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- Lutte de Classe n°28
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Tant qu'il y aura un antisémite
La condamnation récente de quatre citoyens soviétiques coupables, d'après l'Agence TASS d'espionnage, d'après d'autres sources d'information de propagande nationaliste, révèle que le problème des nationalités, bien que repoussé à l'arrière plan par d'autres problèmes plus importants, n'en continue pas moins de rester une des plaies du régime soviétique.
Certes, d'après les apologistes de l'URSS la question nationale a trouvé, il y a fort longtemps déjà, sa solution équitable dans le plein respect des intérêts des minorités nationales. La Constitution reconnaît non seulement l'égalité totale entre les divers groupes ethniques, mais même leur droit de se séparer de l'URSS et de se constituer en États indépendants. A en croire les apparences, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, si de semblables procès ne troublaient le tableau idyllique et en craquelant le vernis constitutionnel ne découvraient une plus triste réalité.
En fait, le droit des minorités à disposer d'elles-mêmes et de quitter l'URSS si elles le désirent n'est qu'une formule creuse, tant que ceux qui envisageraient cette séparation n'ont la moindre possibilité de défendre leur point de vue publiquement. D'ailleurs ne serait-ce que soulever cette question équivaudrait à une haute trahison et entraînerait de lourdes peines de prison sinon l'exécution.
Dans ces conditions, la liberté nationale se réduit à la liberté de cultiver l'art des danses folkloriques et à la permission de chanter l'éloge de la bureaucratie en langue nationale. Les Républiques Soviétiques « souveraines et égales en droit » ne sont que les noms pompeux recouvrant de simples sections administratives. Toute aspiration au changement de cet état de chose, toute revendication des nationalités opprimées, sont rejetés comme manifestations de nationalisme petit-bourgeois.
Dans le cas des minorités de l'URSS, il ne s'agit justement pas, en général, du nationalisme réactionnaire, rétrograde, inspiré par une bourgeoisie s'accrochant désespérément au pouvoir. Le nationalisme des Républiques couvre surtout les aspirations naturelles et tout-à-fait légitimes du prolétariat, que le passé, la langue, la culture communs ont forgées en une identité nationale. Il est vrai cependant, mais dans une moindre mesure, qu'il explique en même temps d'autres tendances telles que l'opposition de la bureaucratie locale à la bureaucratie centrale, ou toute autre opposition d'éléments locaux au centralisme économique et politique de Moscou, et aussi des intérêts particuliers, économiques et politiques, des différentes couches de la société soviétique, paysans et ouvriers compris. Tandis que le second ne survit que grâce aux antagonismes sociaux, le premier bien au contraire ne peut se développer pleinement que dans une démocratie, que seule la société socialiste peut promettre.
L'attitude de la bureaucratie dans ce domaine est donc la crainte que lui inspire la question nationale. Non parce qu'elle a peur du nationalisme, elle s'accommode très bien même de ses formes les plus repoussantes, telles que le chauvinisme grand-russe, ou le patriotisme des partis acolytes, mais parce que le problème est en fait celui de la démocratie.
En effet, l'égalité entre les différentes nationalités, surtout quand certaines groupent des dizaines de millions d'individus alors que d'autres se réduisent à quelques milliers, n'est concevable que dans une démocratie inconnue dans les sociétés modernes. Or, la bureaucratie dont les assises sociales sont infiniment plus faibles que celles de la bourgeoisie, ne peut se permettre la moindre démocratie même dans un domaine limité. Discuter librement des questions nationales ne manquerait pas de permettre de fait de discuter du reste.
Si une opposition nationale pouvait s'exprimer librement, elle deviendrait rapidement la voie par laquelle s'exprimerait toute autre opposition, y compris celle beaucoup plus dangereuse pour la bureaucratie, de la classe ouvrière. la nature même du régime est telle que le grain de sable de la moindre opposition peut déclencher une avalanche mettant en péril toute la bureaucratie. elle ne peut permettre de ce fait non seulement une opposition, mais même la simple mise en doute de son infaillibilité, qu'il s'agisse de domaines aussi importants que la politique ou l'économie ou de domaines « secondaires » comme la littérature et part. la question nationale apparaît ainsi en u.r.s.s., non comme une question indépendante, mais comme une partie d'une question plus générale : l'existence de la bureaucratie.
Si, comme a dit Staline, l'existence du capitalisme sans oppression nationale est inconcevable, il en est de même pour le régime bureaucratique : seule une URSS socialiste, débarrassée de sa bureaucratie, permettra l'affranchissement intégral des nations opprimées et l'égalité totale entre les minorités.