Les lendemains qui chantent04/10/19611961Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Les lendemains qui chantent

En ce temps où le Parti Communiste, se garde non seulement de mener une action tant soit peu en marge de la légalité, mais ne perd pas une occasion d'affirmer combien il est attaché aux formes de la « démocratie » bourgeoise, aux « institutions » parlementaires, à la « grandeur française », il n'est pas inutile de rappeler qu'il y a juste 22 ans, le 27 septembre 1939, la bourgeoisie, à laquelle il avait pourtant donné tant de gages, de modération dans le domaine social, d'ultra-nationalisme en matière de politique extérieure, cette bourgeoisie l'interdisait, supprimait sa presse et emprisonnait ses militants.

La bourgeoisie française s'était mal remise de sa grande frayeur de 1936. « L'hystérie des masses », comme disait le radical Guernut - en 1939, il est vrai - lui avait fait entrevoir sa fin possible. Et, bien que la coalition de Front Populaire lui ait précisément évité ce renversement, notre bourgeoisie, peu mais pas assez rassurée par l'échec de novembre 1938, par les nombreuses arrestations de militants ouvriers, par le reflux de l'élan révolutionnaire des masses, ne voulait plus entendre parler d'une quelconque collaboration avec socialistes ou communistes, généralement englobés sous le titre général de « marxistes ».

Même Léon Blum n'échappa pas aux attaques de la presse. « Le Temps » ne cessait de récapituler ses torts et en même temps prétendait dresser un réquisitoire contre le Front Populaire, responsable selon lui de toute la misère, du chômage et de la vie chère. La bourgeoisie n'épargne pas même ses serviteurs, et le grand journal gouvernemental écrivait de Blum, le 13 janvier 1939 : « Il a eu un tort peut-être plus grave encore en pratiquant une double politique qui consista à se soumettre aux « masses », tout en leur recommandant, avec une sorte de timidité pathétique, d'interrompre leurs excès ».

Cette attitude cinglante que manifeste la bourgeoisie à l'égard des hommes du Front Populaire se double d'un mépris haineux envers les « masses » (que l'on écrit d'ailleurs toujours entre guillemets) Ainsi, un lecteur du « Matin », journal à audience plus « populaire », suggère de résoudre le problème de la surproduction en matière de blé en obligeant les chômeurs à manger surtout du pain. Comment ? On réduit, c'est simple, leur allocation de chômage et on leur donne la différence en pain.

Comme conclut « Le Matin », « de tous nos systèmes pour venir en aide (sic) aux chômeurs, celui qui consiste à leur donner de l'argent qu'ils emploient comme ils l'entendent, n'est pas des plus heureux... ».

La bourgeoisie remise en selle ne pouvait qu'associer le PC à la classe ouvrière. L'anti-communisme se déchaîne dans toute la presse, Le 15 janvier, « l'Association de Défense de la Nation », organisation d'extrême-droite , introduit une instance devant le tribunal civil de la Seine afin que soit prononcée la dissolution du Parti Communiste, dont l'existence est contraire à l'ordre public.

Tout ce qu'on demande à la classe ouvrière vaincue, c'est de travailler, de produire toujours plus, en particulier pour la défense nationale. On se préoccupe aussi beaucoup de la crise de la natalité. On déplore le déclin de la famille française, dû, paraît-il, « à l'affaiblissement des valeurs morales » et à un « individualisme abusif ». La France a besoin de soldats. Il faut donc faire naître, dit « Le Temps », mais aussi il « faut faire bien naître ».

Car la principale préoccupation de l'année 1939, c'est la guerre imminente. Tout va dans ce sens : réforme électorale, prorogation de la Chambre sans que de nouvelles élections interviennent, série de décrets-lois. L'opposition stalinienne se manifeste à la Chambre. Les communistes et « L'Humanité » crient : « Vive la Constitution ! », ce qui, selon « Le Matin », est « presque aussi inattendu dans leur bouche que Vive l'Armée ! ».

Le PC mène une grande campagne contre les pactes unilatéraux, contre les pourparlers anglo-polonais. Il réclame un pacte de sécurité collective, englobant l'Union Soviétique. Toute sa politique consiste à essayer d'intégrer l'URSS dans le camp des démocraties anglo-françaises. Elle s'accompagne d'un délire rationaliste qui surpasse presque celui de « L'Action Française », « organe du nationalisme intégral ».

« Collaboration honnête, loyale avec l'URSS, si on veut vraiment défendre la France !

« Visitez l'Alsace et la Lorraine et achetez leurs produits, vous accorderez ainsi le bon goût et le patriotisme ».

Ce supernationalisme atteint son apogée au mois de juillet, alors que l'on arrêtait des rédacteurs du « Temps » pour espionnage au profit de Hitler. Tous les jours « L'Humanité » demande « Châtiment pour les vendus à Hitler », « il faut arrêter les traîtres », « Quoi ! Ce sont les traîtres qui dicteraient des mesures contre les Français soucieux d'union et de vigilance ? ». L'hystérie nationaliste du PC et de son rédacteur L. Sampaix, les conduisit d'ailleurs en correctionnelle pour « indiscrétions ». Sous le titre énorme « Vive la France », « L'Humanité » annonce le procès, et elle annonce l'acquittement sous le titre : « Et nous répétons : Vive la France ! ».

Si, de nos jours, le patriotisme du PC n'étonne plus, il irritait à l'époque les milieux de droite qui s'étonnaient de voir les agents de la IIIe Internationale, « qui ont Lénine pour Dieu », « emboucher le clairon de Déroulède » et « se poser en parangons du patriotisme ».

De plus en plus, la presse de droite réclame au Gouvernement de prendre des mesures sévères. On lui reproche de ne pas gouverner hardiment. Des bruits ayant couru selon lesquels le PC préparait « avec soin et méthode » un « nouveau Juin 36 », « Le Temps » se dé chaîne, crie au complot contre la nation, explique que marxisme et nazisme sont des frères jumeaux ( « Il n'est pas sans signification, en tout cas, que le pays qui a donné Karl Marx au monde soit celui-là même qui a donné M. Hitler » ), et déclare : « Nous vivons à un moment où le moindre symptôme de guerre sociale deviendrait une prime à l'agression ».

La bourgeoisie française qui, dans sa préparation à la guerre, ne peut risquer de se trouver confrontée à une opposition ouvrière - opposition que le PC pourrait peu ou prou traduire - cherchait à trouver le moment favorable à l'interdiction du Parti. Elle sait que le nationalisme des staliniens n'est qu'affaire de circonstance. « L'Humanité » peut réclamer « Vite, le Pacte ! » à grands cris, l'URSS reste cependant l'ennemie fondamentale de la France, comme de tous les pays capitalistes. Le PC n'est donc que l'ennemi intérieur, et la bourgeoisie, à cette heure décisive, ne pouvait tolérer son existence légale.

L'annonce du Pacte de non-agression conclu le 23 août, entre l'Allemagne et l'URSS, ( « le nouveau Brest-Litovsk » ) fit l'effet d'une bombe pour les militants communistes. Bien que dans les premiers jours de septembre, Cachin écrivit à Blum - lequel reproduisit la lettre dans « Le Populaire de Paris » - pour lui déclarer que les communistes étaient » prêts à défendre la sécurité du pays », bien que le dernier éditorial de « L'Humanité », en date du 26 août, assurât : « Si Hitler ose le geste qu'il médite, les communistes français... seront au premier rang des défenseurs de l'indépendance des peuples, de la démocratie et de la France républicaine menacée. Ils représentent, on ne peut pas ne pas en tenir compte, une force humaine, matérielle et morale considérable, prête a remplir ses obligations et à tenir ses engagements » - l'interdiction du Parti n'était plus qu'une question de jours. « L'Humanité » et « Ce Soir » furent d'abord saisis (26 août), leurs vendeurs arrêtés ; des perquisitions furent effectuées sans arrêt. Sous le titre « Le Voile Déchiré ! », « Le Temps » réclame des sanctions exemplaires contre ceux qui font désormais figure de complices de l'agression. La Fédération Socialiste de la Seine diffusa, dans les usines de la région parisienne, un tract intitulé « Face à la Trahison », demandant : « Et vous, camarades communistes, tolérerez-vous que les plis de notre glorieux drapeau rouge se mélangent avec l'infâme emblème à croix gammée ? ».

Il n'est plus question que de l'alliance de la faucille et du marteau avec la croix gammée. Le PS désavoue toutes les positions des communistes. Daladier refuse de recevoir leurs délégations. Absolument tout le monde se désolidarise de la politique d'alignement sur la diplomatie russe, pour entrer dans l'Union Sacrée avec la bourgeoisie française. Les intellectuels français, qui, jusqu'à ce jour « amis de l'URSS », avaient justifié toutes les attitudes du PC face au mouvement ouvrier, face à la répression anti-ouvrière en Espagne, se désolidarisent eux aussi, effrayés, et publient un manifeste où ils font part de leur « stupéfaction » devant pareille alliance de la part de l'URSS. Il s'ensuit de nombreuses démissions parmi les militants responsables. Le 19 septembre vient la confirmation de l'intervention russe en Pologne. Le 27, le PC est dissous. Les militants sont traqués. Certains ne quittèrent les prisons de Daladier que pour celles d'Hitler. Il y eut plusieurs condamnations à mort.

Désormais, « Le Temps » peut s'exprimer « Entre Français », et « Le Matin » n'a pas assez de mots pour injurier les communistes.

Et il faudra 1944, que la bourgeoisie ait de nouveau besoin d'une protection contre la classe ouvrière pour que le PC, qui deviendra alors PCF, retrouve une existence légale.

Octobre 1905

« En octobre, une grève générale part de Moscou, et fait tache d'huile. A Pétersbourg, le 13 octobre, les délégués des ouvriers se constituent en Soviet (Conseil). 2 000 résidences seigneuriales sont incendiées. Le gouvernement Witte et Nicolas doivent céder : un manifeste impérial en date du 17 octobre accorde à la Russie la plupart des libertés démocratiques, sous l'égide d'un parlement : la Douma.

Comme en 1848, comme en 1871, la réaction, bientôt, se ressaisit : elle massacre des Juifs, pour détourner le sentiment populaire. La flotte de la Mer Noire se révolte, mais elle ne réussit pas à tenir et son chef, le lieutenant Schmidt, est fusillé. Le conseil des Soviets de Pétersbourg, que préside Trotski, décide que la révolution russe ne reconnaît pas les emprunts contractés par le gouvernement du tzar et tente d'imposer la journée de huit heures. Le 3 décembre 1905, le Conseil est arrêté et Trotski expédié en Sibérie. Il s'en évadera dès 1907 et gagnera l'étranger. En décembre 1905, l'insurrection de Moscou est vaincue par l'artillerie. Des années de réaction et de répression commencent. Douze années. »

Extrait de l'édition du Club des Editeurs (1957) des « Mémoires d'un Révolutionnaire » de Victor Serge).

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