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- Lutte de Classe n°36
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Un danger pour Cuba : le stalinisme
Après avoir proclamé Cuba Première République Socialiste du continent américain, les dirigeants cubains viennent d'annoncer la formation d'un parti unique, regroupant le Parti Socialiste Populaire (Parti communiste cubain) et le Mouvement du 26 Juillet de Fidel Castro.
Le PSP obtiendrait une fraction importante des sièges des organismes dirigeants de cette organisation (au moins un tiers) et l'un de ses membres, ancien ministre d'État sous Batista pendant la Deuxième guerre mondiale, devient grand maître de l'économie.
Aboutissement d'un processus qui avait commencé par le contrôle des syndicats et d'une partie importante de l'appareil d'État, ces nouveaux progrès de l'influence du PSP accentuent terriblement le danger d'une reprise en mains de la révolution cubaine par les staliniens.
Pourtant, à la chute de Batista, le PSP, complètement déconsidéré, ne dut qu'à un soutien tardif mais empressé à Castro de garder une certaine influence. Mais d'autres événements allaient lui permettre d'accroître son importance.
Castro arriva au pouvoir à la tête de paysans encadrés d'intellectuels, ralliant autour d'eux, à ce moment, toutes les couches de la population cubaine, avec la bénédiction de l'Eglise et de l'impérialisme américain, tant le régime corrompu de Batista était devenu intenable, trop pourri par ailleurs pour pouvoir continuer à servir les USA.
Et, tout au début, le mouvement castriste sembla tenir ses promesses pour l'archevêque et les USA, Une équipe de modérés, dont Urrutra le chef de gouvernement, participait au pouvoir et garantissait sa politique. Mais sur un point le mouvement fidéliste ne pouvait transiger : la réforme agraire. Toute la paysannerie avait combattu dans cette perspective, il fallait, au moins en partie, répondre à son attente ou la briser.
La loi sur la réforme agraire est bien modérée pourtant. On laissait les centrales sucrières et 400 hectares aux propriétaires (1 300 hectares si la production est supérieure de 50 % à la moyenne !). Mais même avec ces restrictions cette loi portait un coup sévère aux immenses propriétés capitalistes (cubaines ou américaines).
Dès ce moment une lutte sourde commença entre l'aile droite du Front National et son aile radicale s'appuyant sur la petite bourgeoisie extrémiste. Les uns freinaient, les autres accentuaient la réforme agraire. Mais les réactions les plus violentes vinrent des USA.
Ceux-ci avaient transformé Cuba en possession économique. ils y possédaient pratiquement tout : les raffineries de pétrole, les compagnies de téléphone ou d'électricité, les grands hôtels, etc., sans compter les énormes propriétés sucrières ou l'élevage.
L'économie cubaine, dans un nouveau pacte colonial, était tout entière dirigée vers les USA. Le sucre y était développé à un point tel que l'on devait faire venir les plantes vivrières, comme le riz, des USA. Ceux-ci y vendaient par ailleurs leurs produits transformés.
Le refus d'acheter le sucre, le blocus économique, furent complétés parallèlement par l'encadrement des émigrés à l'extérieur, la formation de maquis, la défection de l'aile droite du Front National, à l'intérieur. Par réaction, s'appuyant sur la petite bourgeoisie radicale qui forme l'essentiel de son mouvement, Castro résistait en prenant des mesures d'épuration de plus en plus violentes, armait des milices populaires qui écrasèrent les troupes contre-révolutionnaires, nationalisait l'industrie américaine, puis étendait la nationalisation à toute l'industrie et à une part importante de l'agriculture.
La création de coopératives agricoles contrôlées par l'État complète la transformation. Mais Cuba coupé du monde ne peut survivre, sans industrie sérieuse, sans pièces de rechange, sans pétrole (toutes les centrales électriques fonctionnent au pétrole). Malgré la reconversion d'une partie de son agriculture, les cultures vivrières manquent et seule l'aide de l'URSS permet d'y suppléer. Non que son aide soit importante car sa ladrerie étonne jusqu'aux occidentaux (à titre d'exemple le sucre cubain acheté l'a été à un prix inférieur à celui qu'en donnaient les USA). Elle reste néanmoins vitale. C'est, en plus des rodomontades sur les fusées atomiques, ce qui rend l'URSS si populaire. Une popularité qui rejaillit inévitablement sur le PSP.
Au cours de l'évolution récente, celui-ci s'est cependant toujours placé à la remorque de Castro, pourtant déjà à la remorque des événements et des masses. Ainsi par exemple, le PSP se prononça contre les nationalisations la veille même du jour où Castro s'y lança.
Mais l'aide de l'URSS, le prestige du communisme libérateur l'auréolait. De plus, alors qu'une partie des premiers cadres du castrisme fuit, il offre des cadres sûrs dans les syndicats et surtout dans le nouvel appareil bureaucratique de l'économie nationalisée. Tout concourt à lui donner de l'importance, même le chantage direct ou indirect de l'URSS sur son aide (qui oserait attaquer les représentants de l'indispensable alliée ?).
Cette situation rappelle l'Espagne, pendant la guerre civile. Prestige de l'URSS et chantage aux armes, permirent au PC de prendre les leviers de commande et d'assassiner les révolutionnaires espagnols. Car, entre une révolution qui risque de la déborder et une contre-révolution, la bureaucratie n'a jamais hésité à choisir la seconde.
A Cuba la même situation s'installe et cela représente un danger terrible pour la révolution. La politique du PSP sera celle de l'URSS. Et, dans le cadre de la coexistence pacifique, celle-ci n'hésiterait pas plus à vendre Cuba que l'Espagne en 1936. Il reste à savoir si les masses paysannes, Castro et son équipe dont l'influence est restée grande, laisseraient faire.
Le PSP ne serait sûrement pas hostile à l'instauration, sous son contrôle, d'une économie planifiée, ce serait en tous cas une politique brisant toute initiative du prolétariat ou de la paysannerie révolutionnaire, le désarmement des milices, le renforcement de l'appareil bureaucratique de gestion de l'économie.
Mais Cuba n'est pas la Chine, l'URSS est loin, les USA tout proches et, économiquement, la situation ne peut que se détériorer.
Cuba est-elle donc condamnée ? Non, bien sûr. Une extension de la révolution en Amérique du Sud pourrait redonner une nouvelle impulsion au prolétariat cubain et amener la création de partis réellement communistes dans le continent américain, ce qui ouvrirait d'autres possibilités.
Tous ceux qui, pour la Guinée comme pour Cuba, l'Algérie ou la France, espèrent en la seule spontanéité d'un mouvement, peuvent ici en retrouver les limites. Craignons qu'après les leçons d'Espagne, il n'y ait à méditer les leçons cubaines.