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Les tâches de l'heure
L'action de l'OAS s'intensifie de jour en jour en métropole. Aux attentats au plastic ont succédé depuis quelques temps les mitraillages, l'enlèvement et l'assassinat. Que le gouvernement et sa police soient incapables, si même ils pouvaient en avoir l'intention, de détruire l'OAS ou, simplement, de l'empêcher d'agir, toute la gauche est unanime pour l'affirmer.
Le PCF, le PSU, la CGT, la CFTC et divers autres groupements savent et disent aujourd'hui qu'on ne peut compter que sur les forces de la gauche pour détruire l'organisation fasciste. Et si le PCF se contente, sous prétexte que « l'action de masses » est plus efficace que « les actions individuelles », de protester en organisant des manifestations sur le lieu des attentats, d'autres formations politiques, telles le PSU proposent la formation d'organismes de défense autonome, et certains groupements clandestins sont apparus tels le Comité de Défense de la République et les SAO (Sections Anti-OAS), qui affirment qu'ils répondront à l'OAS sur le terrain qu'elle a choisi et rendront coup pour coup.
Il est évident qu'à l'heure actuelle c'est ainsi que la question se pose. Une organisation, se battant clandestinement mais dont l'activité serait défendue publiquement par la gauche, et capable de rendre coup pour coup et plus à l'OAS (avec les fascistes, la loi du talion est insuffisante disait justement Paul Vaillant-Couturier, il faut : « Pour un oeil, les deux ; pour une dent, toute la gueule ! » ) aurait la sympathie des masses, diminuerait le prestige que la réussite de ses coups et son impunité assurent à l'OAS auprès d'une certaine jeunesse, et procurerait quelques difficultés de recrutement à l'organisation fasciste, en rendant son soutien moins facile et plus dangereux.
Une telle organisation devrait évidemment n'agir que d'une façon qui soit comprise par les masses. C'est dire par exemple, que l'utilisation du plastic lui serait interdite : ces explosions aveugles peuvent faire des victimes étrangères à la question. Il ne lui serait pas interdit par contre, de frapper les « lampistes » de l'OAS, c'est-à-dire ses sympathisants, mais à condition de déclarer à l'avance qu'elle considère les sympathisants affirmés de l'OAS comme responsables, au même titre que ses dirigeants, des vies détruites par l'OAS. Si la gauche faisait une large publicité aux déclarations d'une organisation clandestine, proclamant que tous les militants ou sympathisants de l'OAS sont tenus pour responsables des actes de celle-ci, qu'en quelque sorte ils sont des otages virtuels, et que par exemple, pour un plastiquage réussi, même s'il n'y a pas de victimes, un militant ou un sympathisant de l'OAS le paiera de sa vie et que pour chaque mort ou blessé grave, ce nombre sera porté à dix, il est certain, dans la mesure où ces promesses sont tenues bien entendu, que l'OAS ne pourrait absolument pas se développer en métropole.
Ce contre-terrorisme, pour nécessaire qu'il soit dans la situation actuelle, si l'on ne veut pas voir l'OAS augmenter sa puissance, a cependant ses limites. D'abord, il est bien entendu qu'il doit être efficace : il n'est à la portée que des organisations ayant des moyens importants. Ensuite, s'il peut empêcher le développement de l'OAS, il ne peut pas la détruire. Les cadres de l'OAS se confondent avec les hautes sphères de la police, de l'administration et de l'armée de métier. C'est toute une fraction de l'appareil l'État qui se tourne vers le fascisme et cela nécessairement, car un tel appareil ne peut pas mener des guerres coloniales pendant 17 années sans interruption, sans acquérir une telle mentalité. La destruction des cadres de l'OAS n'est possible qu'à la condition de détruire l'État bourgeois. C'est d'ailleurs pourquoi de Gaulle ne le veut ni ne le peut. C'est dire aussi que c'est hors de portée de l'action terroriste.
Cette limite fait donc que même si une organisation contre-terroriste empêchait le développement de l'OAS, le danger présenté par l'existence au sein de l'appareil l'État de cadres fascistes marquera définitivement, en tous cas pour notre génération, la vie politique française. Une crise économique un peu grave lui offrirait immédiatement le bouillon de culture où le virus brun pourrait croître et proliférer.
Le problème de l'armement du prolétariat, de la création de milices ouvrières, est donc plus actuel que jamais. C'est un problème indépendant de l'action contre-terroriste ou du moins qui peut l'être. Le contre-terrorisme s'opposerait à l'activité actuelle de l'OAS. Celle-ci est en effet hors de portée d'actions de masses, telles que celles conçues parle Parti Communiste Français. Trois, ou même dix mille manifestants venant contempler une façade ou un plafond éventré en criant « le fascisme ne passera pas », n'empêcheront pas l'OAS de recommencer, dix mètres plus loin et vingt-quatre heures après. Les marxistes ont toujours considéré que les attentats individuels ayant pour objet de supprimer le capitalisme en la personne de ses représentants, ou de « réveiller les masses », étaient inefficaces et parfois néfastes. Mais ici les staliniens font encore une fois un « amalgame » conscient. L'acte individuel consiste pour un individu ou un petit groupe, à se substituer aux masses dans leur lutte ou leur rôle historique. Tout autre est l'acte terroriste exécuté même par un très petit nombre d'individus, et cela pour des raisons techniques, dans le cadre d'un mouvement de masses. Le FLN n'a pas d'autres méthodes et nul ne songerait à lui dénier le caractère d'un mouvement de masses.
La création de milices ouvrières correspondrait non à la lutte contre ce que sont l'OAS et ses méthodes actuelles, mais au fait qu'il existe maintenant et pour longtemps, en France, une formation fasciste susceptible de se développer rapidement si les circonstances lui sont propices. Sans compter, par ailleurs, qu'il est vain de se faire des illusions : la gauche ne dispose, malgré quelques réactions des SAO, d'aucune formation susceptible de lutter à armes égales contre l'OAS. Le PSU, qui est le seul parti s'en déclarant partisan, n'en a pas les moyens humains et matériels, les organisations ouvrières, qui en auraient, elles, les moyens, n'en ont pas la volonté. On peut donc prophétiser à bon compte que dans un temps plus ou moins bref, l'OAS pourra se permettre de passer à d'autres formes d' activité et, en particulier, à en légaliser plus ou moins certaines. Si le prolétariat n'est pas alors organisé sur le plan militaire, il y aura en France un parti fasciste suffisamment puissant et influent pour infléchir considérablement la politique gouvernementale et obtenir la restriction de certains droits ouvriers. L'aile droite du bonapartisme se renforçant, un nouvel équilibre sera alors cherché un peu plus à droite, que ce soit de Gaulle ou Juin qui soit au pouvoir.
On peut bien sûr espérer que spontanément le prolétariat entrera en lutte malgré l'inertie de ses directions, les organisations ouvrières, les débordera et imposera quelques défaites cuisantes au mouvement fasciste. pour le moment, rien ne permet de prévoir cela à moins que l'extrême-droite refasse l'erreur de 1934, c'est-à-dire par une tentative ou une action prématurée fasse l'unanimité de la classe ouvrière et la mobilise contre eux dans un mouvement qui, en emportant les organisations traditionnelles, les contraignent à faire demain ce qu'elles ne veulent pas faire aujourd'hui. hors de cette perspective, l'intervention consciente dès maintenant, des militants ouvriers, pour la constitution de milices ouvrières est plus qu'indispensable, elle est vitale pour l'avenir du mouvement ouvrier
La première tâche est de démystifier ce problème : la constitution de milices ouvrières serait une chose difficile parce que nécessitant un niveau de conscience élevé, beaucoup de dévouement, et l'observation d'une rigoureuse clandestinité. Dans tout cela, il y a du vrai, mais encore beaucoup plus de faux. Car cela, c'est le prétexte que donnent les organisations ouvrières pour ne rien faire. Cela, c'est ce qu'il faut pour que le prolétariat dispose de groupements militaires, disponibles, entraînés, équipés et armés. C'est l'aboutissement, nais pas le début. Le prolétariat dispose pour mener son combat, d'avantages considérables dans la société capitaliste, une fois qu'il en a pris conscience. Tout d'abord, il est regroupé une partie importante du temps sur la base du lieu de travail. Ensuite, il possède le nombre, avec tout ce que cela implique d'intelligences, d'initiative et d'appuis moraux. Enfin, il dispose de moyens techniques considérables : ceux qu'il utilise tous les jours au profit du capital. Les armes ce sont non seulement les travailleurs qui s'en servent, sous l'uniforme, mais ce sont eux qui les fabriquent.
La constitution de milices équipées et armées, passe par un certain nombre d'étapes. Avant les armes, il faut les hommes. Afin de pouvoir mobiliser des centaines de milliers d'hommes, il faut en mobiliser quelques centaines. Que dans une usine, ou dans un atelier, quelques dizaines de travailleurs, une dizaine même acceptent publiquement d'être mobilisés en cas de besoin, et donnent à chacun des autres le moyen de le faire, c'est un embryon de milice ouvrière. Que chacun ce ces travailleurs fasse campagne autour de lui pour convaincre ses compagnons de travail de prendre le même engagement et c'est une milice ouvrière en constitution. Que les plus conscients d'entre eux se réunissent et se chargent d'un certain nombre de tâches telles que : l'organisation pratique de la mobilisation de la milice en cas de besoin, la recherche des moyens de s'armer en cas de nécessité, etc... et la milice existe. Passer ensuite à certaines étapes supérieures : manoeuvres pour vérifier le dispositif de mobilisation, entraînement physique et militaire, n'est qu'une question de circonstances. Aujourd'hui, commencer la constitution de telles milices dans les entreprises est à la portée de tous les travailleurs conscients, de tous les militants révolutionnaires. Cette activité est inséparable de la propagande ouverte. Autant une activité contre-terroriste doit être rigoureusement clandestine, autant la constitution de tels organismes dans les entreprises doit apparente. Seul un très petit nombre d'individus est susceptible de participer à une activité clandestine.
Pour organiser des milices rassemblant largement le prolétariat, il faut que la participation à la milice (baptisée du nom que l'on voudra du moment qu'il est clair pour les travailleurs qu'il s'agit de milice ) apparaisse comme une chose simple, allant de soi.
Seuls certains détails ou aspects techniques doivent rester secrets, mais en accord avec l'ensemble des travailleurs. Il faut faire pénétrer au sein des usines l'idée que la participation à la milice est non seulement nécessaire, mais encore facile, à la portée de chacun et aucunement « ignominieuse ».
Encore une fois, cela ne correspond pas à la lutte contre l'activité actuelle de l'OAS. Cela correspond, si les organisations de gauche ne sont pas capables d'empêcher le développement de l'OAS, à la lutte qu'il sera indispensable de mener lorsque l'OAS sera assez forte pour apparaître au grand jour. Mais si l'on attend ce jour-là, il sera trop tard, car il correspondra nécessairement à un recul de la conscience et de la combativité ouvrières.
Si malgré les reproches que lui fait le PCF d'être fait « d'actions individuelles », le contre-terrorisme n'est à la portée que des grandes organisations, la constitution de milices est à la portée de tous les travailleurs révolutionnaires.