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- Lutte de Classe n°25
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Plein emploi et plein salaire !
L'instabilité de son sort est pour le travailleur un des facteurs qui vient aggraver sa condition d'exploité, aussi une de ses préoccupations constantes est de se protéger du risque de chômage.
A l'heure actuelle cependant la situation de l'ouvrier français sur le marché du travail est relativement bonne. Cela se traduit par la longueur des colonnes d'offres d'emplois dans les journaux et par le fait qu'un salarié a plus de chance d'accéder à une qualification supérieure ou d'obtenir un meilleur salaire en changeant d'entreprise qu'en restant dans la même, alors qu'en période de récession le dernier embauché l'est au niveau le plus bas, quelle que soit sa qualification.
La France connaît effectivement le « plein emploi ». Ses 0,5 % à 2 % de chômeurs sont loin de représenter (même si l'on tient compte que les chiffres réels sont supérieurs) les pourcentages des USA, de l'Angleterre ou de l'Allemagne. Ce phénomène qui dure depuis 1945 est dû au fait que, pour son fonctionnement normal l'industrie française, possède une réserve de main d'oeuvre de plusieurs millions de chômeurs au-delà de la Méditerranée en Afrique du Nord. Chômeurs, à certains desquels elle a donné le titre de Français, qu'elle se contentait de rabattre sur la métropole. L'Italie et la péninsule ibérique constituent également un réservoir avantageux de main d'oeuvre. Les émigrés comme les Nord Africains étant une main d'oeuvre sur laquelle on peut exercer plus de pression. Outre ces raisons et les raisons économiques la politique de plein emploi a été une des concessions politiques faites par la bourgeoisie à la Libération. Cette concession (qui se traduisait par des textes législatifs sur le licenciement telle l'impossibilité de licencier pour un patron tant que l'horaire de son entreprise est supérieur à 40 heures) n'a rien coûté à l'époque à la bourgeoisie française car elle avait besoin de « produire d'abord ». C'est cette politique de plein emploi que le gouvernement a essayé de remettre en cause l'an dernier en faisant licencier d'une façon spectaculaire 3 000 ouvriers de la RNUR Opération d'autant plus visible quand on se souvient de la publicité donnée à ces licenciements et que l'on entend à l'heure actuelle les déclarations de Dreyfus se vantant du maintien du niveau des ventes même pour la période où il y eut une baisse temporaire au niveau de la production.
Cependant, si à l'heure actuelle, il n'y a pas en métropole de chômage important, il y a des menaces de chômage et des chômeurs. Pour eux, il est certain que leur petit nombre ne change pas le fait d'être chômeur, bien que cela sous-entende plus de facilité pour retrouver du travail.
Il existe en France un chômage endémique dans certaines régions sous-développées qui servent de réservoir de main d'oeuvre, au même titre que les campagnes, et dont les habitants « émigrent » vers les villes.
Il y a le « travail saisonnier », tel celui des conserveries dont les travailleurs sont au chômage six mois par an. Travail saisonnier que le patronat français voudrait réintroduire dans l'automobile et dans les autres industries, avec l'opération Renault alors que les luttes ouvrières antérieures notamment celles de 36, avaient soustrait en partie l'embauche et la débauche aux caprices de la production.
Il y a les problèmes contradictoires, mais dont les effets sur les travailleurs sont semblables, de la « concentration » et de la « décentralisation ». On a pu voir récemment la Direction de l'imprimerie Desfossés menacer d'activer la construction de sa nouvelle usine d'Amiens si les rotativistes ne revoyaient pas leur façon de travailler et n'augmentaient pas la rentabilité de l'atelier.
Ces problèmes du chômage les syndicats de toute obédience ont cherché à les pallier en avançant des solutions qui leur semblent « possibles » à obtenir du patronat dans le cadre des délégations et des discussions paritaires. C'est ainsi qu'ils proposent les ASSEDIC et les « reclassements professionnels » comme panacées.
Les ASSEDIC « caisses de chômage », tenues cordialement par des « camarades », ne font que consacrer la coupure entre travailleurs et chômeurs, et l'avantage d'être bien reçus par des militants syndicaux n'aidera pas à cuire la soupe quand les caisses seront vides - malgré la bonne volonté des camarades payeurs - . Ces caisses sont alimentées par un fonds prélevé sur les salaires - fonds qui ne peut donc qu'aller en s'amenuisant quand le chômage augmente - cas d'une crise par exemple. Les ASSEDIC ne sont pas en fait une solution payante pour la classe ouvrière qui perd en outre ses possibilités d'intervention face au patronat.
Quant à exiger les « reclassements », une fois que l'ouvrier est renvoyé, ou que la maison a fermé, c'est tout simplement la soumettre au marché du travail lequel l'absorbe ou non en fonction de ses besoins.
En fait, le problème de la lutte contre le chômage ne peut pas se poser uniquement en fonction de la situation actuelle. Aujourd'hui, nous l'avons dit, non seulement il n'y a pas de crise économique mettant à la rue des dizaines ou des centaines de milliers de travailleurs, comme la crise des années 30, mais encore il n'y a pas ce « fonds » de chômeurs, cette armée industrielle de réserve comme disait Marx, dans laquelle le patronat peut puiser au jour le jour la main d'oeuvre qui lui est nécessaire, et grâce à laquelle il peut faire pression sur les salaires de ceux qui ont le droit de se tuer au travail. Mais la caractéristique de l'époque est que, d'une part une crise économique est toujours à craindre, l'économie française n'en est absolument pas à l'abri, et que, d'autre part, le patronat, dans le cadre du Marché Commun, cherche à revenir sur les garanties légales qu'il avait accordées à la Libération, afin de pouvoir justement constituer cette réserve de chômeurs indispensable à la santé de l'économie, quand c'est d'un Conseil d'Administration qu'on l'observe.
Or, la seule attitude juste de la part des Syndicats devrait être de mettre à profit les circonstances actuelles, du répit actuel, pour organiser la lutte sur un plan qui mette les travailleurs dans une position meilleure pour s°opposer au chômage à venir ou à ses conséquences, lorsqu'il sera pour de bon à l'ordre du jour.
Ces objectifs se situent autour de la reconnaissance légale de l'interdiction des licenciements pour cause de manque de travail, de la non-diminution du salaire si l'horaire diminue et de la mobilisation des travailleurs au sein des entreprises pour en organiser l'application pratique et au besoin l'imposer. Il est en effet nécessaire que le « chômeur » soit maintenu à l'entreprise afin que ne s'établisse pas, justement, cette division du prolétariat entre chômeurs d'une part et travailleurs de l'autre.
Le travailleur une fois chômeur est un isolé, il n'a plus aucun moyen de faire rendre gorge au patronat. Il ne peut que s'opposer à l'État et à ses forces de répression quand ce n'est pas à ses camarades de malheur en acceptant n'importe quel travail à n'importe quel prix. Obtenir cela du patronat par des parlotes c'est une utopie. Le patronat n'accepte la discussion que tant que cela ne lui coûte pas un centime. Mais l'obtenir par la lutte cela ne dépend que de la détermination des travailleurs.
Cette revendication ne peut s'imposer que dans une période comme la période actuelle. Elle revient à faire payer les chômeurs par le patronat lui-même, et non pas par les bureaux de chômage et les ASSEDIC. Et c'est le problème fondamental : qui paiera l'anarchie capitaliste, les travailleurs ou les patrons ?
Dans le cadre de cette lutte les problèmes actuels du chômage se trouveraient très vite résolus. Car face à un patronat centralisé et organisé sur le plan national la classe ouvrière ne peut lutter que si elle est organisée de la même façon. Si au chantage du patron de Desfossés le Syndicat du Livre était de taille à répondre : « si vous, vous ne faites pas de concessions vous ferez vous-mêmes tourner vos rotatives à Amiens » les problèmes posés aux travailleurs par la « décentralisation » prendraient un autre caractère. Et si les Centrales Syndicales en réponse aux problèmes des travailleurs du Boucau près de Bayonne à qui l'on offre du travail... à Dunkerque étaient susceptibles de dire aux maîtres de forge « votre nouvelle aciérie vous l'installerez là où nous vous le dirons, sinon personne ne vous la construira », les problèmes de la concentration auraient un autre aspect.
Pour cela évidemment il faudrait que les Centrales Syndicales soient autre chose que ce qu'elles sont, mais cela dépend en dernière analyse de la classe ouvrière elle-même.