Tuer l'espoir30/10/19621962Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Tuer l'espoir

Une crise internationale soudaine a éclaté la semaine dernière : sous prétexte des bases de fusées installées à Cuba, le gouvernement US décidait un blocus partiel de l'île, menaçant de couler tout navire qui refuserait de se laisser fouiller. Une nouvelle guerre mondiale semblait possible, puisque une douzaine de navires russes étaient en route vers La Havane.

On a donné de la brutale réaction américaine différentes explications : la proximité des élections portait Kennedy, accusé de mollesse par son opposition, à un coup d'éclat ; la nécessité de devancer une possible crise à Berlin en la reportant sur un terrain stratégiquement bien plus favorable ; enfin, plus simplement, l'intolérable provocation que constitue la construction de bases de fusées à quelques kilomètres des côtes américaines, menaçant l'essentiel de leur système de défense et de détection.

Chacun de ces facteurs a joué un rôle, aucun de manière décisive. La valeur des bases cubaines militairement indéfendables restait extrêmement faible, et les bases américaines en Turquie n'ont jamais été considérées comme un atout décisif.

Ainsi le risque de guerre assumé par les USA semblait disproportionné aux raisons qui le motivaient et, de toutes parts, des pacifistes anglais à l'ONU, et jusque dans les prières du Pape, on a vu s'élever des conseils de modération, prêchant la vertu de la négociation.

Mais sur quoi ?

« La présence du communisme sur le continent américain n'est pas pour nous, un sujet de négociation » a dit M. Stevenson. Et André-François Poncet précisait dans « Le Figaro » du 25.10.62, sous le titre « Un coup d'arrêt », le fond du problème : « Tantôt sur un point, tantôt sur un autre, hier au Laos, au Viet-Nam, au Congo, aujourd'hui à Cuba, à Berlin, demain peut-être en Algérie, elle (l'URSS) pousse ses pions et s'efforce de gagner du terrain. Les répits ne suspendent son action que pour mieux lui permettre de la reprendre un peu plus tard. »

En effet, depuis la fin de la guerre mondiale, l'ère de domination impérialiste s'est considérablement rétrécie. La victoire de Mao-Tsé-Toung en particulier, a transformé profondément le rapport des forces. Bien plus, si les classes ouvrières occidentales restaient bridées, les pays coloniaux commençaient une grande révolte qui, à chaque instant, bien que de manière non décisive, faisait reculer un peu plus la zone d'action de l'impérialisme. Cuba, dans la gueule même des USA, avait pu se révolter et tenir tête à toutes les pressions et invasions, menaçant par son exemple leur domination sur toute l'Amérique Latine. Un coup, d'arrêt devenait nécessaire. La construction de bases à Cuba, nouvelle atteinte au statu-quo, allait faire percher la balance en faveur d'une invasion de l'île, et en fournir le prétexte.

Pour stopper la lente dégradation de la situation, l'impérialisme a accepté le risque d'incidents que pouvait provoquer une tentative de forçage du blocus par l'URSS et même la troisième guerre mondiale.

Toutes les révolutions coloniales étaient visées. Il ne s'agissait pas seulement de faire démonter quelques bases, ni même d'écraser Cuba, il fallait aussi, par une rebuffade spectaculaire, dégonfler l'idée d'une possible intervention de l'URSS aux côtés des pays coloniaux, leur montrer qu'à l'instant décisif ils étaient seuls, que la seule voie restait l'accord dans le cadre que l'impérialisme voudrait bien concéder.

C'est cette menace g générale qui rendait les pays africains les plus partisans de Cuba. à l'ONU. S'ils acceptaient ce précédent, leurs possibilités de marchandage risquaient d'être réduites à néant, et les relations de domination reprenaient leur violence franche et ouverte.

Mais, plus que les gouvernements pourris, c'était les peuples qu'il s'agissait de convaincre. La révolution cubaine, après la révolution chinoise, sert de pôle d'attraction à toues les espérances du Tiers-Monde, des deux milliards d'hommes opprimes, affamés, humiliés, pour le plus grand bien des caisses des sociétés internationales. A travers les peones cubains, ce sont tous les peones du continent Sud- Américain que l'on veut mater. A tous ceux-là, Cuba donnait l'espoir d'exister un jour ; il fallait tuer cet espoir.

Aussi, dès le début de l'opération, les USA se préparaient manifestement à l'invasion, sous prétexte de détruire les bases sur place. Toutes les manoeuvres de la diplomatie russe ont eu pour objet de retirer leur épingle du jeu, le plus élégamment possible sans perdre la face. Krouchtchev se présente en défenseur de la paix, en renonçant à forcer le blocus, puis en supprimant le prétexte qu'il avait lui-même créé, en acceptant la démolition des bases.

D'autre part, Kennedy, conscient des difficultés d'une opération contre Cuba : nouvelle guerre aussi dure que celle d'Algérie, réaction possible des pays coloniaux, semble accepter momentanément ce premier succès limité. Mais il est évident que les antagonismes subsistent, et malgré la promesse de non-intervention américaine, Cuba n'a obtenu qu'un sursis.

Et si les révolutionnaires reconnaissent à Cuba le droit de s'armer, y compris d'armes nucléaires, cette crise montre une fois de plus que ce ne sont ni les armes ni l'URSS qui peuvent la protéger, mais d'abord la détermination de son propre peuple, intimement lié au pouvoir qu'il sent le sien, et à la sympathie active de tous les autres peuples, et en premier lieu, de ceux d'Amérique Latine.

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