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- Lutte de Classe n°2
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Où va Castro ?
Il ne se passe pas de semaine sans que la presse fasse état de préparatifs militaires aux abords de Cuba. Les USA interviendront-ils militairement pour tenter de mettre fin à ce qu'on a appelé la Révolution Fidéliste ? C'est l'un des problèmes que pose l'existence de la jeune République, mais ce n'est pas le seul.
Au début de l'année 1959 la dictature sanglante de Battista s'écroulait. Elle ne se survivait d'ailleurs plus que grâce à la terreur policière et à l'appui des USA La bourgeoisie cubaine elle-même, lasse de ce régime d'oppression au service exclusif de l'impérialisme américain s'en était détournée. Aussi, lorsque l'insurrection porta Castro au pouvoir, la nation tout entière l'accepta sans difficulté et même avec soulagement. Les maquis et l'insurrection étaient l'oeuvre de paysans encadrés par des intellectuels, c'était la victoire de la petite bourgeoisie radicale. Elle n'avait d'autre but politique un peu précis en accédant au pouvoir que l'instauration de la démocratie. Mais c'était mettre en question toute la structure sociale et économique du pays.
En effet les cinquante dernières années ont montré qu'il n'était pas de démocratie possible à Cuba sans changement économique et social radical. Une industrie en majeure partie aux mains de l'impérialisme étranger et qui s'est développée uniquement suivant les besoins et les nécessités de ce capitalisme étranger et non suivant les besoins et les nécessités au pays ; une masse de paysans sans terre à la merci des propriétaires de latifundia, dont les plus importants, là encore, étaient des compagnies sucrières étrangères ; un chômage chronique important ; une très forte proportion d'analphabètes ; en conclusion une dépendance économique complète vis à vis de l'impérialisme américain ; voilà les conditions sur lesquelles ont buté jusqu'ici toutes les tentatives d'instaurer un régime démocratique depuis que Cuba a conquis son indépendance politique sur les Espagnols.
Castro s'il voulait demeurer fidèle au but fixé - le régime démocratique - et surtout ne pas décevoir les masses chez qui sa victoire avait provoqué, après des années d'oppression et de misère un immense espoir de changement devait donc transformer cet état de choses.
La première tâche de la révolution démocratique était la réforme agraire. Après quelques mois celle-ci fut annoncée puis entamée. Les propriétés foncières ne pouvaient plus excéder 400 hectares. C'était la mort des grandes compagnies étrangères qui possédaient 47 % des terres à sucre de Cuba - et le sucre est de loin la principale production agricole cubaine. Dès son premier acte important le nouveau régime se heurtait ainsi à l'impérialisme yankee qui a déterminé toute l'évolution politique et économique de Cuba et chaque mesure importante prise dans le domaine politique ou économique l'a été paradoxalement sous la pression américaine. Il ne pouvait que reculer et se retourner contre les masses, ou aller plus loin dans la radicalisation.
A la suite de l'annonce de la réforme agraire, intrigues diplomatiques ou militaires et surtout menaces de sanctions économiques (notamment menaces de réduire les importations de sucre cubain) s'élevèrent alors des USA Le conflit éclata lorsque Cuba, pour faire échec à l'emprise économique US, acheta du pétrole à l'URSS. Les compagnies anglo-américaines qui possèdent les seules raffineries de pétrole de l'île refusèrent de le raffiner. Ce refus amena le gouvernement cubain à confisquer les raffineries. Les USA répondirent par l'abaissement de l'importation de sucre puis par le blocus économique. Or de même que Cuba vendait la plus grande partie de son sucre aux USA, l'île achetait aux États-Unis la majeure partie des objets manufacturés qu'elle ne produit pas et une bonne partie du riz qui est la nourriture de base de la population.
Les États Unis en arrêtant leurs importations puis leurs exportations désorganisaient complètement l'économie cubaine. C'est pour essayer de parer à cette désorganisation et sous la pression des circonstances que le gouvernement cubain décréta la nationalisation de toutes les moyennes et grandes entreprises étrangères et cubaines. Jusqu'ici le régime fidéliste a donc su trouver la réponse aux pressions économiques de l'impérialisme et cette réponse il a su la donner parce qu'il s'est appuyé résolument sur les masses jusques et y compris contre sa propre bourgeoisie.
Mais la pression économique n'est pas la seule menace contre Cuba. Maintes fois dans le passé l'impérialisme américain est intervenu militairement à Cuba même, pour redresser une situation politique qu'il jugeait défavorable pour lui. Si cette fois l'intervention militaire a été évitée jusque là, c'est sans doute bien davantage parce que les Américains craignent de se heurter à une résistance de toute la population et d'être obligés de se livrer à une pacification type Algérie - ce que la politique internationale des USA ne peut guère se permettre - qu'à cause des menaces combien symboliques de représailles militaires de la part de l'URSS Cette intervention militaire ne peut cependant pas être exclue. Si lors des derniers soulèvements au Nicaragua et au Guatemala les Américains se sont livrés à une démonstration de force sous prétexte d'une possible intervention communiste c'est pour affirmer publiquement qu'ils entendent bien défendre leurs intérêts par la force, si besoin est. Et l'exemple cubain est, du point de vue impérialiste, un danger pour toute l'Amérique latine.
Mais la lutte ne se déroule pas seulement entre la démocratie cubaine et l'impérialisme : De plus en plus les intérêts des masses et ceux des classes possédantes cubaines - propriétaires fonciers et aussi bourgeoisie - se séparent. La réforme agraire a atteint non seulement les compagnies sucrières US mais aussi les grands propriétaires cubains. Les nationalisations annoncées par le gouvernement, et nécessaires à l'aménagement économique du pays, ne menacent et ne touchent plus seulement les capitalistes étrangers mais aussi les Cubains. Ainsi face aux désirs et aux besoins des masses ouvrières, paysannes, petites bourgeoises, la bourgeoisie cubaine - et pas seulement les propriétaires fonciers - voit ses intérêts inextricablement liés à ceux de l'impérialisme. Elle n'a pas eu jusqu'ici la possibilité de réagir mais l'opposition se dessine de plus en plus sur la droite du régime : exil volontaire de techniciens, d'intellectuels ou même de certains ex-cadres fidélistes, prise de position « anti-communiste » de la hiérarchie catholique, manifestations de catholiques et bagarres les opposant aux fidélistes en sont les symptômes. La belle unanimité nationale qui avait suivi la victoire semble terminée.
Le régime Castro, représentant la petite bourgeoisie radicale, s'est jusqu'ici appuyé sur les masses populaires, surtout paysannes pour essayer d'accomplir les tâches de la révolution démocratique bourgeoise. Par là il est entré dans une voie où il s'aliène de plus en plus l'impérialisme et sa propre bourgeoisie nationale qui a prouvé, à Cuba aussi, son incapacité à accomplir ses tâches.
L'inconnue est de savoir jusqu'où la petite bourgeoisie avancée, fidéliste, acceptera d'aller avec les masses populaires déshéritées. Si elle ne peut rompre avec son aile droite, en son sein même, le régime s'effondrera et ne pourra se terminer que par une dictature réactionnaire.
Sinon, la révolution reste à faire. Ou elle s'effondre et régresse, ou elle évolue jusqu'à ses conclusions ultimes en une révolution sociale sur la base de la dictature démocratique d'un gouvernement ouvrier et paysan. Ce sera bien difficile en l'absence d'un parti révolutionnaire prolétarien. La seule question est donc celle-ci : ce parti se constituera-t-il à temps ?