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- Lutte de Classe n°78
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Quand un valet chasse l'autre
Il ne fait de doute pour personne que Washington ne soit intervenu, directement ou indirectement, dans le coup d'État militaire qui vient de mettre fin à la dictature sanglante de Diem et Nhu au Sud-Vietnam. Car ces derniers ne maintenaient leur régime de terreur que parce qu'ils avaient été mis en place et soutenus par le gouvernement américain. Le retrait de ce soutien entraînait leur chute.
Le changement de l'équipe gouvernementale mise en place par Washington au lendemain des accords de Genève s'avérait nécessaire depuis plusieurs années et il y a trois ans, le 11 novembre 1960, un coup d'État tenté par les militaires échouait.
La raison d'être du régime des Ngo était tout entière dans la lutte contre le communisme. C'était un régime de guerre, celle menée contre la « subversion ». Cette nécessité était apparue dès l'application des accords de Genève en 1954, qui coupait en deux le Vietnam, mettant ainsi un terme à la « guerre d'Indochine » menée par l'impérialisme français. Le régime Diemiste commençait alors par massacrer des milliers de combattants vietnamiens qui n'avaient pu fuir à temps vers le Nord. Il put d'autant plus facilement installer son régime de terreur qu'à l'époque, le Parti Communiste Vietnamien menait une politique pacifiste de « non-provocation » vis-à-vis de l'impérialisme. Et il faut dire que le PCV. était bien le seul à prendre au sérieux - ou à feindre de prendre au sérieux - la clause des accords de Genève qui prévoyait la réunification pacifique du Vietnam par voie d'élections en 1956 : la Pologne garantissait cette clause. Elle put s'y engager avec d'autant moins de risques que tous les signataires, tant les impérialistes que les Chinois ou les Russes - et la Pologne elle-même - s'empressèrent d'un commun accord (?) d'oublier ce détail.
L'impérialisme américain put ainsi mettre en place le régime Diem, ses troupes spéciales de répression, son organisation fasciste pour enrégimenter la population.
A l'époque, la seule opposition sérieuse que rencontra Diem fut celle des sectes religieuses, les Cao-Daï, Hao-Hao, poussées d'ailleurs par l'impérialisme français qui venait de se faire évincer politiquement du Viet-Nam.
Mais la misère et le régime policier devaient faire renaître la « subversion ». Le caractère mensonger des promesses faites à Genève ne permettait plus d'illusions, la guérilla reprit dans les campagnes. Malgré la présence des forces américaines encadrant les troupes de Diem, dès 1960, une guerre qui ne disait pas son nom faisait rage dans le Sud-Vietnam. Le régime Diem, vomi par la population, se montrait incapable d'assurer l'ordre autrement que par les prisons et le feu. Aussi pour l'impérialisme américain, dès cette époque, se posait le problème de changer l'équipe gouvernementale des Diem, « brûlée » auprès de leur peuple.
Brusquement tirée de son indifférence, la presse occidentale n'a pas manqué de souligner la relation évidente qui existait entre les manifestations de l'opposition bouddhiste et la chute de Diem. De là à conclure que le suicide des bonzes était pour beaucoup dans la décision des Américains de retirer leur appui à Diem, sous la pression de l'indignation internationale, il n'y avait qu'un pas. En fait, l'impérialisme américain se soucie fort peu de l'opinion internationale ou de l'opinion du peuple américain lui-même, quand ses intérêts sont en jeu, il n'hésite pas à soutenir des régimes aussi sanglants et aussi compromis que ceux de Salazar ou de Franco, Le problème n'est pas là. L'opposition des bonzes, seule opposition sinon permise du moins tolérée, à ses débuts, par le régime Diem, ne fut que le canal par lequel purent s'exprimer les sentiments anti-Diem de toute la population vietnamienne. Et c'est cette unanimité, ou plutôt c'est la manifestation spectaculaire de cette haine générale, qui a été pour l'impérialisme le signe irréfutable de l'impossibilité où se trouvait désormais le régime Diem de continuer à remplir le rôle pour lequel il avait été créé.
Mais les valets de l'impérialisme se refusaient à céder la place, eux qui estimaient si bien remplir leur mission anti-communiste. L'acharnement avec lequel ils s'accrochèrent au pouvoir - les interviews télévisés de la famille Nhu nous l'ont assez montré - posait des problèmes. Dans leur résistance à céder la place à une autre équipe dirigeante, Diem et Nhu pouvaient favoriser le Vietcong qui se serait ainsi trouvé devant un adversaire affaibli par des difficultés internes. Tout aussi dangereuse pour l'impérialisme pouvait être l'intervention toujours possible des masses populaires. Afin d'écarter ces risques mortels, le changement d'équipe devait s'effectuer rapidement, pratiquement sans combat.
C'est ce que l'on a vu le 1er novembre. En quelques heures, le coup d'État des militaires était vainqueur. Dans l'éviction du régime Diem, la seule force qui pouvait avoir le soutien de Washington était l'État-Major de l'armée vietnamienne. Dans Saïgon en fête, le 2 novembre, l'armée occupait la ville ; toute réunion de plus de six personnes était interdite, un message du général Ton That Dinh demandait à la population de manifester dans le calme. Des soldats tirant en l'air, dispersaient un groupe d'étudiants venus manifester devant l'Assemblée Nationale. Des magasins et des installations de journaux favorables à Diem étaient pillés ou incendiés, mais l'année présente partout était responsable de l'ordre.
Le changement d'équipe se fait donc, pour le moment, sans trouble grave. L'administration reste en place dans le pays Elle ne s'effondre pas. Le changement a été suffisamment rapide pour ne pas l'ébranler. L'armée a momentanément ouvert les portes des prisons et dans Saïgon en liesse, de nombreux détenus du régime, beaucoup d'étudiants et de bouddhistes ont été libérés. La danse et le jazz, interdits par les « lois morales » de Mme Nhu, ont fait leur réapparition.
L' « ordre » règne au Vietnam, mais c'est l'ordre de l'impérialisme. Et c'est pourquoi le nouveau gouvernement, pas plus que celui de Diem ne sera démocratique. Comme lui bientôt, il décevra cruellement tous ceux qui espèrent une amélioration de leur sort. Comme lui, il devra « regrouper », et massacrer afin de réduire toute forme d'opposition. Car il devra, comme lui, faire la guerre à tout un peuple. Et comme pour lui enfin, ses jours sont d'ores et déjà comptés.