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- Lutte de Classe n°57
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Une place pour Tschombé
On ne compte plus les rebondissements de l'affaire congolaise. Une fois de plus, Tschombé vient d'ajouter une page peu glorieuse à la longue liste de ses activités de vedette internationale.
Pour un bon nombre d'amateurs de la politique, ce monsieur dont les téléspectateurs ont pu admirer récemment la brillante intelligence et la modestie extraordinaire, a assurément beaucoup de chance et beaucoup d'habileté. Chassé pour la n-ième fois de sa capitale, vaincu, écrasé, - du moins d'après les communiqués des journaux - il revient toujours pour recommencer à jouer, avec plus ou moins de brio, le même rôle. Comme remarque France-Observateur, on a l'impression d'assister à un film dont on repasserait sans cesse la même séquence. De ce fait, l'historique de ses nouveaux avatars n'a qu'une importance secondaire.
Le « troisième round » de la guerre katangaise avait commencé le 28 décembre dernier par des fusillades aux origines obscures, opposant forces de l'ONU contre gendarmerie locale. Dégénéré en conflit armé il s'est terminé par la dispersion quasi-totale des troupes de Tschombé, due d'ailleurs bien moins aux faits d'armes proprement dits, qu'à la perte du contrôle de la Banque du Katanga, point stratégique d'une importance éminente pour une armée de mercenaires.
Après une fuite précipitée en Rhodésie du Nord, crachant feu et flammes contre l'ONU, les USA, le gouvernement de Léopoldville et promettant une résistance acharnée, le leader katangais revient à Elisabethville cette fois en homme d'État sage, prêt à négocier sur n'importe quelle base « afin d'éviter de nouvelles victimes et de nouvelles souffrances » au peuple congolais. Tour de passe-passe réussi, puisque l'ONU, après l'avoir arrêté pendant quelques heures, le relâche et accepte ses services.
A première vue, il n'est pas facile de se retrouver dans cette jungle équatoriale de déclarations et de contre-déclarations, où Tschombé comme l'ONU, s'acharnent à défendre des positions qu'ils ont combattues la veille. Aucun des journaux ne manque de souligner l'ambiguïté de l'attitude des acteurs de cette tragi-comédie. Qui défend Tschombé ? Qui est contre ? Quelle est la politique de l'ONU ?
On avait l'habitude d'expliquer les péripéties de l'affaire katangaise par l'opposition de deux politiques : d'une part, celle de l'Union minière et du loby katangais dans certains milieux anglais, belges et français qui soutiennent la sécession de cette riche partie du Congo et d'autre part, celle de l'ONU, partisan de la réunification. Cette schématisation a l'avantage d'expliquer la force de Tschombé, par la faiblesse de l'ONU.
En fait, le problème n'est pas un problème militaire. Les héros de cinéma « affreux » ou pas du leader sécessionniste faisaient piètre figure devant l'armée de l'ONU dès le moment où celle-ci se décidait à combattre. Mais l'accord présent entre représentants de l'ONU et Tschombé, alors que celui-ci n'a aucune force militaire derrière lui, montre à quel point l'ONU ne tient pas à l'éliminer.
Les USA, dont l'ONU est le fidèle serviteur, avaient depuis le début de la crise opté pour le soutien du gouvernement central de Léopoldville. Ils sont hostiles à un État indépendant katangais parce qu'il leur est bien plus facile de contrôler économiquement un Congo unifié, qu'un Katanga indépendant, entièrement à la dévotion des milieux impérialistes anglais belges et français. D'après l'expression de France-Observateur, « le capitalisme américain est mal implanté au Katanga et il ne serait pas fâché d'y tailler des croupières au capitalisme franco-anglais ».
D'autre part, un Congo privé de ses provinces les plus riches ne pourrait survivre que grâce à l'appui financier de son puissant « protecteur », appui que celui-ci préférerait prélever sur les bénéfices de l'Union Minière, plutôt que sur ses propres fonds.
Un des griefs principaux des USA contre Tschombé est que celui-ci, malgré les accords antérieurs, a systématiquement refusé de payer ses redevances à Léopoldville. Ainsi, d'après « Le Monde « l'une des principales clauses du plan Thant pour la réunification du Congo (est) la répartition des redevances de l'Union entre le Katanga et le gouvernement central ».
Mais, être hostile à la sécession du Katanga est une chose, éliminer définitivement Tschombé en est une autre. En effet, il n'y a guère d'hommes d'État congolais qui aient donné autant de preuves de leur totale soumission à l'impérialisme que le leader katangais au cours de sa courte, mais brillante carrière. Même si, avec la meilleure volonté du monde, on ne peut qualifier les dirigeants de Léopoldville de révolutionnaires, ils sont incontestablement difficiles à contrôler politiquement : le Parlement congolais est composé en bonne partie des lumumbistes (rappelons qu'Adoula, le premier ministre congolais, profitant du rebondissement de la crise a suspendu le Parlement qui l'accusait de « trop de dépendance à l'égard des puissances étrangères » ).
Les capitalistes américains sont trop intelligents pour rejeter un homme de paille aussi efficace que Tschombé. Une récente déclaration de Dean Rusk, secrétaire d'État américain, ne cache d'ailleurs pas que « Monsieur Tschombé pourrait et devrait jouer un rôle important dans un Congo unifié ».
Evidemment, les Américains ne peuvent pas imposer du jour au lendemain, même à un homme de paille, qu'il abandonne le rôle du chef d'un « État indépendant ». D'autant plus que l'Union Minière et d'autres milieux aussi, gardent encore la nostalgie de la sécession et comme tels, exercent une certaine contre-pression sur Tschombé.
Mais on peut gager, sans trop risquer de se tromper, que le leader katangais jouera loyalement le rôle que la pression du groupe impérialiste le plus fort finira par lui imposer.