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Une « démocrate » devant ses juges
En ce moment où il est de mode pour la gauche de présenter des programmes dits démocratiques et de parler de Démocratie rénovée ou de Démocratie réelle, il n'est pas sans intérêt de voir ce que représenta le Gouvernement du Front Populaire face à la vague de grèves qui déferla dans tout le pays et qui mit la bourgeoisie en danger. De voir le rôle joué par des hommes de gauche, tel BLUM, présenté à l'ensemble des travailleurs comme le dispensateur des grandes réformes sociales, alors que lui-même démontre comment il fut un bon agent de la bourgeoisie, son « sauveur » lorsque la classe ouvrière menaça de l'abattre.
BLUM fut en effet, en 1942 sous le Régime PETAIN, mis en accusation devant la Haute Cour de RIOM pour « avoir manqué aux devoirs de sa charge » pendant qu'il était Président du Conseil en 1936, en particulier dans la préparation militaire de la France. Il pourrait sembler malhonnête d'utiliser des déclarations faites devant un Tribunal, et qu'on pourrait croire arrachées par la menace et sans valeur politique. Mais en faisant paraître « Léon BLUM devant la cour de RIOM », en 1945, aux « Editions de la Liberté », ses éditions officielles, le Parti Socialiste en revendiquait l'honneur et déclarait même « On trouvera dans toutes ces interventions l'élévation morale, la largeur de vues, la clairvoyance, en un mot la grandeur que nous avons toujours admirées chez Léon BLUM ».
Toute la défense de Léon BLUM fut de montrer, pour ceux qui ne s'en étaient peut-être pas encore aperçus, combien il avait loyalement servi les intérêts de la bourgeoisie française.
« ... Je rétablirai quand il le faudra la vérité méconnue et calomniée en ce qui concerne le gouvernement de Front Populaire. Je montrerai ce qu'a été son oeuvre dans l'ordre de la paix intérieure, dans l'ordre de la paix internationale, dans l'ordre de la préparation matérielle, morale, politique de la défense du pays... »
En apprenant le rétablissement du service militaire obligatoire, en Allemagne, il établit tout un programme d'armement, c'est lui qui va le plus loin dans le sens de la défense du pays, et à ce sujet il remarque :
« ... J'étais au gouvernement comme représentant d'un parti qui, des années durant, pour des raisons d'ordre rituel, avait voté contre les crédits militaires, sauf cependant lorsque son vote était nécessaire pour les faire passer - comme ce fut le cas en 1929, pendant le Ministère Herriot... ». « ... J'ai obtenu cette conciliation dans toutes les questions intéressant la Défense Nationale, puisque j'ai obtenu le vote unanime, sans réserve, de mon Parti en faveur des crédits de la Défense Nationale... »
Au sujet de l'attitude de son gouvernement, à la Conférence du Désarmement, BLUM présente son verbiage pacifique comme une nécessité pour faire accepter l'armement au bon peuple :
« ... Il n'y a pas un peuple en ce moment, même parmi ceux des régimes totalitaires, qu'on puisse entraîner ou maintenir dans la guerre si on ne lui donne pas tout d'abord l'assurance qu'on a tout fait pour préserver la paix. Même les dictateurs s'adressant à leurs peuples sont obligés de tenir ce langage et de dire : « Nous n'avons pas voulu cela, la guerre nous a été imposée, nous avons tout fait au monde pour la prévenir ». Et nous, gouvernement républicain, nous, ministres républicains, dans un pays d'opinion alors libre et de suffrage universel, nous y étions tenus encore davantage. Nous avons ainsi rallié toute l'opinion française et tout le Parlement autour des demandes de crédits massifs qui se sont succédé entre 1936 et la guerre, et qui n'ont jamais rencontré l'ombre d'une difficulté dans l'opinion et dans les Chambres. L'une des raisons de cette unanimité, c'est précisément qu'on savait que nous avions tout fait pour maintenir la paix en Europe, et que par de semblables projets nous faisions une fois de plus tous nos efforts pour la rendre possible... C'est la politique qu'il faut suivre pour gagner et viriliser l'esprit public... »
A l'accusation suivant laquelle il avait établi un programme de crédits militaires pour résorber le chômage, il répond :
« ... J'ai fait l'inverse. Non seulement je n'ai pas dérivé vers le chômage les crédits dirigés vers la Défense Nationale, mais j'ai dérivé vers la Défense Nationale les crédits qui avaient été accordés par le Parlement pour la résorption du chômage... Sur les quatre milliards de grands travaux destinés à résorber le chômage, il y a eu près d'un milliard finalement affecté à des dépenses purement militaires... »
Il rappelle son attitude, après l'Anschluss en 1938 : « A la première nouvelle des événements extérieurs, j'ai obtenu l'adhésion de mon Parti à ce que j'appelais l'Unité Française ». De toute façon ce, n'était pas très nouveau ; car en septembre 1936 déjà, il terminait son discours de Luna Park par ce vers de Victor Hugo :
« O Patrie ! O concorde entre les citoyens ».
Cette « concorde entre les citoyens » menacée sur le plan social en I936, BLUM montre comment il réussit à la rétablir. A ceux qui en 1942, lors de son procès, l'accusent de n'avoir pas en 1936 fait une saignée, il explique que s'il ne l'a pas faite c'est que c'était impossible sans déclencher la guerre civile :
« ... Je me souviens de ce qu'on me disait, ou me faisait dire par des amis communs : « Alors quoi ? C'est la Révolution ? Alors quoi ? Qu'est-ce qu'on va nous prendre ? Qu'est-ce qu'on va nous laisser ? »... Les ouvriers occupaient les usines. Et peut-être ce qui contribuait le plus à la terreur, c'était cette espèce de tranquillité cette espèce de majesté calme avec laquelle ils s'étaient installés autour des machines, les surveillant, les entretenant, sans sortir au dehors, sans aucune espèce de signe de violence extérieure... On ne demandait qu'une chose aux Chambres : aller vite, voter vite, afin de liquider cette situation redoutable, cette situation que j'ai qualifiée, non pas de révolutionnaire, mais de quasi-révolutionnaire, et qui l'était en effet... Les usines étaient occupées. Est-ce qu'on avait demandé à mon prédécesseur de les faire évacuer par la force ? ... Les patrons - M. Sarraut a rappelé leur langage - non seulement ne lui ont pas demandé d'en faire usage, mais l'ont adjuré de n'en pas faire usage. Ils lui ont dit : « Dans l'état présent des choses, cela ne pourrait aboutir qu'à un conflit sanglant. Or nous ne voulons pas reprendre le travail dans des usines ensanglantées ; avec des ouvriers dressés contre nous »...
L'ampleur du mouvement effrayait la bourgeoisie qui ne voulait pas déclencher l'épreuve de force car elle était loin d'être sûre de la gagner ce n'est pas par magnanimité que la police n'est pas intervenue car :
« ... plus tard, la situation n'a plus eu que ce caractère local, personnel. On pouvait faire respecter la loi sans courir de tels risques. La hiérarchie des devoirs à partir de ce moment là a changé. Nous n'avons pas hésité : nous avons fait respecter le droit de propriété... Par exemple, au commencement d'octobre, une grève de restaurateurs et d'hôteliers a éclaté juste au moment du Salon de l'Automobile. Nous avons fait évacuer les restaurants par la police. Nous avons fait la même opération le mois suivant, en novembre, dans les grèves de la chocolaterie... »
Les accords Matignon, qui sur le plan de l'entreprise prévoient : augmentations de salaires, délégués ouvriers, Léon BLUM dévoile qu'ils ont été provoqués par le patronat :
« ... Sans nul doute, j'aurai tenté moi-même ce qu'on a appelé l'accord Matignon. Mais je dois à la vérité de dire que l'initiative première est venue du grand patronat... »
« ... La contre-partie c'était l'évacuation des usines. Dès ce jour là, les représentants de la CGT (alors unifiée , Jouhaux en était secrétaire général et Benoit Frachon secrétaire général adjoint) ont dit aux représentants du grand patronat qui étaient à Matignon : « Nous nous engageons à faire tout ce que nous pourrons, et nous le ferons. Mais nous vous avertissons tout de suite. Nous ne sommes pas sûrs d'aboutir. Quand on a affaire à un mouvement comme celui-là, une marée comme celle-là, il faut lui laisser le temps de s'étaler. Et puis, c'est maintenant que vous allez peut-être regretter d'avoir systématiquement profité des années de chômage et de déflation pour exclure de vos usines tous les militants syndicalistes Ils n'y sont plus. Ils ne sont plus là pour exercer sur leurs camarades l'autorité qui serait nécessaire pour faire exécuter nos ordres ». Et je vois encore M. Richemont, qui était assis à ma gauche baisser la tête en disant : « C'est vrai, nous avons eu tort »... »
Il faut dire à la décharge des militants syndicalistes, qu'un grand nombre d'entre eux sont passés outre aux consignes de reprise du travail, et ne se sont résignés à la faire que n'ayant aucune autre issue, ne voyant aucune autre solution proposée.
De la même façon, BLUM montre que le vote de la loi de 40 heures était un moyen de contenter les ouvriers, mais surtout ne nuisait en rien à 1a production nationale, en faisant l'éloge des 3 x 8 :
« ... Dans une production moderne, on peut raisonnablement distinguer trois éléments : le premier c'est la nature, la qualité, le perfectionnement de l'outillage ; c'est l'élément machine pour tout englober en une seule expression. Le second c'est la durée de rotation de cette machine ; non pas la durée de travail de l'ouvrier. Pour le troisième élément, c'est la rendement horaire de cette machine que l'ouvrier doit mettre en action.
Voulez-vous maintenant que nous examinions la répercussion de la durée légale du travail sur ces trois éléments ?
En ce qui concerne la premier - la qualité de l'outillage - elle est certainement nulle. La qualité de l'outillage dépend de la qualité du patron...
Le second élément nous met au coeur du problème : c'est la durée de rotation de la machine. Car il ne s'agit pas de savoir combien d'heures l'ouvrier travaille, mais combien d'heures la machine tourne... Le rendement maximum de l'outillage c'est l'outillage qui tourne sans arrêt pendant 24 heures par jour... vous ne pouvez pas n'avoir qu'une équipe. Une équipe ne travaille pas jour et nuit. Vous ne pouvez même pas avoir seulement deux équipes. Il est à peu près impossible, dans les conditions de travail moderne d'avoir une équipe travaillant 12 heures par jour... Alors le régime maxima est de trois équipes... la durée de travail de l'ouvrier qui correspond le mieux au rendement maximum de l'outillage n'est ni 10, ni 11 c'est 24 divisé par 3, c'est-à-dire 8 heures, de telle sorte que la régime légal du travail correspond à la rotation maxima de l'outillage, c'est la semaine de 40 heures, et au maximum la semaine de 48 heures si on travaille 6 jours. Car il est impossible au moins pendant plus de quelques semaines, de supprimer le repos hebdomadaire.
J'en reviens maintenant au troisième élément : le rendement horaire de la machine... la journée plus courte, les loisirs, les congés payés, le sentiment d'une dignité, d'une égalité conquise, tout cela était, devait être, un des éléments qui peut porter au maximum le rendement horaire tiré de la machine par l'ouvrier... »
BLUM résume devant la Cour de RIOM le véritable rôle qu'il a joué en 1936 par ces phrases :
« ... Cela a peut-être l'air singulier de parler ainsi aujourd'hui, de la place où je suis et dans une situation comme celle-là. Mais je dois vous dire qu'à ce moment, dans la bourgeoisie et en particulier dans le monde patronal, on me considérait, on m'attendait, on m'espérait comme un sauveur. Les circonstances étaient si angoissantes, on était si près de quelque chose qui ressemblait à la guerre civile, qu'on n'espérait plus que dans une sorte d'intervention providentielle : je veux dire l'arrivée au pouvoir d'un homme auquel en attribuait sur la classe ouvrière un pouvoir suffisant de persuasion, un ascendant suffisant pour qu'il lui fit entendre raison et qu'il la décidât à ne pas user, à ne pas abuser de sa force. »
On ne peut pas avouer plus cyniquement le rôle réactionnaire joué par ces hommes dits de gauche du gouvernement BLUM en 1936.
Et les actuels défenseurs de la « démocratie rénovée » ou de la « démocratie réelle » sont ceux qui ont alors soutenu le gouvernement BLUM, et qui ont de 1944 à 1947 appliqué une politique toute semblable.
Les politiciens bourgeois, et surtout ceux qui se réclament de la classe ouvrière, ont deux visages. Celui qu'ils présentent à leurs électeurs, pour avoir le plus de voix possible, et celui qu'ils montrent à la bourgeoisie peur lui prouver qu'elle n'a rien à craindre d'eux, bien au contraire. Il leur faut avoir à la fois la confiance des masses, et celle de la bourgeoisie, et cette dernière n'est ni la plus facile à gagner, ni celle qui leur importe le moins.