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Quand le bâtiment va
Périodiquement les gouvernements préparent des projets, des plans pour tenter de résoudre la crise du logement et depuis quinze ans que la guerre est terminée, cette crise sévit toujours, aussi grave.
Malgré la reconstruction relativement récente de nombreux immeubles et maisons détruites par les deux guerres, l'âge moyen des constructions en France est de 114 ans, alors qu'il n'est en Suède que de 45 ans dans les campagnes et de 22 ans dans les villes. En outre les installations sanitaires sont extrêmement restreintes (à Paris, en 1954 : 52 % des appartements ouvriers ne possédaient pas de salle d'eau, 55 % pas de WC intérieurs, etc...). Cependant dans ces immeubles les loyers sont généralement assez bas ; les loyers français sont connus pour être les plus bas du monde capitaliste. Mais ils sont en général surpeuplés, et leur pénurie livre une grande partie de la population laborieuse aux spéculateurs, patentés ou non.
En réalité, si l'on prend l'expression « crise du logement » dans son sens large, elle remonte à l'aube même du capitalisme. Pendant tout le 19e siècle et encore le début du 20e siècle la maison ouvrière, c'était déjà le taudis - le taudis infect, surpeuplé, souvent menaçant ruine, foyer de tuberculose et générateur d'alcoolisme : pour fuir son taudis, l'ouvrier allait au café, salon du pauvre. Il ne pouvait en être autrement : le logement, dans la société capitaliste, est une marchandise et une marchandise très chère qu'il était et qu'il est encore absolument impossible à un ouvrier de se payer. Aussi ne construisait-on que pour les classes riches pouvant payer les loyers élevés assurant au capitaliste ayant investi dans la construction un taux d'intérêt suffisamment élevé pour que cet investissement soit rentable. Les travailleurs n'habitaient que les immeubles depuis longtemps amortis, c'est-à-dire les plus vétustes, qu'on pouvait alors leur louer, en n'y apportant d'ailleurs aucun entretien, à un prix plus à leur portée (cependant largement supérieur à un profit « normal » puisque le capital était déjà amorti). Etant donné l'accroissement considérable des villes industrielles de l'époque et leur surpeuplement relatif, la spéculation était déjà fréquente. D'où les horribles conditions de logement des ouvriers ; et la règle du taudis. Dans certaines villes américaines on voit manifestement une rotation des quartiers résidentiels qui, l'évolution se faisant là-bas plus rapidement, sont en quelques décades transformés en quartiers populaires, puis en taudis.
Mais à cette crise fondamentale s'en surajoute bientôt, particulièrement en France, une autre, d'un caractère différent et qui aggrave encore, le problème. Poux éviter des pressions revendicatives dans le domaine des salaires, l'État chercha souvent, dans les périodes d'inflation, à bloquer les prix des composantes des budgets ouvriers (à notre époque il s'est d'ailleurs souvent contenté d'en truquer les indices). Après le pain, les loyers étaient le problème auquel les travailleurs étaient le plus sensibles. L'État intervint d'abord en fixant un moratoire pour les loyers en août 1914, puis en 1918, enfin en élaborant une politique de blocage des loyers à partir de 1920.
Cette politique aura pendant un certain temps des résultats favorables pour les classes laborieuses : la part consacrée au logement dans les budgets ouvriers était de 16 % en 1914, elle n'est plus que de 4,5 % en 1924. Elle explique le bas niveau des loyers français actuels. C'est un des seuls blocages de prix qui ait été effectif sans faire intervenir de subventions (cas du pain pendant des années).
Cependant, comme toutes les « solutions » capitalistes, elle a abouti à une crise encore plus grave, car elle a eu pour effet de détourner complètement les capitaux de la construction. Avec des loyers très bas, l'investissement n'est plus rentable. Même pour les classes riches, la construction à but locatif a été de ce fait pratiquement arrêtée depuis 1920.
C'est pourquoi en 1948, l'État a permis le déblocage des loyers des constructions neuves, et a autorisé l'augmentation des loyers des constructions anciennes par paliers, tout en y maintenant son contrôle. Il n'en est cependant résulté qu' une faible reprise de la construction à but locatif : les « capitaux » n'avaient plus confiance. Les seules constructions qui se fassent sont destinées à être vendues en copropriété. Elles ne sont en fait accessibles qu'aux classes très fortunées, et ne pourraient être une solution pour les autres que dans 50 ou 60 ans lorsqu'elles seront amorties.
On a bien tenté une politique dite « d'accès à la petite propriété », mais les constructions ainsi prévues (part d'initiative privée et aide de l'État) supposent pour la plupart la possession d'un certain capital de départ, et elles ne sont en général accessibles lorsqu'elles le sont (du fait de leur rareté dans les grands centres urbains) qu'à la petite bourgeoisie et à l'aristocratie ouvrière : cadres, personnel de maîtrise, etc...
En fait, il n'y a pas de solution capitaliste. à ce problème : la recherche du profit exclut la recherche du bien-être des travailleurs.
Une seule possibilité est à envisager : l'intervention de l'État, non pour se contenter de bloquer les loyers, mais en vue de prendre en charge complètement la construction en grand d'habitations ouvrières indépendamment de toute question de rentabilité. Autrement dit, il faudrait que l'État accepte de construire en admettant que cela ne soit pas rentable.
L'État a fait quelques tentatives dans ce sens,(HLM, HBM) mais dans une mesure sans aucun rapport avec les besoins.
I1 est clair qu'une telle orientation est exclue pour l'État français dont le budget est consacré à défendre les profits de la bourgeoisie aux quatre coins du globe de façon ininterrompue depuis vingt-et-un ans.