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- Lutte de Classe n°53
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Les jeux tels qu'ils se feront
Le véritable objet du référendum est apparu clairement avec le dernier discours de de Gaulle : il s'agissait pour lui d' obtenir du corps électoral un argument moral autant que juridique pour gouverner sans le concours d'une Chambre qui lui serait hostile. Il a d'ailleurs annoncé qu'il recourrait à de tels référendum à chaque fois que la Chambre s'opposerait à lui sur une question qui lui semblerait grave. Les « non », de Gaulle ne les a même pas comptés. Dans son discours, il n'a pas été question un seul instant de cette minorité du corps électoral. Ce sont des citoyens qu'il ignore.
Les élections qui vont se dérouler les 18 et 25 novembre ne vont guère changer la situation politique française. Le gouvernement que de Gaulle choisira ne trouvera peut-être pas dans l'Assemblée de majorité garantissant sa stabilité. Mais c'est peu probable.
En effet, le Centre et la Droite ne peuvent pas ne pas laisser à de Gaulle la liberté de manoeuvre dont il a besoin. S'opposer jusqu'au bout à lui transporterait immanquablement les problèmes, du Parlement à la rue. Et, dans la rue, les forces de la classe ouvrière sont encore telles, que la victoire des forces conservatrice ne serait pas assurée. En effet, si le Parlement lui était hostile et restreignait ses possibilités de manoeuvre, avec son caractère bonapartiste le pouvoir de de Gaulle perdrait de son efficacité. Il serait amené ou à renoncer à imposer ses vues ou, à l'extrême, à restreindre encore les prérogatives du Parlement. C'est cette épreuve que la bourgeoisie n'est pas sure de remporter sans dommages et c'est pourquoi il est probable que, quelle que soit la défaite de l'UNR aux élections, il se trouvera, au Parlement, une majorité pour soutenir de Gaulle en toutes circonstances ou presque, au moins lorsqu'une opposition risquerait de bloquer la machine.
Les partis dits de « gauche », PCF, SFIO, PSU, peuvent obtenir un renforcement de leur représentation parlementaire globale. mais cela ne sera pas suffisant, si cela est, pour changer quoi que ce soit à ce qui précède. D'autant que s'ils détenaient la majorité, on sait déjà qu'ils font passer les « intérêts du pays » bien avant les intérêts de ceux qui mettent leurs espoirs en eux.
De Gaulle aura donc à jouer vis-à-vis de la nouvelle Chambre une partie plus difficile que vis-à-vis de l'ancienne. Il recourra, au moins aussi souvent que précédemment, au référendum. Il ira peut-être assez loin dans ce domaine, mais c'est la Chambre qui n'ira pas jusqu'au bout. C'est elle qui cédera. Du moins, tant que la classe ouvrière ne sera pas muselée.
Que de Gaulle tente de la museler, ou pas, dans la période qui vient, cela dépendra surtout de l'évolution de la situation économique. Si celle-ci s'aggrave de Gaulle est tout prêt à préparer la voie à la dictature sans phrases et, si besoin était, aux bandes de Bidault et Salan. Mais ce n'est que s'il parvient à démoraliser et à désorganiser les forces vives de la classe ouvrière qu'il s'attaquera au Parlement, en allant, éventuellement, jusqu'à le supprimer purement et simplement. S'il fait jusqu'à présent tous ces efforts pour composer tant bien que mal avec lui, c'est justement parce que l'utilisation de la force ne tournerait pas à son avantage. Pour avoir voulu, en février dernier, interdire une manifestation de rue en allant jusqu'à faire des morts, il a dû, moins d'une semaine après, tolérer une manifestation d'un million de personnes.
C'est dire que ce qui se passera au Parlement ne sera tout au plus que le reflet déformé de ce qui se passera dans les usines et la rue. C'est là, et là seulement, que la véritable puissance se réalisera, c'est là que se jouera, dans la période qui vient, le destin du pays et, peut-être, du monde. Le prolétariat européen ne fait maintenant plus qu'un ; la situation en France est comparable à celle de l'Allemagne, de l'Italie et de la Grande-Bretagne ; nos sorts sont liés, les défaites et les victoires se compteront à l'échelle de l'Europe et une troisième guerre, mondiale ne pourrait éclater, comme la seconde, que sur le cadavre du prolétariat européen.