Qui sème le vent19/09/19611961Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Qui sème le vent

 

Des travailleurs, conducteurs et receveurs d'autobus, assassinés dans leur véhicule, des employés à la voirie lynchés dans la rue, des hommes arrosés d'essence et brûlés, vifs (un « méchoui » comme disent les Européens de là-bas), le tout sous le regard complaisant des forces armées « qui n'avaient pas d'ordres », l'Algérie a vécu cela une fois de plus ces dernières semaines, une fois de plus et, une fois de trop.

L'OAS qui avait, à leur début, désavoué ces manifestations racistes si elle n'est pas à l'origine des dernières y a au moins participé, car tous les témoins ont remarqué qu'elles étaient organisées, que des chefs de groupes distribuaient ordres et consignes, ou contrôlaient l'identité des passants. D'ailleurs la complicité des forces de l'ordre bourgeois est plus le fait d'une préparation soigneuse, que de la seule solidarité dans ce que l'humanité peut avoir de plus abject.

L'objectif de l'OAS serait d'aboutir à la partition de l'Algérie en rendant impossible tout compromis, même avantageux pour les Européens, sur une quelconque cohabitation. A longue échéance cela ne résoudrait rien, car une telle solution n'est pas viable. Mais le sort des Européens d'Algérie et les objectifs de l'OAS n'ont de commun que le strict nécessaire pour que les premiers servent les seconds, et rien de plus.

Pour l'OAS, c'est-à-dire pour l'extrême-droite française, la partition, en créant en territoire algérien un État « blanc », lui permettrait d'obtenir là-bas un pouvoir qu'elle ne peut avoir ici. Ce ne serait pas une victoire considérable, mais ce serait un bastion permettant d'attendre d'autres combats. Est-ce à dire que ce serait la réédition du 13 mai 58 et que, devant cette « rébellion » algérienne, « la Métropole » céderait ? Certainement pas. Car la « Métropole » n'aurait pas les mêmes raisons de céder qu'en 1958, où les émeutiers du Forum n'ont finalement contraint personne. Par ailleurs rien ne prouve qu'une fois la solution « partition » imposée de fait, les choses ne se passent pas dans le respect de la « légalité » (dans un territoire en majorité européen, les extrémismes de droite auraient une majorité facile). Ce qui guide l'extrême-droite c'est la perspective de créer en Algérie, sur d'autres bases, un État comme Israël. Un État où une minorité européenne entourée d'États Arabes mènerait une existence belliqueuse pour survivre. Les politiciens en question y voient même pour l'avenir la possibilité de l'appui des grandes puissances pour qui ce serait un bon moyen de pression sur les États du Maghreb, tout comme Israël l'est pour les États Arabes du Moyen-Orient. La seule erreur que commettent nos gens, c'est que la naissance d'Israël fut due au désespoir de centaines de milliers de Juifs qui ne virent, au lendemain du cauchemar fasciste pas d'autre solution pour subsister en tant que Juifs, et qui étaient prêts à tous les sacrifices, comme l'armée anglaise a pu s'en rendre compte. Mais la population européenne d'Algérie, n'est pas du tout dans la même situation. Et si elle est prête à toutes les « ratonnades » sous la protection d'une monstrueuse armée, elle n'est pas du tout préparée à l'existence difficile des Kibboutznik d'Israël qui, s'ils ont le fusil d'une main, ont quand même la pioche de l'autre.

Et les jeunes Juifs d'Oran qui ont participé à ces « ratonnades » ont été abusés plus que les autres par cette analogie avec Israël et, plus que les autres, ils auront à en souffrir.

Si la communauté européenne les accueille aujourd'hui,.ce n'est pas qu'elle soit différente d'hier. Elle voit en eux, simplement, des ennemis « nés » des Arabes. Elle les considère, tout au plus, comme un fusil qu'il faudrait flatter pour s'en servir, mais qu'on laissera dans l'entrée demain. Et l'État blanc qui naîtrait d'une éventuelle partition de l'Algérie ne pourrait être qu'un État raciste où les Juifs se retrouveraient minorité opprimée.

A tout prendre ces manifestations, pour hideuses qu'elles soient ne le sont pas plus que la guerre qu'on mène là-bas depuis sept ans, et le racisme qui s'y est manifesté a au moins le mérite de se montrer à visage découvert. Au peuple algérien, elles n'avaient rien à apprendre, et il n'en avait pas besoin pour trouver le courage de continuer sa lutte.

Mais c'est nous qui pouvons en apprendre quelque chose, car ces gens, dans un mois, dans un an, vivront parmi nous.

 

Extrait de "Les enfants de l'oncle Tom" de Richard Wright - Un jeune noir est lynché -

« Big-Boy vit la foule refluer, laissant un petit groupe d'hommes autour du feu, Alors pour la première fois, il put voir Bobo. Un corps noir étincela dans la nuit, Bobo se débattait, se tordait ; ils lui ligotaient lès bras et les jambes.

Quand il les vit renverser le tonneau, il se raidit, Un hurlement vibra dans la nuit. Il savait que Bobo venait d'être recouvert de goudron. La horde recula. Il vit un corps ruisselant de goudron tourner et scintiller.

« Il est servi, l'salaud ! »

Soudain tout se tut. Alors, il se rejeta violemment en arrière. Le vent lui apportait, semblable à une blanche rafale de neige, une spirale de plumes blanches qui allait s'élargissant dans l'obscurité. Les flammes montaient à la hauteur des arbres, Le hurlement retentit de nouveau. Frissonnant, Big-Boy regarda. La foule dévalait la pente en courant, découvrant complètement le feu. Il vit alors une masse blanche enveloppée de flammes jaunes qui se convulsait et entendit des hurlements se succédant sans interruption, le dernier plus perçant que les précédents. Maintenant la foule se taisait et se tenait immobile, contemplant d'en bas la masse blanche convulsée qui, peu à peu, noircissait dans un berceau de flammes jaunes.

« Mettez encore de l'essence ! »

« Donnez-mai un coup de main, là ! »

Deux hommes se démenaient, portant un lourd baril. Ils le posèrent puis le basculèrent et le placèrent de façon que l'essence ne coule que lentement dans la cavité ménagée autour du feu. »

 

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