URSS.

Au lendemain du 25 avril 1974 au Portugal, le MFA aurait pu battre en brèche la politique du « diviser pour régner » des États-Unis en préparant les conditions d'une indépendance immédiate en Angola, par des élections libres, sous le contrôle de la population organisée localement en comités. Une telle politique aurai été le meilleur moyen d'anéantir les manoeuvres d'un Roberto Holden ou d'un Sawinbi soutenus par les subsides de la CIA. Mais les tergiversations du MFA ont précisément permis en Angola de laisser se renforcer des appareils nationalistes rivaux échappant à tout contrôle de la population, engagés dans une course au pouvoir que le peuple angolais n'avait pas les moyens d'arbitrer.

Le nouveau régime portugais porte donc une lourde responsabilité dans le pourrissement de la situation en Angola.

Le gouvernement américain, comme l'Afrique du Sud, armant le FNLA et l'UNITA, espérèrent sans doute une élimination assez rapide du MPLA, et une victoire relativement facile de ceux qu'ils avaient armés.

Mais le peuple angolais avait mené pendant douze ans sa guerre de libération contre l'armée portugaise. Sous la direction essentiellement du MPLA, qui pour être une organisation nationaliste bourgeoise, au même titre que le FNLA et l'UNITA, avait néanmoins, par rapport à celles-ci, la supériorité de dépasser les divisions tribales et de représenter les aspirations nationales du peuple angolais dans son ensemble, et de la petite bourgeoisie des « assimilados » en particulier. Cette politique du MPLA lui a donné une certaine base populaire dans les caampagnes et dans la petite bourgeoisie urbaine et lui confère aujourd'hui un avantage sur ses rivaux. Ce n'est pas pour rien que dans la bataille pour l'occupation de la capitale, Luanda, entre le FNLA et le MPLA à la veille de l'indépendance qui devait être officiellement proclamée le 11 novembre 1975 , le MPLA put compter sur le soutien de l'ensemble de la population de la ville pour faire refluer le FNLA qui, lui, n'avait pas hésité à bombarder les bidonvilles. Et l'impérialisme américain devrait avoir la tâche moins facile en Angola qu'au Congo dix ans auparavant. De fait, s'il ne s'était agi que de l'Angola, les États-Unis auraient même pu, devant ces difficultés, choisir d'emblée de ne pas rééditer l'expérience vietnamienne, en abandonnant tout bonnement à leur sort leurs anciens protégés du FNLA et de l'UNITA, pour miser cette fois sur un gouvernement nationaliste tout aussi bourgeois, avec le MPLA, qui n'aurait pas demandé mieux. Agostino Neto ne s'est d'ailleurs pas fait faute de rappeler à plusieurs reprises qu'il avait été contraint d'appeler à l'aide l'URSS et Cuba, mais qu'il n'en gardait pas moins une position de neutralité à l'égard des deux camps.

Ce n'est pourtant pas la solution que les États-Unis ont choisie. Ils ont continué de miser sur le FNLA, tout échaudés qu'ils furent au Vietnam. D'une guerre post-coloniale entre fractions nationalistes rivales disposant de peu de moyens militaires, le conflit angolais a pris en quelques mois des dimensions internationales. Chacune des grandes puissances a doté ses protégés d'un armement lourd de plus en plus important. C'est désormais l'URSS et les États-Unis qui, par Angolais interposés, semblent s'affronter. Quant aux victoires ou revers militaires de l'un ou l'autre camp, ils paraissent de plus en plus dépendre de la supérorité de l'assistance militaire étrangère dont chacun dispose à un moment ou un autre. Et moins que jamais le sort du peuple angolais n'a paru dépendre que de lui-même.

En réalité ce qui est en jeu en Angola dépasse largement le propre sort de cette ancienne colonie portugaise. Et le peuple angolais paye aujourd'hui la position stratégique qu'il occupe aux confins des États de l'Afrique australe, dominés par les minorités blanches, et des autres États africains.

Après le dégagement du colonialisme portugais le statu quo remis en cause en afrique noire et en afrique australe

La liquidation de l'empire colonial portugais a conduit à un changement des rapports de forces en Afrique australe. Jusqu'à la chute de Caetano, le Mozambique et l'Angola représentaient pour les régimes ségrégationistes de l'Afrique du Sud et de la Rhodésie, une espèce de glacis réactionnaire qui contribuait à garantir leur sécurité. Et ces régimes où des minorités blanches imposent leur loi à des majorités d'Africains en avaient bien besoin. Avec l'accession à l'indépendance du Mozambique et de l'Angola, ces régimes se sont trouvé isolés. L'exemple de l'émancipation des deux ex-colonies pouvait bien donner un élan nouveau aux mouvements nationalistes noirs d'Afrique du Sud.

Les motivations de l'Afrique du Sud et de la Rhodésie, d'une part, et des États-Unis, d'autre part, ne sont donc pas exactement les mêmes. Pour les États-Unis, il s'agit d'empêcher les États africains indépendants de tomber dans la zone d'influence de l'URSS. Pour l'Afrique du Sud et la Rhodésie, il s'agit de les empêcher de devenir un exemple et des bases de départ pour les mouvements nationalistes noirs des régions qu'elles contrôlent. Mais leurs intérêts se recoupent, au moins largement, et les États-Unis voient depuis quelques années dans les États racistes d'Afrique du Sud les principaux gendarmes de cette partie du monde de plus en plus effervescente.

De fait, la puissance militaire de l'Afrique du Sud est devenue la plus importante de ce continent, dotée d'une armée régulière de 200 000 hommes et d'armements ultra-modernes. Et sa force de frappe dépasse désormais largement ses propres nécessités « nationales ».

Seulement, l'accès à l'indépendance des colonies portugaises remet en question cette hégémonie et rend l'Afrique du Sud politiquement très vulnérable sous ses propres tensions internes.

Pour sortir de son isolement, elle a dû s'engager dans une politique plus souple à l'égard des États africains indépendants et, spectaculairement, du Mozambique. Elle-même a d'ailleurs contraint la Rhodésie à en faire autant. Seulement cet assouplissement lui-même risque de favoriser les aspirations de la population noire et de mettre tout simplement le feu au mécontentement explosif que ces régimes ont accumulé contre eux-mêmes par le traitement auquel ils soumettent les masses noires. En somme, l'Afrique du Sud et la Rhodésie n'ont plus guère le choix politique que de tomber de Charybde en Scylla, de l'isolement armé et périlleux à une politique d'ouverture favorisant la contestation à l'intérieur de leurs propres frontières.

Cette situation nouvelle explique d'ailleurs certaines contradictions apparentes dans la politique de l'Afrique du Sud. Au risque de compromettre cette espèce de « détente » inaugurée depuis près d'un an avec les États indépendants africains, Pretoria n'a néanmoins pas hésité à s'engager cette fois directement dans des opérations militaires au Sud de l'Angola contre le MPLA et avec la complicité de l'UNITA implantée dans cette partie du pays. Mais c'est que d'une part l'existence de plusieurs organisations nationalistes rivales en Angola permettait d'y mener une autre politique qu'en Mozambique, où le FRELIMO n'était sérieusement concurrencé par aucun rival. Et que d'autre part, l'indépendance de l'Angola devenait une menace directe et immédiate pour les intérêts de Pretoria et Namibie (l'ex-colonie allemande du sud-ouest africain, confiée « sous mandat de la Société des Nations », en 1920, à l'Afrique du Sud) et une menace presque aussi proche pour Pretoria elle-même. Les Sud-Africains ne peuvent effectivement pas accepter que l'Angola devienne une terre d'asile aujourd'hui pour les maquisards de la SWAPO (Organisation du Peuple du Sud-Ouest Afrîcain) qui exigent l'indépendance totale de la Namibie administrée actuellement comme une province de l'Afrique du Sud, et demain pour ses propres nationalistes noirs. C'est d'ailleurs cette intervention de l'Afrique du Sud en Angola méridional qui a contraint les forces armées du MPLA, déroutées d'avoir soudain à affronter une armée moderne et très bien équipée, à lancer un S.OS à Cuba. L'envoi massif des quelques milliers de volontaires cubains en Angola daterait de cette intervention sud-africaine et aurait d'ailleurs permis au MPLA de redresser quelque peu la situation.

Seulement, cette intervention sud-africaine a pris le tour d'une aventure militaire, et a eu pour premier effet de s'aliéner un peu plus un certain nombre d'États africains qui, du coup, ont apporté leur soutien au MPLA. Il est évident qu'un tel engagement cadre mal avec les tentatives de négocier un statu quo pacifique en Afrique australe. Ce qui explique que pour l'instant l'Afrique du Sud tente de se dégager plus ou moins laborieusement, sur les instances américaines, de l'Angola.

Cela n'empêche pas que les États-Unis tiennent absolument au maintien du rapport des forces en faveur de l'Afrique blanche raciste. Et malgré leurs conseils de modération, ils sont son plus fidèle soutien. L'instauration d'un Angola indépendant et intact, relativement prospère grâce à ses richesses minières, sous l'égide du MPLA qui, à l'exemple de bien d'autres pays africains, pourrait jouer le jeu neutraliste entre les grandes puissances, ne peut qu'être redouté par les États-Unis et l'Afrique du Sud.

D'autant que ce n'est plus seulement l'Afrique du Sud dont l'ordre risquerait d'être mis en cause, mais l'ensemble du continent africain. La situation de toute l'Afrique noire est particulièrement instable. Les régimes fantoches mis en place par les anciennes puissances coloniales se sont usés au cours des quinze dernières années. Ici, les coups d'État militaires se succèdent. Là, des régimes qui furent à la dévotion de l'ancienne puissance coloniale ont trouvé une certaine assise nationale et ont pris leurs distances par rapport à leurs tuteurs, jouant le jeu de balance entre les deux grands. Ailleurs encore, comme en Éthiopie, à Madagascar, depuis plusieurs années en Somalie, des dictatures militaires qui se disent « progressistes », bien qu'elles ne menacent en rien fondamentalement l'impérialisme, constituent cependant un facteur de remise en cause de l'ordre que les États-Unis sont obligés de rapiécer sans une A travers ces évolutions différentes s'établissent de nouvelles lignes de partage d'influence, plus ou moins mouvantes, entre l'URSS et les États-Unis. Au point qu'aujourd'hui il suffit que les quelques derniers pays européens disposant encore de territoires coloniaux s'en dégagent, pour que ces derniers, aussi petits soient-ils, deviennent presque automatiquement de nouveaux foyers de tension internationale. C'est ce qui vient de se passer avec le Sahara espagnol devenu prétexte à un conflit entre l'Algérie et le Maroc, chacun soutenu par l'un des deux camps, et ce jeu risque de se reproduire avec d'autres partenaires pour la petite enclave de Djibouti si l'impérialisme français se résoud lui aussi à s'en dégager.

Par sa politique systématique de division, l'impérialisme a transformé l'Afrique « décoIonisée » en une véritable poudrière.

Il a fallu sept ans à l'impérialisme américain pour se dégager du Vietnam, parce qu'il ne pouvait se risquer à une solution négociée dans ce pays sans désamorcer dans le même temps la tension latente dans tout le reste du Sud-Est asiatique. Pour ce faire, il a bénéficié de la neutralité bienveillante et concertée de l'URSS.

Aujourd'hui, les États-Unis et l'URSS se trouvent devant un problème assez semblable en Afrique, à commencer par l'Afrique australe, la plus grosse de troubles à venir, L'impérialisme a à déterminer une politique d'ensemble en Afrique qui préserve ses intérêts et le rapport de forces en sa faveur. Se dégager de l'Angola maintenant, sans assurer d'arrières à l'Afrique du Sud ? Ce serait risquer gros et laisser le champ libre aux aspirations de nombreux peuples africains. S'engager plus loin en Angola, s'aventurer dans la voie de l'escalade militaire ? Cela reviendrait à entretenir un foyer de tension internationale explosif.

Les états-unis sont-ils prêts à remettre en cause la politique de détente ?

Avec le règlement de la situation en Asie du Sud-Est, l'impérialisme américain a effectivement choisi la « détente ».

Mais il faut avoir les moyens de faire un tel choix politique. L'euphorie de la détente de ces dernières années a trouvé ses plus solides fondements dans la prospérité du monde occidental, la mise en veilleuse des mouvements de guerillas et d'émancipation nationale des années 60, et, l'un dans l'autre, dans un sentiment de force et de supériorité de l'impérialisme américain vis-à-vis de l'URSS. L'URSS a d'ailleurs parfaitement joué le jeu et a marqué ces dernières années une remarquable réserve face aux différents foyers de tension internationaux. Partout, la bureaucratie soviétique s'est gardée de toute initiative pouvant dégrader ses relations avec les États-Unis, tant qu'elle n'estimait pas, bien sûr, que les exigences américaines risquaient de renverser le rapport de forces mondial trop ouvertement en sa défaveur. Mais l'antagonisme profond entre le bloc des puissances impérialistes et l'Union Soviétique n'a jamais disparu au travers même de toutes ces négociations. La « détente » est un choix politique circonstanciel de l'impérialisme, qu'il peut très bien abandonner dès qu'une crise économique trop grave, ou des foyers de subversion qu'il jugera trop dangereux pour le maintien de l'ordre impérialiste l'y inciteront. Kissinger préférerait - dit-on - au terme de « détente », celui de « compétition modérée » ou encore l'expression négative de « relâchement de la tension ». Ces nuances de vocabulaire caractérisent finalement assez bien la politique des États-Unis. L'orientation stratégique fondamentale de l'impérialisme américain demeure la préparation de la guerre contre l'Union Soviétique. La politique de détente elle-même n'est rien d'autre qu'une manière pour l'impérialisme de préserver plus efficacement ses positions en prévision d'une guerre inéluctable. Et ceci illustre bien le danger que présente pour l'existence même de l'URSS les illusions de la bureaucratie soviétique, qui mise toute sa politique internationale sur la collaboration avec l'impérialisme.

Bien entendu, rien ne dit, à l'heure actuelle, malgré la crise économique en cours, que les États-Unis soient prêts à remettre en cause cette politique. Mais chaque nouveau foyer de tension la met à l'épreuve.

L'Angola n'est, pour le moment, qu'un symptôme tragique, déjà, des remises en cause à venir.

Les péripéties diplomatiques de ces dernières semaines à propos de l'Angola permettent de conclure que pour l'instant les États-Unis n'ont pas renoncé à tenter, même dans cette région du monde, une politique de règlement négocié, fermement appuyé d'ailleur par un engagement militaire plus ou moins mesuré, d'une espèce d'escalade « contrôlée » si l'on peut dire. Mais l'effondrement du colonialisme portugais sous la pression du seul courage d'un peuple en lutte pour sa liberté a suffi pour faire entrevoir le bouleversement de tout un pan de l'ordre impérialiste, et de faire craindre à tout le monde le retour à la guerre froide.

Quel avenir pour l'angola ?

Dans quelles limites l'engagement militaire des États-Unis en Angola par FNLA et UNITA interposés, via le Zaïre et l'Afrique du Sud, les deux principaux bastions de l'impérialisme américain en Afrique, est compatible avec une politique de règlement négocié avec le MPLA ? Toute la question est là.

Tout d'abord, rien n'apporte la preuve que les États-Unis sont prêts à une réelle désescalade militaire. Une telle hypothèse relèverait d'une certaine naïveté. Bien sûr, le Congrès américain a refusé à Kissinger les millions de dollars qu'il réclamait en novembre pour soutenir l'action du FNLA. Mais la CIA s'est jusqu'à présent passée des autorisations des parlementaires américains, et on ne voit pas très bien pourquoi cela changerait. Ensuite, détail significatif, l'Arabie Saoudite vient de suppléer à la défection du Parlement américain à la cause occidentale en Afrique, en accordant généreusement... 50 millions de dollars pris sur son propre budget au même FNLA ! L'impérialisme américain ne manque pas d'amis secourables.

Bien sûr, le gouvernement américain a démenti que des Marines allaient être débarqués en Angola. Mais plusieurs centaines de mercenaires sont désormais ouvertement entraînés aux États-Unis pour la même cause.

Finalement, le moins qu'on puisse dire, est que si les États-Unis semblent vouloir enrayer l'escalade en Angola, ils ne brûlent pas du moins leurs vaisseaux...

Du côté diplomatique, les choses ont un aspect nettement plus décent. Kissinger a d'abord lancé un avertissement au gouvernement soviétique. Malgré quelques protestations liminaires aussi fermes que générales, l'URSS s'est décidée, une semaine plus tard, à se rendre aux raisons de son interlocuteur : elle a protesté de ses pures intentions en Angola pour, en passant, rappeler que le gouvernement soviétique avait toujours été favorable, dès le jour de l'indépendance, à un gouvernement angolais de coalition entre les trois mouvements nationalistes. Précision tout à fait opportune, puisque les États-Unis affichent exactement la même position et font toutes les pressions possibles sur les participants à la conférence des États africains de l'O.U.A. pour qu'ils concluent sur une solution politique de ce type en Angola. Fort de cette assurance, qui pour être dite discrètement n'en était pas moins réelle de la part de l'URSS, le gouvernement américain tempérait les ardeurs de l'Afrique du Sud, et laissait le FNLA appeler à l'aide avec des accents déchirants après la perte de sa base aérienne principale de Negage et de son quartier général de Carmona dans le nord de l'Angola. Quant à l'UNITA, elle opérait une fois de plus (c'est l'une de ses raisons d'être) une volte-face politique acrobatique en déclenchant quelques heurts contre le FNLA et en accusant soudain l'Afrique du Sud d'ingérence inadmissible en Angola, afin de se ménager la possibilité éventuelle d'une solution négociée du type UNITA-MPLA.

Mais une telle solution de compromis est-elle acceptable pour le MPLA ? Peut-il accepter une collaboration avec l'UNITA, voire avec le FABULA ? Et les deux ou les trois ensemble peuvent-ils réellement cohabiter dans le même appareil d'État ? Ce compromis diplomatique sous l'égide des grandes puissances paraît bien peu praticable sur le terrain. Sans même conjecturer quoi que ce soit, il suffit de rappeler qu'il y a neuf mois, alors même que le conflit angolais n'avait pas atteint les proportions actuelles, les différentes tentatives de gouvernements provisoires de coalition entre les trois mouvements firent long feu. La guerre civile s'est presque aussitôt réengagée. Et en fait, aussi bien de la part des États-Unis que de l'URSS qui dans l'affaire s'en rend complice, cette « solution » négociée n'en est pas une, et ce n'est qu'une façon de reculer le problème.

La seule façon de régler le conflit angolais dans l'intérêt du peuple angolais, serait non pas d'imposer au MPLA qu'il fasse la part du feu à des organisations qui sont aux trois quarts fantoches, mais de renoncer à dispenser tout soutien militaire au FNLA et à l'UNITA. Mais de la part des États-Unis, cela impliquerait d'abord un changement radical de sa politique vis-à-vis de l'un de ses meilleurs bastions, le Zaïre de Mobutu, ce qui paraît assez impensable. Ensuite un tel choix supposerait de laisser la porte ouverte à l'inconnu en Afrique du Sud. Ce qui est tout aussi impensable.

En réalité, même s'ils n'avaient guère « le choix », les États-Unis viennent d'ouvrir en Afrique un nouveau front de la « détente », ou plutôt de la « compétition modérée », pour reprendre l'euphémisme de Kissinger. Mais ce nouveau conflit risque bien de s'envenimer et, pour peu que la situation s'aggrave aussi ailleurs, il pourrait bien entraîner les deux grandes puissances plus foin qu'elles ne l'auraient elles-mêmes souhaité.

Quant à l'avenir du peuple angolais, il se dessine sous des auspices bien sombres. Car la solution négociée qu'implique la politique américaine de « détente » signifie en Angola le maintien artificiel des factions nationalistes rivales. Et à supposer même que les États-Unis renoncent à un engagement direct en Angola, ils ne le feront que s'ils réussissent l'entreprise de congolisation de l'Angola. Ce serait pour les États-Unis le résultat le plus souhaitable de sa politique de concertation avec l'URSS dans cette affaire. Le statu quo, certes, serait plus ou moins maintenu dans cette région du monde, sur le dos du peuple angolais. Mais pour combien de temps ?

Les anti-interventionnistes les plus bruyants des milieux dirigeants américains se seraient facilement fait une raison si, grâce à l'aide américaine, le bloc FNLA-UNITA s'était imposé rapidement contre le MPLA. Ce n'est pas sur le but qu'ils rechignent aujourd'hui, mais sur le prix à payer.

En décidant de jouer ses propres cartes en Angola au lieu de s'entendre avec l'URSS, le gouvernement américain a poussé le gouvernement soviétique à jouer les siennes. Du coup, grâce en particulier à l'aide soviétique au MPLA, celui-ci n'a pu être vaincu rapidement. Le prix pour imposer la victoire des protégés des États-Unis a augmenté, au point que l'impérialisme américain hésite à s'engager.

Pas seulement en raison du fait que si l'Angola devenait un nouveau Vietnam, la politique de détente s'en ressentirait sérieusement. De toute façon Ford a tenu à rappeler avec insistance que, quelle que soit l'évolution des choses en Angola, il n'est pas question de remettre en cause la stratégie globale. Mais le simple coût de l'enlisement, en argent, en matériel, en difficultés diplomatiques par rapport aux pays africains, a de quoi inquiéter une partie des dirigeants américains.

Alors il n'est pas impossible, il est même probable, que l'impérialisme américain tente finalement à en revenir à une solution négociée avec l'URSS. Il est probable que les deux puissances s'engagent publiquement à ne plus intervenir dans les affaires d'Angola, et fassent éventuellement pression sur leurs protégés respectifs, afin de trouver de leur côté une solution de compromis.

Seulement rien ne dit que, même sous pression soviétique, le MPLA accepte de partager le pouvoir avec ses rivaux favorables aux USA. Et même si le MPLA l'accepte, ce compromis ne serait pas viable.

En tout état de cause, deux ou plusieurs organisations nationalistes rivales d'un pays sous-développé comme l'Angola ne pourraient pas s'entendre pour régler démocratiquement leurs différends en en rendant arbitre leur propre peuple. L'engagement ouvert du FNLA et de l'UNITA du côté de l'impérialisme, l'aide massive de celui-ci à ses protégés, ont abouti à une telle accumulation de haine, et aussi de matériel militaire, que même si les grandes puissances impliquées pesaient de tout leur poids pour que la paix se rétablisse, la chose ne se ferait pas facilement.

Mais de toute façon, ce n'est pas parce qu'ils auront signé un accord de dégagement avec l'URSS, que les États-Unis pèseront dans ce sens. Ils ont de multiples moyens de se dégager officiellement, et de continuer à aider leurs protégés de manière indirecte.

Fait significatif : alors même que le Congrès américain venait de refuser à Kissinger les millions de dollars que celui-ci réclamait pour soutenir le FNLA, l'Arabie Saoudite a fait ostensiblement un don de 50 millions de dollars au même FNLA.

L'impérialisme américain a la possibilité de se dégager en Angola. Pas le peuple angolais. La guerre peut durer des mois et peut-être des années après que l'impérialisme américain ait officiellement décidé, de concert avec l'URSS, de se laver les mains de ce qui se passe en Angola. Elle avait duré des années au Congo. Elle aval duré des années au Biafra. Pour les mêmes raisons.

Que, officiellement, réduite à un conflit interne à l'Angola, la guerre aboutisse à une victoire du MPLA - avec qui d'ailleurs les États-Unis peuvent parfaitement envisager de s'entendre - ou qu'elle aboutisse à une partition, ce pays déjà pauvre, déjà exsangue, paiera très cher la rapacité de l'impérialisme.

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