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La « Spartacist League » et le problème de la guérilla
Ce n'est pas la première fois que « Lutte de Classe » aborde, par un biais ou un autre, la question de la guérilla paysanne dans les pays du Tiers Monde en général et dans ceux d'Amérique Latine en particulier (voir notamment « Lutte de Classe » n° 2 « Parti Révolutionnaire et Guérilla Paysanne », n° 5 « La paysannerie dans les pays sous-développés », n° 9 « La guérilla et le mouvement des masses paysannes » ).
Mais l'importance du problème réside pour nous dans le fait que l'absence de lutte révolutionnaire du prolétariat amène beaucoup de militants à considérer la guérilla comme la lutte révolutionnaire par excellence et que, dans nos propres rangs, c'est-à-dire au sein du mouvement trotskyste, de nombreuses organisations ont tendance à abandonner le programme de la IVe Internationale au profit d'un succédané de théories guévaristes (voir notamment les textes de la section péruvienne du SU et l'appel à la guérilla de la section bolivienne). Nous donnant pour tâche la reconstruction de la IVe Internationale il nous paraît important de discuter, avec tous ceux qui poursuivent le même but, des tenants et des aboutissants du « guérillerisme » latino-américain.
Sur ce plan, nous avons des positions très proches de deux courants qui se réclament de la IVe Internationale.
Le premier de ces courants est représenté par les organisations du Comité International (en France l'Organisation Communiste Internationaliste) qui donne une appréciation à peu près identique à la nôtre de la nature du guérillerisme latino-américain et, en conséquence, considère l'État cubain comme un État bourgeois.
L'autre courant se regroupe autour de la « Spartacist League » des USA, organisation formée de militants américains ayant lutté au sein du Socialist Worker Party contre les positions pablistes de la direction et qui ont été exclus de ce groupe.
Si une appréciation identique de la guérilla nous rapproche de ces camarades nous ne partageons pas leur analyse de l'État cubain, qu'ils qualifient d'État « ouvrier déformé ».
En dehors de ces deux courants, les autres organisations trotskystes adoptent, sur la question, des positions qui, pour élaborées qu'elles prétendent être, ne sont ni plus ni moins qu'une forme de suivisme des différentes théories sur la lutte paysanne « prioritaire ».
Nous voulons discuter ici les « Thèses sur le guérillerisme latino-américain » publiées par la « Spartacist League » en espérant revenir ultérieurement sur les positions en la matière du Comité International.
La nécessité d'un parti prolétarien indépendant
A maintes reprises le texte des camarades américains souligne l'absolue nécessité d'organiser le prolétariat comme force indépendante, d'éduquer la classe ouvrière dans son rôle de direction de l'ensemble des couches et classes opprimées par la bourgeoisie nationale et l'impérialisme.
Ce rôle dirigeant du prolétariat dans la lutte pour le socialisme de nombreuses organisations trotskystes l'ont « oublié », certaines mêmes le nient aujourd'hui (tendance Pablo).
« Tous les mouvements guérilleros d'Amérique Latine - peut-on lire dans ce texte, dès l'introduction - font une « place » au prolétariat dans leur programme en le considérant essentiellement comme un des éléments « patriotiques » de la lutte armée pour « la libération nationale ».
« Aucun marxiste assurément ne peut accepter ce rôle réformiste attribué au prolétariat par les adhérents du Front Populaire Rural... il s'agit pour le prolétariat d'intervenir comme une force politique indépendante (souligné dans le texte) et jamais comme un élément « patriotique » prisonnier du suivisme ».
C'est là une position de principe que nous ne pouvons qu'approuver et qui va à l'encontre de toutes les inepties sur le soi-disant nouveau rôle de la paysannerie pauvre déversées par tombereaux par tous ceux, qu'ils soient maoïstes, pablistes ou fidelistes, qui n'ont sans doute jamais vraiment compris ni Marx, ni Lénine.
Les camarades américains, même lorsqu'ils envisagent la possibilité pour une guérilla de s'étendre au point de polariser la lutte des classes dans un pays, n'en restent pas moins fidèles au marxisme et affirment que « la préparation des organisations de la classe ouvrière est absolument essentielle et indispensable dans une quelconque circonstance de la lutte des classes » (Thèse n° 16) - souligné par Spartacist League.
De là découlent les tâches qu'ils assignent aux révolutionnaires prolétariens, c'est-à-dire aux trotskystes.
« Construire et préparer des partis léninistes, c'est-à-dire, des partis basés sur le prolétariat latino-américain et l'éduquer dans le sens de l'internationalisme prolétarien, voilà les tâches fondamentales » écrivent ces camarades. Et ils poursuivent : « Le fait qu'il existe dans un pays donné des mouvements de guérillas, ne peut nier - à aucun moment - cette nécessité irremplaçable d'une direction prolétarienne. L'existence même de mouvements de guérillas reflète la faillite des directions prolétariennes antérieures, habituellement staliniennes, pseudo-syndicalistes etc. »
Mais pour la « Spartacist League », et là encore notre accord se manifeste pleinement, la tâche de construction d'un parti ouvrier révolutionnaire implique nécessairement la lutte contre tous les courants idéologiques petits bourgeois qui peuvent exister dans ces pays.
On lit à ce sujet (Thèse n° 18) : « ... La lutte contre le stalinisme dans les syndicats et contre les tendances petites bourgeoises qui se concentrent dans le guérillerisme, seront quelques unes des tâches les plus importantes à remplir pour gagner le prolétariat et les grandes masses paysanne à l'internationalisme marxiste ».
Et le texte conclut : « Il faut insister sur l'importance fondamentale d'une direction trotskyste de la classe ouvrière. Seul le jeune prolétariat latino-américain peut lutter pour le socialisme en Amérique Latine. Seuls ses partis authentiques, fermement attachés aux principes du Programme de Transition, et son application contemporaine, seront capables de renverser les bourgeoisies latino-américaines et la domination de l'impérialisme décadent ».
Le fait de souligner « l'importance fondamentale d'une direction trotskyste de la classe ouvrière » confirme que les camarades américains, à la différence de nombreux trotskystes rattachés au Secrétariat Unifié notamment, ne misent aucunement sur l'apparition de courants de gauche « sui generis » du sein du mouvement stalinien ou autre (par exemple du péronisme, voir à ce sujet les positions de la section argentine du SU) pour diriger la lutte du prolétariat vers le socialisme. Leur position peut se résumer ainsi : « Ou les partis révolutionnaires seront trotskystes, ou ils n'existeront pas ». Et là encore nous ne pouvons que les approuver.
Si le rôle des révolutionnaires par rapport au prolétariat et de ce dernier par rapport aux autres classes sociales est clairement défini dans les « thèses sur le guérillerisme » on peut par contre regretter que nulle part il n'est précisé que l'organisation révolutionnaire ne devra pas seulement organiser les ouvriers de façon indépendante mais aussi les mobiliser sur des objectifs propres.
Bien sûr la classe ouvrière ne pourra gagner à elle les éléments avancés de la paysannerie, en luttant contre les directions petites-bourgeoises de celle-ci, qu'en faisant la démonstration à chaque pas de la lutte que le prolétariat est la seule classe capable d'appuyer complètement les revendications essentielles des paysans (notamment la réforme agraire radicale) et aussi de mener jusqu'au bout la lutte contre l'oligarchie foncière, la bourgeoisie nationale et l'impérialisme.
Mais il est aussi nécessaire de faire prendre conscience au prolétariat, dans des pays où il est minoritaire, du rôle historique particulier qu'il doit jouer, il est nécessaire d'insister sur la nécessité de faire surgir à chaque étape les organismes au sein desquels les travailleurs en lutte apprendront à régler démocratiquement leurs problèmes, organismes (comités de grève, comités d'usine) qui préluderont aux nécessaires organes de pouvoir. L'organisation du prolétariat en parti indépendant n'est pas suffisante en soi, il faut donner à la classe ouvrière des objectifs transitoires clairement définis. Evidemment, cela est implicitement contenu dans la référence que les camarades de Spartacist font au Programme de Transition, mais ce dernier est accommodé à tellement de sauces qu'il est toujours nécessaire de préciser ce qu'on veut lui faire dire.
Le caractère petit bourgeois du guérillérisme
Le guérillerisme, qu'il prenne la forme du maoïsme, du titiste ou du fidélisme, est un mouvement petit bourgeois qui parfois (Vietnam 1946 voir Lutte de Classe n° 14) manifeste ouvertement son caractère anti-prolétarien.
A de nombreuses reprises, cette opinion que nous avons eu nous-mêmes maintes fois l'occasion de développer dans la Lutte de Classe, revient sous la plume des camarades américains : « Le mouvement guérillero n'est pas une formation ouvrière ; c'est une entité paramilitaire petite bourgeoise. Par suite le prolétariat doit comprendre qu'il ne s'agit pas d'une organisation révolutionnaire « sui generis.
De plus le texte souligne : « les Mouvements de guérillas paraissent être dus à l'absence d'organisations prolétariennes marxistes et sont comme un substitut de l'apparente « inactivité » du prolétariat des villes ».
Une partie importante des « thèses » est ensuite consacrée à la différence qui existerait entre des mouvements guérilleros qualifiés de « guévarisme » et d'autres à qui est décernée l'étiquette « fidéliste ».
Nous n'entrerons pas dans le détail de cette discussion car nous ne comprenons pas exactement le contenu politique que la « Spartacist League » attribue respectivement au « guévarisme » et au « fidélisme ». Mais notons toutefois que le texte concluant sur leur identité à terme il ne s'agit donc là que d'une discussion secondaire qui n'influe pas sur l'ensemble des « Thèses ».
Enfin tout en soulignant que « le prolétariat doit appuyer la « lutte du mouvement guérillero tant qu'il est anti-impérialiste et anti-bourgeois » les camarades américains n'entretiennent aucune illusion sur les directions de ces mouvements (qualifiées notamment de « variétés ressuscitées d'un narodnikisme russe... et de la tradition néo-anarchiste des socialistes-révolutionnaires anti-bolcheviques » ) ni sur ces mouvements eux-mêmes définis comme « une réaction petite bourgeoise à l'absence et au retard de l'intervention révolutionnaire et indépendante du prolétariat ».
Sur le terrain de la nature de classe du guérillerisme, comme sur celui du rôle du prolétariat, la Spartacist League se tient fermement sur le terrain du marxisme.
États ouvriers déformés ou États bourgeois
Mais, à notre avis, il n'en est pas de même en ce qui concerne la nature des États nés de guérillas victorieuses, qualifiés par ces camarades « d'États ouvriers déformés ».
Cette définition nous paraît être en contradiction flagrante avec l'affirmation du caractère non-prolétarien, voire anti-prolétarien, du mouvement de guérillas.
Pour bien comprendre la position développée par ces camarades, il est indispensable, même si cela parait un peu long, de citer intégralement les passages du texte relatifs à ce problème.
« Si un mouvement de guérilla réussit à détruire, partiellement ou complètement, la bourgeoisie nationale et l'emprise impérialiste dans le pays, les convulsions politiques et sociales qui s'en suivent peuvent se développer jusqu'à la formation d'un État ouvrier déformé comme la Yougoslavie, la Chine, Cuba, etc. ou bien le mouvement peut rester enchaîné à l'impérialisme comme l'Algérie par rapport à l'impérialisme français »...
« ...Les mouvements de guérillas ne provoquent rien de plus qu'un vide passager dans la direction de l'État bourgeois. De cette façon on peut dire qu'une armée guérillera victorieuse devient l'unique souverain du pays du fait de la fuite du gouvernement bourgeois... »
Si une guérilla se maintient au pouvoir « ... cela revient à dire que des grandes masses de paysans et des couches considérables de la classe ouvrière appuieront énergiquement la consolidation d'une direction guérilla qui sera obligée de se heurter ouvertement à la bourgeoisie servile à l'impérialisme. Cela signifie que le mouvement guérillero, alors récent dans l'appareil d'État, répondra à chaque agression impérialiste par plus de confiscations, de nationalisations, de formations de milices etc. C'est-à-dire qu'au début il répondra coup pour coup. Ces actions cependant ne découlent d'aucun programme nordiste, mais de la réaction bureaucratique et opportuniste de la direction petite bourgeoise sous la forte pression de la base. C'est ce qui permet à un gouvernement de formation bonapartiste, dès le départ, de conserver la confiance des masses de paysans et d'ouvriers qui l'appuient ; et de prendre des mesures fondamentales qui attaqueront l'impérialisme l'obligeant à se retirer complètement, mais bientôt les masses se fatigueront et se retireront, silencieuses ; acceptant le gouvernement petit bourgeois qui s'est montré capable de résister aux assauts impérialistes en établissant des réformes fondamentales et quelques changements assez révolutionnaires quoique toujours insuffisants. Quand ce retrait passager des masses survient, la direction petite bourgeoise, sans cesse plus bureaucratisée, peut commencer à désarmer les paysans et les ouvriers et à consolider son pouvoir bonapartiste et néo-stalinien.
Du fait que le nouveau gouvernement ne représente essentiellement aucune classe révolutionnaire ni même un parti, ses réactions contre l'impérialisme seront toujours limitées et à moitié révolutionnaires. Il fera seulement ce « qu'il doit faire » et jamais ce que requiert une perspective prolétarienne historique vis-à-vis des intérêts de la classe ouvrière internationale. Les réactions des petits bourgeois, qu'il s'agisse d'un boutiquier ou d'un Fidel Castro, seront toujours des manouvres qui ne trouvent ni leur contenu, ni leur raison d'être dans la démocratie prolétarienne ou le marxisme. Ainsi la bureaucratie bonapartiste en voulant sauver la face à tout prix, menace les bénéfices mêmes qu'elle a procurés aux masses dans les premiers stades du développement de l'État ouvrier déformé. Certains philistins diront : « Mais, c'est mieux que rien, n'est-ce-pas ? »
Avant de poursuivre plus loin les citations et d'aborder la partie des thèses consacrées au rapport entre les ouvriers et la couche dirigeante de ce soi-disant « État ouvrier déformé », examinons un instant le processus de formation de cet État tel qu'il est décrit par les camarades américains.
Une guérilla victorieuse s'installe au pouvoir. Devant les coups redoublés de l'impérialisme, elle se verra obligée, pour se défendre, de nationaliser la production, de confisquer les biens de l'impérialisme, et même, sous certaines conditions, de procéder à l'armement du peuple.
C'est à peu près cela qui s'est passé à Cuba. Mais rien, dans le texte de ces camarades, ne nous explique en quoi, cet État qui, à son corps défendant, se voit obligé de s'opposer à l'impérialisme, est « ouvrier » même déformé. Les actions anti-impérialistes des guérilleros au pouvoir « ne découlent d'aucun programme marxistes », le nouveau gouvernement « ne représente essentiellement aucune classe révolutionnaire », quant aux réactions des petits-bourgeois qui tiennent la direction de l'appareil d'État « elles ne sont que des manouvres qui ne trouvent ni leur contenu ni leur raison d'être dans la démocratie prolétarienne ou le marxisme ». De plus ces camarades admettent, nous l'avons vu dans la première partie, que le prolétariat n'est pas intervenu en tant que classe dans la création de tels États. On se demande alors ce qui leur donne un caractère « ouvrier » si déformé soit-il.
La réponse à cette question, nous la trouvons dans la partie du texte intitulée « Et pour les ouvriers ? » et qui traite du rapport entre la classe ouvrière et la couche sociale au pouvoir.
Là, par une déformation scolastique du marxisme, ils affirment que ce sont les mesures économiques prises par les guérilleros victorieux (essentiellement la nationalisation complète de l'économie et la planification) qui, en dernière analyse, déterminent la nature « ouvrière » de ces États.
Voici ce qu'ils écrivent :
« Le pire ennemi du mode de production planifié et centralisé - déjà non capitaliste - d'un État ouvrier déformé est la bureaucratie qui contrôle l'appareil d'État. Cette caste dirigeante qui, pour survivre, dépend de son appareil despotique et bureaucratique, représente des intérêts étrangers à ceux des ouvriers et des paysans pauvres. Le mode de production non capitaliste - en mettant lui-même à l'ordre du jour le contrôle ouvrier de la production menace fondamentalement le règne de la bureaucratie. Le nouveau système social bien que déformé et profondément contradictoire, représente la possibilité d'avancer vers une société révolutionnaire nouvelle et meilleure avec des buts internationalistes. La consolidation de ces tâches qui sont à l'ordre du jour, rencontre un obstacle historique dans la bureaucratie réactionnaire et profondément chauvine qui dirige - ou mieux usurpe - l'appareil d'État en le déformant horriblement »...
« ...La petite-bourgeoisie coloniale et semi-coloniale, exploitée et effrayée par la crise croissante de la vie culturelle et la stagnation de l'économie du pays, décida de prendre l'initiative révolutionnaire et dirigea les masses dépossédés de paysans. Mais, dommage, la petite bourgeoisie est politiquement stérile du fait de sa perspective anti-prolétarienne et elle n'a pas de base matérielle qui lui soit propre, ni dans sa classe, ni dans son programme, pour pouvoir effectuer des changements historiques fondamentaux contre la société bourgeoise ».
« Nous n'entendons pas par là que la petite-bourgeoisie ne va pas essayer de lutter pour sa sauvegarde contre la ruine impérialiste par tous les moyens qui lui soient possibles. La création de nombreux États ouvriers déformés atteste en partie de la ferveur et de l'énergie des grandes masses petites-bourgeoises. Mais le système social qui en a résulté, les relations de propriétés apparues dans le processus de formation de ces États, n'est à aucun point de vue un système social petit-bourgeois ! En conséquence, la petite bourgeoisie menace cette création qui n'est pas sienne historiquement, le guérillerisme ».
Pour les camarades américains, « le mode de production non capitaliste » d'un tel État, c'est-à-dire l'économie « planifiée et centralisée » est l'élément déterminant qui conditionne toute leur conception de « l'État ouvrier déformé. Et, si nous parlons d'interprétation scolastique du marxisme à ce propos, c'est que pour les marxistes, les réformes économiques, aussi poussées soient-elles, ne permettent jamais, lorsqu'elles sont appréhendées hors de leur contexte historique, de déterminer la nature sociale d'un État.
Si un État ouvrier doit planifier et nationaliser l'ensemble de l'économie, et l'exemple russe a montré que ces mesures ne pouvaient être ni spontanées, ni immédiates. C'est pourquoi les réformes économiques accomplies par cet État, et examinées hors du contexte social global ne permettront nullement d'en déterminer la nature. En dernière analyse, cet État ne sera ouvrier que si la classe ouvrière s'empare du pouvoir et crée son propre appareil d'État. Et cela, quelque soit le degré des réformes économiques effectuées. Voilà, pour un marxiste ; l'unique critère qui lui permet de qualifier un État « d'ouvrier ». Et c'est sans doute dans ce domaine que les conceptions de la « Spartacist League » prêtent le plus le flanc à la critique. La conception qui fait de Cuba ou de la Chine des États « ouvriers déformés » n'est nullement originale. Elle est partagée par les différentes variantes du pablisme, au nombre desquelles on doit compter, pour la Chine du moins, le Comité International.
Mais, pour arriver à Justifier une telle conception, la plupart des organisations trotskystes se voient obligées, soit de découvrir que la paysannerie a accompli le rôle du prolétariat, soit que les directions petites bourgeoises représentaient la classe ouvrière historiquement par leur tradition politique (le « stalinien » Mao Tsé Toung) ou par leurs « progrès idéologiques » (cas de Castro).
Comme nous l'avons vu dans la première partie de ce texte, les camarades américains ont rejeté ces grossières falsifications du marxisme en affirmant le rôle irremplaçable du prolétariat dans la lutte.
Mais en agissant ainsi, ils se trouvent en contradiction flagrante avec leurs conclusions théoriques. Et quand il s'agit de définir précisément la nature sociale de la bureaucratie au pouvoir dans ces États, ils nagent en plein brouillard.
D'une part, une petite bourgeoisie anti-prolétarienne s'est emparée de l'appareil d'État pour le transformer... en État ouvrier. D'autre part, sous la pression de l'impérialisme, cette petite bourgeoisie s'est vue obligée effectuer des réformes économiques qui « représentent la possibilité d'avancer vers une société révolutionnaire nouvelle et meilleure avec des buts internationalistes ». Mais, dans ce cas, il semble contradictoire d'affirmer que cette même petite-bourgeoisie « n'a pas une base matérielle qui lui soit propre, ni dans sa classe, ni dans son programme, pour pouvoir effectuer des changements historiques fondamentaux contre la société bourgeoise ».
De même, on ne peut affirmer d'un côté que « la création de nombreux États ouvriers déformés atteste en partie de la ferveur et de l'énergie de grandes masses petites bourgeoises », et, de l'autre, que ces mêmes États ne sont pas la création de ces mêmes masses, sous-entendant d'ailleurs qu'historiquement, ils seraient celle de la classe ouvrière.
Il y a pourtant un argument avec lequel nous sommes d'accord. Le système social existant en Chine ou à Cuba, n'est en aucun point un système social petit bourgeois et la petite-bourgeoisie en lutte, même victorieuse, n'a pas le pouvoir « d'effectuer des changements historiques fondamentaux contre la société bourgeoise ».
En Chine, à Cuba ou en Yougoslavie, la prise du pouvoir par les directions petites bourgeoises et les bouleversements qui l'ont suivie, n'ont pas changé fondamentalement la société bourgeoise.
Ils ont certes modifié profondément les structures internes de ces pays, mais nullement les fondements mêmes de la société bourgeoise à l'échelle mondiale. Sur le plan intérieur, en s'attelant à la construction d'économies qui se veulent « fortes », les radicaux petits-bourgeois n'ont fait que remplir le rôle qui était historiquement dévolu à la bourgeoisie de ces pays. Et, en ce sens, et en ce sens seulement, la petite-bourgeoisie n'a pas créé un système social propre. Elle a recréé un État bourgeois, présentant sans doute des aspects monstrueux, dus, à la fois à la pression exercée par l'impérialisme, et à son corollaire, la faiblesse de la bourgeoisie nationale.
Mais, cela ne doit pas surprendre. Dans les pays sous-développés, parvenus à l'indépendance, le système d'exploitation capitaliste « classique », c'est-à-dire, faisant une large part à la propriété privée des moyens de production, n'existe pas et d'ailleurs, pour ainsi dire, n'a jamais existé.
Car, à l'époque de décadence du capitalisme, c'est-à-dire l'époque où la bourgeoisie n'est plus capable d'assurer le développement continu des moyens de production, l'État, y compris dans les pays impérialistes, tend de plus en plus à remplacer cette bourgeoisie défaillante. Et ce qui est vrai dans les pays capitalistes industriellement avancés l'est encore plus dans les pays sous-développés. Et donner le moindre caractère « ouvrier » ou « socialiste » à cette intervention de l'État conduit tout droit à abandonner le prolétariat au profit d'autres formations sociales que l'on suppose capables de jouer le même rôle historique.
Cette conception revient en effet à admettre ouvertement, que des organisations bourgeoises (petites-bourgeoises) peuvent en s'appuyant sur certaines couches petites bourgeoises, et en tous cas non prolétariennes, créer des États ouvriers, même déformés, et jeter les bases de progrès économiques notables, dans les pays sous-développés.
C'est la négation même du rôle du prolétariat, la négation même de la révolution permanente, et la négation même du Manifeste, c'est aussi la négation du raisonnement qui a amené Trotsky à considérer l'U.R.S.S, comme un « État ouvrier dégénéré » à cause du rôle particulier et déterminant qu'avait joué le prolétariat dans sa création.
A partir de ce moment-là, ont raison alors ceux qui considèrent un tel processus comme historiquement progressiste. Au moins aussi progressiste que l'est l'existence de l'URSS Cela ramène ipso-facto au pablisme, variété, en langage gauchiste, de -l'idéologie staliniste. Le texte de Spartacist montre d'ailleurs que la faiblesse de ce raisonnement n'a pas échappé à ses auteurs puisqu'ils essaient de démontrer que ce processus ne peut pas se reproduire de façon illimitée (c'est pour cela sans doute qu'il faut s'appuyer sur le prolétariat).
Sur ce point particulier il est évident que les conceptions théoriques que défend la « Spartacist League » portent en germe les compromissions et les reniements contre lesquels elle lutte sur le plan politique.
Car ce sont les mêmes conceptions qui ont conduit la majorité du Mouvement trotskyste à embellir les petites-bourgeoisies du tiers monde et des démocraties populaires, créatrices de soi-disant « États ouvriers déformés ».
Et, sans rupture radicale avec de telles théories, toutes les ruptures politiques risquent toujours d'être remises en cause.
Nota : Nos citations sont traduites d'un exemplaire de ces « Thèses » en Espagnol.