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- Lutte de Classe n°52
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Tierra y Libertad II - La terre
Au milieu de l'année 1913 le Mexique a donc échangé le dictateur Porfirio Piaz contre le général Huerta, dictateur. Cet homme féroce, représentant les milieux les plus réactionnaires du pays, qui avait fait assassiner Madero, ne réussit pas cependant à asseoir son pouvoir.
La révolution mexicaine continuait. Les armées formées de paysans pauvres ou d'ouvriers agricoles, Indiens en majorité, qui s'étaient dressées pour la terre et la liberté, continuaient le combat. Elles le continuaient sans trop savoir où elles allaient, car, à part la création d'une République Mexicaine, dont tous les citoyens seraient libres et égaux, ils n'avaient pas de programme. Ils voulaient la terre et la liberté, ils les voulaient au point de mourir pour elles, mais ils ne savaient pas quelles institutions se donner pour les avoir. Et, à cet égard, il n'y a rien dans les actuelles révolutions coloniales, et même dans le destin de l'Algérie, qu'on ne puisse trouver dans la Révolution mexicaine. Le soulèvement des masses les plus pauvres, les armées paysannes, les chefs militaires paysans, aux prises avec les politiciens, dont ils font et défont le pouvoir, jusqu'au jour où l'un de ces politiciens a la force de décréter la Révolution terminée, de désarmer les masses et de neutraliser - ou d'assassiner - leurs véritables dirigeants.
En cette année 1913 donc, une de ces armées paysannes entre à Mexico. Elle est dirigée par un politicien, représentant de la bourgeoisie nationale, et quelque peu corrompu, Carranza.
Infiniment, plus dangereuse pour le pouvoir du général Huerta, l'armée d'Emiliano Zapata installait progressivement son pouvoir dans le Sud et se préparait à marcher, elle aussi, sur Mexico. Certes, encore une fois, ces armées populaires n'avaient guère de programme Mais tant qu'elles n'avaient pas la victoire, elles ne se préoccupaient que de vaincre et le cri de « Tierra y Libertad » valait tous les programmes, et brisait toutes les citadelles. Les peones et les paysans trouvaient leur enthousiasme dans ces deux mots, 1'or dans les églises et le courage en eux-mêmes.
Le pouvoir de Huerta n'aurait pu se maintenir qu'avec l'aide américaine. Mais l'administration démocrate de Wilson, si elle n'avait rien contre le régime de Huerta, bien au contraire, n'entendait pas céder la moindre parcelle de ses intérêts au Mexique. Et dans cette révolution, les intérêts américains eurent assez souvent à souffrir et, si les gringos n'étaient pas tout à fait aussi mal vus que les Espagnols, la Révolution était en grande partie dirigée contre l'oppression raciale des seigneurs de la terre et de ceux du dollar. Les États-Unis, incapables d'aider sérieusement, militairement, le général Huerta, autrement qu'en le finançant, envoyèrent au contraire en avril 1914 un corps expéditionnaire à Vera-Cruz pour exiger de Huerta que le pavillon US soit salué, en réparation Des « injures » faites aux biens américains.
Les insurgés prirent cela comme une menace directe, et Zapata mit ses troupes à la disposition de Huerta contre les USA. Incapable de garder la direction du pays en faisant les concessions nécessaires à la révolution montante, tout en donnant satisfaction à ses maîtres américains, Huerta démissionna le 15 juillet 1914, pour fuir aux États-Unis.
Désormais le bourgeois libéral Carranza était le chef reconnu. Mais il était déjà trop tard pour endiguer la colère populaire. Carranza, cantonné à Mexico nomma des présidents très provisoires qui se succédèrent à un rythme rapide, Carbajal, Iturbide, etc... tandis que les armées populaires qu'il était censé diriger, se divisaient entre leurs chefs directs et pour certains, radicaux. Au nord-ouest Obregon et l'instituteur Calles, au nord-est Gonzales, dans l'État de Chihuahua le déjà légendaire Pancho Villa, et dans le sud Emiliano Zapata dirigeaient chacun leur troupe en ne prenant d'ordres que d'eux-mêmes et en n'accordant à Carranza qu'un pouvoir bien symbolique et réduit en fait aux limites de la ville de Mexico. Carranza tenta de réprimer en septembre 1914 une révolte de Villa, mais il fut contraint immédiatement après de réunir une conférence à Aguas-Calientes où la représentation des zapatistes l'emporta de beaucoup.
La situation était instable, Villa et Zapata la résolurent en prenant Mexico.
Mais ces deux hommes ne surent pas quoi faire du pouvoir qui tombait entre leurs mains, Leur première préoccupation fut de s'assurer que les plus pauvres d'entre les indiens puissent manger. Ils répartirent équitablement les impôts à payer. Ils essayèrent sincèrement de construire un État des pauvres, mais ni l'un ni l'autre ne savait ce qu'il fallait faire. Ils avaient vaincu leurs adversaires, ils avaient pris Mexico, mais, contrairement à leur rêve, tout n'était pas réalisé pour autant. Et les troupes de Carranza, c'est-à-dire celles commandées par Obregon et Calles aidées par la suite par un corps de 10 000 hommes commandés par le Général Pershing que les USA envoyèrent finirent par battre Villa et le contraignirent à s'enfuir.
Eliminer Zapata et Villa, détruire la force que représentaient les masses en armes, remettre à leur place les Indiens et les métis, qui avaient eu, un temps, la prétention de se croire des hommes, tels furent désormais les buts réels des présidents qui se succédèrent à la tête du Mexique. Pour cela il fallut d'abord désamorcer la charge explosive que représentait le besoin de terre de ces millions de péones. La Constitution promulgée à Queretaro en 1917 consacra une réforme agraire qui, si elle ne résolut rien du sort réel des masses, donna à chacun un petit lopin de terre caillouteuse à gratter. La liberté, ils étaient censés l'avoir puisqu'ils avaient la République.
Pancho Villa et Eniliano Zapata, quant à eux, moururent assassinés. Pancho Villa fut victime d'un attentat alors qu'il circulait en voiture et Zapata fut attiré par traîtrise dans une embuscade. Mais s'il est vrai que certains hommes ne meurent jamais dans la mémoire des peuples, cela l'est encore bien plus de Villa et Zapata. D'ailleurs bien des peones de l'État de Morelos, ne voulurent jamais croire que Zapata était mort.
La bourgeoisie mexicaine elle aussi, les a craints longtemps après leur mort, bien qu'elle ait eu de bonnes raisons de savoir qu'ils l'étaient vraiment. C'est ainsi que vingt ans après, à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, le président Cardenas refit une réforme agraire pour pallier les injustices les plus criantes que les lois économiques du capitalisme avaient créées sur les bases de la réforme précédente. C'est ainsi que le même Cardenas, malgré le désir évident qu'il avait de ne pas s'opposer à ses puissants voisins et commanditaires, nationalisa sous la pression des masses toutes les possessions mexicaines des trusts pétroliers yankees.
Ce sont encore les ombres de Pancho Villa et d'Emiliano Zapata, généraux paysans qui incarnèrent la Révolution pour des millions d'hommes pendant plusieurs années, qui font du Mexique, le pays où rien ne peut se faire, qu'au nom de la Révolution.