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- Lutte de Classe n°44
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Un seul drapeau, le drapeau rouge
Tous ceux qui croyaient que, le 1er juillet, « l'affaire algérienne » allait se terminer avec la guerre et que l'histoire que les Algériens avaient écrite allait finir là sur un : « et ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants », n'auront donc pas eu longtemps à attendre pour vérifier le fait général que tous les pays dits du tiers monde qui accèdent à l'indépendance ne peuvent accoucher que de régimes instables ou de régimes dont la précarité est masquée par une dictature de fer.
Le FLN est une organisation, il ne s'en cache d'ailleurs pas, regroupant plusieurs tendances du nationalisme algérien. Ce type d'organisation est en général un piège pour le prolétariat révolutionnaire. Sous prétexte d'unité, le prolétariat révolutionnaire abandonne ses objectifs propres et, surtout, la défense publique de ces objectifs devant les masses. De plus, le FLN ne comportait à l'origine aucun groupement représentant plus particulièrement le prolétariat, surtout révolutionnaire.
Quels que soient ses objectifs intérieurs (nationalisations, réforme agraire, etc...), le FLN n'est pas une organisation révolutionnaire au sens socialiste, marxiste, du terme. Ses objectifs sont l'indépendance nationale de l'Algérie et la construction d'un État algérien. Le critère déterminant, c'est l'attitude du vis-à-vis de la lutte de classe et vis-à-vis du prolétariat mondial. Le FLN, nie la lutte de classe, s'y refuse et s'y oppose, jusque dans ses statuts. Par ailleurs, la révolution socialiste dans les autres pays ne le préoccupe pas, elle n'a jamais été l'un de ses buts. Quelles que soient les phrases « sociales » dont il peut entourer son programme concernant l'Algérie, son but ne peut pas être la construction d'une République socialiste, même s'il l'affirmait, car la construction du socialisme dans un seul pays est une duperie, que le pays soit l'URSS, la Chine, Cuba ou l'Algérie. On fait ce que l'on peut, là où l'on se trouve y compris prendre le pouvoir au nom du socialisme, mais on ne peut pas être un révolutionnaire socialiste si l'on ne lutte pas, par la parole et par les actes, pour la révolution socialiste mondiale.
Il faut donc se garder de juger de la politique du FLN ou de certains de ses membres uniquement d'après leur plus ou moins grande opposition à l'impérialisme, ou les compromis qu'ils peuvent passer avec ce dernier, ou leur intransigeance verbale. Dans la lutte qui oppose Ben Khedda à Ben Bella, il serait tentant de ne voir en Ben Bella qu'un adversaire plus « acharné » de l'impérialisme français que Ben Khedda, mais Ben Bella affirme hautement qu'il est lui aussi partisan de l'application intégrale des accords d'Evian. Pas plus l'un que l'autre ne dit aux masses algériennes : « Nous avons signé ces accords parce que nous ne pouvions pas faire autrement sur le plan militaire. Refuser tel ou tel paragraphe eût été continuer la guerre. C'eût été risquer l'acquis. Mais nous ne les avons signés que sous la contrainte et nous ferons tout notre possible pour amener l'impérialisme français à composition dans l'avenir ».
Ceci pour dire que leurs divergences vis-à-vis de l'impérialisme sont mineures car on ne peut guère reprocher au FLN les accords d'Evian. Et si Ben Bella reproche à Ben Khedda le compromis avec l'OAS, on peut être certain que c'est pure démagogie (il en fait le « reproche », mais il n'a à aucun moment, et surtout en temps voulu, proposé aux masses algériennes d'autre solution ; et ce n'est pas, l'avenir l'a montré, par crainte de « rompre l'unité » ).
Les deux groupes ont un soutien populaire important et ils font preuve, l'un et l'autre, de la même « autorité » vis-à-vis des masses populaires. Ben Khedda et la majorité du GPRA paraissent peut-être un peu plus « démocratiques » que Ben Bella et ceux qui le suivent. L'influence que Ben Khedda a à Alger ainsi qu'en France pourrait laisser penser que son appui est un peu plus prolétarien que celui que Ben Bella rencontre auprès de l'ALN et des wilayas du bled, mais ce qu'on peut affirmer c'est que ces deux fractions du FLN ne sont pas plus socialistes l'une que l'autre.
C'est ensemble qu'ils ont refusé toute possibilité d'expression au MNA et qu'ils liquident physiquement ses militants (quel que soit le caractère du MNA rien ne peut justifier cette attitude). C'est en commun accord qu'ils arrêtent les militants du Parti Communiste Algérien. Et tout ce qui les divise ne compte absolument pas auprès de ce qui les sépare du prolétariat révolutionnaire. (Cela ne veut pas dire que, pour des raisons tactiques, une organisation révolutionnaire algérienne se plaçant sur le terrain du socialisme et représentant le prolétariat, ne devrait pas soutenir telle ou telle des deux fractions en présence. Mais uniquement dans un but tactique et sans mettre la moindre sourdine à sa critique. Nous sommes d'ailleurs, tout comme l'ensemble de la gauche française, trop peu liés au prolétariat algérien pour pouvoir juger s'il y aurait lieu de le faire et quelle serait la fraction à soutenir.)
Il est probable, étant donné l'évolution actuelle du conflit, que celui-ci se terminera par un accord, au moins jusqu'à la prochaine réunion du CNRA Mais cette crise surmontée, d'autres ne manqueront pas de survenir, car les vrais problèmes restent posés. Cette crise manifeste les désaccords entre différentes tendances du nationalisme algérien, entre différentes tendances bourgeoises !
Mais le développement harmonieux de pays sous-développés sur des bases capitalistes n'est, au mieux, pas plus possible que le développement harmonieux des États impérialistes avancés, et en général il n'y a pas de développement du tout. Le FLN a beau nier la lutte de classe, celle-ci existe. Même s'il la nie par la loi, les tribunaux, les prisons et l'assassinat.
Verrons-nous se former en Algérie des organisations représentant le prolétariat révolutionnaire ? Un grand nombre de conditions sont réunies pour cela, sauf la tradition socialiste et révolutionnaire. Celle-ci n'est cependant pas rigoureusement indispensable. Il est d'ailleurs plus que probable qu'une telle organisation se créera à partir de combattants FLN, plus qu'à partir du PCA
Nous devrons tout mettre en oeuvre pour contribuer à cette évolution. Ce travail sera maintenant certainement plus facile pour les petits groupes qu'il ne l'était avant l'indépendance. En effet, l'incapacité manifeste des organisations officielles du prolétariat français, leur trahison évidente, rejetaient immanquablement tous les travailleurs algériens dans les bras des nationalistes. Aujourd'hui, ces mêmes travailleurs sont beaucoup plus préoccupés par les problèmes qu'ils considéraient auparavant comme secondaires ou ne devant être réglés que dans une étape ultérieure. Il est donc indispensable que les militants révolutionnaires français, pendant qu'il en est encore temps, c'est-à-dire pendant que de nombreux travailleurs algériens résident encore en France, consacrent une partie importante de leur activité à la formation de militants ouvriers révolutionnaires algériens.
Dans le foyer intense que sera l'Algérie durant les années qui viennent, quelques éléments dévoués, entraînés et formés, même peu nombreux, peuvent être le germe d'une organisation prolétarienne puissante, susceptible d'accoucher de la révolution socialiste la société algérienne et, par contre-coup, la France.