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Les impopulaires
Il n'est rien qui soulève un sentiment d'injustice aussi unanime que le système des impôts. Ce n'est d'ailleurs pas récent et bien des révoltes populaires du Moyen Âge, si ce n'est même la révolution de 1789, ont eu comme facteur déclenchant sinon comme origine profonde, une réaction contre l'iniquité et le poids des impôts, taxes et autres gabelles.
De nos jours, pour les travailleurs, les artisans, les petits commerçants ou les petits paysans, ce prélèvement obligatoire sur de maigres ressources apparaît d'autant plus injuste que les financiers, les industriels et les grands propriétaires terriens, s'ils sont contrairement aux nobles de l'ancien régime assujettis aussi à l'impôt, y échappent cependant relativement.
Ils sont d'une part peu touchés par les impôts indirects sur tous les biens de consommation car, étant donné l'importance de leurs ressources personnelles, cela compte peu pour eux. D'autre part ils sont une faible fraction de la population et ce sont finalement les classes les plus pauvres qui payent la quasi-totalité de l'impôt indirect.
Quant à l'impôt direct ils n'en payent guère plus, car chacun sait que dans les bilans des grandes entreprises les bénéfices disparaissent en tant que tels pour figurer sous la forme plus modeste de frais généraux ou d'investissement. Pour les salariés par contre il n'existe aucune possibilité de celer au fisc le moindre centime, les employeurs déclarant par ailleurs tous les salaires, frais et avantages en nature versés par eux. Quand les petits commerçants, artisans ou paysans, il y a une marge qui n'est guère plus importante car leurs affaires sont d'autant plus contrôlables que leur importance est plus faible.
Aujourd'hui certains économistes parlent de réformer le système des impôts en remplaçant tous les impôts sans exception, quelle que soit leur appellation, par un impôt unique, à la base, sur les sources d'énergie, c'est-à-dire le charbon, la houille blanche, et le pétrole. C'est en fait transformer tous les impôts directs en impôts indirects. L'argument essentiel des promoteurs du système est que cela économiserait les frais de contrôle et de perception et que les ressources puisées par l'État dans l'économie ne seraient pas inférieures à ce qu'elles sont aujourd'hui. Ce serait remplacer une iniquité par une iniquité plus grande encore, puisqu'il n'y aurait d'impôts qu'indirects. Mais cela aurait l'avantage pour l'État de rendre l'impôt invisible et, tout en laissant les charges essentielles aux classes pauvres, d'en éviter les réactions de mécontentement.
La réalité c'est qu'il n'y a pas d'impôt juste. La question n'est pas tant de savoir quelle quantité d'impôt l'État va percevoir ou de quelle façon il va le faire, mais essentiellement celle de l'utilisation de ces fonds.
Il est inévitable dans une société organisée que personne ne reçoive exactement le fruit de son travail. La société a des charges, non rentables, qui ne peuvent être assumées que par un apport collectif : entretien des routes par exemple, fonctionnement des hôpitaux ou encore enseignement public etc. C'est par un prélèvement, quelle que soit la façon dont il est fait, sur le revenu de chacun, qu'une société policée peur subvenir à l'entretien des besoins vitaux des individus qui la composent.
Et tout le problème des impôts se ramène finalement à la nature de l'État. Dans notre société, « notre » parce que nous y vivons, l'État est l'instrument de domination des classes riches. Les impôts lui servent avant tout à assurer la survie de ces classes et après, s'il en reste, à assurer les besoins de la population. La France, puisqu'il s'agit d'elle, dispose d'une armée aguerrie, entraînée, dont les cadres ont une cote élevée sur le marché des mercenaires, équipée d'une façon ultramoderne tant en qualité qu'en quantité, tandis qu'on fait appel à la charité publique pour construire des hôpitaux, pour venir en aide aux sinistrés des calamités plus ou moins naturelles, que les routes ne correspondent pas aux besoins, qu'on ferme des canaux faute de pouvoir les entretenir, qu'on manque de maîtres et de classes, de chercheurs, de logements et de toutes choses qui sont du ressort de l'État et pour lesquels nous sommes censés payer des impôts.
C'est là seulement le vrai problème.
Il ne pourra bien entendu être résolu, comme bien d'autres problèmes, que lorsque les classes les plus pauvres détruiront l'État de la bourgeoisie pour le remplacer par le leur, en expropriant les riches et en mettant les ressources ainsi économisées et récupérées au service de la société tout entière.
En attendant, s'il est vain de croire que faire une grève de l'impôt priverait l'état bourgeois et le contraindrait à quitter la scène, les travailleurs peuvent se souvenir que ce sont eux qui paye la quasi-totalité des impôts et qu'ils peuvent se servir de ce triste privilège pour refuser à l'état bourgeois de financement de ces guerres de rapide. Nous risquons de payer très cher le fait qu'il n'y ait aucune organisation importante de la classe ouvrière capable de nous dire : « pas un sou pour la guerre d'Algérie ! ».