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Remorques
Les pourparlers d'Evian vont leur train sans progrès apparent. Les commentateurs officiels rendus prudents par des péripéties antérieures et s'attendant chaque jour à les voir rompus, se satisfont de les voir ne serait-ce que continuer.
Il paraît évident maintenant que l'Algérie, inéluctablement sur la voie de son indépendance politique, sortira de ces négociations plus ou moins associée à la France, en donnant au mot « association » le sens qu'il a dans l'expression « association capital-travail ». Bien des points qui paraissent secondaires par rapport à l'indépendance elle-même, tel que le statut des Européens, la période pré-référendum, le sort du Sahara, le maintien de l'armée française etc., détermineront en fait la plus ou moins grande dépendance du futur État « souverain » algérien par rapport à la France et au marché impérialiste mondial.
A ce propos il faut noter que si l'indépendance que va obtenir l'Algérie est due au dévouement et au courage des militants du FLN et à la volonté et aux immenses sacrifices du prolétariat et du peuple algériens, ceux-ci n'ont malheureusement pas pu se donner une direction politique digne d'eux. Les leaders FLN sont constamment dépassés, quand ce n'est pas affolés, par les initiatives du gouvernement français. L'exemple de la trêve unilatérale en est le plus récent. Il est bien évident que l'État-Major français ne prend guère de risques en observant une telle trêve. Mais il est évident aussi que cela place le gouvernement français face à l'opinion internationale, métropolitaine et peut-être même algérienne, dans une situation favorable qu'il ne mérite certes pas. Les dirigeants FLN ont été « surpris » par cette initiative dont tout le monde discutait depuis des semaines.
Le propre de dirigeants c'est pourtant de prévoir. Un des délégués a été jusqu'à demander à un journaliste s'il n'avait pas une idée à leur donner : « Nous savions qu' il en était question, dirent-ils, mais nous ne pensions pas que de Gaulle le ferait », C'est là toute la différence. La bourgeoisie française possède, elle, des hommes qui correspondent à la situation. Le peuple algérien ne les a pas encore trouvés.
Cependant les véritables responsables de cet état de choses se trouvent beaucoup plus de ce côté-ci de la Méditerranée que de l'autre. D'autant qu'on ne sait pas bien de fait quels dirigeants les combattants se donneraient s'ils avaient la possibilité de les choisir.
Mais nous, nous ne sommes pas occupés par une armée énorme. Nous avons la possibilité de connaître et de juger nos dirigeants. Nous avons la possibilité de les choisir et de les nommer autrement qu'en allant battre des mains en cadence à Ivry ou à Saint-Denis.
Or, que voyons-nous ? Les organisations politiques de la classe ouvrière, les syndicats ne font rien à Evian ou ailleurs, pour ne pas laisser le peuple algérien affronter seul la bourgeoisie française. Loin d'intervenir, ils décommandent ou ils limitent des mouvements revendicatifs mettant en branle des millions de travailleurs, métropolitains pour « ne pas gêner les pourparlers d'Evian », c'est-à-dire, pour ne pas affaiblir la position de de Gaulle face aux représentants du FLN
Il est certain que ces derniers se prêtent aux manoeuvres de de Gaulle ou ne savent pas y répondre car ils ne sont pas des dirigeants révolutionnaires décidés à abattre l'ordre social existant en Algérie et ailleurs, ils ne dépassent pas les ambitions et les aspirations de la petite bourgeoisie et de l'intelligentsia algériennes, mais il est plus que certain que les dirigeants de la gauche française font, eux, le jeu de de Gaulle et sont entièrement à sa remorque, car ils ont pour seul rôle et seule fonction d'être le dernier rempart entre la bourgeoisie et le prolétariat qu'il soit français ou algérien.