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Phonétique révolutionnaire
Le PSU vient de tenir à Clichy, les 24, 25 et 26 mars, son premier congrès national.
Le PSU est né, voici près d'un an, de la fusion de plusieurs organisations où coexistaient déjà de nombreux courants de pensée : l'UGS où coexistent des chrétiens de gauche, des petits bourgeois réformistes et des « marxistes », le PSA, regroupant les sociaux-démocrates ayant rompu avec la SFIO après le 13 mai 1958, les radicaux-mendésistes, et certains ex-trotskistes ; Tribune du communisme enfin, petit groupe d'intellectuels venant du PC.
C'est dire l'éventail bigarré de conceptions, de traditions politiques, de militants, qui s'étalait dans la salle du Congrès PSU à Clichy où l'on notait beaucoup d'avocats, d'anciens ministres, d'ex-députés, de cadres supérieurs, de professeurs, de journalistes (de l'Express et de France-Observateur) quelques employés, et peu d'ouvriers.
De vives discussions ont opposé, à la tribune et au sein des commissions qui rédigeaient les motions, « majoritaires » et « minoritaires ». Une minorité composée surtout de mendésistes (Mendès-France ne participait pas lui-même au Congrès) tels que Hernu, Hovnanian, Suffert auxquels s'était joint A.Philip, a critiqué le programme de la majorité, jugé trop « à gauche ». Ces minoritaires, convertis sur le tard au « socialisme », refusent les positions « dogmatiques ». Ils veulent un socialisme « moderne », assurant le plein emploi, la planification démocratique. Au premier plan de leur programme, ils préconisent : la mise en place de nouvelles structures institutionnelles assurant... la moralisation de la vie publique.
Les «majoritaires» c'est-à-dire tous les autres (nous y reviendrons) se sont mis d'accord sur un texte qui « sonne » plus à gauche et dont l'idée essentielle est que le régime gaulliste doit être remplacé par un pouvoir socialiste, ou plus exactement par un régime de transition vers le socialisme et qu'il faut opposer un « Front socialiste » aux vieilles recettes défendues par les partis traditionnels, le « centre-gauche » pour la SFIO, le « Front populaire » pour le PC. En fait, ce Front socialiste n'est qu'un Front Populaire camouflé. L'étiquette a changé, le contenu du flacon reste le même. La bourgeoisie libérale a déserté dans une certaine mesure le vieux Parti radical, mais elle a pris sa place, au sein du PSU, derrière le « camarade » Mendès-France, qui attend patiemment son heure, dans une semi-retraite très « Colombey-les-Deux-Églises ».
Les phrases révolutionnaires du programme PSU sont destinées à flatter les oreilles des militants, dont beaucoup aspirent sincèrement au renversement du capitalisme et dont les dirigeants du parti ont besoin. Depreux, Mendès et consorts se chargeront, le moment venu, (tout leur passé en témoigne) de vider ce beau programme du contenu qu'il n'a pas pour reconstituer l'union sacrée des « démocrates » et des réformistes afin de sauver la république (bourgeoise).
D'ailleurs l'examen de la stratégie du Congrès (les manoeuvres de coulisses existent aussi dans le PSU, le parti de « type nouveau) » montre le peu de cas que font les dirigeants de ce programme.
Il s'agissait pour les Depreux, Savary, Verdier, D. Mayer et autres Martinet de manoeuvrer pour rester les arbitres de la situation. Donc : première phase :
Sur la droite, on détache l'aile mendésiste qui se présente avec son programme est ses leaders. À vrai dire la base du parti n'aime pas les Suffert, Hernu et Hovnanian, dont les récentes déclarations fracassantes dans la presse ont soulevé la réprobation générale au sein du PSU. Aussi la direction fait-elle pression pour qu'on « dose » les votes afin que la minorité obtienne au moins 10 % des voix (qui lui sont nécessaires statistiquement pour avoir le droit d'être représentée au comité politique national). Elle obtiendra finalement 16 % des mandats, ce qui permettra à Suffert, Hernu et Compagnie d'entrer par la fenêtre au CPN, alors que l'immense majorité du parti était bien décidée à leur en barrer la porte.
Deuxième phase :
Les dirigeants doivent ménager une gauche du Congrès qui reflète plus ou moins confusément les aspirations de la base. D'où l'utilité du beau programme « révolutionnaire ». Savary, Verdier, Depreux, etc... le votent des deux mains. Satisfaction est ainsi donnée à l'aile gauche qui croît avoir gagné la bataille parce qu'elle a fait approuver ses idées. Elle ne cherchera donc pas à se délimiter, à se compter comme tendance révolutionnaire. Une seule liste de noms est présentée pour le CPN.
Troisième phase :
C'est l'objectif que visaient les stratèges. Les membres du Congrès, perdus dans cet imbroglio votent pour élire le Comité national. Ils votaient évidemment surtout pour des noms connus nationalement. À ce jeu-là, les anciens députés et ministres sont les mieux placés. C'est ainsi qu'on prive de toute réalité la démocratie tout en respectant les formes extérieures. Depreux, Savary, Mazier, Verdier sont élus triomphalement. Comme le dit pudiquement France-Observateur : « il en résulte... quelques déséquilibres dont les provinciaux d'une part, les militants ouvriers de l'autre, on fait les frais (ces deux catégories sont un peu moins bien représentées que dans le précédent Comité Politique) ». En fait, le nouveau CPN comprend une poignée de militants ouvriers, pour la plupart d'origine confessionnelle, et quelques marxistes, noyés dans une masse de petits bourgeois réformistes, d'écrivailleurs et de politicards rompus aux joutes politiques.
Bilan de ce congrès : des dirigeants plus « à droite » chargés d'appliquer un programme plus « à gauche ». Ça laisse bien augurer du futur rôle révolutionnaire du PSU.
« Camarades, ce que nous proposons, c'est quelque chose de tout à fait nouveau, sans précédent. Pour la première fois dans l'histoire du mouvement ouvrier français, un Parti socialiste propose de faire du socialisme et la formule que je viens de prononcer est de beaucoup la plus révolutionnaire de mon exposé, je vous défie d'y trouver une formule plus révolutionnaire encore » a déclaré Depreux, secrétaire général du PSU en présentant le rapport d'orientation de la majorité. Cette dernière phrase est peut-être la plus exacte de toutes celles qui se sont dites dans ce congrès. Il est difficile de trouver dans le discours de Depreux comme ailleurs une phrase plus révolutionnaire que l'affirmation creuse dont il est si fier. Par exemple, Depreux déclare plus loin : « nous pensons que le Front Populaire correspondait à la situation sociale de 1936 et que le Front Populaire, c'est quelque chose de dépassé aujourd'hui, car c'est essentiellement l'association de l'ensemble des partis ouvriers avec un grand parti de démocratie bourgeoise, qui est l'arbitre, et qui est, dans ce cas, celui qui va le moins loin. »
Depreux explique qu'en 36, le Parti radical ne voulant pas de réformes de structure, le PC, qui tenait à cette alliance avec « les classes moyennes », n'a pas voulu remettre en cause le régime capitaliste (pas un mot de l'attitude de la SFIO... Il est vrai que Depreux en était membre à l'époque !). Le socialisme n'était donc pas « mûr » en juin 36 lorsque les travailleurs en grève occupaient les usines dans tout le pays !
« En 46, continue le secrétaire du PSU, cela a été la même chose et la meilleure preuve que le socialisme n'est pas à l'ordre du jour, c'est que lorsque à la première constituante, il y a eu une majorité absolue de socialistes et de communistes, personne en France n'en a déduit que le socialisme était à l'ordre du jour. » Et voilà pourquoi ma fille est muette ! Thorez, Léon Blum et Georges Bidault n'ont pas dit que le socialisme était à l'ordre du jour, donc il ne l'était pas. Il ne restait plus aux ouvriers qu'à retrousser leurs manches !
Mais la situation a changé « nous n'avons plus en France les partis qui correspondent au Parti radical de 36, au MRP de 46 ; ces partis ont glissé vers le centre ». Autrement dit, si le Front populaire de 36 ou le tripartisme de 46 ne sont plus possibles c'est tout simplement parce que le Parti radical ou le MRP n'ont aucune raison d'en vouloir et de se prétendre de gauche. Le « gauchisme » du PSU n'a donc pour ambition, dans l'hypothèse d'une radicalisation des masses et de mouvements sociaux de grande envergure, que de reconstituer une coalition identique pour arrêter la vague populaire dans les mêmes conditions, le « Front socialiste » étant simplement le qualificatif nouveau d'une vieille vessie.
Le programme qui fut finalement adopté par la majorité est, comme le discours de Depreux, une parodie du langage révolutionnaire où certains thèmes marxistes se retrouvent, vidés de sens, simplement, pourrait-on croire, pour le plaisir de les prononcer ou de les entendre. Par exemple, on y trouve les termes « programme de transition », « planification de l'économie », « pouvoir socialiste » et « nouveau type d'état ». Le tout, bien entendu, - ce n'est pas dit mais sous-entendus - se fera après la victoire du Front socialiste... aux élections.
Nul ne peut dire quel sera l'avenir du PSU, mais à l'heure actuelle, il se place indiscutablement sur le terrain de la succession du Parti radical de 36 et du MRP de 46. Mendès-France, bourgeois libéral, dont la réputation pacifiste bien enracinée dans les masses en fait presque un homme de gauche, avait échoué dans sa tentative de reconquérir et de rajeunir le Parti radical. Il ne pouvait se permettre un autre échec. En réserve depuis plusieurs années, il a rallié le PSU dès que la fusion avec l'UGS était certaine. Le PSU, créé par d'autres que lui, a bien le défaut d'avoir une partie de sa base dont les sympathies vont très à gauche, mais elle est frappée d'incapacité congénitale par la diversité même des tendances qui s'y trouvent représentées. Voué à l'inaction, le PSU ne peut être qu'un parti connu par ses leaders, en particulier parlementaires. Malgré cela, Mendès-France ne s'y commet pas encore complètement, car il ne peut absolument pas se permettre d'être confondu par la bourgeoisie avec des hommes de gauche, même si ce sont des phraseurs aussi sonores que creux. Il a cependant besoin d'eux, car le PSU n'existerait pas sans une certaine démagogie extrémiste.
C'est la raison profonde de ce programme qui n'est révolutionnaire que phonétiquement.