Une peine infamante16/05/19611961Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Une peine infamante

Pendant que Khrouchtchev, continuant une tournée à travers l'URSS, fait applaudir le nom de Staline, en Arménie et en Géorgie B pays qui eut à souffrir particulièrement de l'activité de celui qui osera s'intituler plus tard le « père des peuples » B le Présidium du Soviet Suprême vient de promulguer un décret qui étend l'application de la peine de mort à « ceux qui pillent les biens de l'État ou impriment de faux billets, ceux qui attaquent en bande les locaux de l'administration et les récidivistes dangereux » ( Monde du 9.5.61).

En même temps la République russe B la plus importante des républiques fédérées de l'URSS B, à la suite de la Géorgie il y a déjà six mois et des républiques baltes, prenait une série de mesures judiciaires à l'encontre des « fainéants, parasites et autres éléments antisociaux ». Tous ceux qui seront convaincus de « refus de travail social » sont passibles d'une peine de deux à cinq ans de déportation dans une localité où ils seront « astreints à travailler », Enfin, la publication dans la revue théorique du parti « Kommunist » d'un discours de K. aux intellectuels, prononcé il y a dix mois mais non publié jusqu'alors, et dans lequel il s'attaque aux révisionnistes et rappelle que la littérature doit être soumise à la ligne politique du régime, semble annoncer un durcissement du régime vis à vis de l'intelligentsia.

Inutile sans doute d'épiloguer longuement sur ce qu'ont de socialistes des mesures judiciaires prévoyant la peine de mort, il suffira de rappeler que l'une des premières mesures prises par le pouvoir soviétique après la révolution d'octobre fut justement l'abolition de la peine de mort pour tous les délits qui n'étaient pas politiques. Il ne pouvait en effet être question de refuser la peine de mort aux ennemis du prolétariat alors que la guerre civile faisait chaque jour des milliers de victimes. Mais dans l'esprit des bolchéviques le maintien partiel de cette peine n'était qu'une mesure circonstancielle et transitoire.

Ce n'est que l'arrivée de Staline et de la bureaucratie au pouvoir qui permit le maintien de la peine de mort dans la législation soviétique. Elle devait d'ailleurs servir désormais à éliminer, en premier lieu, les véritables révolutionnaires prolétariens qui s'opposaient à la dictature stalinienne. Si la politique de la bureaucratie en la matière devait d'ailleurs varier par la suite (à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la peine de mort était à nouveau supprimée pour être rétablie en 1950 pour les coupables de haute trahison, de sabotage ou d'espionnage) c'est que de toute manière à cette époque la police et la justice au service de la bureaucratie s'étaient suffisamment élevées au-dessus de tout contrôle pour pouvoir liquider et condamner qui elles voulaient, à la peine qu'elles voulaient, sans être gênées le moins du monde par la légalité ou l'illégalité de la chose.

Mais Khrouchtchev est venu au pouvoir en critiquant les « erreurs » de Staline, et plus particulièrement le fait, de n'avoir pas respecté la « légalité soviétique ». Certes Khrouchtchev tend à devenir un nouveau Staline, c'est-à-dire à instaurer à son tour sa dictature personnelle, sans aucun contrôle. Mais il a fallu à Staline lui-même de nombreuses années avant que la bureaucratie dans son ensemble soit convaincue qu'il représentait ses intérêts. De même au début de son pouvoir la solidité de Khrouchtchev n'était pas si assurée qu'il puisse calquer sa conduite sur celle du défunt maître de la Russie. Encore aujourd'hui il est dans une certaine mesure prisonnier de son origine : c'est-à-dire qu'il ne peut, sans doute, pas se passer d'une couverture légale - dont il a prétendu se faire le défenseur au début de son règne - aussi facilement que ne le fit Staline à la fin du sien. Mais que la restauration d'une telle dictature personnelle soit l'évolution normale du régime, il n'en faut pour preuve que la liquidation actuelle du mythe de la déstalinisation : « il existe des périodes, dit Khrouchtchev dans son discours aux intellectuels, où il faut faire un tour d'horizon, passer en revue les forces pour jeter dehors tout ce qui est vieux et rouillé ». Dans la vie de notre État soviétique une de ces périodes d'analyse et de nettoyage a été celle qui a suivi la mort de Staline »,

Ainsi nous sommes avertis, avec les intellectuels russes, par l'emploi du passé, que la dite période - celle qu'on a appelé « déstalinisation » - est terminée. La dictature de Khrouchtchev est annoncée.

Khrouchtchev semble avoir à faire face aujourd'hui à une crise dans l'agriculture de grande importance. De nombreux dirigeants du Parti et de l'État ont déjà été limogés et, il y a quelques jours encore, premier secrétaire du PC, second secrétaire, chef du gouvernement et autres hauts fonctionnaires de la République du Tadjikistan. La crise agricole qui s'est révélée l'année dernière est donc loin d'être terminée. Jusqu'ici elle ne s'est traduite, sur le plan politique, que par des limogeages, mais il n'est pas dit que la bureaucratie s'arrête là. Pour diverses raisons Khrouchtchev sera peut-être forcé d'aller beaucoup plus loin dans la répression si la crise prenait des proportions telles qu'il faille, par exemple, trouver des coupables et les châtier durement.

En faisant promulguer la peine de mort pour ceux qui pillent les biens de l'État, Khrouchtchev a l'instrument légal qu'il lui faut, dans un premier temps, pour imposer à nouveau une dictature personnelle, appuyée sur la terreur policière, à la Staline, dictature nécessaire aux intérêts généraux de la bureaucratie issue de la dégénérescence de l'État ouvrier.

Or, certains signes - limogeage de maints dirigeants, par exemple - semblent indiquer que l'URSS voit actuellement une aggravation de la crise qui sévit en fait à l'état endémique ; il s'agit du manque de biens de consommation, aussi bien industriels qu'agricoles, dont souffre la société soviétique et qui touche durement les masses. Cette crise semble avoir pris un aspect plus aigu avec la mauvaise récolte, signalée bruyamment par Khrouchtchev lui-même, de 1960. Il y a quelques jours la presse s'est encore faite l'écho d'une crise soudaine dans le ravitaillement en viande et en produits laitiers à Moscou, un peu avant le 1er mai.

C'est de là que découle la spéculation que l'on veut combattre. En effet, dans la mesure où l'État est incapable de subvenir aux besoins de la consommation aussi bien dans l'ordre des produits industriels que dans celui des produits agricoles, la nécessité est évidente pour les particuliers de se substituer à lui.

Le décret sur la déportation vise « ceux qui esquivent le travail utile, qui vivent des revenus non liés au travail à partir de l'exploitation de lopins de terre, d'automobiles, de logement ou qui se livrent à d'autres actes anti-sociaux leur permettant de mener un mode de vie parasitique ».

La presse russe elle-même, révèle qu'il y a des gens qui spéculent sur les logements en les sous-louant ou encore en revendant des bâtiments qu'ils ont achetés, puis remis en état. Il y en a d'autres qui vendent, par exemple, des articles de ménage trois fois plus cher sur le marché libre que dans le commerce sous contrôle de l'État. D'autres enfin possesseurs de terrains particuliers y cultivent des légumes qu'ils revendent à des prix spéculatifs, etc. Mais si les logements, les articles de ménage ou les légumes étaient abondants ou même suffisants sur le marché officiel, il n'y a aucune chance pour que les « spéculateurs » puissent les vendre à des prix plus élevés sur le marché libre.

Tant que l'industrie russe ne sera pas capable de fournir ses produits en abondance à tous ; tant que les paysans auront moins d'intérêts à travailler dans les fermes collectives (à cause du manque de machines, d'engrais et des prix imposés par l'État acheteur de produits) qu'à exploiter une petite parcelle individuelle dont le produit - qu'ils peuvent vendre à des prix supérieurs - leur revient ; et même tant que la mauvaise gestion économique de la bureaucratie obligeront les entreprises étatisées à s'adresser à des particuliers pour avoir machines et matières premières, nécessaires à la réalisation du plan et que les organismes officiels ne peuvent leur fournir - comme le cas a été rapporté - alors la possibilité de la spéculation persistera et par là des spéculateurs. La déportation de ceux-ci qui a pour résultat bien davantage de trouver des boucs émissaires que de remédier aux véritables causes du mal, ne résoudra rien car elle ne fournira pas aux masses de l'URSS les biens de consommation nécessaires. C'est le même problème fondamental qui existait déjà sous Staline et qui avait permis la bureaucratisation de l'État ouvrier.

Que la répression soit la seule solution possible pour la bureaucratie montre bien son rôle négatif dans la société soviétique. Incapable de s'attaquer aux causes mêmes du mal, elle préfère s'attaquer à ses conséquences. Mais ne résolvant rien, elle doit réprimer d'autant plus durement.

Car si le socialisme n'est possible que lorsque la société produira en abondance des biens de consommation pour tous, cela n'est concevable que sur la base d'un développement formidable de son industrie, grâce à la socialisation des moyens de production,

ce haut niveau industriel, l'URSS ne l'a pas atteint, Aucun pays au monde, les États-Unis y compris n'aurait pu l'atteindre. Seule, l'extension de la socialisation des moyens de production dans d'autres pays aurait pu y parvenir. Mais la bureaucratie, en s'y refusant et en essayant de bâtir « le socialisme dans un seul, pays », s'est enfermée dans des contradictions sans solution véritable.

Ainsi que l'a dit Caryl Chessman à la veille de son exécution : » il est plus facile de supprimer un Caryl Chessman, que les situations qui donnent naissance à de tels hommes ». La bureaucratie russe utilisant pour défendre ses privilèges les mêmes procédés que la bourgeoisie, finira comme elle. Le rétablissement de la peine de mort est la pire condamnation qui soit du régime de Khrouchtchev.

Voici comment Boukharine voyait la justice prolétarienne après la prise du pouvoir par le prolétariat (Extrait de l'A B C du Communisme, édition 1923 - Librairie de l'Humanité)

« ... La justice prolétarienne est étrangère à toute vengeance, Elle ne peut se venger de personne dont le seul crime est d'avoir vécu dans la société bourgeoise, Aussi les peines infligées par nos tribunaux populaires reflètent-elles déjà la transformation révolutionnaire de la justice. La peine, la plupart du temps est conditionnelle ; elle a surtout pour but d'éviter le renouvellement du délit. On emploie aussi la désapprobation publique, mesure qui ne sera réellement efficace que dans une société sans classes et qui est basée sur l'élévation de la conscience et de la responsabilité sociale. La peine de la prison sans travail, ce parasitisme forcé, si souvent appliquée par le tsarisme, est remplacée par les travaux publics. La justice prolétarienne répare les dommages causés par les délinquants en les contraignant à un travail plus intense. Enfin, lorsque le tribunal a affaire à un criminel invétéré dont la libération, même après la peine accomplie, mettrait en danger la vie des autres citoyens, il procède à l'isolement du criminel, mais tout en lui laissant la possibilité d'une complète renaissance morale.

Toutes ces mesures qui caractérisent la transformation des moyens de coercition étaient déjà, en majeure partie, défendues par les meilleurs juristes. Mais dans la société bourgeoise, elles ne sont jamais sorties du domaine du rêve. Seul, le prolétariat victorieux pouvait les appliquer.

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