Qui a du fer, a du pain !08/10/19631963Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Qui a du fer, a du pain !

Alors que Ben Bella semblait avoir définitivement triomphé de ses adversaires en faisant plébisciter et sa Constitution et lui-même, son autorité se trouve aujourd'hui contestée, non par les bulletins de vote, mais par les armes. La minorité d'opposants noyée dans les urnes (une majorité d'abstentions en Kabylie cependant) a, en saisissant les armes, transformé radicalement la situation politique de Algérie.

Il est difficile de dire quelle est la nature véritable de cette dissidence, et il est encore bien plus difficile de dire quelle sera son influence, victorieuse ou défaite, sur l'avenir de l'Algérie. Quand une épreuve de forces s'engage, c'est en général que le résultat final n'est pas évident. Quand un conflit met en jeu des populations entières, son déroulement, sa logique propre, peuvent amener les hommes qui en sont à la tête au-delà de leurs buts primitifs.

L'année dernière, un tel affrontement s'était produit qui vit la victoire finale de Ben Bella, parce que les différents hommes qui s'opposaient se sont gardés de faire appel à l'initiative et à la sanction des masses sous prétexte d'éviter la « guerre civile ». Il a mis en présence les corps organisés, armées et Front, en une partie d'échec ou, plutôt, de poker où les vaincus se sont inclinés « sans voir » pour ne pas recourir à l'épreuve de forces, justement, à la guerre civile, à la sanction des armes c'est-à-dire du peuple. C'est en s'appuyant sur l'armée des frontières, organisée à l'occidentale, contre les wilayas de djounouds et de maquisards que Ben Bella a désarmé les combattants, assis son pouvoir, et alors reçu la caution des classes possédantes algériennes et de l'impérialisme français.

Aujourd'hui, un peu plus d'un an après l'indépendance, les masses sont déçues, « moralement abandonnées et démobilisées politiquement », comme le disait Boudiaf immédiatement avant son arrestation.

Est-ce que la dissidence d'Aït Ahmed s'appuie ou va chercher à s'appuyer, sur ces masses déçues et abandonnées ou, au contraire, ne représente-t-elle qu'une tentative d'opposer un gouvernement autoritaire à un autre en s'appuyant sur les « mécontents » dans l'armée et l'appareil d'État ? L'avenir nous le dira. Il semble qu'il ne faille pas attacher une grande importance au fait que la base de départ soit le particularisme kabyle, dans la mesure où c'est une base de départ. Cela peut seulement jouer contre l'extension de la dissidence. De toutes façons, ses buts restent vagues. Ce Front des Forces Socialistes dénonce le régime actuel et les maux qu'il engendre, mais n'a pas de programme défini. Le rôle qu'elle jouera dépendra de la nature des appuis qu'elle recherchera : appareils, ou ouvriers et felhas en armes.

Boudiaf, le même jour que ce qui précède, avait cherché à dissuader ses amis politiques qui, probablement, le pressaient d'entrer en lice contre Ben Bella, de s'engager dans une lutte ouverte contre le pouvoir car, disait-il, « on peut très bien imaginer une crise répétant, mais en sens inverse, celle qui a opposé le groupe de Tlemcen à l'ancien GPRA ; on verrait se reconstituer autour d'une équipe rivale de l'équipe actuelle une coalition qui comprendrait d'abord une partie des opposants actuels, puis une quantité d'attentistes, puis enfin, un grand nombre de transfuges ».

C'est peut-être cette voie qu'a choisie Aït Ahmed. On peut discuter dans ce cas ses chances de réussite, mais l'épreuve de forces les vérifiera bien mieux, s'il est vrai que le militaire Boumedienne a l'intention, lorsqu'il assurera l'intérim de Ben Bella, en voyage à New-York, de faire parler les armes et taire les hommes.

Si, au contraire, Aït Ahmed et ses compagnons ont l'intention de faire appel à l'initiative des masses, l'intention de dire aux ouvriers et aux paysans algériens, « Le socialisme, faites-le vous-mêmes et l'État, soyez-le, en prenant les armes et en les gardant », l'intention de transformer, ne serait-ce que suivant le programme du PRS, les régions insoumises et d'y remplacer l'armée du peuple par le peuple en armes, alors là, oui, on peut affirmer que Ben Bella n'a pas besoin de prendre un aller-retour et que Boumedienne retournera aux frontières.

La réalité politique est cependant moins simple que cela, et sur les mêmes lignes de forces, bien des possibilités sont ouvertes. Ben Bella, comme première réaction, a nationalisé toutes les terres des colons français, comme un digne chef qui ne marche en tête que parce qu'on le pousse aux fesses. Il aurait dit en commençant sa campagne d'explications, car pour lui, s'appuyer sur le peuple, c'est lui faire des discours : « S'il le faut, nous mobiliserons cent mille Algériens dans les comités de vigilance ». S'il le faut ... Que ne le fallait-il plus tôt ! Mais il se peut justement que, pressé par la dissidence, Ben Bella (ou, si lui est trop compromis, un autre et pourquoi pas Boumedienne) le fasse. Sans vouloir diminuer la valeur et l'effort des hommes du PRS, leur programme ne sort pas des aspirations et des velléités politiques de la petite bourgeoisie nationaliste et peut être repris par n'importe lequel des hommes politiques algériens en présence. Une révolution populaire dans un pays où la petite bourgeoisie est majoritaire n'est pas socialiste pour autant, et s'il peut paraître qu'à tout prendre il vaut mieux cela qu'un régime impopulaire et réactionnaire , ce n'est que le socialisme qui libérera l'homme, en Algérie comme ailleurs.

Le Parti de la Révolution Socialiste pourrait avec un programme juste jouer un rôle considérable dans cette situation. Il lui faudrait pour cela s'appuyer plus explicitement sur le prolétariat, il lui faudrait être plus socialiste qu'il n'est. Mais là où tout est à faire, tous les espoirs sont permis, car le PRS sera ce que ses militants le feront.

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