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Pétrole, Arak et Coca-Cola
L'unité arabe est à nouveau à l'ordre du jour après les coups d'État d'Irak et de Syrie tout au moins en ce qui concerne ces deux pays et l'Égypte.
De tout temps les gouvernements arabes, même les plus réactionnaires, ont fait de l'unité arabes leur slogan favori. L'idée même d'un grand État arabe a été lancé pour la première fois en 1915 par les Anglais, qui comptaient s'en servir contre les Turcs et la Ligue arabe, dont le rôle aujourd'hui est pratiquement inexistant, fut également créée par eux. Depuis l'éclipse de l'impérialisme britannique au Moyen-Orient et sa relève par les Américains (c'est-à-dire la fin de la Deuxième Guerre mondiale) les nouvelles équipes dirigeantes ont repris ce slogan à leur compte, tandis que l'impérialisme américains reprenait la politique de l'anglais, dans un autre contexte, bien entendu.
Ce qui a posé la question de l'unification syro-égyptienne, en termes nouveaux, après l'expérience désastreuse de 1958-61, est la venue au pouvoir du parti Baas en Irak et en Syrie.
Le Baas est étroitement liée aux Américains ; les faits qui le prouvent ne manquent pas. En Irak il s'empressa de reconnaître les droits des compagnies pétrolières, le correspondant de Jeune Afrique écrit dans le n° 127 de ce journal : « Tout Damas parle de la lettre personnelle qu'aurait envoyée le président Kennedy à l'ancien président Al Kudsi, quelque temps avant son renversement, dans laquelle le chef de l'état américain aurait exprimé le souhait de voir les pays arabes créer une sorte « d'entente » entre eux de nature à résoudre leurs divergences. Certains ont interprété le mot « entente » comme signifiant en réalité « fédération » et disent que le message de Kennedy, une fois parvenu aux adversaires du régime, constituait alors une comme un appel à un changement de la politique syrienne vis-à-vis du Caire ».
Le compte-rendu des discussions entre Michel Aflak, leader syrien et théoricien du Baas, et l'envoyé de l'Observateur du Moyen-Orient et de l'Afrique (n° 12) va dans le même sens. « ...Aussi bien en Irak qu'en Syrie, le Baas était considéré par les Américains comme l'antidote le plus efficace au communisme arabe...
Que les Américains aient financé son mouvement depuis des années ne lui semble nullement anormal, pas plus du reste qu'aux Américains eux-mêmes....
Dans (son) esprit (de Michel Aflak) cela se résume à une simple équation : le Baas a aidé les Américains à réduire les communistes et l'influence russe au Moyen-Orient, en échange les Américains se montrent reconnaissants... »
Quelle que puisse être la partialité de ce journal, cet article « cadre » avec les déclarations du même Aflak au Monde (21 mars 1963) :
« L'appel lancé par radio Bagdad invitant la population à exterminer les communistes, ajoute-t-il était destinée justement à étouffer la sédition...
Ils (les partis communistes) seront donc interdits et réprimés avec la plus grande vigueur dans tout pays arabe où le Baas serait au pouvoir «
L'impérialisme américain semble avoir repris plus étroitement en mains les gouvernements syrien et irakien ; si en Irak cela n'a pas posé de problème, en Syrie il a composé avec d'autres tendances de la bourgeoisie (dont des pro-nassériens). Il n'a que 10 sièges sur 22 au gouvernement. Les Américains sont favorables à une union fédérale tripartite avec direction collégiale. C'est cette conception que défend le bassiste Salah Bitar : « (l'unité arabe)... doit passer par l'élimination de toute velléité de pouvoir personnel, de tout culte de la personnalité (sic) ; par l'égalité totale et complète des partenaires ainsi que par une direction centrale à caractère fédéral et démocratique... « (Jeune Afrique n° 126).
La ligne politique générale d'une telle Fédération serait la résultante de trois forces et atténuerait considérablement « l'anti-impérialisme » du Raïs qui se verrait dans l'obligation de mettre de l'eau dans son arak. Au contraire, d'une fusion ne sortirait qu'un nassérisme à la puissance 3, ce que les Américains moins que tous autres ne peuvent souhaiter. Les négociations tripartites semblent aujourd'hui avoir tourné court.
Le très officieux journal cairote Al Ahram dénonçait le 1er avril les « provocations « lancées contre l'Égypte par Aflak et Bitar alors que le même jour de violentes bagarres mettaient aux prises à Damas bassistes et nassériens.
L'unité arabe n'a jamais dépassé jusqu'à présent le stade du slogan démagogique. Les bourgeoisies de ces pays montrent leur incapacité et leur impuissance à toute solution d'ensemble.
En effet, dans ces pays l'état ne peut être qu'une dictature. ce sont des états instables appuyés d'une part sur les aspirations nationalistes des masses et d'autre part sur l'impérialisme lui-même. la division des pays arabes (comme celle des pays africains) diminue leur efficacité et divise évidemment leur force vis-à-vis de l'impérialisme. unies les bourgeois arabes pourraient obtenir des géants impérialistes, bien plus de ces miettes à goût de pétrole dont elle se nourrissent. mais s'unir, elles ne le peuvent pas sans que les nationalités les plus faibles soient opprimées par l'état le plus fort. en effet le type de dictature bonapartiste qui leur est nécessaire ne permet pas que se résolvent démocratiquement des problèmes nationaux. on l'a vu justement par l'expérience de fusion syro-égyptienne au sein de la r.a.u : en moins de trois ans l'administration, l'armée, la police syrienne étaient entièrement « colonisées » par les égyptiens. ce qui a abouti à la rupture de 1961.
C'est pourquoi la « fédération » paraît un moyen terme entre une union organique et l'éparpillement. En réalité, on le voit sous nos yeux à l'heure actuelle, dans la mesure où elle se réalise, elle ne sert que l'impérialisme. À la lumière de ces projets de fédération, les coups d'État en Syrie et en Irak apparaissent comme des manoeuvres des Américains cherchant à faire pression sur la Nasser pour l'amener à renoncer, au sein d'une confédération à trois, à une indépendance d'action qui lui permet beaucoup de liberté vis-à-vis d'eux-mêmes (une union syro-irakienne sans lui serait un concurrent sérieux) .
Mais c'est bien parce que cette fédération ne leur donnerait justement pas une plus grande indépendance vis-à-vis des USA, indépendance qu'ils visent en cherchant à s'unir, que les dirigeants syriens sont si partagés. L'union, ils ont dû la rompre. La Fédération servirait surtout les Américains en neutralisant Nasser. Et les luttes que se livrent en Syrie nassériens et baassistes, sont le reflet du trouble ou est la bourgeoisie syrienne.
De solutions à longue l'échéance elle n'en a pas. Pas plus que les bourgeoisies de tous les pays dits indépendants qui ne mènent que la chétive existence que leur permet l'impérialisme, en attendant que la révolution socialiste mondiale les balaie avec ce dernier, pour créer une Fédération mondiale des peuples.