Les vœux pieux11/12/19621962Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Les vœux pieux

À droite, l'UNR a triomphé aux dépens des Indépendants et du MRP obtenant presque la majorité à la Chambre. Du même coup un certain nombre d'hommes politiques et de publicistes de la bourgeoisie - de ceux à qui Le Monde ouvre volontiers ses colonnes - examinent à nouveau la possibilité d'un regroupement des forces politiques du pays en deux grands partis, l'un de droite, l'autre de « gauche ».

Pour ces gens qui citent abondamment en exemple les USA et la Grande-Bretagne, ce système aurait plus d'un mérite. Tout en préservant la démocratie, c'est-à-dire la possibilité pour une opposition de se faire entendre au Parlement et même d'influer sur les décisions du gouvernement parce que représentant une force importante, il permettrait en même temps l'existence d'un gouvernement stable appuyé sur le parti vainqueur aux élections qui aurait alors fatalement - puisqu'il n'y aurait plus que deux partis - la majorité absolue au Parlement.

On comprend qu'un tel système puisse faire rêver les intellectuels bourgeois français. A ceux qui ont cherché pendant douze ans une panacée au régime d'instabilité ministérielle de la IVe République et qui continuent de s'interroger sur la succession de de Gaulle, il est sans doute agréable d'espérer que du bonapartisme gaulliste il peut naître sans heurt une démocratie à l'anglaise ou à l'américaine. Mais pour que le régime gaulliste ait ce rôle de transition que l'on voudrait lui attribuer, il faudrait que certaines conditions soient réalisées.

Certes, on imagine assez bien en esprit les Indépendants et le MRP s'intégrant totalement à l'UNR pour former un vaste parti conservateur. De même qu'une union des socialistes, radicaux et divers centre-gauche, ne semble nullement impossible au sein d'un parti « travailliste », ou comme disait André Philip « socialiste - libéral ». Par contre il est un parti qui semble absolument inassimilable : c'est le PCF. Non pas tant d'ailleurs à cause de sa politique intérieure - il a déjà prouvé de 1945 à 1947 qu'il était parfaitement capable de participer à la gestion des affaires politiques de la bourgeoisie - mais à cause de sa politique étrangère, liée d'une manière inconditionnelle à la défense des intérêts de la bureaucratie soviétique. C'est cela qu'un éventuel parti travailliste - évidemment fidèle défenseur des intérêts de la bourgeoisie française - ne peut absolument pas accepter. Ce sont les mêmes raisons qui font que le PCF lui-même ne pourrait pas accepter de s'intégrer à un parti unique de la gauche (à moins de rompre alors totalement avec Moscou, ce qui ne semble pas près d'être réalisé).

Est-il possible alors d'éliminer complètement les staliniens de la scène parlementaire sinon politique ? Certains l'ont peut-être cru parce que le PCF était tombé brusquement en 1958 de 150 à 10 députés. En fait, bien plus qu'à la perte de plus d'un million de voix, cette brusque chute de la représentation parlementaire du PCF était due au changement de rode de scrutin,

Certains pouvaient bien espérer alors que le scrutin uninominal à deux tours remplaçant le scrutin à la proportionnelle, serait le moyen idéal à la fois pour éliminer complètement le PCF du Parlement et faire pression pour regrouper les autres formations politiques, car ce mode de scrutin condamne logiquement - du moins dans l'esprit de ses promoteurs - à la disparition les formations parlementaires minoritaires : celles-ci ont une proportion moins grande de députés que de voix, leur influence à la Chambre et dans le pays diminue d'autant, ce qui, à une prochaine consultation amène une perte de voix ; la représentation parlementaire est alors encore diminuée : ainsi au bout d'un certain temps, elles doivent ou bien disparaître, ou bien se lier à une formation plus puissante. De même les partis des extrêmes, trouvant plus difficilement des alliances électorales au second tour sont défavorisés au profit des partis plus modérés aussi bien à droite qu'à gauche. C'est ce qui était arrivé au PCF qui, avec près de 20 % des voix n'avait que 2 % des députés.

Pourtant quatre ans plus tard, avec le même mode de scrutin, le PCF n'a vu baisser le nombre ni de ses électeurs, ni de ses députés, à l'inverse de la plupart des partis. Il passe au contraire de 10 à 41 députés augmentant ses voix d'une centaine de mille.

En effet, le PCF n'est pas uniquement un parti parlementaire, mais aussi un parti de masse qui a des milliers de militants. Les électeurs du PCF, contrairement à ceux de tous les autres partis politiques, voient leur parti se manifester bien ailleurs qu'à la Chambre. S'ils lui font confiance et votent pour lui c'est beaucoup moins pour ce que disent ou font Thorez, Waldeck-Rochet ou les autres députés staliniens à la Chambre que pour leur voisin de palier ou leur délégué d'atelier, qui représentent et cautionnent à leurs yeux le PCF, et mènent journellement une activité militante s'opposant - du moins formellement - au gouvernement et aux patrons. Dans ces conditions il est normal que le nombre des députés communistes n'influence guère le vote des électeurs communistes, en majorité des ouvriers.

Il est donc impensable, dans les conditions actuelles, qu'il suffise de combines au d'alliances électorales pour éliminer le PCF de la scène politique, ou même seulement de la scène parlementaire.

Bien plus, l'existence de ce parti stalinien puissant, est susceptible de freiner et de retarder la disparition de certaines formations parlementaires bourgeoises. Menacées de disparition, certaines d'entre elles, particulièrement à gauche, mais même à droite ainsi l'exemple du chanoine Kir, député indépendant de Dijon réélu grâce aux voix communistes - peuvent chercher une survie parlementaire dans l'alliance avec le PCF. Cela leur est d'autant plus facile que celui-ci, prêt à tous les compromis pour tenter de sortir de son isolement, recherche inlassablement des alliances de ce genre.

Ainsi l'instauration d'un système à l'anglo-saxonne, présupposerait d'abord la liquidation du PCF. Mais pour détruire le parti stalinien, il faudrait liquider des milliers de militants ouvriers. Si cela se révélait nécessaire c'est aux exemples de Franco et de Hitler que la bourgeoisie ferait appel. Et il n'y aurait alors aucune chance que s'installe une « démocratie » à l'anglo-saxonne chère au coeur de certains libéraux.

À moins que le PCF ne « liquide » lui-même ces militants, en les démoralisent à force de compromis et de reculades devant les attaques du pouvoir gaulliste ou des forces d'extrême droite.

 

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