- Accueil
- Lutte de Classe n°30
- Main de velours dans gant de fer
Main de velours dans gant de fer
En octobre 56, alors que Nehru condamnait l'intervention franco-anglo-israélienne en Égypte - non pas pour dénoncer la manoeuvre des impérialistes - mais au nom du principe de la non-violence, il disait à propos de Goa : « Du point de vue militaire la reprise de Goa des mains des Portugais est une affaire sans importance en elle-même. Cependant l'Inde ne s'engagera pas dans cette voie, car elle est attachée à la paix. »
Le 19 décembre dernier, après une campagne militaire de 36 heures, l'armée indienne se rendait maîtresse de Goa et 3 500 soldats portugais étaient faits prisonniers.
Pendant ce temps à quelques milliers de kilomètres de là : « A Lisbonne une foule immense participait lundi soir (18 décembre) à une veillée patriotique autour de l'urne contenant les reliques de Saint François Xavier, apôtre de l'Inde, disciple et ami de Saint Ignace de Loyola qui mourut à Canton en 1552, et dont les restes reposent à Goa... Puis précédé de dragons sabre au clair et de l'urne portée par des membres en uniforme bleu de la « brigade navale » l'assistance s'est déplacée en cortège vers la cathédrale » (Le Monde) . Ainsi Salazar portait à Saint François Xavier (disciple et ami du fondateur de l'Ordre des Jésuites) les cierges que Nehru retirait à Gandhi apôtre de la non-violence.
A la violence impérialiste, Gandhi prétendait opposer pour la libération de son peuple la non-violence et la donnait en exemple à tous les autres peuples opprimés. Cela bien entendu n'empêcha pas l'Angleterre d'écraser et de maintenir sous sa coupe directe tout un empire de centaines de millions d'hommes pendant près d'un siècle. Il fallut la grande césure de la Deuxième Guerre mondiale et l'éveil des peuples coloniaux, qui caractérisa cet après-guerre, pour que l'Inde acquière son indépendance. L'impérialisme anglais se retira de la vie publique des Indes non sans constituer des États « indépendants » tels le Pakistan de part et d'autre de l'Inde et le Cachemire.
Pour le malheur de Nehru, du gandhisme et de l'impérialisme, cet éveil des peuples coloniaux n'est pas une formule de rhétorique, et quand Nehru disait lui-même que rien ne pourrait l'arrêter, pas même la bombe atomique, il n'oubliait pas qu'une autre arme plus subtile de la domination bourgeoise, « la non-violence » à sens unique, ne pourrait pas plus lui résister.
La presse feint de s'interroger sur le pourquoi de « l'annexion » de Goa par Nehru et l'attribue à des nécessités intérieures. « Nous avons une opinion et un Parlement, un Parlement souvent houleux. Notre gouvernement a été accusé d'être trop mou au sujet de la libération de Goa. C'est pourquoi nous avons dû passer aux actes pour protéger la population de Goa en révolte contre l'administration colonialiste », a dit le délégué indien à l'ONU Mais s'il est vraisemblable, comme le fait remarquer l'Observateur du 21 décembre, que beaucoup d'Indiens ignorent jusqu'à l'existence des enclaves portugaises, la « campagne » de Goa n'était certainement pas nécessitée par le seul besoin de se justifier aux yeux de l'opinion intérieure.
Nehru apparaît comme le leader des « neutres », neutres pas seulement entre les deux camps qui partagent le monde, mais « neutres », aussi, entre les peuples en révolte et l'impérialisme mondial, C'est bien pourquoi dans tous les pays impérialistes on reproche tant à Nehru de donner un mauvais exemple avec le coup de force de Goa.
A eux, les etats impérialistes, qui ne se sont jamais réclamés de la non-violence, le recours à la force est permis, mais à nehru ! en attaquant goa il s'est rabaissé au niveau des portugais qu'il prétendait cependant blâmer pour la férocité de leur répression en angola. que dans un cas il y ait eu moins de dix victimes, et dans l'autre plus de dix mille morts, quelle importance puisqu'il s'agit de principe.
Mais que l'Inde ait eu le droit des peuples de son côté en chassant l'impérialisme portugais de ses comptoirs, n'a pas empêché Nehru de tolérer ces enclaves impérialistes sur le territoire indien sans réagir, depuis plus de dix ans que l'Inde est une République indépendante, au nom de la non-violence. A-t-il aujourd'hui renoncé à ce « principe » ? Certainement pas, et c'est bien parce qu'il n'y a pas renoncé qu'il s'est vu contraint de reprendre Goa, par la force.
En effet, si Nehru apparaît comme le leader des neutres, c'est à dire des non-violents à l'échelle internationale, comment pourrait-il conserver cette position, quel langage pourrait-il tenir aux peuples d'Afrique, de l'Angola, du Congo, de la Rhodésie ou de l'Union Sud-Africaine, si Goa, et les autres comptoirs, continuaient indéfiniment à défigurer de leurs verrues et la carte de l'Inde et le visage de la non-violence. Comment faire admettre à tous les peuples coloniaux, ou ex-coloniaux, épris de liberté que la neutralité et la non-violence sont des moyens d'obtenir satisfaction, alors que depuis dix ans Nehru n'obtient rien du Portugal. Ce n'est pas tant à l'intérieur de l'Inde qu'il faut chercher les nécessités, mais à l'extérieur. Par trente six heures d'opérations militaires contre un petit territoire d'une petite puissance impérialiste, Nehru s'est évité d'avoir un jour quelconque à fournir des armes aux révoltés d'Angola ou d'Union Sud-Africaine. Et si les impérialistes crient si fort, ce n'est que par hypocrisie, car, là encore, Nehru n'a agi, comme son compère Bourguiba à Bizerte, que pour mieux servir l'impérialisme.